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Full text of "L'Europe et l'Amérique comparées"

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Unteratg  of  Ptttaburglî 

Darlington  Mémorial  Library 


L'EUROPE 


ET 


L'AMÉRIQUE 


COMPAREES. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Pittsburgh  Library  System 


http://www.archive.org/details/leuropeetlamri02indrou 


L'EUROPE 


ET 


LAMERIQUE 

COMPARÉES; 

PAR  M,  DRÔUIN  DE  BERCY, 

Colon  et  Propriétaire  à  Saint-Domingue ,  Lieutenant-Colonel 
cTEtat-Major  provisoire  dans  l'Armée  française  ,  lors  de  l'ex- 
pédition sous  le  général  Leclerc. 

AVEC     SIX    PLANCHES    COLORIÉES. 

TOME   SECOND. 


A  PARIS, 

Chez  ROSAj  Libraire,  grande  cour  du  Palais-Royal: 

A  LONDRES,  chez  Treuttel  et  Wùrtz; 

Et  à  BRUXELLES  ,  chez  Lecharlier  ,  Libraire. 

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L'EUROPE 


ET 


L'AMÉRIQUE 

COMPARÉES. 


LIVRE  TROISIÈME. 


CHAPITRE    UNIQUE. 

Observations  sur  les  animaux  de  V  Amérique ,  et 
sur  ceux  qui  ont  été  importés  dans  ce  pays. 

Je  me  bornerai  à  ne  parler  ici  que  de  quelques-uns  des 
animaux  les  moins  connus ,  qui  peuplent  les  forêts ,  les 
rivières  et  les  lacs  de  ce  vaste  continent. 

%  Guyane. 

On  trouve  dans  les  forêts  de  la  Guyane  de  nombreux 
troupeaux  de  sangliers  appelles  Pingos  ;  ils  ont  une 
habitude  singulière.  Ceux  qui  appartiennent  à  un 
troupeau  ,  marchent  à  la  file  l'un  de  l'autre ,  et  sont 
entièrement  déroutés  ,  dès  qu'ils  out  perdu  leur  COU- 
TUME   2.  I 


2  OBSERVATIONS    SUR    LES    ANIMAUX 

ducteur  ;  alors  il  est  facile  de  les  tuer  ,   car  ils  ne  sont 
pas  très-farouches  :  c'est  un  manger  recherché. 

Le  Cras-pingo  est  plus  grand  ,  plus  sauvage  ,  et  armé 
de  défenses  plus  fortes  que  le  Pingo  ordinaire.  Sa  chair 
est  plus  dure  et  moins  délicate;  la  plus  légère  égratignure 
le  rend  furieux  ,  il  se  défend  avec  vigueur. 

Le  Pécari  est  également  du  genre  des  sangliers  ;  son 
naturel  doux  le  rend  facile  à  apprivoiser  :  il  a  environ 
trois  pieds  de  long  ,  point  de  queue  ,  et  n'a  que  de  pe- 
tites défenses;  il  est  d'une  couleur  gris -jaunâtre:  son 
dos  est  hérissé  de  longues  soies  ;  il  habite  les  montagnes. 
On  remarque  sur  son  dos  un  trou  dans  lequel  on  peut 
mettre  le  bout  du  doigt  ;  il  s'y  trouve  une  glande  d'où 
s'exhale  une  odeur  désagréable  pour  les  personnes 
qui  ont  le  genre  nerveux  délicat.  Sa  chair  est  très- 
estimée. 

Le  Câblai  (cavia  -capybarus),  appelé  Chiguire  dans 
la  province  de  Carraccas  ,  est  un  porc  de  rivière ,  sans 
queue  ,  quia  des  soies  grises  et  de  fortes  défenses;  il  a  à 
chaque  pied  trois  doigts  unis  par  une  membrane,  et  vient 
la  nuit  sur  le  rivage  pour  chercher  les  graines  et  les 
fruits  dont  il  se  nourrit.  Sa  chair  est  bonne  :  on  fume  ses 
extrémités  cdmme  des  jambons  ,  qui  se  ressentent  un 
peu  de  l'odeur  du  musc. 

Les  quadrupèdes  les  plus  communs  aux  environs  ds 
Cayenne  et  de  Surinam ,  sont ,  parmi  les  singes  : 
YOuarime.  (Voyez  M.  de  Buffon.  ) 

Le  Miko  est  de  la  grosseur  d'un  lynx  ;  son  poil  est 
d'un  teau  brun  :  il  a  la  tête  noire ,  et  une  queue  fort 
Jongue. 

Le  Saki  est  de  la  grosseur  d'un  écureuil  ;  il  a  le  poil 
rouge ,  le  visage  blanc  avec  une  très-grande  tache  noire 


DE     L'AMERIQUE.  3 

au  milieu  ,  les  yeux  très-vifs,  et  beaucoup  d'agilité.  Les 
naturels  du  pays  l'aura  ppent  avec  de  la  glue.  On  l'ap- 
privoise facilement. 

Le  Coati  est  plus  laid  ,  il  est  ordinairement  noir,  et 
a  le  visage  couvert  de  poil  rougeâtre  ;  il  se  sert  de  sa 
queue  avec  autant  d'adresse  que  de  ses  pattes  ,  qui  n'ont 
que  quatre  doigts.  Il  entortille  de  sa  queue  ,  avec  une 
vivacité  incroyable  ,  le  bout  d'une  branche  d'arbre  )  s'y 
suspend  par  ce  moyen  ,  s'y  tient  fortement  attaché  ,  et 
lance  de  là,  sur  les  passans,  de  petites  pierres,  et  sou- 
vent ses  excrémens. 

Le  Ouahako  vit  solitaire  ,  et  craint  les  autres  singes, 
Ceux-ci  le  poursuivent  continuellement  pour  le  battre, 
mais  ils  ne  le  tuent  jamais. 

Le  Paresseux  tient  beaucoup  du  singe  :  il  tire  son 
nom  de  la  lenteur  avec  laquelle  il  se  meut.  Il  emploie  un 
temps  considérable  à  mettre  un  pied  devant  l'autre, 
et  se  repose  à  tout  moment.  Il  est  tout  aussi  lent  à 
grimper  sur  les  arbres  qui  lui  fournissent  sa  nourriture; 
aussi  n'en  quitte-t-il  aucun  qu'il  ne  lait  entièrement 
dépouillé.  Quand  il  veut  l'abandonner ,  il  se  roule  du 
haut  en  bas  ,   en  se  laissant  tomber. 

Le  Porc-épic  de  Surinam  est  différent  de  celui  d'Eu- 
rope ;  il  est  long  de  trois  pieds ,  et  armé  de  pointes 
longues  de  trois  pouces.  Quand  on  l'attaque ,  il  s'enfle , 
se  hérisse  ,  fait  mouvoir  ses  pointes  ,  frappe  la  terre  du 
pied, et  se  jette  de  côté,  vers  son  ennemi;  il  monte  sur 
les  arbres  au  moyen  de  sa  queue ,  avec  laquelle  il  s'atta- 
che aux  branches ,   pour  y  chercher  sa  nourriture. 

11  Armad'dle  ou  Tatou  ,  dont  il  y  a  plusieurs  espèces , 
est  recouvert  partout ,  à  l'exception  du  ventre  ,  d'une 
cuirasse  épaisse  ,  composée  d'écaillés  de  forme  carrée , 


J  * 


4         OBSERVATIONS  SUR  1ES  ANIMAUX 

et  quelquefois  hexagone.  lia  au  milieu  du  corps,  depuis 
six  Jusqu'à  dix-huit  bandes  d'une  structure  admirable , 
qui  jouent  aisément,  ce  qui. donne  à  l'animal  la  facilité 
de  se  mettre  en  boule  quand  il  est  poursuivi. 

Le  Tatou  a  un  peu  au-  delà  de  trois  pieds  de  long; 
sa  tête  ressemble  à  celle  du  porc  :  il  est  d'une  couleur 
fauve-rougeàtre  5  sa  queue  longue  et  pointue  est  cou- 
verte d'écaillés  ;  il  a  de  longues  griffes  ,  au  moyen  des- 
quelles il  s'enfouit  dans  la  terre  avec  la  plus  grande 
facilité  :  il  dort  le  jour  ,  et  va  la  nuit  chercher  les  insecn 
tes,  les  oisep.ux,  les  fruits  et  les  racines  dont  il  se 
nourrit.  Sa  chair  a  un  très-bon  goût. 

Il  y  a  plusieurs  espèces  de  Didalphes  ou  Sarigues.  Cet 
animal,  quà  tort  on  appelle  Rat  de  bois  ,  puisqu'il  ne 
lui  ressemble  nullement,  est  de  la  grosseur  d'un  chat 
d'Europe  ;  il  a  la  tête  d'un  renard, les  pattes  d'un  singe, 
et  la  queue  comme  celle  du  cochon.  La  femelle  a  sous  le 
ventre  ,  qui  est  garni  de  poil ,  une  poche  qu'elle  ouvre 
et  ferme  à  volonté  ,  dans  laquelle  ses  petits  rentrent 
quand  ils  sont  poursuivis  ou  menacés  de  quelque  danger. 
Sa  chair  a  le  goût  du  cochon  de  lait,  son  poil  est  gri- 
sâtre ;  il  a  un  duvet  comme  le  castor.  La  Sarigue ,  ou 
Oposum,  se  nourrit  dans  les  bois,  de  faines,  de  châ- 
taignes ,  de  noix  et  de  glands.  Sa  graisse  est  extrême- 
ment blanche  et  fine  ;  on  en  fait  une  pommade  excel- 
lente pour  guérir  les  hémorroïdes. 

On  trouve  aussi  des  Akouchi  ,  des  Ecureuils  ,  des 
Cavia;  le  Virobocere  qui  parait  appartenir  au  genre  du 
cerf;  des  Bats  de  bois  qu'accompagnent  leurs  petits, 
lorsqu'ils  vont  chercher  leur  nourriture.  Au  moindre 
bruit  y  ils  sautent  sur  le  dos  de  la  mère,  s'attachent  à  §a 


DEL*  AMÉRIQUE.  5 

qaeae  ,  avec  la  leur  ,  et  se  font  porter  ainsi  jusqu'à  leur 

retraite. 

Le  Fespertilio-îepturus  ne  s'est  encore  trouvé  qu'aux 
environs  de  Surinam.  Il  en  est  de  même  du  Thoiis ,  ou 
Canisthous  ;  plusieurs  espèces  de  Viverra  ,  le  Grison  , 
Vivcrra  Vivata  ,  le  Co'ase  de  Surinam;  Iverra  Quasje,  et 
le  Chincha  ,  Viverra  Méphilis  ,  différent  du  petit  furet. 
(  c.  a.  w.  ) 

Parmi  les  animaux  extraordinaires  de  l'Orénoque  , 
on  remarque  une  espèce  de  Chien  vif,  méchant,  hardi, 
et  qui  ne  craint  aucune  bête.  Dès  qu'il  voit  approcher  un 
homme,  un  tigre  ou  un  lion,  il  l'attend  de  pied  ferme. 
Lorsque  son  ennemi  est  à  une  portée  convenable,  il 
lui  tourne  le  dos,  et  lâche  un  vent  si  empesté  qu'il  est 
impossible  d'y  résister.  Il  continue  ensuite  tranquille- 
ment son  chemin,  dans  la  persuasion  qu'on  ne  sera  pas 
tenté  de  le  suivre. 

Le  Cusicusi  est  une  espèce  de  chat  qui  n'a  point  de 
queue  ,  et  dont  le  poil  ressemble  à  celui  du  castor.  Il 
dort  le  jour ,  et  va  la  nuit  à  la  chasse  des  oiseaux  et 
des  serpens  ;  il  est  fort  doux,  et  lorsqu'on  le  porte 
dans  les  maisons,  il  ne  quitte  point  sa  place  de  la 
journée  ;  mais  dès  que  le  soir  arrive  ,  il  recommence 
ses  courses  nocturnes;  il  fourre  sa  langue,  qui  est  longue 
et  mince,  dans  tous  les  trous  ,  et  s'il  entre  dans  un  lit, 
ou  que  quelqu'un  dorme  la  bouche  ouverte  ,  il  ne 
manque  pas  de  la  visiter. 

Le  Jaguar  de  la  Guyane  est  un  tigre  de  la  taille 
ordinaire  du  tigre  africain.  Sa  robe  est  mouchetée  et 
non  pas  vergetée  par  anneaux  ,  ou  par  bandes  transver- 
sales ;  il  fait  la  guerre  aux  hommes  et  aux  bestiaux  3 
lorsquil  a  terrassé  un  bœuf,  il  le  déchire  et  traîne  les 


6  OBSERVATIONS   5 » R   LES   ÀNÏMXu^ 

lambeaux  de  sa  chair  dans  les  bois  ,  après  lui  avoir 
ouvert  la  poitrine  et  le  ventre ,  pour  boire  tout  le  sang 
dont  il  se  contente  pour  la  première  fois.  Il  couvre 
ensuite  sa  proie  ,  et  ne  s'en  écarte  guère  ;  mais  lorsque 
sa  chair  commence  à  se  corrompre ,  il  n'en  mange  plus. 
On  dit  qu'un  tison  ardent  le  fait  fuir  :  on  prétend 
aussi  que  le  cri  du  coq  fait  fuir  le  lion  d'Afrique. 

Le  Cogouar  ,  surnommé  le  Lion  américain.  Il  est 
d'une  couleur  brune-rougeatre  ,  moins  grand  et  moins 
féroce,  dit-on,  que  les  lions  d'Afrique. 

UAnte  ,  que  Ton  appelle  la  grande  Bëtc,  et  qui  n'a 
nulle  ressemblance  avec  les  quadrupèdes  connus  en 
Europe  ,  est  de  la  grosseur  d'un  mulet  ;  il  est  très- 
agile  ,  et  sa  peau  impénétrable  aux  flèches.  Ses  pieds 
sont  courts  ,  et  terminés  par  quatre  ongles  ;  il  a  entre 
les  deux  sourcils,  un  os,  ou  corne.,  avec  laquelle 
il  brise  tout  ce  qu'il  rencontre  dans  les  forets.  Il  est 
toujours  en  guerre  avec  le  tigre.  Celui-ci  l'attend  ordi- 
nairement en  embuscade  ,  pour  lui  sauter  à  la  tête  ou 
sur  le  dos.  Si  le  combat  se  donne  dans  la  plaine  ,  ou  dans 
nn  espace  libre  ,  le  tigre  est  victorieux  ;  mais  si  le  pays 
esl  couvert  d"arbres  ou  de  buissons  ,  Tante  court  avec 
tant  de  fureur  dans  l'endroit  le  plus  touffu  ,  que  son 
ennemi  est  déchiré  dans  le  moment  par  les  broussailles. 

Parmi  les  oiseaux  nombreux  de  la  Guyane ,  tels 
que  Haras  ,  Perroquets  ,  Perruches  ,  Paons  et  autres  , 
qui  sont  communs  à  l' Amérique  méridionale,  on  remar- 
que le  Quereiva  qui  est  de  la  grosseur  d  une  grive.  Ses  > 
plumes  sont  dune  très-jolie  couleur;  à  leur  origine , 
elles  sont  d'un  beau  noir  ;  mais  leur  extrémité,  c'est- 
à-dire  ,  le  bout  seul  qu'on  voit  3  est  d'un  bleu-vert  ;  la 
gorge  et  le  col  sont  d'un  pourpre  violet  très-éclatant ; 


DE      L'AMÉRIQUE.  y 

les  aîles  sont  presque  noires,  ainsi  que  la  queue.  (Voyez 
BufFon  ). 

Entre  autres  insectes,  on  remarque  le  Porte -lan- 
terne et  les  Mouches  à  feu;  voyez  à  ce  sujet  la  tempé- 
rature de  l'Amérique  méridionale.  Le  Kanker laque 
est  une  espèce  de  Scarabée  d'un  noir  rouge  âtre.  Il  a 
un  pouce ,  et  quelquefois  un  pouce  et  demi  de  long  ; 
il  gâte  et  ronge  le  linge  ,  les  habits  ,  les  sou  iers,  les 
chapeaux,  les  provisions  de  bouche.  Quand  il  se  retire, 
il  laisse  derrière  lui  une  odeur  désagréable  ,  comme 
celle  de  la  Punaise  de  bois  d'Europe.  On  s'en  préserve, 
en  mettant  dans  les  armoires  du  poivre,  de  l'iris  de 
."Florence,  ou  quelque  odeur ,  telles  que  des  roses  effeuil- 
lées. Les  grandes  fourmis  noires  ,  dans  leurs  visites,  les 
chassent  des  maisons  et  les  tuent. 

U Araignée  de  Surinam,  ou  Phalange,  est  redoutable 
par  sa  morsure  ;  elle  est  hideuse  :  tout  son  corps  est 
velu ,  et  de  la  grosseur  d'un  œuf.  Elle  habite  sur  les 
arbres,  se  nourrit  de  fourmis,  ou  suce  le  sang  des 
petits  oiseaux  qu'elle  attaque  dans  leurs  nids;  elle  aime 
surtout  celui  du  colibri;  elle  fait  une  guerre  éternelle  à 
ce  charmant  oiseau.  La  bouche  de  la  Phalange  est  armée 
de  deux  crochets  forts  écailleux  ,  que  les  Indiens 
enchâssent  dans  de  l'or,  et  dont  ils  se  servent  en  forme 
de  cure-dents.  On  prétend  qu'ils  se  préservent ,  par  ce 
moyen,  de  la  carie  et  du  mal  de  dent.  Cet  insecte  a  aussi 
ses  ennemis  ;  ce  sont  ces  grandes  fourmis  noires  , 
appelées  Fourmis  de  visite ,  essaims  innombrables,  qui 
dans  leurs  courses  attaquent  et  tuent  ces  araignées, 
mais  payent  leur  victoire  par  la  mort  d'un  grand 
nombre  d'entre  elles  ;  car  l'araignée  se  défend  long- 
temps avant  de  succomber. 


8  OBSERVATIONS   SUR   L*S    ÀNIMlUJ 

Ces  fourmis  sont  de  la  grosseur  d'une  guêpe  ;  leur 
corps  est  d'un  brun  marron;  elles  habitent  dans  la 
terre,  à  huit  pieds  de  profondeur.  Leurs  fourmilières 
sont  très-artistement  arrangées  ;  de  temps  en  temps , 
elles  sortent  en  ordre  de  bataille  ,  vont  dans  les  habi- 
tations ,  s'y  répandent  en  nombre  infini ,  pénètrent 
par  toutes  les  issues,  s'emparent  des  vivres  qu'on  n'a 
pas  mis  à  l'abri  de  leur  voracité  ;  tuent  les  rats  ,  les 
araignées  et  tous  les  autres  insectes  qu'elles  trouvent 
dans  les  maisons  ,  et  s'en  retournent  ensuite  dans  le 
même  ordre.  Les  habitans  qui  ,  moyennant  quelques 
précautions  ,  trouvent  leur  compte  à  ces  visites  ,  ne 
s-'aperçoivent  pas  plutôt  de  leur  approche ,  qu'ils 
mettent  leurs  provisions  en  sûreté ,  et  ouvrent  ensuite 
leurs  portes  et  leurs  armoires.  L'essaim  parcourt  tous 
les  lieux  où  il  peut  arriver  ,  dévore  tout  ce  qu'il  ren- 
contre ;  et  on  est  sûr  que  ,  dès  qu'il  s'en  retourne  ,  la 
maison  est  purgée  de  tous  les  animaux  incommodes; 
cependant  leur  séjour  y  est  quelquefois  plus  long  qu'on 
ne  le  voudrait. 

Quoiqu'il  en  soit ,  elles  sont  moins  redoutables  que 
les  Fourmis  blanches  d'Afrique ,  qui  sont  de  la  grosseur 
d'un  pouce.  Celles-ci  obligent  les  Nègres  à  déserter  leurs 
habitations.  Il  n'y  a  que  les  métaux  qui  puissent  échap- 
per à  leur  rage  ;  car  souvent  elles  éteignent ,  par  leur 
nombre ,  les  feux  qu'on  leur  oppose  ;  souvent  ,  aussi , 
elles  se  font  un  pont  ,  sur  les  eaux  qui  les  arrêtent  , 
des  corps  de  celles  qui  périssent,  Celles  qui  s'établissent 
dans  les  arbres  ,  se  nomment  Punaises  ou  Termites. 
Les  fourmis  qui  se  nichent  dans  la  terre ,  occasionnent 
iiuo  douleur  cuisante  par  leur  piquûre.  Elles  sont  si  vi- 


DE   L' AMÉRIQUE*  § 

vaces ,  que  le  vinaigre  et  les  liqueurs  fortes  ne  font 
aucun  effet  sur  elles. 

Les  Moustiques  sont  une  espèce  de  Cousins ,  dont  la 
piquûre  occasionne  de  vivesinflammations.On  a  coutume, 
pour  s'en  garantir,  de  brûler  du  tabac  dans  les  apparte- 
temens ,  de  laver  les  parties  du  corps ,  qui  sont  le  plus 
exposées  à  leur  atteinte,  avec  du  vinaigre  ou  du  jus  de 
citron,  et  de  se  coucher  dans  des  lits  entourés  d'un 
rideau  de  gaze  claire ,  qu'on  nomme,  à  cet  effet,  Mous- 
tiquaire. 

Les  Papillons  de  la  Guyane  sont  renommés  par  leur 
grosseur ,  et  la  variété  de  leurs  couleurs. 

On  trouve  dans  les  fleuves  de  ces  contrées,  V Alligator 
et  la  Torpille.  L'Alligator  a  depuis  quatre  jusqu'à  vingt 
pieds  de  long.  Il  appartient  à  la  classe  des  lézards.  Son 
dos  dentelé,  est  d'un  jaune  brunâtre;  les  côtés  sont  ver- 
dâtres  ,  le  ventre  d'un  blanc  sale;  sa  tête  est  grande,  ses 
yeux  sont  immobiles  et  défendus  par  une  excroissance 
de  chair;  son  museau  ressemble  à  celui  d'un  porc  ;  sa 
gueule  est  garnie  d'une  double  rangée  de  dents;  son 
corps  est  couvert  de  larges  écailles  ;  sa  queue  très-longue, 
et  sa  peau  si  épaisse  et  si  dure,  qu'elle  amortit  la  balle 
du  fusil.  On  ne  peut  le  blesser  qu  à  la  tête  ,  ou  sous  le 
ventre. 

Tj  Alligator  a  un  ennemi  redoutable  dans  une  espèce 
de  grosse  fourmi,  qui  lui  entre  par  la  gueule,  et  lui 
dévore  les  intestins.  Les  naturels  du  pays  l'attaquent 
avec  courage ,  le  tuent  et  mangent  sa  chair ,  qui  a  une 
odeur  de  musc.  La  femelle  pond  jusqu'à  soixante  œufs  , 
les  dépose  à  l'entrée  de  son  nid,  et  laisse  à  la  chaleur 
du  soleil ,  le  soin  de  les  faire  éclore.  Une  partie  devient 
ordinairement  la  pàuu*e  du  père    et   de  la  mère.  Les 


ÎO  OBSERVATIONS    SUR   LES    ÀNÏMÀTJX 

petits  hurlent  comme  des  chiens.  Quand  il  y  a  plusieurs 
alligators  réunis,  leur  hurlement  ressemble  au  bruit 
du  tonnerre.  Lorsqu'il  guette  sa  proie  ,  il  se  lient 
à  l'affût  derrière  des  roseaux  ;  dès  qu'il  croit  pouvoir  la 
surprendre ,  il  s'élance  les  yeux  étincelans  ,  les  nazeaux 
enflés,  ouvrant  une  énorme  gueule  armée  de  dents  tran- 
chantes, et  agitant  sa  queue  redoutable  ,  dont  un  coup 
suffit  pour  renverser  un  homme.  Ces  amphibies  se  cons- 
truisent des  nids  qui  ont  un  diamètre  considérable ,  et 
plus  de  cinq  pieds  d'élévation.  Ces  nids,  en  forme  de 
cône  tronqué,  sont  faits  de  limon,  de  branches  d'arbre 
et  de  gazon. 

La  Torpille  d'Amérique  a  quatre  pieds  de  long  ;  elle 
est  presque  noire,  et  ressemble  aux  anguilles  d  Europe  ; 
on  l'appelle  aussi  Anguille  torporijique.  Elle  a  une  pro- 
priété fort  remarquable  ,  lors  qu'on  la  touche  avecla  main, 
ou  avec  une  baguette  de  métal,  ou  même  avec  un  bâ- 
ton ,  elle  cause  une  commotion  semblable  à  celle  de 
l'électricité ,  suivie  d'un  engourdissement  si  violent,  qu'il 
occasionne  quelquefois  des  vertiges.  Elle  fait  éprouver 
la  même  sensation  aux  poissons  qui  l'approchent,  et  il 
semble  que  la  nature  lui  ait  donné  cette  propriété  pour 
sa  défense.  Cependant,  si  on  en  approche  avec  un  ai- 
mant ,  qu'on  la  touche  avec  un  mouchoir  de  soie ,  ou 
qu'on  la  prenne  par  la  queue  ,  on  n  éprouve  point  cet 
engourdissement.  Cette  vertu  torporifique  n'existe  plus 
dans  l'animal  aussitôt  après  sa  mort.  Les  marins  man- 
gent la  chair  de  la  torpille  ,  et  lui  trouvent  un  bon 
goût. 

Terre-Ferme. 
On  trouve  dans  la  Terre-Ferme  les  mêmes  animaux 


D  E     V  M  M  £  R  I  Q  U  E.  11 

qu'à  la  Guyane.  Dans  la  province  de  Cumana,  les  lions 
y  sont  communs,  mais  peu  redoutables;  les  tigres,  au 
contraire ,  y  sont  si  terribles ,  qu'il  n'est  pas  rare  (  dit 
l'abbé  de  la  Porte)  de  les  voir  entrer  dans  les  cases 
des  sauvages  ,  saisir  un  bomme  et  l'emporter  dans  les 
forêts  pour  le  dévorer.  La  taille  de  ceux  que  Ton  tue 
proche  du  village  de  Maniquarez,  peu  éloigné  du  châ- 
teau à'Araya,  ne  le  cède,  de  l'aveu  de  M.  Humboldt, 
que  de  très-peu  ,  à  celle  des  tigres  de  l'Inde. 

Les  chèvres  y  sont  d'une  race  très-grande  et  très- 
belle  :  on  les  marque  comme  les  mulets.  Les  cerfs  vont 
par  troupeaux. 

Les  animaux  puans ,  si  joliment  rayés  par  bandes, 
sont  le  Chinche  ,  le  Zorille  et  le  Conepate  (viverra  ma- 
purito,  Zorilla  et  vittata.  ) 

A  Porto-Bello  ,  les  tigres  parcourent  la  nuit  les  rues, 
emportent  la  volaille  qui  s'y  trouve ,  les  chiens ,  et 
jusqu'aux  enfans.  Les  nègres  et  les  mulâtres  sont  fort 
industrieux  à  les  combattre  dans  les  bois  ;  ils  imitent 
en  cela  les  Indigènes.  Ils  attendent  que  le  tigre  se  jette 
sur  la  lance  qu'ils  lui  présentent,  pour  lui  couper  les 
pattes;  l'animal  blessé  se  retire  en  faisant  des  cris 
effroyables;  bientôt  après,  il  revient  à  la  charge  comme 
un  furieux.  Le  nègre  le  frappe  d'un  second  coup,  qui 
lé  met  hors  d'état  de  se  mouvoir.  Le  chasseur  alors  le 
tue  à  son  aise  ,  l'écorche  ,  lui  ôte  la  tête  et  les  pattes, 
et  revient  triomphant  à  la  ville  ,  chargé  des  dépouilles 
de  l'ennemi. 

Parmi  les  animaux  de  ce  pays,  il  en  est  d'une  espèce 
singulière,  appelé  par  ironie,  le  Léger-pierre ,  à  cause 
de  son  extrême  lenteur  ;  il  ressemble  beaucoup  au 
Paresseux.  Ils  sont  tous  deux  si  lents,  si  pesans,  qu'on 


12  OBSERVATIONS     SUR    LES    ANIMAUX 

n'a  besoin  ni  de  chaînes  ,  ni  de  cages ,  pour  les  arrêter 
et  les  contenir  ;  ils  ne  remuent  l'un  et  l'autre  que 
lorsqu'ils  sont  pressés  par  la  faim,  et  ne  marquent 
aucune  crainte  ni  des  tommes  ni  des  bêtes.  Ce 
que  le  Légcr-picrre  a  de  particulier ,  et  qui  le  dis- 
tingue spécialement  de  l'autre,  c'est  qu'à  chaque 
effort  qu'il  fait  pour  se  remuer ,  il  pousse  un  cri  si 
plaintif,  si  désagréable  ,  qu'il  excite  en  même-temps 
le  dégoût  et  la  pitié.  Ce  cri  affreux  est  toute  sa  défense. 
L'ennemi  qui  voudrait  le  poursuivre ,  ne  pouvant 
supporter  ce  terrible  hurlement  ,  prend  la  fuite  lui- 
même  ,  pour  éviter  un  bruit  si  effrayant.  Dans  toutes  ses 
actions  ,  le  Léger-pierre  ne  diffère  presque  point  du 
Paresseux. 

On  trouve  dans  l'Isthme  de  Darien ,  une  sorte  de 
sanglier,  que  les  Indiens  appellent  Peccaris.  Il  est  noir 
et  a  de  petites  jambes  qui  ne  l'empêchent  pas  de  courir 
fort  vite.  Ce  qu'on  remarque  de  plus  extraordinaire 
dans  cet  animal,  c'est  qu'au  lieu  d'avoir  le  nombril  sur 
le  ventre,  il  le  porte  (dit  l'abbé  De  la  Porte)  au 
milieu  du  dos.  Quand  il  est  tué ,  si  l'on  diffère  à  lui 
couper  cette  partie ,  sa  chair  se  corrompt  et  n'est  plus 
bonne  à  manger. 

Il  y  a  à  la  Terre-Ferme  une  espèce  de  Renard  qui , 
lorsqu'il  est  poursuivi  par  un  chien  ou  par  d'autres  bêtes  , 
mouille,  en  fuyant,  sa  queue  dans  son  urine,  et  leur  en 
jette  au  museau.  L'odeur  en  est  si  infecte ,  qu'elle  suffît 
pour  les  arrêter.  On  assure  qu'elle  se  fait  sentir  d'un 
quart  de  lieue  ,  et  dure  près  d'une  demi -heure.  Les 
bœufs  ,  les  chevaux ,  les  moutons  ,  les  chèvres  ,  y  abon- 
dent par  milliers. 

Parmi  les  oiseaux  dont  le  nombre   est  incroyable , 


de    l'Amérique.  ï3 

et  le  plumage  aussi  riche  que  varié  ,  il  y  en  a  un  ,  que 
les  Espagnols  appellent  Gallinazo  ,  parce  qu'il  ressemble 
à  une  poule.  Il  nettoie  les  maisons  des  insectes  qui  s'y 
trouvent;  il  a  l'odorat  si  subtil,  qu'il  sent  les  bêtes  mortes 
à  trois  ou  quatre  lieues  à  la  ronde  ,  et  ne  les  abandonne 
qu'après  en  avoir  dévoré  entièrement  toutes  les  chairs. 
S'ils  sont  pressés  par  la  faim  ,  ils  attaquent  les  bestiaux. 
Une  vache ,  un  porc ,  qui  a  la  moindre  blessure, ne  peut 
éviter  leurs  coups  dans  cet  endroit  ;  ils  agrandissent  la 
plaie  avec  leur  bec  ,  et  ne  lâchent  pas  prise  qu'ils  ne 
l'aient  rendue  mortelle. 

Nouvelle  Grenade. 

Les  forêts  de  la  Nouvelle  Grenade  fournissent  une 
grande  quantité  d'animaux  qui  sont  à  peu-près  les 
mêmes  que  dans  les  parties  de  l'Amérique  qui  l'avoisi- 
nent.  On  distingue  cependant  la  Philandre,  espèce  de  rat  ? 
dont  la  femelle  porte  sur  le  dos  ses  petits  qui ,  pour  s'y 
fixer  ,  entortillent  leurs  longues  queues ,  autour  de  la 
queue  recourbée  de  leur  mère. 

"Les Chauve-souris,  nommées  Vampires.  Elles  s'attachent 
quelquefois  aux  hommes  et  aux  animaux  qu'elles  trou- 
vent endormis ,  et  leur  sucent  le  sang ,  jusqu'à  leur  don- 
ner la  mort.  Les  Millepieds  ,  ou  Scolopendres  ,  dont  la 
piquûre  occasionne  un  légère  douleur  et  un  peu  de 
fièvre. 

Le  Caïman,  c'est  une  espèce  de  crocodile  qui  est 
moins  gros  et  moins  fort  que  celui  d'Afrique.  Il  vit 
ordinairement  dans  l'eau  :  c'est  de  là  qu'il  épie  sa 
proie.  Si  la  femelle  n'a  pas  de  petits  ,  elle  n'attaque  point 
l'homme  qui  se  baigne  proche  de  son  trou;  mais  dans 


l4  OBSERVATIONS    SUR    DES    ÀNIMÀTTX 

le  cas  contraire,  elle  s'élance  dessus,  et  l'entraîne  au 
fond  des  eaux,  pour  servir  de  pâture  à  ses  petits. 

Panama, 

On  remarque  à  Panama  le  Colimaçon-soldat  ;  c'est  un 
insecte  de  deux  pouces  de  long ,  qui  depuis  le  milieu  du 
corps  jusquà  l'extrémité  postérieure,  a  la  figure  des 
limaçons  ordinaires;  par  l'autre  moitié,  il  ressemble  à 
Técrévisse.  Il  n'a  ni  coquille,  ni  écaille,  mais  pour  se 
mettre  à  couvert  et  se  loger,  il  s'empare  de  celle  de 
quelque  autre  colimaçon  proportionnée  à  sa  grandeur. 
Tantôt  il  marche  avec  cette  coquille,  tantôt  il  en  sort 
pour  chercher  sa  nourriture;  si  quelque  danger  le  me- 
nace il  court  vite  la  reprendre,  il  y  rentre  par  la  partie 
de  derrière,  et  se  défend  avec  celle  de  devant.  Lorsqu'il 
devient  assez  gros  pour  ne  pouvoir  plus  se  servir  de  sa 
première  demeure ,  il  a  recours  à  une  plus  grande ,  il  en 
tue  le  propriétaire  et  se  met  à  sa  place. 

Guyaquil. 

Cette  province  se  distingue  surtout  par  ses  petits  Li- 
maçons, ou  Murex,  qui  donnent  une  belle  couleur  pourpre 
inaltérable. 

La  Terre-  erme  fournit  des  papillons  chamarrés  avec 

un  goût  exquis. 

Pérou. 

Entre  les  animaux  indigènes,  que  l'on  trouve  au  Pérou , 
on  remarque  cinq  espèces  de  bêtes  de  somme  analogues 
au  chameau ,  qui  sont  particulières  à  l'Amérique  méridio- 
nale :  le  Lama,  \e  Quanaaue,  \eMoromore,\a.  Vigogne  M. 
Paco. 


t)EL'  AMÉRIQUE.  l5 

Le  Lama,  ou  plus  proprement  \eRuna,  (car  Lama  si- 
gnifie simplement  une  bête,  un  quadrupède)  a  six  pieds 
de  long  et  quatre  et  demi  de  haut.  Il  a  beaucoup  d'analogie 
avec  le  chameau  d'Afrique  ;  on  l'apprivoise  aisément  :  il 
est  patient  et  facile  à  nourrir.  Il  porte  deux  cents  livres 
pesant,  descend  avec  ce  fardeau  les  ravines  précipitées, 
gravit  les  rochers  escarpés,  fait  de  grandes  journées  sans 
se  fatiguer,  mange  peu  et  ne  boit  jamais.  Si  on  le  sur- 
charge trop,  ou  qu'on  le  fasse  aller  trop  vite,  il  se  cou- 
che, reçoit  patiemment  les  premiers  coups ;  si  on  per- 
siste à  le  battre,  il  ne  se  relève  plus,  et  il  crache  à  la 
figure  de  ceux  qui  le  frappent.  On  fait  de  riches  étoffes 
de  sa  laine  qui  est  d'un  rouge  tendre  :  ceux  qu'on  trouve 
sur  la  pente  occidentale  du  Chimboraço ,  sont  devenus 
sauvages,  lorsque  Vlcan,  l'ancienne  résidence  des  domi- 
nateurs de  Quito ,  fut  détruite  et  réduite  en  cendres. 

Il  est  bien  extraordinaire  que  le  chameau,  cet  animal 
si  utile,  qui  se  propage  dans  l'Amérique  méridionale 
ne  le  fasse  presque  jamais  à  Ténériffc.  Dans  le  seul  dis- 
trict fertile  à'Adeve ,  où  les  plantations  de  la  canne  à 
sucre  sont  plus  considérables ,  ils  se  multiplient  quel- 
quefois. Ces  bêtes  de  somme ,  de  même  que  les  chevaux 
ont  été  introduites  aux  îles  Canaries,  au  i5e  siècle,  par 
les  conquérans  Normands.  (  Humb.  voj.  aux  rég.  équin. 
du  Nouv.  Cont.  ). 

Le  Guanaque  ,  ou  chameau  sauvage  ,  est  un  animal 
plus  gros  et  plus  dur  que  le  Rima;  il  a  le  corps  d'un 
rouge-brun  ,  la  tête  et  la  poitrine  blanches  ;  il  vit  dans 
les  montagnes.  Quoiqu'il  ait  les  jambes  grosses  ,  il  a 
l'agilité  du  cerf  ;  son  poil  et  sa  chair  sont  recherchées. 
On  préfère  sa  laine  à  celle  du  lama. 

Le  M&romore  approche  beaucoup  du  guanaque. 


l6  OBSERVATIONS    SUR    LES    ANIMAUX 

La  Vigogne  est  plus  petite  :  sa  laine  est  plus  courte, 
plus  fine,  et  tirant  sur  le  brun;  tandis  que  celle  des 
autres  est  de  différente  couleur.  La  vigogne  habite  par 
troupeaux  les  plus  hautes  montagnes,  et  se  nourrit 
d'herbes.  On  tue  cet  animal  pour  en  manger  la  chair  , 
et  surtout  pour  en  avoir  la  laine  ,  qui  est  la  plus  belle , 
la  plus  soyeuse  et  la  plus  fine  que  Ton  connaisse  ;  elle  se 
vend  jusqu'à  16  ou  18  francs  la  livre,  et  l'aune  du 
drap  qu'on  en  fabrique  coûte  jusqu'à  8  louis  l'aune. 

Le  Pacos  ,  ou  Alpaca,  ou  Alpagne,  semble  être  une 
espèce  de  vigogne. 

Le  Bison  est  un  taureau  indigène  à  l'Amérique  ;  il 
est  de  la  taille  ,  ou  à  peu-près ,  de  celui  d'Europe  ;  la 
nature  l'a  doué  d'un  instinct  qui  le  rend  difficile  à 
dompter.  Lors  même  qu'il  est  né  et  élevé  dans  une 
étable,  il  revient  à  son  caractère  revèche  et  fougueux, 
secoue  le  joug  ,  et  retourne  à  la  première  occasion  dans 
les  bois.  Pour  le  tuer,  les  chasseurs  s'arment  d'une 
lance  dont  le  fer  est  très-tranchant  ,  et  attaché  en 
travers.  Quand  l'animal  passe  dans  le  sentier  où  les 
chasseurs  l'attendent,  un  d'eux  le  perce  avec  sa  lance, 
et  deux  autres  s'élancent  en  avant  pour  lui  couper  d'un 
coup  vigoureux  les  nerfs  des  pieds  de  devant  ;  le  bison 
tombe  et  on  l'achève  à  coup  de  poignard.  Il  faut  pour 
cette  chasse  autant  d'adresse  que  de  courage  ;  car  l'ani- 
mal passe  souvent ,  et  avec  tant  de  vitesse ,  que  la  pointe 
de  la  lance  ne  fait  qu'écorcher  sa  croupe.  Aussitôt  qu'il 
se  sent  blessé  ,  il  casse  ,  brise ,  renverse  tout  ce  qui 
s'oppose  à  son  passage  ,  pour  foncer  sur  son  ennemi  à 
coups  de  cornes. 

Parmi  les  bêtes  féroces,  on  distingue  le  Jaguar  ,  tigre 
absolument  naturel  à.  l'Amérique,   et  dont  on  n  a  pas 


DE      L5  AMER  I  QUE,  \t* 

découvert  l'analogue  dans  l'ancien  continent;  il  a  le  poil 
fort  ras  :  sa  peau  est  marquée  de  taches  noires  sur  un 
fond  jaunâtre,  tirant  sur  le  roux,  qui  fait  la  nuance 
que  les  naturalistes  expriment  par  le  terme  de  Lutco- 
Rufus  :  il  a  beaucoup  plus  de  corpulence  que  le  plus 
grand  dogue  des  Alpes  ;  il  est  haut  monté  sur  ses 
jambes  ,  ce  qui  le  rend  svelte  et  alerte;  ses  dents  ca- 
nines sont  canotiques  et  très  -  grandes.  Il  terrasse 
l'homme  et  le  bison. 

Le  Puma  est  un  quadrupède  auquel  les  Espagnols  ont 
donné  le  nom  de  lion.  Le  mâle  n'a  point  de  crinière  5 
il  est  plus  petit  que  les  lions  d'Afrique ,  aussi  avide  de 
sang,  mais  moins  déterminé  peut-être  que  ceux  du 
Bilédulgérid. 

Le  Cogouar  est  aussi  un  lion  américain  ;  il  est  d'un 
brun-rougeâtre  ;  sa  taille  approche  de  celle  des  lions 
ordinaires  du  Zara.  Il  attaque  les  plus  forts  taureaux 
qu'il  fait  servir  à  sa  pâture. 

On  a  trouvé  à  Quito  et  au  Pérou  un  grand  nombre 
de  chiens  noirs  sans  poil ,  que  BufFon  appelle  Chiens- 
turcs  ,  et  les  Espagnols  Perro  -  chines e ,  parce  qu'ils 
croyent  que  cette  race  a  été  apportée  de  Canton  ou  de 
Manille. 

Les  autres  animaux  sont  des  Chats-sauvages,  des 
Léopards,  des  Onces,  des  Tatous,  des  Ours ,  des  Singes , 
des  Lièvres  ,    des  Cerfs  ,  des  Hypopotames ,  etc. 

Parmi  les  nombreuses  variétés  d'oiseaux  ,  dont  la 
nomenclature  est  longue,  mais  qui  renferme  diverses 
espèces  de  Perroquets  ,  de  Haras ,  de  Paons  ,  d' Oiseaux- 
mouches  ,  et  autres  oiseaux  qui  appartiennent  aux  tropi- 
ques, je  ne  parlerai  que  du  Xochiiol  et  du  Condor. 

Le  Xochitol  a  le  dos  et  le  croupion  noirs,  la  poitrine ; 
T03IE   2.  2, 


l8  OBSERVATIONS    SUR    LES    AWIMAUX 

le  ventre  et  le  dessous  du  corps  d'un  jaune-safran ,  mêle 
de  noir;  les  ailes  sont  variées  de  noir,  de  blanc  et  d'un 
peu  de  bleu;  la  queue  est  d'un  beau  jaune  mêlé  de 
noir.  Il  y  en  a  de  trois  espèces  ,  avec  autant  de  nuances 
différentes.  Leur  ramage  ne  manque  pas  d'agrémens. 

Le  Condor,  ce  géant  des  vautours  (vultur  gryphus), 
est  le  plus  redoutable  des  oiseaux  de  proie  ;  sa  taille  est 
monstrueuse,  et  ses  aîles  ont  quelquefois  jusqu'à  vingt 
pieds  d'envergure  ;  il  a  la  tête  d'un  vautour  ,  une  crête 
rouge  ,  le  corps  noir  avec  des  taches  blanches.  Il  fait  un 
bruit  considérable  en  volant.  La  hauteur  absolue  que  le 
Condor  atteint  est  de  trois  mille  six  cent  trente-neuf  toises, 
là  où  le  baromètre  se  soutient  à  peine  à  douze  pouces  ; 
souvent  on  ne  le  voit  que  comme  un  petit  point  noir. 
Après  avoir  tourné  des  heures  entières  dans  des  régions 
où  l'air  est  si  raréfié,  il  s'abat  tout  d'un  coup  jusqu'au 
bord  de  la  mer ,  et  parcourt  ainsi ,  en  peu  d'instans,  en 
quelque  sorte  tous  les  climats.  Le  Condor  attaque  le 
bœuf,  le  chameau  ,  enlève  les  chèvres  ,  les  moutons, 
et  ne  se  laisse  point  effrayer  ni  par  le  berger  ni  par  le 
bruit  des  armes  à  feu.  On  le  voit  fondre  quelquefois 
sur  des  enfans  de  dix  à  douze  ans.  Les  Indiens  n'ont 
qu'un  moyen  de  se  saisir  de  ce  redoutable  ennemi  ;  ils 
font  avec  une  argile  très-visqueuse  ,  une  figure  d'enfant 
qu'ils  exposent  en  plein  champ  ;  le  vorace  oiseau  se 
précipite  sur  cette  proie,  la  saisit  avidement  avec  ses 
griffes ,  qui  sont  extraordinairement  longues  ;  elles  s'y 
enfoncent  si  profondément  qu'il  ne  peut  les  dégager  de 
suite  ,  ni  enlever  cette  masse  qui  renferme  des  objets 
pesans.  Les  Indiens  profitent  de  ce  moment  pour  le  tuer 
a  coups  de  flèches  ou  de  fusil ,  car  il  en  coûterait  la 
vie  à  celui  qui  chercherait  à  l'assommer  à  coups  de  bâtoa , 


DE    L'AMERIQUE.  1<j 

avant  de  lui  avoir  cassé  les  aîles.  (Pour  tous  les  animaux, 
voyez  M.  de  Euffon  ). 

Les  papillons  du  Pérou  sont  aussi  brillans  que  les 
oiseaux  des  Tropiques. 

Chili. 

On  trouve  au  Chili  des  Guanacos  ,  des  Chilibueques, 
Ceux-ci  tiennent  du  guanaco  et  du  mouton  d'Europe, 
qu'ils  surpassent  du  double  en  grosseur;  leur  chair  est 
aussi  bonne  que  celle  du  mouton  ;  leur  laine  est  excel- 
lente :  il  y  en  a  de  blancs,  de  gris,  de  noirs  et  de 
cendrés. 

Le  Guemul  est  de  la  forme  et  de  la  taille  du  Chilibuè- 
que,  à  l'exception  de  la  queue  qui  ressemble  à  celle  du 
cerf;  il  est  plus  sauvage  que  le  Guanaco,  et  n'est  pas 
moins  estimé. 

Malgré  la  guerre  terrible  que  Ton  fait  à  la  Vigogne, 
elle  y  multiplie  d'une  manière  étonnante. 

Le  Chili  contient  des  Mouffettes ,  espèces  de  rats 
inconnues  aux  systèmes  d'histoire  naturelle  de  l'Europe , 
et  décrites  par  Az:ra;  savoir:  le  Castor  du  Chili,  la 
Loutre  ,  le  Mulet  bleu,  le  Rat  laineux,  dont  les  Péruviens 
employaient  les  poils  soyeux  et  fins  comme  la  toile 
d'araignée  ;  V  Ecureuil ,  (le  sciurus  degus.) 

La  Viscaque  est  de  la  grosseur  et  presque  de  la  figure 
du  lapin  ;  sa  queue  ressemble  à  celle  du  renard  ,  elle  est 
garnie  de  soies  dures  ,  qui  ont  l'air  d'épines  ;  son  corps 
est  gris-cendré  et  recherché. 

Le  Chine he  est  de  la  grosseur  d'un  lapin  ,  sa  figure 
ressemble  à  celle  d'un  petit  chien.  Il  porte  près  de 
l'anus  une  liqueur  extrêmement  puante  ,  qu'il  lance 
contre  ses  ennemis. 


20  OBSERVATIONS    SUR    LES    ANIMAUX 

lu  Arda  est  une  espèce  de  mulot  de  la  grosseur  d'un 
chat.  Cet  animal  est  couvert  d'une  laine  cendrée ,  épaisse 
et  délicate. 

On  voit  plusieurs  espèces  de  singes,  des  chiens  muets 
nommés  Runalco  ,  dont  les  habitans  de  Sausa  et  de 
Huenca  recherchaient  la  chair  ;  des  milliers  de  Chevaux , 
de  Bœufs ,  de  Féaux  marins ,  de  Lions  de  mer.  Tout  kle 
monde  connaît  la  réputation  des  chevaux  du  Chili,  et 
celle  des  perles  de  ce  pays.  Quant  aux  insectes  ,  aux 
papillons,   etc.  ,  voyez  BufTon. 

patagonie. 

Outre  cette  multitude  de  Chevaux,  de  Bœufs  et  autres 
animaux  qu'on  trouve  dans  la  Patagonie  ,  on  y  remar- 
que V Abeille-bourdon  ;  le  Guanaco,  animal  semblable  au 
chevreuil  pour  la  figure  ,  la  couleur  et  la  taille,  excepté 
qu'il  a  de  plus  une  tumeur  sur  le  dos. 

If  Autruche  américaine  a  six  pieds  de  haut,  huit  d'en- 
vergure ;  ses  plumes  sont  partie  bleu- clair,  et  partie 
brun  -  foncé.  Elle  n'en  a  de  blanches  que  sur  le  dos;  ses 
aîles  sont  composées  de  bouquets  de  plumes  étroites  et 
courtes,  sous  lesquelles  il  y  en  a  de  plus  longues  qui  se 
courbent  vers  la  partie  de  derrière ,  et  lui  forment  une 
espèce  de  queue.  Comme  ses  aîles  sont  très-petites , 
elles  ne  lui  servent  point  à  voler ,  mais  à  donner  à  sa 
course  une  très-grande  rapidité.  Jj1  Autruche  se  nourrit 
d'herbes  et  de  fruits  ;  ses  œufs  sont  particulièrement  bons 
à  manger,  ils  sont  de  la  grosseur  de  la  tête  d'un  enfant 
d'un  an  :  les  Indiens  sont  friands  de  sa  chair  ;  son  cuir 
est  si  épais ,  qu'on  peut  en  faire  des  cuirasses  et  des  bou- 
cliers. 

Les  Cygnes  de  ce  pays  sont  beaucoup  plus  gros  que 


DE     L'A  M  fi  RI  QUE,  21 

ceux  d'Europe ,  et  y  abondent  ainsi  que  les  Canards,  les 
Cercelles  ,  les  Hérons  rouges ,  les  Perdrix ,  les  Bécassines  , 
les  Faucons ,  les  Milans,  les  Hibous  et  les  Pinguins.  Cet 
oiseau  ressemble  à  un  canard  ;  il  n'a  pour  aîles  que  des 
membranes  sans  plumes ,  qui  lui  servent  non  à  voler , 
mais  à  nager  ;  aussi  se  tient-il  d'ordinaire  sur  l'eau.  Il  y 
a  une  autre  espèce  de  Pinguin  qui  a  de  grandes  aîles, 
au  moyen  desquelles  il  s'élève  dans  les  airs. 

Parmi  les  quadrupèdes ,  on  y  trouve  des  Daims  sau- 
vages ,  dont  la  cliair  et  la  laine  sont  excellentes  ;  des 
Renards ,  des  Lièvres  d'une  grosseur  prodigieuse,  pesant 
vingt  livres. 

M.  de  Buffon  confond  le  Techichi  avec  le  Coupara  de 
la  Guyane.  Ce  dernier  est  identique  avec  VUrsus-cancri- 
vorus  ou  Y Agua-gaza ,  mangeur  de  moules  de  la  côte 
desPatagons;  Linnée  au  contraire,  confond  le  Chien- 
muet  avec  Y Itzcuinte-potzoli  ,  espèce  de  cliien  encore 
assez  imparfaitement  décrite,  et  qui  se  distingue  par 
une  queue  courte,  une  tête  très-petite,  et  une  grosse 
bosse  sur  le  dos.  (  Azarra  quadrup.  du  Paraguay,  tome  i, 
page  3i5.) 

Dans  cette  partie  renommée  pour  les  perles,  les  nacres 
d'Huîtres  et  les  Burgans,les  baleines  sont  plus  grosses  et 
plus  nombreuses  que  dans  la  Mer  septentrionale.  On  n'y 
éprouve  pas  l'obstacle  du  froid  qui  chasse  les  pêcheurs 
du  Nord ,  et  les  oblige  à  construire  des  fourneaux  sur 
les  navires  ;  car  à  Magellan ,  l'expérience  a  prouvé  qu'on 
peut  y  passer  Vhiver,  se  bâtir  des  habitations  supporta- 
bles. Enfin,  si  la  pêcbe  de  la  baleine  donne  trop  de 
peine ,  on  peut  la  remplacer  par  celle  du  veau  marin , 
par  celle  du  lion  de  mer,  moins  difficile  ,  moins  coû- 
teuse ,  et  qui  fournit  aussi  beaucoup  d'huile, 


23  OBSERVATIONS    SUR    LES    ANIMAUX 

Paraguay. 

Les  forêts  du  Paraguay  sont  peuplées  de  Cerfs }  de 
Chevreuils,  de  Renards,  de  Tamanoirs,  de  Chats-sauvages , 
à." Elans,  de  Fourmilliers  de  deux  espèces,  de  Mouffettes , 
de  Chevaux  ,  de  Bœufs  ,  etc. 

Dans  la  famille  des  nombreux  individus  du  genre  du 
chat ,  Vlagouarété  ou  Jaguar  le  plus  grand  de  tous,  que 
M.  de  Buffon  a  confondu  probablement  avec  un  petit 
animal  de  la  Guyane  française;  car  DobrizliofFer,  qui  a 
résidé  vingt-deux  ans  dans  le  Paraguay,  dit:  «  que  comme 
»  les  lions  d'Afrique  surpassent  de  beaucoup  en  taille  et 
*  en  férocité  ceux  du  Paraguay,  de  même  les  tigres  afri- 
y>  cains  le  cèdent  en  grandeur  à  ceux  du  Paraguay.  » 

M.  Bougainville  rapporte  que  les  tigres  près  de  Mon- 
tevideo ,  sont  plus  gros  et  plus  sauvages  que  ceux  d'Afri- 
que; qu'il  a  vu  un  petit  de  quatre  mois,  qui  avait  deux 
pieds  trois  pouces  de  haut.  (Prerietty,  p.  141  ). 

Le  Gouazara  ou  Cogouar  de  Buffon,  appelé  Puma 
par  Garcilasso,  grimpe  aux  arbres;  le  Chiligouazou  ou 
VOcelot  de  Buffon  grimpe  aux  arbres  pour  manger  les 
oiseaux,  et  s'élance  delà  sur  sa  proie  lorsqu'elle  passe; 
deux  autres  chats,  Y Yagouaroundi  et  YEvra,  paraissent 
être  inconnus  aux  naturalistes  d'Europe ,  ainsi  que  le 
chat  Pampa,  des  environs  de  Buenos- Ayres,  qui  ont  été 
confondus  avec  le  ebat  d'Europe  ;  trois  espèces  du  Fu- 
rets, que  Buffon  nomme  Mouffettes  ;  six  espèces  de 
Sarigues,  qu'il  nomme  Micouré;  l'Ours  ou  le  Raton-crabier 
de  Buffon;  Y Agouarachay ,  qui  appartient  plutôt  au 
genre  du  chien  qu'à  celui  de  l'ours  ;  le  Coati,  ours  noi- 
râtre de  Buffon:  il  n'habite  que  les  forêts,  et  non  les 
ïuontagnes  comme  on  le  dit.  Il  y  en  a  de  domestiques 


DE 

dans  ces  contrées,  ils  y  tiennent  lieu  de  chats  :  la  Loutre, 
le  Quouira,  espèce  nouvelle  de  Cabiai;  le  Capiygoua  ou 
Cabiai,  que  l'on  trouve  sur  les  Lords  des  lacs  et  des 
rivières;  le  Pay  qui  habite  l'intérieur  des  forêts  et  se 
cache  dans  les  terriers  ;  V Agouti,  qu'on  trouve  dans  les 
Lois ,  ou  sous  des  arbres  abattus  ;  la  Vizcache  ou  lièvre 
des  Patagons ,  que  Buffon  appelle  YAccouchi  ;  le  lièvre 
Pampa,  qui  est  une  espèce  de  Cavia ou  Cabiai;  le  Lapiti 
ou  lièvre  de  Brésil  et  quelques  autres  ;  YAspérea  ou  co- 
chon d'Inde  ;  la  Philandre ,  le  Couiy,  qui  est  le  Coindonàe 
Buffon  ;  huit  espèces  de  Tatous,  décrits  par  M.  Azarra. 

Ces  animaux  vivent  d'oiseaux,  d'oeufs  de  vipères,  de 
petits  lézards ,  de  crapauds ,  de  vers.  Six  espèces  de 
singes, le  Caraya  ou  l' Ouarine ,  hurleur  noir  de  Buffon; 
YAlouate  roux  ;  le  Cay,  S  ai  de  Buffon  ;  le  Saïmiri;  le  Mi- 
riaquoina ,  etc.  La  chair  de  toutes  ces  espèces  de  singes 
est  très-recherchée  par  les  naturels.  Douze  espèces  de 
Chauve-souris,  dont  les  naturalistes  ne  connaissent  que  le 
Vampire  et  la  Chauve-souris  fer  de  lance. 

L' 'Orocomo  est  de  la  grandeur  d'un  chien;  son  poil  est 
roux  ,  il  a  le  museau  pointu  et  les  dents  fort  tran- 
chantes. Lorsqu'il  voit  un  homme  armé,  il  prend  la 
fuite  ;  mais  s'il  le  trouve  sans  défense ,  il  le  renverse  sans 
lui  faire  d'autre  mal,  pourvu  qu'il  fasse  le  mort;  après 
l'avoir  agité  pendant  quelque  temps ,  pour  voir  si  effec- 
tivement il  n'est  pas  en  vie,  Y  Orocomo  le  couvre  de 
feuilles  et  s'enfonce  dans  l'épaisseur  du  bois.  L'homme  se 
relève  dès  que  la  bête  a  disparu,  il  cherche  son  salut 
dans  la  fuite ,  ou  bien  il  monte  sur  un  arbre.  L'animal 
ne  tarde  pas  à  revenir,  accompagné  d'un  tigre,  qu'il 
semble  avoir  invité  à  venir  partager  sa  proie  ;  mais  ne  la 
retrouvant  plus,  il  pousse  des  hurlemens  épouvantables^ 


24  OBSERVATIONS   SUR   LES    ANIMAUX 

et  regardant  son  compagnon  d'un  air  triste ,  il  a  Vair  de 
témoigner  du  regret  de  lui  avoir  fait  faire  un  voyage 
inutile.  (Muratori,  Missions  du  Paraguay,  page  211  de 
la  traduct.  franc.) 

Il  y  a  quatre  espèces  de  Cerfs ,  qui  diffèrent  entr'eux 
par  la  conformation,  par  les  mœurs  et  les  habitudes  ; 
savoir  :  les  Gazous  rouges  et  bruns  ;le  Guazoupanou,  c'est 
le  plus  grand  de  tous  :  il  est  roux ,  son  bois  large  et  ra- 
mifié ;  le  Guazouti  (cervus  mexicanus)  se  rapproche  du 
chevreuil  d'Europe,  il  est  brun;  c'est  le  plus  rapide  de 
tous;  et  le  Gazoupita  qui  est  rouge,  et  dont  le  bois  n'est 
pas  ramifié. 

Le  Paraguay  fournit  des  Perroquets ,  des  Paons  et  un 
grand  nombre  d'oiseaux  d'un  plumage  brillant,  des  Con- 
dors, des  Autruches ,  qu'on  trouve  en  très-grand  nombre 
dans  les  vastes  plaines  de  ce  pays.  Enfin  le  Moineau  des- 
tructeur de  couleuvres,  les  Abeilles  et  les  Fers  à  soie,  four- 
nissent aussi  aux  habitans  des  objets  de  spéculations, 
ainsi  que  les  papillons ,  que  l'on  recherche  pour  leur  forme 
et  leur  éclat, 

Brésil. 

Le  règne  animal  n'est  pas  moins  varié  dans  l'inté- 
rieur du  Brésil.  On  y  voit  peu  d'animaux  domestiques; 
mais  dans  les  établissemens  européens ,  on  trouve  en 
abondance  des  Chevaux ,  des  Bœufs ,  des  Porcs.  Plusieurs 
des  animaux  du  Pérou  et  du  Paraguay  se  retrouvent  au 
Brésil.  Ceux  qui  lui  sont  particuliers,  sont  :  le  Singe 
Marikina,\e  Miriquouina  ,1e  Titi  qu'on  ne  rencontre  que 
très-rarement  au  Paraguav  ;  le  Sagou,  le  Pinche  qui  est 
plus  petit  que  le  Titi  ;  le  Vampire  ,  la  Chauve-souris-musa- 
raigne ;  les  deux  espèces  de  paresseux,  Y  Ai  etYUnau;  des 


Fourmiîliefs  et  des  Tatous,  la  7M annote,  le  Pay  ou  Cabiai, 
VAperea  ou  cochon  d'Inde,  r£c«r<?m7(sciurus-œstuans),le 
Lièvre-tapeti.  Il  n'a  point  de  queue,  et  doit  entrer  dans 
le  genre  des  Lagomys  de  Cuvier. 

L'animal  le  plus  distingué  de  ces  contrées ,  est  le 
Tapir  ou  Anta.  Il  est  presqu'aussi  gros  qu'un  bœuf  :  sa 
couleur  est  d'un  brun-foncé;  il  a  quatre  dents  de  moins  que 
l'hypopotame ,  et  il  n'a  aux  pieds  de  derrière  que  trois 
doigts ,  au  lieu  que  l'hypopotame  en  a  quatre  et  un  faux 
talon.  Son  corps  ressemble  à  celui  d'un  porc  :  sa  tête  n'a 
point  de  cornes,  elle  se  termine  par  un  grouin,  ou  si 
l'on  veut,  par  une  trompe  longue  d'un  pied ,  par  laquelle 
il  respire ,  qu'il  tend  et  détend  à  volonté ,  à  l'aide  d'un 
muscle  très-fort.  Il  se  tient  ordinairement  près  des 
rivières.  Il  a  coutume  de  passer  matin  et  soir  d'un  bord 
à  l'autre ,  et  se  sauve  à  la  nage  dès  qu'on  le  poursuit.  Il 
se  nourrit  de  plantes,  de  racines,  de  rejetons  de  pousses 
tendres,,  et  surtout  de  fruits  tombés  des  arbres.  Il  est 
d'un  naturel  facile  à  apprivoiser  :  il  aime  la  propreté,  et 
va  tous  les  jours  se  baigner  dans  quelque  rivière  ou  lac. 
Les  Américains  mangent  sa  chair  et  font  avec  le  cuir  de 
sa  peau,  des  boucliers  impénétrables  aux  flèches,  et 
même  à  l'épreuve  de  la  balle  d'un  fusil.  Le  Tapir  est 
également  chargé  de  beaucoup  de  graisse ,  comme  les 
grandes  machines  animées,  qui  nagent  à  l'instar  du 
IValross  et  du  Phocas. 

Le  Pécari  ou  Cochon-musc,  est  long  de  trois  pieds,  il 
n'a  point  de  queue  ,  et  porte  sur  le  dos  une  espèce  de  sac 
spongieux,  rempli  d'une  matière  gluante  qui  sent  le  musc. 
IL  est  beaucoup  plus  propre  que  le  cochon  ordinaire 
d'Europe;  il  se  nourrit  de  fruits,  de  racines  et  de  serpens  ; 


20*  OBSERVATIONS    SUR   LES    ANIMAUX 

sa  couleur  est  grise ,  tachetée  de  noir  ;  sa  chair  est  bonne 
à  manger:  on  l'apprivoise  aisément. 

Le  Gavia  est  un  genre  d'animal  qui  tient  le  milieu 
entre  le  lapin  et  le  rat;  sa  patrie  est  le  Brésil  et  la 
Guyane.  Il  s'enfonce  dans  la  terre,,  il  plonge  dans  l'eau 
et  y  reste  plusieurs  heures. 

Le  Tamanoir,  surnommé  le  Fourmillier,  est  un  animal 
qui  ne  se  nourrit  que  de  fourmis  ;  il  les  prend  en  allon- 
geant sa  langue  gluante  sur  le  passage  de  ces  insectes:  il 
la  retire  quand  elle  en  est  couverte ,  et  les  avale.  A  l'aide 
de  ses  griffes,  il  grimpe  facilement  sur  les  arbres,  où  il 
cherche  les  fourmillières,  et  par  le  moyen  de  sa  langue 
qui  est  longue  et  effilée,   il  prend  les  fourmis  jusques 
dans  les  coins  les  plus  cachés.  Cet  animal  dort  ordinai- 
rement le  jour,  et  sort  la  nuit  pour  aller  chercher  sa 
proie.  On  l'élève  facilement;  il  y  en  a  trois  espèces,  le 
grand ,  le  moyen  et  le  petit  Tamanoir.  La  première   est 
de  la  grosseur  d'un  renard;  il  a  le  poil  long,  sa  couleur 
est  un  mélange  de  jaune ,  de  blanc  et  de  noir.  Il  a  des 
griffes  très-aigués,  et  il  est  assez  lort  pour  se  défendre 
contre  le  petit  tigre  américain,  que  l'on  regarde  comme 
une  sorte  particulière  d'Once. 

Le  tigre  nommé  Sagnar,  n'a  que  deux  pieds  et  demi 
de  longueur,  mais  il  est  aussi  féroce  et  aussi  altéré  de 
sang  que  celui  de  l'Ancien  Monde.  Il  s'avance  la  nuit 
jusques  dans  les  villages  et  les  villes,  pour  y  prendre  les 
poules,  les  chiens  ou  autres  animaux.  Le  Crocodile  et 
lui' se  font  une  guerre  terrible;  lorsqu'il  va  pour  se  désal- 
térer sur  le  bord  d'une  rivière  ,  le  Crocodile,  que  d'autres 
nomment  Alligator,  met  la  tête  hors  de  l'eau  pour  se 
saisir  de  lui  :  le  tigre,  aussitôt  qu'il  aperçoit  son  ennemi , 
saute  sur  l'amphibie,  s'efforce  de  lui  arracher  les  yeux 


D  E    l'  A  M  é  R  I  Q  U  E#  27 

avec  ses  griffes,  lui  mord  la  tête  avec  tant  d'acharne- 
ment, que  le  Crocodile,  pour  s'en  débarrasser,  l'entraîne 
au  fond  de  l'eau,  où  ils  périssent  souvent  tous  les  deux, 
car  le  Sagnar  aime  mieux  périr  que  de  lâcher  prise.  Le 
grand  Lion  sans  crinière  et  le  Tigre  du  Brésil ,  sont  assez 
robustes  pour  traîner  au  haut  d'une  colline,  le  jeune  tau- 
reau qu'ils  ont  tué. 

On  trouve  dans  le  Brésil  divers  Chats-sauvages ,  plu- 
sieurs autres  animaux  qui  fournissent  de  belles  fourrures, 
des  Lynx  on  Loups-cerviers  de  plusieurs  espèces.  Les  uns 
sont  roux,  d'autres  agréablement  tachetés.  Le  Lynx  a  les 
yeux  brillans  et  pleins  de  feu  ;  il  est  communément  de 
la  grandeur  d'un  fort  renard  :  il  a  le  poil  long,  de 
grandes  oreilles  et  les  pieds  divisés  comme  le  lion.  Il 
vit  de  chasse  et  poursuit  sa  proie  jusqucs  sur  la  cime 
des  arbres;  les  chats-sauvages  et  les  écureuils  ne  peu- 
vent lui  échapper  ;  il  saisit  les  oiseaux  ;  il  attend  les 
cerfs,  les  chevreuils,  les  singes,  les  lièvres  au  pas- 
sage, leur  saute  à  la  gorge ,  et  lorsqu'il  s'est  repu  de 
sang,  il  leur  ouvre  la  tête  pour  en  manger  la  cervelle, 
et  les  abandonne  ensuite  pour  chercher  une  nouvelle 
proie. 

Comment  M.  Paw  a-t-il  eu  la  mr.l-adresse  d'avancer 
page  2,1 3  de  son  troisième  volume  ;  k  que  les  Américains 
»  craignent  plus  les  bêtes  féroces,  que  les  Nègres,  les 
»  Maures  et  les  Cafres  ne  craignent  les  vrais  lions  et 
y>  les  tigres  de  l'Afrique,  mille  fois  plus  dangereux?  » 
Et  page  210,  du  même  volume,  «  que  les  Sauvages 
»  naturellement  poltrons,  redoutent  toujours  la  ren- 
y>  contre  du  Jaguar,  parce  qu'ils  imaginent  que  ces 
»  bêtes  préfèrent  leur  chair  à  celle  des  Européens  ;  » 
lorsqu'il  est  notoire  que  les  Américains  5  libres  ;  vivent 


Si8  observations   sur  les  animaux 

en  grande  partie  de  la  chasse,  et  viennent  trafiquer  avec 
les  Européens,  les  fourrures  des  animaux  que  leur  pays 
produit;  que  les  Brésiliens  tiennent  à  un  aussi  grand 
honneur  de  tuer  un  Lynx  qu'un  ennemi  ;  et  que  les 
tribus  des  Indiens  de  l'Amérique  du  Nord  s'honorent 
déporter  le  nom  des  bêtes  féroces  les  plus  cruelles  qu'ils 
tuent  tous  les  jouis. 

Les  oiseaux ,  surtout  les  Perroquets  et  les  Paons ,  y  sont 
en  abondance.  Les  plus  remarquables  sont  :  l'Oiseau- 
mouche ,  la  plus  petite  espèce  des  colibris;  son  plumage 
e6t  un  mélange  de  bleu  ,  de  vert ,  d'or,  de  noir  et  autres 
couleurs.  11  se  nourrit  du  suc  des  fleurs.  Pour  n'être  pas 
la  proie  des  araignées,  il  construit  son  nid  qui  n'est  que 
de  la  grosseur  d'une  noix,  sous  celui  d'un  autre  oiseau 
qui  dévore  ces  insectes;  ou  bien  à  l'extrémité  d'une 
branche  de  grenadier ,  parce  que  les  fourmis  n'y  vont 
pas.  Il  y  en  a  de  verts,  de  bleus,  de  couleur  d'or;  les 
femmes  du  Brésil  en  font  des  pendans  d'oreilles. 

Le  Toucan  n'est  pas  plus  gros  qu'un  pigeon  ;  son  bec 
nuancé  de  jaune,  de  bleu  et  de  vert,  a  souvent  sept 
pouces  de  long.  On  trouve  dans  ce  bec ,  au  lieu  de 
langue,  une  plume  avec  son  tuyau  et  sa  barbe  :  il  se 
nourrit  de  poivre  ;  aussi  lui  donne-t-on  le  nom  de 
IWange-poivre.  Il  y  en  a  de  plusieurs  plumages. 

C'est  dans  la  Capitanie  de  Rio-  Janeiro ,  que  l'on  trouve 
le  plus  communément  Y  Oiseau-lugubre,  il  est  de  la 
grosseur  du  pigeon ,  et  son  plumage  gris-cendré  :  les 
Brésiliens  le  respectent  à  cause  de  la  tristesse  de  son 
chant  qu'il  ne  fait  entendre  que  la  nuit.  Ils  sont  per- 
suadés ,  que  cet  oiseau  leur  est  envoyé  par  leurs  ancê- 
tres, et  qu'il  vient  leur  parler  de  la  part  des  morts. 
Celui  qui  aurait  le  malheur  de  le  troubler  dans  ce  mo- 


DE     l'  AMÉRIQUE.  3Q 

ment ,   ou  de  sourire  de   l'attention    avec  laquelle    ils 
Técoutent ,  s'exposerait  à  une  mort  certaine. 

Les  Indiens  ne  mangent  pas  d'oeufs,  parce  qu'ils 
croyent  qu'ils  avalent  en  même  temps  un  oiseau.  Delà 
vient  que  les  volailles  se  multiplient  beaucoup  dans  ces 
contrées;  les  Tortues  y  abondent  également,  et  les  Pa- 
pillons y  brillent  des  couleurs  les  plus  éclatantes. 

M  exiguë. 

L'on  ignore  si  les  Mexicains  avaient  essayé  de  ré- 
duire à  l'état  de  domesticité  les  deux  espèces  de  bœufs 
sauvages  indigènes  du  Mexique  et  du  Canada ,  qui  errent 
par  troupeaux  dans  les  provinces  voisines  de  la  rivière 
du  Nord;  s'ils  connaissaient  le  Lama,  qui  dans  la  Cor- 
dillière  des  Andes,  ne  dépasse  pas  la  limite  de  l'hémis- 
phère australe;  s'ils  avaient  tiré  parti  des  chèvres  de  la 
Californie  ,  de  celles  des  montagnes  de  Monterey.  Parmi 
les  nombreuses  variétés  de  chiens  qui  sont  propres  au 
Mexique,  les  dimanches  de  la  province  septentrionale 
se  servaient  de  chiens  mexicains  pour  le  transport  des 
tentes,  comme  plusieurs  peuples  de  la  Sibérie.  Les 
Aztèques  vendaient  au  marché  de  Mexico  la  chair  du 
chien-muet  Techichi,  qu'on  châtrait  pour  l'engraisser. 

Le  manque  de  bêtes  de  somme  força  une  classe  nom- 
breuse des  habitans ,  celle  des  Tlamama7  à  faire  le  métier 
de  Colporteurs;  ils  étaient  chargés  de  petlacalli,  ou 
grosses  caisses  de  cuirs  qui  contenaient  des  marchan- 
dises d'un  poids  de  trente  à  quarante  kilogrammes. 

Le  Xaloit2Cuintli  est  un  loup  indigène  du  Mexique  ; 
il  est  très-grand,  entièrement  dénué  de  poils,  et  res- 
semblant au  chien. 

Depuis  le  milieu  du  169  siècle,  les  Bœufs ,  les  Che- 


3o  OBSERVATIONS    SUR    LES    ANIMAUX 

vaux,  les  Brebis ,  les  Porcs,  se  sont  multipliés  dune 
manière  étonnante  clans  toutes  les  parties  de  la  Nou- 
velle-Espagne, et  n'y  ont  nullement  dégénéré,  malgré 
les  assertions  bazardées  de  M.  de  Buffon,  répétées  sans 
plus  d'examen  par  l'auteur  des  Réflexions  philosophi- 
ques sur  les  Américains,  qui  n'en  a  jamais  vu,  et  qui 
connaît  encore  moins  leur  pays. 

M.  de  Jeffèrson,  dans  son  excellent  ouvrage  sur  la 
Virginie,  pages  icg,  166;  et  M.  Clavigero ,  tome  iv  , 
pages  io5  et  160,  ont  réfuté  victorieusement  ces  idées  , 
qui  se  sont  propagées  facilement,  parce  qu'en  flattant  la 
vanité  des  Européens ,  elles  se  liaient  à  des  hypothèses 
brillantes  sur  l'ancien  état  de  la  planète  européenne. 

Les  Chevaux  du  Mexique  ,  ceux  des  Chimboraces  ,  sont 
aussi  célèbres  par  leurs  excellentes  qualités,  que  les 
cbevaux  du  Cbili.  Ils  forment  avec  les  bœufs,  des  trou- 
peaux innombrables  ;  les  Mulets  seraient  plus  nombreux 
encore,  s'il  n'en  périssait  pas  beaucoup  sur  les  grandes 
routes,  par  les  fatigues  dont  ils  sont  excédés,  après  des 
voyages  de  p'usieurs  mois.  Le  commerce  de  Vera-Cruz 
seul  en  occupe  soixante-dix  mille  par  an.  Plus  de  cinq 
mille  mulets  sont  employés,  comme  un  objet  de  luxe, 
dans  les  attelages  de  Mexico. 

L'éducation  des  Moutons  a  été  singulièrement  négligée 
dans  la  Nouvelle-Espagne,  comme  dans  toutes  les  co- 
lonies espagnoles  de  l'Amérique.  C'est  encore  une  ques- 
tion de  savoir  si  les  Mexicains  ne  connaissaient  pas  le 
Porc-commun  et  les  Poules  que  Ton  trouve  dans  toutes  les 
îles  de  la  Mer  du  Sud.  Outre  les  variétés  de  Porcs  qui 
sont  aujourd'hui  les  plus  communes  au  Mexique,  dont 
Tune  a  été  introduite  de  l'Europe,  et  l'autre  des  îles 
philippines  ,  et  qui  forment  un  commerce  de  jambons 


DE     l'  AMÉRIQUE.  Si 

très-lucratif  dans  la  Vallée  de  Joluca ,  on  remarque  le 
Pécari  de  plusieurs  espèces  ,  que  l'on  rencontre  souvent 
dans  les  cabanes  des  naturels  de  l'Amérique  méridio- 
nale, et  qui  aurait  pu  être  facilement  réduit  à  l'état  de 
domesticité. 

Avant  la  conquête,  il  existait  très-peu  d'oiseaux  de 
basse- cour  chez  les  indigènes  du  Nouveau-Continent, 
parce  que  la  fertilité  du  sol  des  Tropiques  et  de  la  Zone 
tempérée ,  les  dispensait  de  labourer  une  grande  étendue 
de  terrain;  que  les  lacs  et  les  rivières  étaient ,  et  sont 
encore  couverts  d'oiseaux  faciles  à  prendre ,  et  qui  four- 
nissent une  nourriture  abondante;  cependant  avant  l'ar- 
rivée des  Espagnols,  ils  élevaient  dans  leurs  basses  cours, 
plusieurs  gallinacées,  comme  les  Hoccos  ,  les  Dindons, 
plusieurs  espèces  de  Faisans  ,  de  Canards ,  de  Poules- 
d'eau,  des  Yacous  ,  ou  Gitans  et  des  Aras,  qui  sont  re- 
gardés comme  un  mets  délicat ,  lorsqu'ils  sont  jeunes. 

Le  Mexique  a  fourni  à  l'Europe  le  plus  gros  et  le 
plus  utile  des  gallinacées,  dans  le  Dindon-,  le  plus  brillant 
dans  le  Paon  dont  la  chair  est  assez  délicate. 

Les  Pintades  sont  rares  au  Mexique,  tandis  qu'elles 
sont  apprivoisées  et  sauvages  à  Saint-Domingue ,  à  Cube  : 
le  Canard-musqué ,  dont  l'Europe  est  encore  redevable  au 
Nouveau-Continent,  acquiert  une  grandeur  extraordi- 
naire sur  les  bords  de  la  rivière  de  la  Madeleine.  Le  Coq 
d'Europe,  originaire  des  Grandes-Indes,  et  commun 
aux  îles  Sandwich,  paraissait  inconnu  en  Amérique, 
jusqu'à  ce  qu'on  eût  visité  les  Indiens  Xibaros ,  qui  sont 
établis  à  Tutumbero ,  dans  un  endroit  presque  inacces- 
sible ,  entre  les  Cataractes  d'Iariquisa  et  de  Patorumi , 
formées  par  V Amazone.  On  trouva  dans  leurs  cabanes  des 
Poules  et  des  Coqs. 


32  OBSERVATIONS    SUR    LES    ANIMAUX 

Au  reste,  les  diverses  variétés  de  Poules,  surtout 
celles  de  Mozambique ,  qui  ont  la  peau  noire,  sont  de- 
venues communes  dans  les  deux  hémisphères,  partout 
où  les  peuples  des  anciens  Continrns  ont  pu  pénétrer. 

On  trouve  dans  les  Lois  de  Saint-Domingue  une  petite 
poule  noire,  appelée  Zingue ,  qui  existait  du  temps  des 
premiers  habitans.  La  chair  en  est  délicate,  c'est  un 
gibier  recherché. 

Les  forets  du  Mexique  sont  peuplées  de  Lièvres,  de 
Cerfs,  de  Chevreuils,  de  Chiens,  dont  l'espèce  est  muette  5 
de  Renanù,  de  Loups  ,  d'  Ours  ,  de  Chats-sauvages  ,  de 
Juguars,  de  Paresseux,  de  Porcs-épics;  de  Coèndou,  espèce 
de  porc-épic  ;  de  Guenons ,  de  Tamanoirs  ,  de  Tatous  , 
à! Anles,  de  Bisons:  on  y  trouve  un  animal  delà  grosseur 
d'un  chat,  appelé  Sauachcs ,  dont  on  mange  la  chair  :  on 
l'apprivoise  aussi,  parce  que  son  visage  mobile  se  prête, 
comme  celui  du  singe  ,  à  mille  grimaces  qui,  jointes  à  ses 
gestes  comiques ,  donnent  le  spectacle  d'une  pantomime 
très-plaisante. 

Les  oiseaux  ne  sont  pas  nombreux  au  Mexique;  mais 
plusieurs  sont  remarquables  par  leur  chant  agréable  ,  et 
la  beauté  de  leur  plumage.  On  y  distingue  le  Colibri  ,V Oi- 
seau du  Tropique,\es  Perroquets,  le  Cardinal  et  le  Hoazin. 

Le  Colibri  est  le  plus  petit  des  oiseaux.  Il  y  en  a  à 
plumes  dorées,  de  verts,  de  rouges,  de  bleus  et  de  cou- 
leur orange  ;  tout  se  réunit  pour  rendre  ces  oiseaux 
charmans.  Odeur  agréable,  richesse  de  couleur,  finesse 
daus  leur  forme  et  dans  leur  manière  de  vivre.  Ils  se 
nourrissent  du  suc  des  fleurs  et  le  pompent  avec  leur 
langue,  sans  se  poser,  en  se  soutenant  en  lair,  par  le 
battement  précipité  et  presque  imperceptible  de  leurs 
ailes  ;  leur  chant  est  une  espèce  de  cadence  rapide  ,  très- 


D  £    l'  a  m  i  R  I  Q  U  £.  55 

sonore.  Leurs  arbres  favoris  sont  l'oranger,  le  citronnier, 
le  frangipanier  et  le  grenadier.  C'est  sur  leurs  branches 
que  la  femelle  fait  avec  du  coton,  son  petit  nid,  dont  la 
construction  est  des  plus  industrieuses.  Elle  y  pond  deux 
ceufs,  chacun  de  la  grosseur  d'un  pois  ;  les  petits  nouvel- 
lement éclos,  sont  gros  comme  des  mouches.  La  plus 
petite  espèce  de  colibri,  est  V  Oiseau-mouche ,  il  ne  pèse 
avec  son  nid  qu'une  demi  -  once.  Il  est  gros  comme  un 
hanneton  ,  ayant  les  couleurs  vives  et  changeantes  de 
l'émeraude ,  du  saphir,  de  la  topaze,  du  rubis,  nuancées 
d'or,  de  violet  et  de  brun. 

L'oiseau  du  Tropique  a  pris  son  nom,  de  ce  qu'il 
n'habite  que  les  contrées  de  la  Zone  torride,  situées 
entre  les  deux  Tropiques ,  il  est  de  la  grosseur  d'un 
pigeon  :  ses  plumes  sont  blanches,  à  l'exception  de  quel- 
ques-unes qui  sont  d'un  gris-clair.  Une  longue  plume 
qui  part  du  dos,  et  se  recourbe  en  forme  de  queue,  lui 
si  fait  donner  le  nom  de  Paille-en-cul. 

Le  Cardinal  joint  le  charme  de  la  voix  à  la  beauté  du 
plumage  ;  il  est  rouge  sur  la  tête  et  la  poitrine ,  noir  et 
bordé  de  blanc  sur  le  reste  du  corps.  Il  module  en 
sifflant  des  sons  variés  et  distincts,  qui  sont  fort  agréa- 
bles. 

Le  Hoazin  est  une  espèce  de  faisan ,  dont  le  plumage 
est  coloré  de  jaune,  de  rouge  et  de  noir.  Sa  tête  est 
couronnée  d'une  huppe  ;  il  se  perche  sur  des  arbres  à 
côté  des  lacs  et  des  rivières,  se  nourrit  de  serpens,  de 
fourmis,  de  vers  et  d'autres  insectes.  On  l'apprivoise 
aisément ,  sa  chair  est  très-délicate. 

Les  côtes  occidentales  du  Mexique ,  surtout  la  partie 
du  Grand  Océan,  située  entre  le  golphe  de  Bayonna,  les 
îles  Maries  et  le  cap  Saint-Lucas,  abondent  en  Cachalots, 

TOME    %.  Q 


34  eBSERVATIONS    SUR    LES    ANIMAUX 

dont  la  pêche,  à  cause  de  l'extrême  cherté  du  blanc  de 
baleine  qui  est  renfermée  dans  les  énormes  cavités  de 
son  museau,  est  devenue  pour  les  Anglais  et  les  habitans 
des  Etats-unis,  un  des  objets  les  plus  importans  de 
spéculation  mercantile.  Sans  la  pêche  des  Cachalots , 
dont  un  seul  donne  vingt-trois  mille  trois  cent  quatre- 
vingt-douze  pintes  de  spermaceti ,  et  sans  les  fourures 
de  Loutres  marines  de  INoutka ,  le  Grand  Océan  ne  serait 
presque  pas  fréquenté  par  les  Anglo-Américains  et  les 
nations  de  l'Europe. 

Au  printemps,  les  environs  de  Galapagos  sont  le 
rendez-vous  de  tous  les  Cachalots  macrocephales  des 
côtes  du  Mexique,  de  celles  du  Pérou ,  et  du  golphe  de 
Panama ,  qui  viennent  s'y  accoupler.  Plus  au  nord  des 
îles  Maries ,  dans  le  golphe  de  Californie,  on  ne  trouve 
plus  de  physetères  ,  mais  seulement  des  Baleines  :  le 
spermaceti  de  la  tête  est  de  première  qualité  ;  on  l'em- 
ploie à  la  fabrication  des  chandelles.  Celui  du  corps  et 
de  la  queue  ne  sert  en  Angleterre  qu'à  donner  du  lustre 
aux  draps.  On  voit  au  Mexique  des  papillons  charmans. 
(  Voir  ce  qu'en  disent  Buffon  et  les  autres  naturalistes.) 

Californie. 

Les  forêts  de  la  Californie  abondent  en  animaux  sem- 
blables en  grande  partie  à  ceux  du  Mexique  :  dans  la 
Cordillière  qui  longe  la  côte  entre  San-Diego  et  Mon- 
terey,  on  ne  trouve  sur  la  crête  des  montagnes  qui  se 
couvrent  de  neiges  au  mois  de  novembre ,  que  les  Be- 
rendos  à  petites  cornes  de  chamois;  mais  toutes  les 
forêts ,  toutes  les  plaines  couvertes  de  graminées ,  sont 
remplies  de  troupeaux  de  Cerfs  à  taille  gigantesque,  à 
bois  rond  extrêmement  grand.  On  eu  voit  souvent  qua- 


DSL'  AMÉRIQUE.  35 

rante  à  cinquante  à-la-fois  ;  ils  sont  d'une  couleur 
brune,  unie  et  sans  tache.  Leurs  bois  dont  leurs  empau- 
mures  ne  sont  pas  applaties,  ont  près  de  cinq  décimètres, 
(quatre  pieds  et  demi  de  long1). 

Le  grand  Cerf  de  la  Nouvelle-Californie  ,  estun  des  plus 
beaux  animaux  del' Amérique  Espagnole.  Ces  Fenadoswdi 
diffèrent  probablement  du  IVewakish  de  M.  Marne,  ou 
de  YElk  des  habitans  des  Etats-unis,  dont  lés  natura- 
listes ont  fait  mal  à  propos  les  deux  espèces  de  Ctrvus- 
canadensis  et  de  Cervus-sirongyloceros ,  courent  avec  une 
rapidité  extraordinaire,  en  jetant  leur  col  en  arrière,  et 
en  appuyant  leurs  bois  sur  le  dos. 

Le  Tayé  de  la  Californie  diffère  du  moufflon  de  l'An- 
cien-Continenfc  ;  on  a  aussi  vu  cet  animal  dans  les 
Stony-Mountains,  aux  sources  de  la  rivière  de  la  Paix. 
Le  petit  Buminunt,  du  genre  de  la  chèvre  ou  de  l'cmte- 
lope ,  qui  est  taché  de  noir  et  de  blanc ,  et  qui  se  trouve 
sur  les  bords  du  Missoury,  et  dans  la  rivière  des  Arkansaw, 
est  encore  différent  du  Taré: 

Les  chevaux  de  la  Nouvelle-Biscaye,  réputés  pour 
être  excellens  coureurs ,  ne  peuvent  les  égaler  à  la 
course ,  que  lorsque  le  Fenado,  qui  ne  boit  que  très-rare- 
ment, vient  d'étancher  sa  soif;  c'est  alors  que,  trop  lourd 
pour  déployer  toute  l'énergie  de  ses  forces  musculaires, 
il  est  atteint  facilement. 

Les  côtes  ouest  du  Grand-Océan  opposées  à  la  Chine, 
abondent  en  belles  fourrures  et  en  loutres  marines. 

Parmi  les  nombreuses  espèces  d'oiseaux  qu'on  trouve 
dans  la  Californie ,  on  distingue  : 

Le  Pélican ,  oiseau  aquatique ,  qui  vit  sur  le  bord  de 
la  mer  et  des  grands  fleuves;  ses  pattes  sont  garnies 
de  membranes  qui  lui  aident  à  nager;  son  bec  est  d'une 

3* 


36  OBSERVATIONS    SUR   LES    ANIMAUX 

largeur  si  énorme,  qu'on  en  a  vu,  où  la  tête  d'un  homme 
pouvait  entrer.  Les  deux  branches  du  demi-bec  inférieur 
sont  unies  par  une  peau  jaune,  qui  s'élargit  au  point  de 
former  un  sac  dans  lequel  cet  oiseau  met  sa  provision 
de  vivres,  pour  lui  et  pour  ses  petits;  il  peut  y  renfermer 
des  poissons  de  huit  à  dix  livres.  Son  corps  est  d'environ 
cinq  pieds,  et  ses  aîles  en  ont  jusqu'à  onze  d'envergure  : 
ma' gré  cette  grosseur ,  il  parvient  à  s'élever  si  haut,  qu'il 
ne  paraît  pas  pus  gros  qu'une  hirondelle. 

Le  Cormoran,  autre  oiseau  aquatique  ,  vit  sur  le  bord 
de  la  mer  ;  il  est  de  la  grosseur  d'une  oie  ,  et  se  nourrit 
de  poissons.  Comme  il  a  la  facilité  de  nager  sous  l'eau 
aussi  bien  que  dessus,  il  ne  manque  jamais  sa  proie  ;  s'il 
attrape  un  poison,  il  le  saisit  dune  patte ,  et  l'autre 
lui  sert  de  gouvernail  pour  regagner  le  bord  :  c'est  le 
plus  grand  destructeur  de  poissons.  En  Chine,  on  le 
dresse  à  la  pêche,  il  rapporte  sa  proie,  comme  le  chien 
de  chasse  le  gibier. 

Le  Promerops  est  un  peu  plus  gros  qu'une  grive;  il 
paraît  avoir  quatre  aîles ,  à  cause  de  ses  plumes  recour- 
bées et  frisées  aux  deux  côtés  du  corps  ;  sa  tête  est  d'un 
bleu  très-brillant ,  et  couverte  de  divers  étages  de  plumes 
qui  ont  jusqu  à  un  pied  et  demi  de  long.  Cet  oiseau  vit 
sur  les  hautes  montagnes,  il  se  nourrit  d'abeilles  et 
d'autres  insectes. 

Louisiane. 

La  Louisiane  a  tous  les  animaux  domestiques  de  l'Eu- 
rope; ses  forêts  renferment,  outre  le  gibier  ordinaire,  des 
Lièvres  et  des  Ours-blancs,  dont  la  peau  est  très-estimée  ; 
des  Boucs,  des  Chèvres,  des  Cabrits-sauvages  ;  les  naturels 
les  tuent  ù  coup  de  flèches  dans  les  pays  montagneux  où 


bel' Amérique.  3j 

ils  passent.  Les  Français  qui  ont  mangé  de  la  chair  des 
jeunes  chevreaux,  s'accordent  tous  à  dire  qu'ils  sont 
aussi  bons  que  les  moutons  de  Besançon.  Le  Bœuf-sau- 
vage est  très-gros  et  très-fort  ;  les  Colons  et  les  Indigènes 
se  nourrissent  de  sa  chair,  qu'ils  font  saler  ou  boucaner  : 
ils  font  de  sa  peau  une  couverture,  de  son  suif  de  la 
chandelle  ;  ses  nerfs  fournissent  aux  Sauvages  des  cordes 
d'arcs;  ils  travaillent  ses  cornes,  en  font  des  cuilliers 
pour  manger  leur  sagamite,  et  des  Poulverains  ou  Cornets 
pour  la  chasse. 

Le  Bœuf  sauvage  a  une  bosse  sur  le  dos  comme  le 
chameau  :  il  a  de  grands  poils  sur  la  tête  comme  le  bouc, 
et  sur  le  corps,  de  la  laine  comme  les  moutons.  Les  Illi- 
noises  en  fabriquent  des  étoffes. 

De  tous  les  animaux  terrestres  qui  vivent  dans  ces 
contrées,  VOurs  est  regardé  comme  un  des  plus  utiles. 
Un  seul  de  ces  animaux  fournit  quelquefois  plus  de  cent- 
vingt  pots  d "huile  ;  elle  est  très-bonne  ,  très-saine  ,  n'a 
aucun  mauvais  goût,  sert  aux  ragoûts,  à  la  friture,  à  la 
salade  ;  elle  ne  se  fige  que  dans  les  grands  froids.  Elle 
est  alors  dune  blancheur  à  éblouir  :  on  la  mange  en 
guise  de  beurre.  La  chair  de  l'Ours  est  excellente,  ses 
jambons  sont  recherchés  et  sa  fourrure  est  estimée. 

Il  y  a  des  Ecureuils  de  quatre  espèces  :  de  gros ,  de 
noirs ,  de  rouges  ,  de  gris  et  de  petits  de  la  grosseur  d'un 
petit  rat.  Ces  derniers  se  nomment  Écureuih-volans ,  à 
cause  d'une  membrane  qui  lie  chacune  de  leurs  pattes , 
et  qu'ils  étendent  en  sautant  d  arbre  en  arbre. 

On  trouve  dans  ce  pays  des  Sarigues  ou  Oposums ,  et 
un  animal  appelé  Chat-de-bois  ;  il  est  de  la  grosseur  du 
renard  d'Europe ,  il  n'a  du  chat  que  la  queue.  Cet  animal 
est  très-friand  d'huîtres  :  il  est  de  la  figure  d'une  mar« 


38  OBSERVATIONS   SUR    LB  S    ÀNIMÀTJX 

mote  ;  il  s'apprivoise  comme  un  chien ,  léchant  et  cares- 
sant son  maître  qu'il  suit  partout  :  il  prend  avec  ses 
pattes  comme  le  singe.  Ce  sont  ces  Chats  de  bois  que 
les  Espagnols  prirent  pour  des  chiens-muets,  lorsqu'ils 
les  virent  pour  la  première  fois  chez  les  naturels.  Cette 
méprise  a  fourni  à  M.  Paw,  l'idée  rie  l'entendre,  au 
point  d'accuser  le  climat  du  Nouveau-Monde ,  d'ôter  la 
voix  aux  chiens  qu'on  transporte  d'Europe  en  Amérique; 
et  c'est  ainsi  qu'on  prétend  faire  des  mémoires  intéres- 
sans,  pour  servir  à  l'histoire  de  l'espèce  humaine! 

Les  Loups  n'ont  rien  de  remarquable.  Les  Tigres  de  la 
Louisiane  diffèrent  de  ceux  de  l'Afrique  et  de  l'Amérique 
méridionale,  en  ce  qu'ils  sont  mouchetés  ;  ils  attrapent 
les  chevreuils,  comme  le  chat  la  souris.  Les  Chais-tigres 
guettent  les  boeufs  et  les  cerfs  dans  le  sentier  qui  conduit 
à  l'eau  :  aussitôt  qu'ils  les  aperçoivent,  ils  grimpent  sur 
un  arbre,  et  quand  l'animal  est  proche  de  l'arbre  fatal 
ils  sautent  sur  son  dos,  lui  coupent  le  nerf  avec  leurs 
dents,  ne  cessent  de  le  mutiler  jusqu'à  ce  qu'il  tombe  et 
qu'il  soit  mort. 

Il  y  a  dans  le  Mississipi ,  dans  le  Tombecké  et  dans  la 
rivière  Rouge  ,  des  Crocodiles  •  ces  animaux  fuyent  dès 
qu'on  marche  à  eux.  Durant  le  froid  ils  sont  engourdis, 
se  tiennent  dans  la  vase  la  gueule  ouverte ,  et  le  poisson 
y  entre  comme  dans  un  entonnoir.  Comme  ils  ne  peuvent 
ni  avancer,  ni  reculer,  les  Sauvages  leur  montent  alorssurle 
dos  et  les  assomment  à  coups  de  haches,  dont  ils  frappent 
sur  la  tête  comme  par  partie  de  plaisir;  ou  bien  ils  lui 
jettent  de  grosses  cordes  d'écorce  d'arbres  à  nœuds  cou- 
lans,  autour  du  col  et  sur  le  milieu  du  ventre,  et  quand 
il  est  bien  lié,  ils  l'enferment  entre  plusieurs  piquets, 
pprès  l'avoir  tourné  le  ventre  en  l'air;  en  cet  état,,  ils 


DE      L'  AMÉRIQUE.  3<J 

l'écoFclient ,  l'habillent  pour  ainsi  dire  d'écorce  de  sapin 
puis  ils  y  mettent  le  feu. 

On  trouve  dans  l'île  de  la  Corne  ,  sur  la  route  de  la 
rivière  mobile  à  la  Nouvelle-Orléans,  un  coquillage  que 
les  Sauvages  appellent  Naninathelé ,  araignée  de  mer;  sa^ 
couverture ,  lorsqu'elle  est  pétrifiée ,  est  d'un  vernis  plus 
beau  et  plus  luisant  que  celui  de  la  Cbine  ;  ses  yeux  sont 
aussi  durs  que  du  diamant.  Ce  coquillage  est  de  la  forme 
et  de  la  grandeur  d'un  plat  à  barbe  renversé.  Il  a  une 
queue  d'environ  dix  pouces  de  long,  extrêmement  poin- 
tue ;  la  piquûre  en  est  dangereuse. 

Il  y  a  des  Loutres  et  des  Castors  dans  les  pays  d'en- 
haut  ;  ils  ne  s'occupent  pas ,  comme  ceux  du  Canada  ,  à 
construire  des  cabanes  et  des  digues ,  pour  détourner  le 
cours  des  rivières. 

Parmi  les  oiseaux  de  la  Louisiane ,  on  remarque  une 
espèce  &  Aigle  très-grosse ,  qu'on  appelle  Aigle  de  la  race 
royale;  c'est  avec  ses  plumes  qui  se  traitent  par  toute 
l'Amérique  septentrionale,  que  les  Indiens  décorent 
leurs  calumets  de  paix.  Ils  les  nomment  Plumes  de  valeur. 
Ces  oiseaux  se  nourrissent  de  viande,  de  serpens,  d'en- 
trailles d'animaux. 

Le  Karancro  est  un  oiseau  carnacier,  de  la  figure  et  de 
la  grosseur  d'un  coq  d'Inde;  c'est  le  plus  vorace  qui  soit 
connu  ;  il  suit  les  chasseurs  et  les  convois  qui  font  route 
pour  les  différens  postes  :  on  les  voit  par  bandes,  comme 
les  corbeaux ,  attendre  avec  impatience  le  moment  du 
décampement,  pour  venir  manger  avec  avidité  ce  qu'on 
y  a  laissé;  après  quoi  ils  reprennent  la  route  en  volant 
vers  le  nouveau  camp.  Le  Karancro  mange  aussi  les 
hommes  lorsqu'il  les  trouve  morts.  Il  a  Ja  plume  noire; 
le  duvet  de  dessous  de  l'aile  a  la  vertu  d'arrêter  le  sang. 


4o  «BSliVÀTIONS    StJR   LES   ANÏMA.TTX 

Le  F/aman^  est  de  la  même  grosseur;  il  a  leboutdel'aîle 
noir,  le  dos  blanc,  et  le  ventre  couleur  de  feu.  Ils  paissent 
l'herbe  par  troupes  ;  on  trouve  des  Etourneaux  de  deux 
espèces,  les  plus  petits  sont  gros  comme  ceux  d'Europe; 
ils  sont  très-bons  à  manger.  Ces  oiseaux  sont  d'un  noir 
couleur  de  geai  ,  l'extrémité  des  aîles  est  d'un  beau  rouge  ; 
leurs  plumes  sont  très-belles,  on  en  fait  des  manchons, 
des  pompons  et  des  garnitures  de  robe  pour  les  dames. 

Il  y  a  quantité  de  Perroquets,  de  Perruches  et  de  Geais 
fort  beaux  ;  dans  le  pays  des  Missouris,  on  voit  des  Pies 
qui  ne  diffèrent  de  celles  de  l'Europe  que  par  le  plu- 
mage dont  les  couleurs  noires  et  blanches  sont  nuancées; 
les  Sauvages  en  font  des  ornemens  à  leurs  cheveux. 

Le  Mocqueur  est  un  oiseau  qui  chante  agréablement  ; 
il  se  plaît  à  la  compagnie  de  l'homme  :  il  est  unique  par 
son  ramage.  Etant  perché  au  haut  d'un  arbre,  il  contre- 
fait tous  les  autres  oiseaux,  il  se  moque  aussi  des  chats 
dont  il  imite  le  miaulement.  Quelquefois  il  pleure 
comme  un  enfant,  quelquefois  il  rit  comme  une  jeune 
fille  :  cet  oiseau  comédien  ne  représente  qu'en  été;  il  est 
de  la  grosseur  d'un  sansonnet,  et  de  couleur  bleuâtre 
comme  l'ardoise;  il  s'apprivoise  facilement  lorsqu'il  a 
été  pris  jeune. 

Le  Pape  est  d'un  bleu-de-roi  autour  de  la  tête,  il  a  le 
dessous  de  la  gorge  d'un  beau  rouge  et  le  dos  vert-doré; 
son  ramage  est  doux,  il  est  gros  comme  un  serin. 

Le  Cardinal  est  tout  rouge,  il  a  le  dessous  de  la  gorge 
noir  et  une  huppe  sur  la  tête  ;  son  bec  est  rouge  et  fort  : 
c'est  une  espèce  de  moineau  qui  se  plaît  aussi  avec  les 
hommes  ;  il  est  à-peu-près  de  la  grosseur  d'une  allouette, 
il  siffle  pendant  l'été  comme  un  merle. 


DE     L'AMÉRIQUE»  4l 

TjEvéque  est  d'un  bleu  mêlé  de  violet,  et  de  la  grosseur 
d'une  linotte  dont  il  imite  le  chant. 

Le  Chardonneret  est  tout  jaune,  et  a  le  bout  des  ailes 
noir;  ce  petit  oiseau  est  très- léger  et  siffle  agréable- 
ment. 

Jj  Arlequin  est  ainsi  nommé,  parce  qu'il  est  bigarré  de 
diverses  couleurs.  11  y  en  a  un  autre  que  les  babitans 
français  nomment  le  Suisse ,  parce  qu'il  est  rouge  et  b!eu. 
Ces  trois  derniers  oiseaux  ne  se  rencontrent  qu'au  pays 
des  Illinois  pendant  l'été  :  ce  sont  des  oiseaux  de  pas- 
sage. 

Pour  V  Oiseau-mouche  ,  voyez  l'article  Brésil  et  Mexi- 
que ;  il  y  a  beaucoup  d'autres  oiseaux  inconnus,  dont  le 
détail  serait  trop  long.  On  trouve  des  Canards  de  p'u- 
sieurs  espèces;  les  plus  curieux  sont  ceux  qu'on  appelle 
Branchus.  Ils  se  perchent  sur  les  arbres,  à  l'aide  des 
serres  qu'ils  ont  au  bout  de  leurs  pattes ,  qui  sont  faites 
en  nageoires;  ils  font  leurs  nids  sur  les  troncs  des  arbres, 
qui  donnent  en  arc-boutant  sur  les  lacs  ou  les  rivières, 
et  lorsque  leurs  petits  sont  éclos ,  ils  s'élancent  aussitôt 
dans  l'eau.  Leurs  plumes  sont  nuancées  des  couleurs  les 
plus  belles;  le  mâle  porte  une  huppe  sur  la  tête  :  cette 
espèce  de  canards  est  la  plus  recherchée  pour  la  déli- 
catesse de  la  chair;  ils  se  nourrissent  de  glands  et  de 
faînes. 

On  voit  sur  le  bord  des  rivières  des  Aigrettes',  cet 
oiseau  est  ainsi  nommé,  parce  que  ses  plumes  qui  sont 
d'une  blancheur  extrême,  servent  d'aigrettes  aux  dames. 

"Le  Pélican,  que  les  habitans  de  la  Louisiane  appellent 
Grand-gosier,  à  cause  d'une  poche  qu'il  a  sous  la  gorge, 
est  aussi  gros  qu'un  cygne  ;  son  bec  a  près  de  douze 
pouces  de  long;  sa  peau  sert  à  faire  des  manchons,  et  sa 


42  OBSERVATIONS    SUR    LES    ANIMAUX 

graisse  à  lier  la  pâte  d'indigo ,  que  Ton  fait  ayec  fa 
graine  de  cette  plante ,  pour  teindre  en  bleu. 

La  Spatule  a  le  bec  fait  comme  une  spatule  de  phar- 
macien ;  il  y  a  un  autre  oiseau  qu'on  nomme  Bec-lancette , 
parce  que  son  bec  ressemble  exactement  à  cet  instrument 
de  chirurgie. 

Les  Papillons  comme  les  oiseaux  sont  de  toute  beauté 
et  d'une  richesse  étonnante. 

La  Floride. 

Parmi  les  animaux  de  la  Floride ,  qui  ne  diffèrent 
point  de  ceux  de  la  Louisiane  et  des  Etats-Unis,  on 
remarque  les  Rat  de  bois;  quoiqu'il  ne  soit  pas  plus  gros 
que  celui  d'Europe  ,  il  se  construit  avec  un  art  étonnant, 
des  demeures  de  quatre  à  cinq  pieds  si  solides,  que  les 
animaux  les  plus  forts  ne  sauraient  les  renverser  ;  on  y 
remarque  aussi  des  Tortues  de  marais ,  qui  ont  deux  pieds 
et  demi  de  long,  sur  dix-huit  pouces  de  large.  Elles  se 
nourrissent  de  canards ,  de  grenouilles  et  de  poissons  :  il 
y  en  a  qui  pèsent  jusqu'à  cent  livres.  La  Tortue  de  terre 
est  moins  grande ,  elle  se  cache  dans  les  cavernes  pro- 
fondes qu'elle  creuse  dans  des  collines  de  sable ,  à  l'aide 
de  ses  griffes.  L'une  et  l'autre  sont  très-bonnes  à  manger. 

Etats-  Unis. 

Les  animaux  domestiques  des  Etats-unis  ne  diffèrent 
point  de  ceux  de  l'Europe,  si  ce  n'est  dans  quelques 
nuances  légères  dans  la  couleur;  le  règne  animal  est 
très-varié.  Parmi  les  plus  grands  animaux  sauvages,  on 
peut  citer  le  Bison  (bos  Americanus)  aux  petites  cornes, 
dont  on  voit  de  nombreux  troupeaux  sur  les  bords  du 
Mississipi.    Il   était  autrefois    très-multiplié   dans  les 


de    l'Amérique*  43 

parties  occidentales  de  la  Virginie  et  de  la  Pensylvanie. 
Quoiqu'il  ait  une  bosse  sur  le  dos,  c'est  une  bête  bien  dis- 
tincte des  Zebus  de  l'Inde  et  de  l'Afrique,  et  des  aurochs 
d'Europe.  Ils  pèsent  quelquefois  deux  mille  livres;  le 
Bison  et  le  Bœuf-musqué  servent  à  la  nourriture  des 
Indiens  Nomades,  Apaclies-llaneros  et  Apaches-lipanos . 
"Le  Bison  appelé  Cibolo  par  les  Mexicains,  n'est  recherché 
que  pour  sa  langue  ,  mets  tres-délicat  ;  ce  n'est  peut-être 
qu'une  variété  de  YUrus. 

UUrus  du  Kentuck  ressemble  beaucoup  au  bœuf;  sa 
tête  est  fort  grande.,  et  le  devant  en  est  large  ;  ses  corne3 
sont  épaisses ,  courtes  et  recourbées ,  et  il  est  plus  gros 
devant  que  derrière.  Sur  ses  épaules,  on  voit  une  grosse 
masse  de  chair  couverte  d'une  touffe  fort  épaisse  d'une 
laine  longue  et  de  poils  frisés  d'un  brun-foncé  :  cet 
animal  qui  n'est  point  méchant,  ne  marche  pas  comme 
le  bétail  ordinaire,  il  va  par  sauts;  son  extérieur  est 
grossier,  ses  jambes  courtes  :  il  court  malgré  cela  fort 
vite  ,  et  ne  se  détourne  jamais  quand  il  est  poursuivi ,  si 
ce  n'est  pour  éviter  les  arbres.  Il  pèse  depuis  cinq-cents 
jusqu'à  m  il  le  livres  :  sa  chair  fournit  une  excellente  nour- 
riture ,  elle  supplée  en  plusieurs  endroits  à  celle  du 
bœuf,  sa  peau  forme  un  bon  cuir. 

Le  Taureau-musqué  et  sa  femelle  (bos  moscatus)  ne 
paraissent  que  dans  les  contrées  les  plus  occidentales , 
au-delà  du  Mississipi  ;  ils  sont  plus  petits  que  le  Bison; 
leurs  cornes  se  rapprochent  de  celles  des  Buffles  du  cap 
de  Bonne-Espérance. 

Le  Mammouth,  qu'on  dit  être  cinq  à  six  fois  plus  gros 
que  l'éléphant,  est  au  nombre  des  animaux  dont  l'espèce 
est  aujourd'hui  perdue.  On  trouve  ses  os,  particulière- 
ment dans  le  voisinage  des  sources  salées ,  situées  vers 
POhio. 


44  OBSERVATIONS    SUR   LES    ANIMAUX 

On  déterre  encore  des  dents  &  Hypopothames  dan» 
Long-Island. 

Le  Mosc-Deer  commence  à  devenir  fort  rare,  cepen- 
dant on  en  trouve  encore  de  douze  pieds  de  haut  : 
l'espèce  grise  excède  rarement  la  hauteur  d'un  cheval. 
Les  uns  et  les  autres  ont  des  cornps  palmées,  qui  pèsent 
quelquefois  jusquà  cinquante-six  livres.  (Pennant  A. 
Z.  I.  18.) 

Le  Cerf  de  l'Amérique  est  plus  grand  que  celui  de 
l'Europe;  les  bois  en  sont  peuplés,  ainsi  que  d'élans 
(  elks.  )  On  trouve  aussi  beaucoup  de  cerfs  nains 
(deer.) 

Il  y  a  dans  les  Etats  du  Nord,  deux  espèces  d'Ours- 
noirs  ;  ï  Ours-maraudeur  et  le  Loup  se  trouvent  dans  tous 
les  états.  On  y  voit  aussi  différentes  espèces  de  Renards , 
et  une  espèce  d'Ours  appelée  la  TVolverenne. 

La  Panthère  est  un  animal  de  la  hauteur  d'un  fort 
dogue ,  ellea  neuf  pieds  rie  long  de  la  tête  à  l'extrémité  de 
la  queue,  elle  est  armée  de  griffes  qui  ont  jusqu'à  trois 
pouces  de  longueur-,  ses  dents  et  sa  tête  ressemblent  à 
celles  du  tigre,  à  la  femelle  duquel  elle  appartient:  la 
hauteur  de  ses  jambes  n'excède  pas  quinze  pouces;  elles 
sont  musculeuses  et  nerveus  s.  La  panthère  est  d  une 
couleur  fauve,  sans  aucune  tache;  elle  grimpe  sur  les 
arbres  d'où  elle  s'élance  sur  sa  proie  jusqu'à  vingt  pieds 
de  distance;  elle  est  redoutable  lorsqu'elle  a  des  petits, 
parce  qu'alors  elle  brave  tout  :  dans  toute  autre  circons- 
tance, si  elle  n'est  point  pressée  par  la  faim,  elle  passe 
tranquillement  son  chemin,  et  se  retire  même  à  la  vue 
d'un  homme. 

Le  Cogouar,  qu'on  appelle  tigre  dans  les  Etats  méri- 
dionaux,  a  cinq  pieds  de  long  de  la  tète  à  l'origine 


DE       ^AMERIQUE.  45 

de  la  queue;  toutes  ces  bêtes  féroces  diffèrent  absolu- 
ment de  celles  de  l'Ancien-Conlinent. 

Ou  rencontre  aussi  dans  les  Etats-Unis  le  Lynx,  l'Once, 
le  Margay,  le  Renard-gris ,  celui  de  Virginie,  1 Isatis ,  le 
Chat  de  Newyork ,  le  Coase  ;  1  Urson,  espèce  de  porc-épic 
commune  près  de  la  baie  d'Hudson;   le  Manicou,  six 
espèces  d'écureuils  ;  le  Strié  d'Amérique  ,  celui  de  la  Ca- 
roline ;  le  Cendré,  qui  fournit  une  fourrure  estimée,  celui 
de  la  baie  d'Hudson ,  dont  il  y  a  deux  espèces  distinctes 
confondues  sous  ce  nom:  l'une  d'elles  eslun  Ecureuil-vo- 
lant qui  rapproche  de  la  Po'atnuche;  un  autre  qui   ne 
grimpe  pas  sur  les  arbres,  mais  qui  hubite  sous  terre 
comme  les  lapins  ;  enfin  V Écureuil-noir  ;  le  Lièvre  d'Amé- 
rique ,  qui  diffère  de  celui  d'Europe;  VOposum  qui  est 
à-peu-près  gros  comme  un  chat  :  sa  queue  est  plate  et 
couverte  d'écaillés  raboteuses ,  qui  lui  donnent  le  moyen 
de  se  pendre  aux  arbres.  Il  vit  de  fruits,  de  pain,  de 
viande  et  de  volaille  ;  il   a  les  mêmes  habitudes  que  ce— 
lni  de  la  Louisiane  :  leur  chair  est    également  recher- 
chée. 

Il  y  a  dans  les  cantons  de  l'Amérique  septentrionale, 
une  grande  quantité  de  Castors,  auxquels  lintérêt  de 
l'homme  livre  une  guerre  implacable.  Lorsque  les  cas- 
tors ont  perdu  leurs  femelles  ou  leurs  petits,  ils  versent 
des  pleurs:  les  voyent- ils  blessés,  ou  dans  les  douleurs  de 
l'agonie,  ils  lèvent  leurs  yeux  remplis  de  larmes  vers 
les  barbares  qui  les  poursuivent,  et  semblent  implorer  . 
le  sentiment  de  la  pitié  ;  mais  l'impitoyable  chasseur 
reste  inaccessible  à  toute  commisération  ;  leur  fourrure 
seule  l'intéresse  ! 

On  rencontre  quelquefois  des  Crocodiles  de  l'espèce 
que  les  naturalistes  appellent  Caïmans;  ils  habitent  dans 


46  OBSERVATIONS    SUR    LES    ANIMAUX 

des  fossés  bourbeux,  sont  longs  de  près  de  douze  pieds, 
tête  et  queue  comprises.  Rarement  cet  animal  est  nui- 
sible lorsqu'il  vient  sur  la  terre  ;  il  est  plus  dangereux 
danS^eau.  Il  babite  ordinairement  la  Floride. 

Les  oiseaux  de  l'Amérique  septentrionale  ne  sont  pas 
moins  variés  et  curieux.  On  voit  plusieurs  espèces  &  Aigles, 
de  Fautours  ,  de  Chats-huants.  Les  Dindes  ,  les  Oies  ,  les 
Hérons,  les  Canards,  les  Outardes,  les  Bécasses,  les 
Cygnes  Au  poids  quelquefois  de  trente-six  livres,  y  voient 
par  milliers;  les  Mélèagrides  ou  Pintades  et  les  autres 
volailles ,  y  sont  communes  ainsi  que  d'autres  oiseaux 
qui  ressemblent  à  la  Perdrix,  à  la  Bartavelle ,  à  la  Caille 
d'Europe. 

L' Oiseau-mouche  vient  annuellement  sucer  les  fleurs, 
que  la  nature  fait  naître  dans  cet  étonnant  pays  ;  il  ne 
paraît  qu'avec  les  fleurs  et  disparaît  avec  elles ,  sans  qu'on 
sacbe  ce  qu'il  devient. 

Le  Wakon  ressemble  à  l'oiseau  du  paradis. 

Le  grand  Chat-huant  ne  diffère  de  celui  des  autres 
pays  que  par  sa  voix  singulière ,  qui  consiste  à  pousser 
un  cri  étrange  et  surprenant,  comme  un  bomme  dans 
le  plus  grand  péril. 

La  Bécasse  à  bec  d'ivoire  est  d'une  couleur  blancbâtre; 
sa  tête  est  surmontée  d'un  plumet  blanc;  elle  vole  en 
poussant  des  cris  très-aigus  ;  son  bec  est  de  pur  ivoire , 
ce  qui  rend  cet  oiseau  plus  extraordinaire  encore. 

Tous  les  printemps,  un  nombre  prodigieux  de  cigo- 
gnes viennent  babiter  quelques  plaines  de  l'Amérique 
septentrionale.  Elles  ont  au  moins  six  pieds  de  baut,  et 
leurs  aîles  déployées,  plus  de  sept  pieds  d'envergure; 
elles  ne  passentjamais  sans  être  entourées  de  sentinelles", 
qui  veillent  autour  d'elles  pour  annoncer  l'approcbe  de» 


DE     L'AMÉRIQUE.  4t 

ennemis.  Quelque  temps  avant  leur  départ,  elles  s'assem- 
blent en  grandes  troupes,  et  le  jour  fixé,  toutes  s'élèvent 
en  tournant  lentement;  elles  décrivent  de  longues  spi- 
rales, jusqu'à  ce  qu'elles  soient  arrivées  à  perte  de 
vue. 

Le  Muscawlss  est  gros  comme  un  Tiercelet,  il  a  un 
plumage  br^in  et  marqué  de  taches  dwn  blanc  éclatant- 
il  ne  paraît  qu'une  heure  ou  deux  avant  le  coucher  du 
soleil:  alors,  on  entend  de  tous  côtés  le  bruit  de  ses  gam- 
bades ,  de  ses  élans,,  de  ses  chutes  soudaines  et  rapides, 
qui  font  naître  l'idée  de  l'adresse  et  de  la  folie.  Son  vol 
bisarre  ne  ressemble  à  celui  d'aucun  autre  oiseau  :  on 
ne  peut  rien  concevoir  de  plus  léger;  mais  à  peine  les 
ombres  de  la  nuit  commencent-elles  à  couvrir  la  terre, 
que  ces  oiseaux  descendant  du  haut  des  airs ,  se  perchent 
surles  branches  inférieures  des  arbres,  sur  les  clôtures  et 
souvent  s'abattent  au  milieu  des  champs ,  où  ils  passent 
la  nuit  à  répéter  leurs  monotones  et  singuliers  accens,  que 
les  Indigènes  représentent  par  le  mot  Muscawiss.  On  ne 
sait  de  quoi  il  vit,  où  il  fait  ses  pontes,  ni  ce  qu'il  devient 
pendant  l'hiver.  Rien  n'est  plus  frappant  que  le  contraste 
entre  l'extrême  agilité  de  ses  mouvemens,  la  légèreté, 
la  rapidité  de  son  vol  et  sa  constante  immobilité,  ainsi 
que  la  tristesse  de  ses  accens  pendant  toute  la  nuit 
accens,  dit  M.  Bonnet,  qui  paraissent  être  ceux  de  la 
douleur  ou  d'un  profond  ennui. 

Le  Mocqueur ,  voyez  ce  que  j'en  ai  dit  à  l article  de  la 
Louisiane.  (Quant  aux  autres  oiseaux,  voyez  Buffon). 

Parmi  les  insectes,  on  remarque  les  Mouches-à-feu 9 
dont  la  multiplicité  répand  dans  la  nuit  une  lumière 
vraiment  étonnante.  Les  Miles,  insecte  ailé  qui  se  met 
dans  la  farine j  les  Mousquites  ou  Moucherons ,  les  Cha- 


jfi  OBSERVATIONS    SUfi    LES    ANIMAUX 

rensons ,  qui  déposent  leurs  œufs  au  haut  des  tiges  de 
blé,  surtout  du  froment;  le  Sureau  les  fait  disparaître 
des  granges;  les  Mouches-7iessoises  dont  le  nom  annonce 
assez  le  pays  doù  elles  sortent. 

Les  Abeilles  ont  multiplié  aux  Etats-Unis  au  point 
que  Ion  compte  actuellement  le  miel  et  la  cire  au 
nombre  des  productions  les  plus  lucratives  du  pays. 
Dans  les  contrées  du  Sud,  on  a  des  plantations  de  mû— 
riers ,  et  on  y  fait  des  Fers  à  soie. 

Les  côtes  abondent  en  Huîtres ,  en  Poissons  délicieux; 
les  rivages  septentrionaux  sont  fréquentés  par  la  Vache- 
marine  et  le  Veau-marin  ;  ceux  du  Midi ,  par  le  Lamentin , 
commun  à  l'Amérique  méridionale.  Cet  amphibie  a  les 
pieds  de  devant  pareils  à  des  mains,  et  une  queue  de 
poisson  ;  la  femelle  a  les  mamelles  d'une  femme ,  on 
croit  que  c'est  laSyrène  de  la  Table. 

Canada. 

Dans  les  savanes  du  Canada  occidental,  et  autour 
des  ruines  colossales  du  palais  des  Aztèques  ,  cette 
palmyre  de  l'Amérique,  qui  s'élève  solitairement  dans 
le  désert,  auprès  de  la  rivière  de  Gïla,  on  voit  paître 
deux  races  indigènes  d'animaux  à  cornes.  Le  Moufjlon 
aux  longues  cornes,  souche  primitive  du  mouton,  erre 
sur  les  rochers  calcaires,  arides  et  pelés  de  la  Californie. 
Les  Vigognes ,  les  Alpacas  et\es  Lamas, tous  ressemblant 
au  chameau,  appartiennent  à  la  Péninsule  méridionale  ; 
mais  ces  animaux  utiles ,  à  l'exception  du  Lama ,  ont 
conservé  depuis  des  siècles  leur  antique  liberté. 

Indépendamment  des  Martres ,  des  Loups  ,  des  Ours, 
des  Charcals,  des  Chiens,  des  Chats-tigres,  des  Caribous  , 
des  Originaux,  des  Bisons  ?  qu'on  peut  apprivoiser,  rendre 


DE    L'AMÉRIQUE,  /q 

propres  à  l'agriculture,  etqui  produisent  avec  la  vache  ou 
le  bœuf  d'Europe  ;  on  remarque  le  Castor,  animal  amphi- 
bie ,  doux  ,  paisible  ,  industrieux  dans  la  liberté  mais 
triste  et  abruti  dans  la  servitude.  Quand  on  l'attaque 
il  fuit  au  lieu  de  combattre  ;  mais  si  on  le  saisit  il 
mord  cruellement.  La  fourrure  du  castor  s'emploie 
dans  la  fabrique  des  chapeaux.  On  file  le  duvet  des 
flancs  pour  en  faire  des  bonnets  ,  des  gants  et  des  bas. 
Les  boisseliers  font  des  cribles  de  sa  peau  ;  sa  chair  a 
le  goût  des  animaux  de  terre,  et  sa  queue  celui  du 
poisson. 

On  doit  ajouter,  comme  propres  à  ces  contrées  septen- 
trionales ,  le  Raton  (  Ursus  lutor  )  ,  le  Carcajou  (  Ursus 
labradorius  ) ,  qui  est  plus  petit  que  le  blaireau  ;  trois, 
espèces  de  Martes  ou  belettes  ;  la  Belette  du  Canada 
(  mustella  Canadensis  ),  le  Vison  (  mustella  Vison),  et 
mustella  venanti ,  nommée  le  Pêcheur;  trois  marmottes 
(  arctomjs  monax  )  ,  arctomys  empêtra  ,  et  (  arctomys 
pruinosa  )  ;  le  Rat  de  Labrador  (  Mus  Hudsonius  ). 

Le  Cerf  du  Canada  et  la  Renne  du  Groenland  ,  que 
les  naturalistes  ne  regardent  que  comme  des  variétés 
de  ceux  d'Asie  et  d'Europe  ,  pourraient  bien  être  des 
espèces  distinctes,  quoique  voisines.  Le  Caribou  que 
l'on  trouve  du  côté  de  la  Baye  dHudson,  paraît  s'éloi- 
gner de  la  Renne  par  des  caractères  très-prononcés. 
ISIsatis  (Canis  lagopus)  est  aussi  un  habitant  de  ces 
froides  régions,  dont  les  rivages  sont  fréquentés  par 
toutes  les  espèces  de  phoques  imparfaitement  connues , 
et  imparfaitement  décrites,  (c.  a.  w.  )  m 

Pour  les  oiseaux ,  vovez  Buffon. 


TOME    2. 


lo  OBSERVATIONS    SUIl    LES    ANIMAUX 

Antilles. 

Il  n'y  a  dans  les  Antilles  d'autres  animaux  sauvages 
que  des  Caïmans  ,  des  Iguans  et  des  Lézards  ;  la  Chauve- 
souris-fer-de-lance  ,  le  Mulot  volant  (  vespertillio  mo~ 
lossus  J,  le  Kinkajou  (vivera  caudivolvttla),  le  Muspilo- 
rides ,  Rat  pilotis  ,•  les  Perroquets  ,  les  Colibris  ,  les 
Oiseaux-mouches ,  sont  communs  dans  tout  cet  Archipel. 

On  remarque  cependant  la  petite  Fauvette  à  gosier 
jaune  de  Saint-Domingue.  Elle  a  un  chant  très-agréable; 
elle  pond  deux  ou  trois  fois  par  an ,  fait  son  nid  avec  de 
l'herbe  sèche  et  de  petites  racines  entrelacées  avec  beau- 
coup d'art ,  et  le  suspend  à  la  pointe  d'une  branche 
inclinée  vers  l'eau.  L'intérieur  de  ce  nid  est  extrême- 
ment industrieux. 

Le  Rossignol  de  cette  île  ressemble  anx  Bergeretles 
des  environs  de  Paris  ;  il  est  gros  comme  un  Bruant, 
et  chante  très-agréablement;  il  n'est  pas  farouche  :  la 
présence  de  1  homme  semble  l'encourager  à  renouveler 
ses  roulades  et  ses  modulations. 

Le  Musicien:  cet  oiseau  est  ainsi  nommé,  parce  qu'il 
prélude  toujours  par  une  gamme  ;  et  lorsqu'il  est  arrivé 
à  l'octave  ou  note  de  répétition,  il  termine  son  chant  par 
des  roulades  ;  puis  il  recommence  sa  gamme .  Il  se 
cache  si  bien  ,  que  jusqu'à  ce  jour,  on  ne  connaît  ni  sa 
grosseur,  ni  son  plumage  ,  ni  sa  manière  de  vivre. 

Le  Chardonneret ,  appelé  par  les  Nègres  Banane 
mûre  ,  parce  qu'il  se  nourrit  de  ce  fruit ,  ressemble  au 
Chardonneret  de  la  Louisiane  ;  mais  il  a  de  plus  qu« 
lui  le  haut  des  ailes  noir.  Son  chant  est  assez  varié. 

Le  Penoquet  de  terre  est  ainsi  nommé  ,  parce  qu'il 
fait  son  nid  dans  la  terre  ;  il  est  gros  comme  une  Fait- 


DE     L'AMERIQUE."  5l 

relie  :  il  a  Je  dos  vert  .comme  une  émeraude ,  la  gorge 
rose,  le  yentre  gris-de-lin,  légèrement  rosé  ,  les  pattes 
noires  et  le  bec  rouge-brun  en.  forme  de  lancette. 

La  Dame  anglaise  est  un  moineau  de  la  grosseur 
d'un  pigeon;  son  .col,  jsa  poitrine  et  son  dos  ,  sont  écar- 
lates  5   son  ventre  grisâtre  et  sa  queue  bleue. 

Le  Bout  de  tabac  est  de  la  grosseur  d'un  fort  Merle  • 
il  a  le  plumage  tout  noir  ,  le  bec  gros  ,  court  et  jaune  • 
il  mange  la  vermine  des  bestiaux: ,  et  les  graines  qui  se 
trouvent  dans  leur  fiente  sèche. 

Le  Taquoi  ressemble  au  Geai  d'Europe  ;  les  plumes 
de  sa  queue  ont  un  pied  de  long  :  elles  sont  bigarrées 
de  bleu  ,  de  blanc  ,  de  rouge  et  de  noir ,  comme  celles 
de  ses  ailes  ;  il  est  très-privé  ,  et  gros  comme  un  pigeon 
ordinaire. 

- 

Le  Flamana1  de  Saint-Domingue  est  gros  comme  le 
plus  fort  mâle  Dinde.  Ses  jambes  ont  deux  pieds  de 
hauteur:  son  col  est  plus  long  que  celui  du  Cygne;  il  se 
tient  en  troupe  au  bord  de  l'eau.  Lorsqu'il  est  jeune  , 
son  plumage  est  gris-cendré,  il  devient  d'un  beau  rose  à 
mesure  qu'il  .vieillit;    sa  chair  est  bonne  à  manger. 

Le    Grand-gosier  ressemble  à  un  héron. 

Les  Papillons  sont  aussi  variés  que  brillans.^i  en  est 
de  même  des  coquillages  ;  on  pêche  les  huîtres,  soit 
dans  la  mer  ,  soit  sur  les  mangles  qui  croissent  au  bord 
de  l'eau.  Quant  aux  poissons ,  tels  que  le  Capitaine  ,  le 
Vivaneau  ,  le  Rouget  ,  le  Mulet ,  la  Carpe  ,  les  Lunes  , 
la  Sardine,  et  nombre  d'autres  qu'il  serait  trop  long 
de  détailler  ici  ;  ils  sont  supérieurs  aux  poissons  d'Eu- 
rope ,  de  l'avis  des  Européens  même.  Le  Requin  est 
très-vorace  ,  aussi  la-t-on  surnommé  le  Goulu  de  mer, 
Il  y  en  a  qui  ont  jusqu'à  dix  pieds  de  long;  sa  mâchoire 

4* 


02  OBSERVATIONS    s  °  R    LES    ANIMAUX 

est  armée  de  plusieurs  rangées  de  dents  triangulaires 
très-aiguës,  suivant  l'âge  de  l'animal:  il  est  redoutable 
pour  ses  coups  de  queue. 

La  Bée  une  est  dangereuse  aux  nageurs  ,  parce  qu'elle 
enlève  les  parties  des  baigneurs  qui  se  laissent  sur- 
prendre par  elle. 

Les  Homards  ,  les  Crabes  ,  les  Anguilles ,  les  Tortues 
de  terre  et  de  mer  y  sont  excellentes.  J'engage  le 
lecteur  ,  qui  désire  connaître  plus  particulièrement  les 
animaux  ,  les  oiseaux  ?  les  poissons,  les  coquillages  de 
l'Amérique  ,  de  lire  les  ouvrages  de  MM.  de  BuïFon , 
d'Azara  ,  etc.  ,  etc. 

D'après  ce  léger  aperçu  des  animaux  qui  sont  particu- 
liers à  l'Amérique  ,  et  dont  plusieurs  n'ont  pas  leur 
analogue  sur  l'Ancien  Continent  ,  M.  Paw  doit  sentir 
combien  il  a  été  inconséquent  de  chercher  à  dégrader 
la  race  des  animaux  du  Nouveau  -Monde  ,  à  insinuer 
que  le  Jaguar  perd  tout  courage  quand  il  est  repu  ;  qu'un 
seul  chien  alors  suffit  pour  lui  donner  la  chasse  ;  que  le 
Jaguar  est  un  tigre  poltron  ;  que  le  Coguar  se  met 
aisément  en  fuite  ,  hormis  qu'on  ait  la  timidité  naturelle 
des  Américains  ;  car  s'il  eût  été  à  Carthagène ,  il  y  eût 
«vu  les  Espagnols  habiter  des  maisons  sur  pilotis,  se 
garder  nuit  et  jour  ,  pour  n'être  pas  dévorés  par  ces 
Jaguars  ,  par  ces  Puma  ,  par  ces  Coguars  ,  qu'il  appelle 
avec  affectation  Tigres  poltrons  ;  il  les  eût  vus  aller  le 
jour  à  la  nage  dans  les  îles  ou  les  Européens  ont  du 
bétail ,  tandis  que  dans  les  établissemens  que  les  Hol- 
landais ont  dans  les  environs  du  Cap  de  Bonne-Espé- 
rance ,  à  la  pointe  méridionale  de  l'Afrique  ,  les  lions 
et  les  tigres  africains  restent  cachés  pendant  le  jour  ,,  et 


D  E     L'  A  M  &  R  I  Q  U  E.  53 

n'attaquent  le  bétail  que  la  nuit,  et  lorsqu'il  n'est  pas 
renfermé. 

M.  Rubaut  ,  dans  son  voyage  d'Afrique  à  Quankia  , 
dit  avoir  vu  dans  les  forêts  un  grand  nombre  de  lions  , 
de  tigres  et  de  loups  ,  qui  ne  cherchèrent  pas  à  attaquer 
sa  petite  caravane. 

MM.  Picard  etMungo  Park  assurent  que  ces  animaux 
attaquent  rarement  l'homme ,  surtout  en  plein  jour. 

M.  Picard  ,  employé  de  l'administration  du  Sénégal , 
ayant  été  chargé  de  traverser  la  Sénégambie  dans  toute 
sa  longueur;  de  visiter  les  bords  de  la  Falénie  ,  ceux 
de  la  Gambie  ;  de  reconnaître  les  sources  du  Niger  , 
et   d'observer  les  différens  peuples  chez  lesquels  il  avait 
à  passer ,    rapporte  qu'après  avoir  quitté  la  ville  d'/f/r- 
cator ,  il  traversa  une  forêt  considérable   dans  laquelle 
il  vit  beaucoup   de   Lions    et   de    Tigres  ;  que   s'étant 
écarté  de  ses  compagnons  pour  chasser  un  grand  Aigle 
qu'il  désirait  abattre  ,   il  était  si  animé  à  sa  poursuite , 
qu'il  ne  s'aperçut  pas  ,  au  moment  où  il  le  cpuchait  en 
joue  ,   qu'un  énorme   Tigre  se  trouvait   étendu  à  vingt 
pas  de  lui  ,  que  le  Tigre  ,  en  le  voyant  approcher  ,  se 
leva    et  alla  se  coucher  à  vingt  pas  plus  loin;   que  les 
gens  de  M.  Picard  ,  qui  4e  suivaient  des  yeux  ,  n'eurent 
pas  plutôt  aperçu  l'animal ,  qu'ils  crièrent  pour  l'avertir 
du  danger  ;  mais ,  que  sans  s'arrêter  à  leur  cri ,  il  avan- 
çait encore    pour  être  plus  sûr  de  son  coup ,  et  ne  pas 
manquer  son  aigle  ;  lorsque  le  tigre,  ennuyé  sans  doute 
de  se  déplacer  une  seconde  fois  ,  poussa  en  se  relevant , 
un  rugissement  affreux  qui  lui  fit  oublier  sa  proie  ,  et 
le  força  ;à   rejoindre   précipitamment   ses  compagnons 
qui  lui  racontèrent  ce  qu'ils  avaient  observé. 

M.  Paw  7  qui  s'est  tant  récrié  contre  le  lion  américain 


55-  OBSERVATIONS    SUR.    LES    ÀHIMAUX 

nommé  Puma,  ignore  qu'il  existe  en  Perse  une  espèce 
de  lion  d'un  naturel  doux  ,  et  qui  n'a  point  de  crinière , 
qu  Olivier  a  surtout  remarqué  sur  les  bords  du  fleure 
des  Arabes  ;  c'est  peut-être  celui-là  dont  les  Persans 
se  servent  pour  leurs  chasses.  Les  Anciens  ont  connu  ce 
lion  5  Oppien  en  fait  mention,  (c.  a.  W.  ). 

M.  Paw  est  dans  l'erreur  lorsqu'il  prétend  qu'il  est 
impossible  de  dompter  le  tigre  de  l'Ancien  Continent , 
au  point  de  le  toucher  de  la  main,  qu'il  faut  le  ren- 
fermer dans  dés  cages  bien  grillées  et  doublement 
barrées  ,  puisque  les  Perses  ont  été  long-temps  dans 
l'usage  d'apprivoiser  les  animaux  de  proie,  au  point 
même  de  les  faire  chasser  avec  des  lions,  dès  tigres, 
des  léopards ,  des  panthères  et  des  onces.  Cet  écrivain 
ignore ,  sans  doute  ,  qu'avant  la  révolution  ,  on  a  vu  à 
Paris  des  tigres  dont  le  gardien  était  assez  fou  pour 
mettre  Sa  tête  dans  leur  gueule;  qu'un  nommé  Politos 
h.  Londres  en  faisait  voir  un,  en  1814  ,  dans  une  cage  de 
sapin  ,  d'un  pouce  d'épaisseur,  ayant  des  barreaux  gros 
comme  le  petit  doigt  ;  que  ce  même  tigre  s'étant 
échappé  dé  sa  cage  ,  qui  s'était  ouverte  en  tombant  de 
dessus  la  charette  qui  le  conduisait  dans  Londres  ,  il 
traversa  paisiblement  tout  lé  Strand  comme  Un  chien  , 
et  alla  se  coucher  dans  là  cave  d'une  maison  abattue , 
où  Ion  parvint  à  le  faire  rentrer  dans  sa  cage  sans  qu'il 
eût  essayé  de  mordre  qui  que  ce  fût.  (Voyez  le  Siatesman 
de  cette  année  ). 

Il  conviendra  que  ,  si  rAmériepiè  produit  des 
Alligators ,  des  Crocodiles ,  dès  Caïmans  et  des  Serjyens , 
la  nature  attentive  a  pris  soin  ailssi  de  leur  opposer  des 
ennemis  implacables  pour  y  assurer  l'existence  de  l'es- 
pèce humaine,  C'est  pour  cela  que  le  tigre  Sagiiar,  et  la 


DE     i/  AMÉRIQUE*  55 

grosse  Fourmi  noire  font  une  guerre  d'extermination  aux 
Alligators  ,  aux  Crocodiles  et  aux  Caïmans  ;  que  les 
Serpens  cherchent  en  vain  à  éviter  la  dent  meurtrière  du 
Cusicusi,  etHe  du  Pécari ' ,  le  bec  redoutable  de  l'Aigle 
royal  ,  celui  du  Hoazin  et  de  la  troupe  pénétrante  de 
la  Fourmi  de  visite  ;  et  les  Couleuvres ,  les  attaques 
mortelles  du  moineau  du  Paraguay.  La  nature  libérale 
ne  s'en  est  pas  tenue  là ,  elle  a  placé  le  contre-poison 
dans  le  bois  que  le  serpent  habite. 

Avant  de  passer  outre  ,  j'observerai  encore  qu  il 
oublie  fréquemment  la  thèse  qu'il  a  avancée  ,  «  que  le 
«  nouvel  hémisphère  était  inférieur  en  tout  point  au 
«  continent  d'Europe  ,  que  ce  n'est  pas  prouver  la 
«  vérité  de  son  assertion  que  d'avoir  continuellement 
«  recours  à  l'Afrique  et  à  l'Asie  ,  et  de  confondre  le 
«  continent  d'Europe  avec  l'Ancien  Continent ,  sous 
*  prétexte  qu'il  comprend  l'Europe  avec  l'Afrique  et 
«  l'Asie.  » 

On  a  avancé  que  quelques  parties  de  la  terre  et  de  ses 
habitans  paraissent  plus  jeunes  que  dans  d'autres,  et  que 
les  montagnes  de  l'Amérique  semblent  montrer  que  ce 
Continent  est  moins  ancien  que  l'Europe ,  l'Asie  et 
l'Afrique ,  parce  que  leurs  sommets  ont  été  moins  dimi- 
nués. M.  de  Bufïon  a  pensé  que  les  animaux  sauvages 
de  l'Amérique  ,  comme  les  Tigres ,  le  Puma  ,  qu'on 
appelle  Lion  ,  quoique  ce  soit  une  bête  particulière  qui 
ne  ressemble  pas  très-exactement  à  cet  animal  puisqu'il 
jest  plus  petit  ;  que  le  mâle  n'a  point  de  crinière  ,  qu'il 
ne  saurait  se  servir  de  sa  queue  comme  d'une  arme  ; 
qu'il  grimpe  sur  les  arbres  ,  et  que  ses  mœurs  diffèrent 
de  celles  des  Lions  d'Afrique  ;  enfin  ,  qu'ainsi  que  l'es- 
pèce humaine ,  ils  sont  encore  dans  un  état  d'enfance  , 


56  OBSERVATIONS  SUR  LES  ANIMAUX 

d'augmentation ,  ou  de  décrépitude  et  de  caducité  pro- 
gressives; qui  plus  est ,  que  dans  le  Nouveau-^Monde  5  la 
nature  a  une  tendance  à  appauvrir  ses  productions. 

Les  détails  que  j'ai  présentés  au  commencement  de  cet 
ouvrage,  font  naturellement  conclure,  comme  je  l'ai  déjà 
dit?que  l'Amérique  est  le  terrein  le  plus  ancien  duglobe  ; 
l'article  de  la  salubrité  des  deux  Continens  ,  n'est  nulle- 
ment cm  faveur  de  l'Europe.  La  comparaison  rapide 
que  j'ai  faite  des  productions  de  l'Amérique  avec  celles 
de  l'Europe  ,  prouve  la  triste  infériorité  de  ce  dernier 
Continent.  M.  l'abbé  Raynal ,  qui  s'est  rétracté  depuis  , 
a  appliqué  cette  théorie  à  tous  les  animaux  transportés 
d  Europe  ;  mais  M.  Jefferson  a  confondu  leur  opinion 
trop  basardée  ,  non-seulement  par  la  preuve  négative 
prise  sur  la  courte  existence  des  Européens  sur  le  Conti- 
nent américain ,  dans  cet  état  de  tranquillité  et  de  bon- 
heur publics  qui  favorise  les  sciences  et  fait  éclore  les 
génies;  mais  encore  par  la  preuve  positive,  en  indiquant 
les  hommes  qui  ont  déjà  illustré  cette  nouvelle  terre , 
desquels  la  mémoire  ne  pourra  jamais  être  perdue: 
Washington  pour  la  guerre  ;  Franklin  pour  la  physique  ; 
Rittenhouse  pour  l'astronomie  ,  etc.  Il  met  ensuite  tou- 
tes les  probabilités  en  faveur  des  Etats  -  Unis  pour 
l'avenir  ,  par  le  rapprochement  simple  des  noms  d'Ho- 
mère, de  Virgile,  de  Racine  et  de  Shakspeare ,  du 
nombre  d'années  que  la  Grèce  ,  Rome ,  la  Erance  et 
l'Angleterre,  ont  mis  à  produire  ces  grands -hommes.  Il 
suffit ,  dit  M.  Bonnet,  pour  vérifier  ce  fait.,  de  parcourir 
les  campagnes,  et  de  se  rendre  compte  du  tribut  qu'ils  ont 
déjà  payé  aux  sciences  et  aux  arts  ;  ce  talent  se  prononce 
tous  les  jours  dans  les  inventions  relatives  aux  manufac- 
ture», à  la  navigation,  aux  métiers  et  à  l'agriculture. 


t>  E     l'  A  M  É  B.  I  Q  T7  E:  57 

M.  Humboldt ,  dans  son  voyage  à  la  Nouvelle-Es~ 
pagne  ,  esubien  éloigné  de  regarder  l'espèce  humaine 
dans  un  état  d'enfance  ,    de  décrépitude  ou  de  caducité. 

D'après  l'exactitude  de  la  déduction  sur  les  animaux 
par  M.  de  Buffon,  et  ceux  qui  ont  adopté  cette  opinion 
6ans  plus  d'examen ,  on  peut  regarder  la  Bretagne 
comme  plus  récente  que  la  Normandie  ,  sa  voisine  ,  et 
la  race  des  chevaux  et  des  bêtes  à  cornes  du  Limosin , 
postérieure  de  bien  des  siècles  ,  à  celle  des  bœufs  du 
Poitou  et  des  chevaux  de  la  Flandre. 

Il  est  bien  malheureux  pour  ce  système  lumineux  , 
qu'on  ait  trouvé  en  Amérique  ,  et  qu'on  y  trouve 
journellement  le  Mammouth  ,  ou  son  analogue  ,  dont  les 
os  annoncent  qu'il  était  cinq  ou  six  fois  plus  gros 
que  Y  Eléphant',  qu'en  1818,  on  en  ait  vu  dans  les 
montagnes  Rocky;  qiv'on  ait  découvert  sous  terre,  au 
Paraguay ,  le  squelette  d'un  quadrupède  qui  a  des 
rapports  avec  le  Paresseux ,  pour  la  forme  de  la  tête  et 
les  proportions  de  son  corps  ,  mais  qui  est  long  de  douze 
pieds  ;  on  l'appelle  le  Mégaihérium.  Il  a  dû  appartenir 
à  une  espèce  gigantesque  ,  qui  probablement  a  péri  ; 
que  le  Moose-deer  ait  douze  pieds  de  haut  ;  que  l'espèce 
grise  excède  quelquefois  la  hauteur  d'un  cheval  ;  que  le 
Cerf  américain  soit  plus  grand  que  celui  d'Europe  ;  que 
les  chevaux  qu'on  appelle  au  Pérou  Qdvidllos  chimbadoras  , 
soient  d'une  taille  extraordinaire  ;  que  ceux  du  Chili , 
du  Paraguay  ,  de  la  Nouvelle-Biscaye ,  de  la  Virginie, 
du  Connccticut ,  pays  aussi  étendu  que  l'Europe  ,  égalent 
ceux  d'Europe  ;  que  les  chèvres  Berendos  de  la 
Californie  soient  plus  grandes  que  celles  d'Europe  ; 
que  le  Chien  de  Terre  -  Neuve  surpass3  en  volume 
toutes  les  tribus   canines   de  TAncien-Monde  ;  que  la 


5&  OBSERVATIONS    SUR    LES    AKIMAUX 

taille  des    Tigres  du  Paraguay  l'emporte  sur  celle  des 
Tigres  d'Afrique  ;  que  les  bestiaux,importés  ^Europe  eu 
Amérique  ,  y  soient,  au    rapport  même   du  professeur 
Bonnet  et  de  plusieurs  autres  observateurs  ,   plus  forts 
crue  ceux  d  Europe  ;    que  le   Lièvre  de  la  terre  Magella- 
nique  pèse  trois  fois  plus  que   celui  d'Europe  ;   que  les 
Cygnes  et  les  Oies  surpassent  en  grosseur  d'un  tiers  ceux 
d'Europe  ;  que  le  Dindon  pèse  quatre  fois  plus  en  Amé- 
rique  que   ceux  qu'on  élève  en  Europe  ;  que  le  Condor 
soit  infiniment  plus  grand  et  plus  fort  que  les  oiseaux 
de  proie  les  plus  redoutables  de  l'Ancien  Continent  ;  que 
les  physiciens  soient  si  divisés  sur  la  haute  stature  des 
anciens  Américains ,   dont  on   confond  quelquefois  les 
ossemens  avec  ceux  des  éléphantins  ;  celle  des  modernes 
étam  en  général  aussi  haute ,  aussi  forte  et  aussi  fraîche 
que  la   complexion  des  Européens  les  plus  vigoureux  5 
enfin  que  jusqu'aux  huîtres ,  elles  soient  quatre  fois  plus 
grosses  que  celles  d'Europe. 

Les  auteurs  qui  ont. écrit  sur  le   règne   végétal  de 
l'Amérique    septentrionale  ,    conviennent   tous   que  la 
végétation  y  est  robuste ,  vigoureuse  ,  vivace  ,  et  d'une 
force  qui  n'est  plus  connue   dans  les  anciens  continens, 
sans  donner   d'autres   signes  de  dégradations  que  ceux 
qui  doivent  naturellement  se  succéder  dans  la  suite  des 
temps  ,  sur  une  terre  encore  vierge ,  qui  doit  néanmoins 
passer   par    l'enfance  ,    l'adolescence  ,   la    virilité  ,     et 
arriver  ensuite  à  la   vieillesse  ,   où  elle   attendra  qu'un 
plus  où  moins  long  repos  lui  rende   une  partie  de   sa 
première  vigueur.  (  Bonnet  ). 

Je  ne  conçois  pas  comment  M.  Paw  a  pu  mettre  en 
avant  de  pareilles  idées  ,  ayant  pardevers  lui  la  preuve 
que  M.  Humboldt  a  trouvé  près  de  Santa  Fè ,  dans   le 


D  Ë    L*  A  M  É  RI  Q  V  E.  5g 

êamp  du  Géant ,  une  quantité  immense  de  fossiles  , 
d'os  d'éléphans  de  l'espèce  africaine  et  de  l'espèce  Car- 
nivore ,  que  Jean  de  Holmos  ,  lieutenant  de  Puerto  de 
Vijio  ,  fit  déterrer  en  i543  ,  dans  la  terre  des  Brûlés 
au  Pérou,  des  débris  de  squelettes  humains  ,  et  d'autres 
d'animaux  d'une  grandeur  étonnante  ;  que  M.  Gentil , 
en  1715,  y  trouva  encore  une  partie  de  ces  ossemens 
prodigieux  ;  qu'on  en  a  exhumé  de  Semblables  au 
Mexique ,  à  Tezcuco  ,  dans  les  îles  de  Sainte-Hélène  et 
de  Paria  ;  et  qu'on  en  découvre  dans  toute  la  longueur 
de  l'Amérique  ,  depuis  le  Canada  jusqu'aux  terres  Ma- 
gellaniques  ;  que  le  long  de  VOhio ,  à  treize  cent 
soixante-dix  toises  de  hauteur  ,  on  en  a  trouvé  en  plus 
grand  nombre  ,  et  plus  hauts  que  cent  d'aucune  autre 
partie  du  monde  ;  qu'on  trouve  dans  l'Amérique  septen- 
trionale des  amas  considérables  d'ossenïens  et  de  dents- 
fossiles  d'éléphans ,  de  rhinocéros  ,  d'hypopothames , 
d'animaux  inconnus  à  l'Ancien  Continent  ,  des  ossemens 
humains  monstrueux,  que  la  prévention  empêche  de 
reconnaître,  et  préfère  attribuer  aux  jeunes  éléphans; 
des  fossiles  de  cornes  d'ammon  et  d'autres  coquillages , 
et  des  empreintes  de  végétaux  qui  n'existent  plus  depuis 
nombre  de  siècles  ,  ou  du  moins  qu'on  n'y  a  pas  encore 
retrouvés  depuis  que  les  hommes  voyagent ,  mais  qui 
viennent  à  l'appui  de  la  tradition  des  Américains  ,  sur 
l'existence  de  ces  monstrueux  humains  ,  et  <le  ces  qùa-^ 
drupèdes  d'une  taille  gigantesque. 

M.  Paw  ne  s'attendait  pas,  qu'en  1785,  on  trouverait 
dans  le  Keniuck  ,  près  d'une  source  de  sel  voisine  de 
VOhio  ,  des  os  dont  la  grosseur  surpasse  celle  de  tous 
les  os  d'animaux  connus  en  Amérirjue.  On  avait  d'abord 
cru  que  c'étaient  ceux  d'un  éléphant  ;  mais  les  natura- 


60  OBSERVATIONS    SUR    LES    ANIMAUX 

listes  nyant  reconnu  le  contraire  ,  on  doit  croire ,  d'âpre^, 
la  forme  des  dents  ,  que  c'étaient  les  os  d'un  animal' 
vorace,  appartenant  à  une  race  qui  s'est  éteinte.  C'est  la 
seule  manière  de  résoudre  une  pareille  difficulté.  Il  est 
mille  phénomènes  dans  la  nature  ,  que  la  faiblesse  de 
l'esprit  humain  ne  sait  expliquer  que  par  des  suppo- 
sitions de  ce  genre. 

Sans  se  donner  pour  naturaliste,  sans  prétendre 
encore  moins  être  aussi  instruit  que  l'illustre  M.  de 
BufFon,  on  peut  cependant  se  permettre  de  dire  que  ce 
savant ,  que  M.  Paw  ,  et  M.  Pison  ,  son  autorité,  se  sont 
trompés  sur  bien  des  faits ,  qu'ils  ont  fondés  sur  des 
conjectures  vagues  et  souvent  sans  fondement.  On  en 
peut  dire  autant  de  l'abbé  Raynal  pour  ce  qui  regarde 
l'Amérique. 

Je  ne  sais  avec  quels  yeux  M.  Paw  a  vu  que  les  ani- 
maux d'origine  européenne  ou  asiatique  ,  transportés 
immédiatement  après  la  découverte  du  Nouveau- M  onde, 
s'étaient  rabougris  ,  que  leur  taille  s'était  dégradée ,  et 
qu'ils  avaient  perdu  la  moitié  de  leur  instinct  ou  de  leur 
génie  ;  puisque  leurs  rejetons  ,  qui  n'ont  jamais  été 
soignés ,  nourris  ,  établés  comme  ceux  d'Europe  ,  et 
qui  existent  de  nos  jours  ,  au  mileu  de  ces  fore 's 
qu'il  prétend  n'être  infectées  que  de  marécages  ,  de 
serpens  et  d'insectes  ,  ne  le  cèdent  en  rien  aux  ani- 
maux de  l'Ancien  Continent,  et  qu'ils  ont  multiplié 
au  point  que  les  Espagnols  ,  ce  peuple  destructeur  , 
vont  souvent  les  chasser  et  les  tuer  3  non  par  un  ,  mais 
par  des  vingt  et  trente  mille ,  uniquement  pour  en 
vendre  les  cuirs. 

Cet  auteur,  qui  n'a  jamais  voulu  consulter  les  Mé- 
moires qui,  seuls,  pouvaient  l'instruire  sur  les  points  qu'il 


D' E     l'  A  M  in  ï  Q  TTE.  6l 

traitait,  ignore  que  plusieurs  familles,  au  Mexique  , 
possèdent  dans  leurs  liattes  trente  à  quarante  mille  têtes 
de  bœufs  et  de  chevaux  ,  sans  compter  les  mulets  ,  qui 
seraient  plus  nombreux  encore ,  s'il  n'en  périssait  pas 
beaucoup  sur  les  grandes  routes  ,  par  les  fatigues  dont 
ils  sont  excédés  ,  après  des  voyages  de  plusieurs  mois. 
Le  commerce  de  Vera-Cruz  seul  en  occupe  soixante 
mille  par  an.  Plus  de  cinq  mille  mulets  sont  employés, 
comme  objets  de  luxe,  dans  les  attelages  de  Mexico. 
11  saura  aussi  qu'on  voit  au  Mexique  de  nombreux  trou- 
peaux de  brebis,  de  chèvres, de  porcs;  qu'une  paire  de 
bœufs  pour  la  charrue  ne  coûte  ,  même  dans  la  capitale  , 
que  quatre  à  cinq  louis  ;  que  le  père  Acosta,  Liv.  IV, 
chap.  3,  rapporte  qu'en  1687,  ^a  flotte  qui  entra  à 
Se  ville  portait  soixante-quatre  mille  trois  cent  quarante 
cuirs  mexicains  ;  que  depuis  cette  époque  ,  la  valeur  des 
cuirs  corroyés  de  l'intendance  de  Guadalaxara  seul ,  est 
évaluée  à  quatre  cent  dix-neuf  mille  piastres  (  deux 
millions  cent  quatre-vingt-dix-sept  mille  deux  cent 
cinquante  francs)  ;  qu'à  la  Côte-Ferme,  le  propriétaire 
avec  lequel  on  s'arrange  pour  tuer  tant  de  milliers  de 
bœufs  ,  ne  se  donne  jamais  la  peine  d'aller  voir,  si  l'on 
a  outrepassé  la  quantité  dont  on  était  convenu  ;  que 
dans  la  province  de  Ris-Grando  ,  au  Brésil  ,  les  bœufs 
sont  si  communs  ,  qu'ils  ne  coûtent  qu'une  piastre  (cinq 
francs  cinq  sols)  5  le  sel  étant  trop  cher  pour  saler  beau- 
coup de  viande  ,  on  ne  les  tue  que  pour  en  avoir  la 
peau  dont  on  fait  un  très  -  grand  commerce;  qu'au 
royaume  de  la  Plata  ,  un  cheval  ne  coûtait ,  il  y  a  quel- 
que temps  que  six  francs ,  et  un  bœuf  de  vingt-cinq  à 
trente  sols  ;  aujourd'hui  on  paye  ce  dernier  jusqu'à 
quinze  francs.  Quant  aux  chevaux  sauvages,   ils  vont  par 


62  OBSERVATIONS    S  V  B.    LES    ANIMAUX 

troupes  composées  de  dix  mille  individus ,  presque  tous 
bais-châtains.  Dans  l'Amérique  méridionale,  on  fait 
la  chasse  aux  bœufs  seulement  pour  leurs  peaux  j  qui 
sont  un  objet  de  commerce  trop  lucratif  pour  pouvoir 
s'occuper  de  saler  leur  viande  ,  qui  demanderait  trop 
de  temps ,  de  sel  et  de  futailles  pour  un  Espagnol. 
M.  d'Obrizhoffer  dit ,  qu'au  Paraguay ,  ils  sont  aussi 
gios  que  les  bœufs  hongrois  ,  que  la  longueur  ordinaire 
de  leurs  peaux  est  de  trois  aunes  ,  que  les  chevaux  y 
sont  aussi  très-nombreux ,  et  qu'on  envoie  annuellement 
huit  mille  mulets  des  plaines  du  Paraguay  au  Pérou. 

M.  Paw  regardeiait  peut-être  comme  exagéré  le 
tableau  que  je  pourrais  lui  mettre  sous  les  yeux  de  la 
quantité  étonnante  de  Bœufs ,  de  Chevaux ,  de  Mulets  ,  de 
Chèvres  en  vie  ,  que  les  Américains  espagnols  vendent , 
tous  les  ans,  auxdifférens  établissemens  de  l'Améri- 
que ;  mais  il  est  trop  bien  connu ,  pour  avoir  besoin  d'en 
parler  ici.  J'observerai  seulement  que  la  viande  de 
bœuf  est  infiniment  supérieure  à  tout  ce  qu'il  a  bien 
voulu  en  dire*;  qu'on  mange  d'aussi  bonne  viande  aux 
Etats  Unis  et  dans  d'autres  endroits  de  l'Amérique , 
qu'en  aucune  partie  de  l'Europe;  qu'à  Saint-Domin- 
gue ,  elle  n'est  pas  aussi  pleine  de  filasse ,  ni  aussi 
difficile  à  mâcher,  que  M.  Paw  le  prétend  ;  qu'elle  est 
saine  et  mangeable,  et  qu'elle  rivaliserait  la  meilleure 
viande  Européenne  si  ,  au  lieu  de  cultiver  autant  de 
sucre  ,  l'habitant  laissait  quelques  terreins  en  prairies  t 
pour  la  nourriture  des  Bœufs  ,  des  Moutons  ,  des  Cher 
vres ,  des  Chevaux ,  des  Mulets  et  des  autres  animaux, 
qui  ne  subsistent  que  de  ce  qu'ils  peuvent  attraper  dans 
les  bois,  au  bord  de  la  mer,  sur  les  haies  épineuses  qui 
bordent  les  chemins,  et  à  leur  retour  dans  la  savanne 


DE     ^AMÉRIQUE.  63 

(  enclos  en  forme  de  prairie  naturelle  ),  de  quelques 
paquets  d'herbes  ,  qu'ils  mangent  à  l'ardeur  du  soleil  ou 
à  l'humidité  du  soir  ,  n'étant  jamais  abrités ,  ni  soi- 
gnés comme  ceux  d'Europe. 

Malgré  ces  inconvéniens  ,  les  Moulons  ,  les  Chèvres , 
les  Codions  ont  en  général  un  goût  plus  fin  que  ceux 
d'Europe  :  il  en  est  de  même  des  Pigeons  et  des  volail- 
les ,  que  l'on  engraisse  au  maïs  et  au  petit  mil.  Les 
Brebis  et  les  Chèvres  font  plusieurs  portées  par  an  :  elles 
donnent  jusqu'à  quatre  et  quelquefois  cinq  petits  clianue 
fois  ,  K^ue  l'on  ne  soigne  pas  plus  que  les  bœufs  et  les 
chevaux.  La  multiplication  des  volailles  et  des  cochons 
-est  incroyable  ;  ces  derniers  ne  sont  pas  sujets  à  donner 
la  lèpre  comme  les  cochons  européens.  Les  pigeons  font 
jusqu'à  six  ou  sept  pontes  en  autant  de  jours  de  suite  , 
les  couvent,  et  il  en  naît  autant  de  petits  qu'il  y  avait 
d'ceufs. 

L'Europe  peut -elle  se  flatter  d'avoir  une  race  de 
chevaux  aussi  durs  à  la  fatigue  et  aux  privations  que 
'Ceux  de  l'Amérique  ?  Tous  les  Européens  voyageurs  , 
ou  employés  auprès  des  négocians  ou  des  babitans  , 
attesteront  franchement  que  ces  chevaux  ,  qui  ne  sont 
pas  ferrés  ,  font  des  vingt  lieues  d'une  seule  traite  , 
galoppant ,  malgré  l'ardeur  du  soleil  des  tropiques  ,  à 
travers  les  bourbiers ,  les  rivières ,  le  sable  ;  les  pierres , 
les  montées  et  les  descentes  des  montagnes.  Les  chevaux 
de  Buenos- Ayres  sont  renommés  par  leur  légèreté  , 
leur  douceur,  leur  courage  et  leur  sobriété.  Leur  pas  est 
si  vif  ,  qu'il  égale  le  plus  grand  trot ,  et  le  petit  galop 
des  chevaux  européens  ,  et  leur  mouvement  est  beaucoup 
plus  doux  pour  le  cavalfer. 

J'ai  été ,    ainsi    que   des   milliers  d'autres ,  avec   le 


64  OCSERVATIONS    SUR    LES^AHIMAUX 

même  cheval ,  des  Cayes  à  V  Ance-à- Féaux ,  île  Saint- 
Domingue  ,  dans  des  chemins  pareils  à  ceux  ci-dessus  , 
en  neuf  heures  et  demie  de  temps.  Il  y  a  vingt  mortelles 
lieues ,  et  beaucoup  de  montées  et  de  descentes.  Un 
mulâtre ,  nommé  Charles  Daguille  ,  dans  l'intervalle  du 
lever  au  coucher  du  soleil ,  s'est  rendu  sur  le  même 
cheval ,  de  V Ance-à- Veaux  à  Jérémie  ,  il  y  a  trente-une 
lieues,  toutes  à  travers  des  marécages  ,  des  sables  et  des 
montagnes. 

Je  citerais ,  s'il  le  fallait,  mille  traits  de  cette  nature  , 
pour  prouver  que  les  chevaux ,  en  Amérique,  n'ont  point 
dégénéré  en  bonté  ;  quant  à  la  taille  et  à  la  grosseur  ,  il 
y  en  a  de  tous  les  corsages  comme  en  Europe ,  cepen- 
dant plus  grands  et  plus  forts  que  ceux  d'O/ero/i.  Quel 
est  le  cheval  européen  qui ,  après  des  courses  sem- 
blables ,  étant  lâché  tout  suant  dans  une  savanne  dont 
l'herbe  est  brûlée  par  le  soleil  ,  étant  réduit  à  manger 
les  lianes  et  les  feuilles  qui  se  trouvent  dans  les  haies 
d'épines  ,  ou  à  leur  défaut ,  la  fiente  sèche  des  chevaux 
et  le  fruit  desséché  du  Monbin  ,  qui  ressemble  à  un 
pruneau  sec;  étant  exposé  la  nuit,  à  faire  furtivement 
des  courses  forcées  avec  les  Nègres  ,  et  le  lendemain  à 
être  vraisemblablement  monté  de  nouveau  par  son 
maître  ;  quel  est  le  cheval  européen,  je  le  demande  , 
qui  résisterait  à  des  fatigues  et  à  des  privations  sem- 
blables ? 

M.  Bonnet  n'a  pu  s'empêcher  de  convenir  que 
les  bestiaux  des  Etats-Unis  sont  plus  forts  que  ceux 
d'Europe,  surtout  ceux  que  l'on  élève  dans  les  Etats  du 
nord;  quant  à  l'agrément,  il  dit  :  «  Il  y  a  peu  de  che- 
«  vaux  qui  puissent  être  comparés  au  cheval  de  Virginie  ; 
«   ils  sont  d'origine  anglaise.  Il  y  en  a  de  deux  espèces: 


D  E      L'  A  M  £  R  I  Q  TJ  E.  65 

«  Tune  appelée  sang  pur,  c>st-à-c!iï  e  ,  lorsque  Té  talon 
«  et  la  jument  sont,  anglais:  Vautre  sang  mêlé  ,  lorsque 
«  l'une  ou  l'autre  est  née  en  Amérique.  la  seconde 
«  espèce  résiste  mieux.  Le  cheval  rie  Virginie  est  d'une 
«  grandeur  médiocre  ;  il  est  bien  fait  et  court  très-vîte; 
«  mais  l  a  moins  de  force  et  de  taill  3  que  les  chevaux  du 
«  Connecticut  et  des  Etats  du  nord,  ce  qui  le  rend  plus 
«  propre  à  la  selle.  On  en  dresse  beaucoup  pour  des 
«  courses  semblables  à  celles  que  l'on  fait  en  Angle- 
«   terre.  » 

Les  chiens  qu'on  a  amenés  et  qu'on   amène  d'Europe 
en    A.méiique,   ne  cessent  pas    d'aboyer    dans    la   plu- 
part    des  eontrées  du    Nouveau  -  Contin  nt.  ni   de    se 
conserver  sains   et  exempts  d'aucune  atteinte  de  peste 
vénérienne.  Le  chien   d'Europe,   devenu    sauvage   dans 
les    Pampas,    aboie   aussi    fort  que   le  chien    indigène 
de    l'Amérique.    Il  y    en    avait   de    plusieurs    espèces. 
Garcilasso  i  apporte  ,  qu  avant   l'ai  rivée   des   Espagnols, 
les   Péruviens   avaient  une    espèce   de    chien  ,   appelée 
Perros  -  Gosqucz.   Il    donne   le   nom    dîAUco  au   chien 
indigène  ;  celui-ci    paraît  n'être  qu'une   simple  variété 
du  chien  des  bergers;    il  est  plus  petit ,   a  le  poi!  long 
avec  des  taches  brunes,    et  les  oreilles  choites  et  poin- 
tues ;  il   aboie  beaucoup  ,    mais  il  mord  rarement    Les 
prêtres  des  Indiens  de  Xauxa  et  de  Huanca  ,    faisaient 
une  sorte  de  cor  avec  le  crâne  du  chien  Runalco,   avant 
que  VInca  Pachacutec  les  eut  forcés  d  adopter  le  culte  du 
Soleil.   Dans  les  éclipses  de  lune  ,   on  battait  les  chiens 
jusqu'à  ce  que  l'éclipsé  fût  passée.  Le  seul  chien  -  muet 
était  le  Techinidu  Mexique,  variété  du  chien  commun, 
appe'é  TecJdchi,  qu'on  châtrait  pour  engraisser,  et  dont 
on  vendait  la  chair  au  marché  de  Mexico.  Les  Péruviens 
tome  2.  5     ; 


66  oBsinvATioNS  sun  les  animaux 

de  Xauxa  et  de  Huanca  mangeaient  leurs  chiens  Ru- 
nalco.  M.  Paw  ignore  que  les  Bull-àogs  d'Angleterre 
n'aboient  jamais,  et  que  quand  ils  ont  mordu,  ils  ne  là- 
client  jamais  prise.  S'il  eût  écrit  sur  l'Angleterre  ,  il 
n'eût  pas  manqué  d'affirmer  que  les  chiens  ,  dans  ce 
pays,  cessent  d'aboyer,  parce  que  les  Bull-dogs  ne  le  font 
pas.  Quel  dommage  pour  cet  auteur,  que  les  Espagnols 
n'aient  pas  trouvé ,  en  Amérique  ,  une  race  aborigène  , 
velue  comme  celle  des  Touriles,  habitansdes  îles  du  même 
nom  dans  les  mers  méridionales  du  Japon  ,  dont  le 
corps  est  entièrement  couvert  d'une  espèce  de  poils  ou 
de  crins  ,  et  que  les  Japonais,  leurs  conquérans ,  ont 
réduit  à  la  condition  des  bêtes!  cette  découverte  lui  eût 
encore  fourni  les  moyens  d'assurer  que  les  Américains 
étaient  des  animaux  velus,  de  la  race  des  Ourangs-ou- 
tangs  ,  et  que  les  Espagnols  avaient  eu  raison  de  les 
exterminer,  comme  étant  plus  nuisibles  qu'utiles  à  la 
société. 

On  se  trompe  quand  l'on  prétend  :  «  Que  l'iiu- 
«  midité  de  l'atmosphère  en  Amérique  est  la  véritable 
«  cause  de  ce  que  les  animaux  ne  nagent  jamais  dans 
«  aucune  partie  du  Nouveau-Monde.  »  Cette  assertion 
est  de  toute  fausseté.  J'ai  vu  nager  tous  les  animaux 
indistinctement  ,  soit  dans  les  rivières  des  habitations, 
soit  dans  les  rades,  pour  les  embarquer  ou  débarquer. 
Des  contes  de  cette  nature  ne  font  point  honneur  à  un 
écrivain,   quelque  soit  son  mérite. 

J'ignore  dans  quelle  partie  de  l'Amérique  on  a 
amené  des  chameaux:  il  en  est  venu  deux,  à  ma  connais- 
sance ,  a  Saint-Domingue  ;  ils  sont  restés  sur  l'habita- 
tion Caradeux,  au  cul-de-sac,  proche  de  la  ville  du  Port- 
au-Prince  ,  jusqu'au  départ  de  l'armée  française  ,   qui 


de    l'Amérique.  67 

lésa  mangés  en  i8o3,  avant  d'évacuer  Saint-Domin- 
gue. Qu'on  consulte  M.  Humbodlt  ,  il  est  facile  de  se 
convaincre  qu'ils  se  propagent  dans  l'Amérique  méri- 
dionale^ Voyez  aux  Régions  équinoxialesdu  Nouveau- 
Continent  ). 

Parce  que  les  Portugais  ont  eu  plusieurs  fois  l'idée 
de  transporter  des  éléphans  au  Brésil  ,  ce  n'est 
point  une  raison  pour  quils  ne  se  procréent  point , 
si  on  les  abandonnait,  dans  les  forêts,  à  leur  propre 
inclination  ?  Et  puisqu'il  est  prouvé  par  les  ossemens 
de  ces  animaux,  qu'on  a  découvert,  dans  toute  l'étendue 
de  l'Amérique  ,  qu'i  s  y  existaient  en  grand  nombre 
avant  le  déluge  de  ce  pays ,  il  est  juste  de  croire 
qu'ils  pourraient  encore  s'y  procréer ,  et  maintenir 
leur  espèce  dans  cette  même  terre  qui  les  nourrissait 
jadis  ,  et  dont  les  eaux  s'étaient  retirées  plus  de  trois 
cents  ans  avant  l'établissement  des  Portugais  dans  la 
Brésil  ? 

Lorsqu'on  insinue  de  pareils  faits  ,  il  faut  citer  les 
époques  ,  le  nom  des  bâti  mens  qui  ont  apporté  de  pa- 
reils animaux. ,  le  lieu  où  on  les  a  débarqués  ,  et  non 
pas  conclure  souvent  sans  preuves  quelconques ,  et  ss 
contenter  de  dire  en  parlant  de  Don  Prenetty  :  «Le 
«  critique  peut-il  donc  nier  ces  faits,  que  personne 
«   n'a  jamais  révoqués  en  doute.  » 

Quant  à  la  prétendue  dégénération  des  animaux  _,  on 
peut  encore  s'assurer  qu'elle  n'existe  que  dans  l'ima- 
gination ;  car  les  bœufs  y  sont  plus  forts  que  ceux  de 
Salamanque ,  qui  sont  les  plus  grands  de  l'Espagne. 
Il  y  a  plusieurs  espèces  de  taureaux ,  les  uns  sans 
cornes  ,  d'autres  nommés  Nata  ,  Chivosa  ;  parce  que 
leurs  têtes  et  leurs  cornes   sont  tantôt  droites  et  yer- 

5  * 


68  OBSERVATIONS    SUR   LES    ANIMAUX 

ticales  ,  tantôt  coniques  et  très-grosses  à  leur  racine  ; 
les  chevaux  ont  toutes  les  formes  et  tous  les  signes  qui 
caractérisent  la  force  et  la  beauté,  et  les  moutons  ,  les 
pores  ,  les  chèvres  ,  les  volailles ,  ne  laissent  rien  à 
désirer  pour  la  bonté. 

Tout  autre  que  M.  Paw  eût  trouvé  un  motif  nou- 
veau d'adorer  le  Créateur  de  toutes  choses  ,  pour  avoir 
placé,  dans  le  nouvel  hémisphère,  les  animaux  qui  pou- 
vaient lui  convenir ,  sans  s'inquiéter  si  leurs  analogues 
sur  l'Ancien  Continent  étaient  où  n'étaient  pas  d'un 
sixième  plus  forts  ,  et  y  avoir  mis  une  variété  éton- 
nante d'animaux  ,  d'oiseaux,  de  végétaux,  de  miné- 
raux absolument  inconnus  à  l'ancien.  S'il  eût  voulu 
réfléchir  un  instant,  il  eût  senti  que  le  Créateur,  en 
donnant  aux  bètes  féroces  du  Nouveau -Monde  un  ins- 
tinct qui  permet  de  les  apprivoiser  ,  les  a  douées  d'une 
qualité  plus  heureuse  pour  l'espèce  humaine ,  que  celles 
de  V  Ancien  Continent  ,  qu'il  a  armées  dune  férocité  que 
rien  ne  saurait  adoucir;  enfin  que  la  catastrophe  récente 
que  ce  pays  a  éprouvée ,  lui  a  été  favorable  ,  puis- 
que le  ciel,  en  faisant  disparaître  les  éléphans  ,  les  rhi- 
nocéros et  les  hypopotames,  les  a  remplacés  par  des 
Tapirs  ,  des  Pécaris  à  musc ,  des  Tamanoirs  ,  des  Gavia 
et  d'autres  animaux  moins  destructeurs,  et  entièrement 
inconnus  au  reste  de  lUnivers. 

J'observerai  en  passant  que  cet  écrivain,  ens'extasiant, 
comme  il  le  fait ,  sur  la  férocité  des  tigres  de  l'Asie  et 
de  l'Afrique  ,  et  sur  celle  des  premiers  conquérans  de 
l'Amérique  ,  dévoile  des  sentimens  indignes  d'un 
homme  qui  a  la  prétention  d'instruire  le  genre  humain , 
avec  des  Mémoires  ,  où  l'on  cherche  en  vain  l'impartia- 
lité ,    l'humanité   et   sujrtout     cette    candeur  franche  et 


DE     l' AME  RI  Q  U  E.  6$ 

naïve,  que  tout  écrivain  ne  doit  jamais  perdre  de  vue. 
Aussi  ,  en  accordant  à  M.  Paw  cette  férocité  qui  lui 
tient  tant  à  cœur  ,  il  ne  peut  nier  que  les  habitans  de 
l'Amérique  ne  sont  pas  obligés.,  comme  ceux  des  Gran- 
des-Tndes,  d'arroser  et  d'entourer  de  haies,  le  bananier  , 
le  plus  utile  des  végétaux  ,  pour  le  garantir  le  jour  de 
l'ardeur  du  soleil ,  la  nuit  des  attaques  des  bêtes  sau- 
vages ,  et  de  se  renfermer  continuellement  dans  des 
palissades  ,  pour  se  préserver  de  leur  férocité. 

Relativement  aux  dégâts  occasionnés  par  les  fourmis , 
je  lui  ferai  observer  que  ces  insectes  ne  laissent  pas 
d'être  très-utiles,  puisque  les  Fourmis  de  visite  détrui- 
sent les  araignées  ,  les  vers ,  les  mouches  ,  les  rats ,  les 
serpens  ,  les  alligators  ;  qu'elles  ont  fait  certainement 
moins  de  ravage  dans  la  Guyane  ,  que  les  insectes  ailés 
dans  la  Laponie ,  dans  le  pays  des  Tunguscs  ;  que  les 
Taons  qui  occasionnent  la  rage  et  des  maladies  cruelles 
aux  troupeaux  qu'on  laisse  paître  dans  quelques  cantons 
de  l'Irlande  et  de  Suède  ;  que  la  Vermine  entre  le  Bas- 
Danube  et  le  Nieper  ;  que  les  Crapauds  et  les  Saute- 
relles dans  l'Ukraine  ;  que  les  Charansons  et  les  Mouches 
hessoises  apportées  au  Nouveau  -  Monde  par  le  blé 
d'Europe,  dont  on  approvisionnait  les  troupes  hessoises 
à  la  solde  de  l'Angleterre ,  lors  de  la  guerre  d'Amérique  ; 
que  les  Hannetons  qui  ,  en  mai  1816,  ont  mangé 
toutes  les  feuilles  du  bois  de  Châteauroux,  dans  le  dépar- 
tement de  l'Indre  5  que  les  Fers,  les  Limas  ,  les  Che- 
nilles ,  les  Papillons  ,  les  Fourmis  ,  sans  y  comprendre 
la  JSiele ,  la  grêle  dans  toute  l'Europe  (  Voyez  les  Jour- 
naux de  18 16  et  de  i8i7.);que  \ss  Moineaux,,  les 
Oiseaux  de  proie  et  les  Taupes  dans  le  Paiatinat  ,  dans 
les  divers  royaumes  de  l'Europe  ,    dans   la.  Suisse ,   où 


J 


JO  OBSERVATIONS    SUR    LES    ANIMAUX 

l'on  paye  jusqu'à  ce  jour  pour  les  détruire  ;  que  les  La- 
pins >  dans  les  Iles  Baléares  et  en  Espagne;  que  les 
Rats ,  les  Souris,  les  Renards  et  les  Loups  dans  toute 
l'Europe. 

Les  Rais-gris  ,  jusqu'à  ce  jour ,  n'ont  pas  encore  paru 
dnns  le  Cumberland  aux  Etats-Unis. 

En  juillet  1816,  non  loin  du  village  de  Konne- 
witz  ,  au-delà  de  Leipsick ,  la  plus  grande  partie  d'une 
foret  a  été  détruite  par  les  ravages  que  les  souris  des 
champs  causeaient  en  mangeant  l'écorce  des  arbres. 
(  Journal  Général  ).  L'histoire  n'a  jamais  parlé  d'un  fait 
semblable,  relatif  au  Nouveau-Continent. 

En  i8i3  ,  les  environs  de  Vierzon ,  département  du 
Cher  ,  furent  couverts  d'une  quantité  innombrable  de 
chenilles  d'un  vert-lisse ,  avec  des  petites  taches  noires 
et  bieu-de-ciel.  Les  habitans  ,  surpris  de  leur  grosseur  et 
de  leur  longueur  les  conservaient  dans  des  cages.  Ces 
chenilles  avaient  cinq  pouces  de  long ,  et  étaient  grosses 
comme  une  forte  chandelle  des  six  à  la  livre  ;  elles  ont 
détruit  la  majeure  partie  des  pommes  de  terre  et  des 
végétaux. 

La  Nielle  ,  le  Bluet  et  le  Coquelicot ,  si  connus  dans 
les  champs  d'Europe,  ne  se  sont  pas  multipliés  dans 
l'Amérique  septentrionale. 

Ne  sachant  comment  excuser  les  maux  que  l'Europe 
a  occasionnés  à  l'Amérique,  par  l'introduction  des 
rats  et  des  souris  dont  elle  a  empoisonné  le  Nouveau- 
Monde  ,  il  a  imaginé  d'avancer  :  «  que  les  Vers  Tarèts  ou 
«  rongeurs  des  digues  et  des  vaisseaux  ,  qui  ont  fait 
«  trembler  la  Zélande,  étaient  probablement  originaires 
«   d'Amérique.  » 


de   l'Amérique.  71 

Une  assertion  semblable  ,  soutenue  par  un  probable- 
ment  aussi  judicieux ,  annonce  plus  de  partialité  que  de 
bonne  foi.  Est-il  vraisemblable  que  ces  insectes  aient  été 
transportés  du  climat  brûlant  des  Tropiques  dans  celui 
des  Zones  glaciales,  que  leur  multiplication ,  au  bout  de  60 
ans  ,  ait  été  si  prodigieuse  et  si  rapide  dans  les  mers  gla- 
cées du  nord  de  l'Europe  ,  au  point  ,  comme  il  l'avance , 
d'infecter  tous  les  ports  de  cette  portion  du  globs , 
et  d'ajouter  de  nouveaux  dangers  aux  dangers  de  la 
navigation  ,  en  criblant  la  carène  des  navires  sous  les 
p'eds  du  matelot  ? 

Il  est  malheureux  pour  ses  systèmes  injurieux  que 
M.  Kerroux,  dans  son  histoire  de  la  Hollande,  page 
11 59  du  2e  volume  ,  dise:  «  que  ce  fut  en  1730  ,  que 
«  l'on  s'aperçut  des  premiers  ravages  causés ,  par 
«  ces  vers  de  mer,  à  la  digue  de  Westcapelle,  dans 
«  l'île  de  Walcheren  ,  que  1  on  prétendit  qu'ils  étaient 
«  venus  des  Indes  ,  ensuite  de  l'Amérique  ;  tandis  qu'on 
«  en  avait  déjà  aperçu  depuis  longtemps  dans  la  mer  du 
«   Nord  de  l'Europe.  » 

Comment  se  fait  il  que  les  Espagnols  n'aient  jamaisson- 
géà  faire  une  pareille  imputation  à  l'Amérique?  Jusqu'à 
ce  jour,  ce  pays  si  injustement  décrié  par  cet  auteur,  n'a 
pas  encore  eu  à  se  plaindre  de  voir  tomber  fréquemment 
comme  l'Europe  dans  les  divers  royaumes  qui  la  com- 
posent, des  nuées  de  pierres  aérolitlies  ,  dont  quelques- 
unes  pesaient  cent  livres ,  et  les  autres  de  vingt  à  qua- 
rante. 

Qui  aurait  pu  s'imaginer  (pie  l'auteur  des  Recherches 
philosophiques  sur  les  Américains,  en  annonçant  au  pu- 
blic j  des  Mémoires  intéressans  pour  servir  à  Thittoi:  ; 


Jl  OBSERVATIONS    SUR    LES    ANIMAUX 

de  l'espèce  humaine,  ait  poussé  la  prévention  et  la 
mauvaise  foi  jusqu'à  exagérer  et  supposer  bien  des 
faits,  afin  d'mspûer  aux  lecteurs  les  plus  crédules  une 
partie  de  la  haine  que  le  dépit  lui  a  fait  concevoir  contre 
un  pays  préférable  au  sien.  Voilà,  comme  il  le  dit  lui- 
même,  jusqu'où  l'esprit  de  système  peut  entraîner  ceux. 
qui  s'y  abandonnent.  C'est  un  torrent  qui  se  perd  dans 
un  précipice  ,  d'où  la  raison  ne  se  retire  que  diffici- 
lement» 

Personne  ne  contestera  que  l'Europe  doit  à  la 
découverte  de  l'Amérique,  les  améliorations  toujours 
croissantes  de  son  agriculture,  de  son  industrie,  de 
son  commerce  ,  de  ses  arts;  qu'elle  lui  doit,  surtout 
le  développement  de  ces  connaissances,  qui,  en  éclai- 
rant les  esprits,  ont  frappé  tant  d'abus,  et  dissipé 
de  si  funestes  erreurs  ;  que^  sans  les  Colonies  ,  il  n'y 
aurait  plus  de  prospérité  depuis  Cadix  jusqu'à  Archangel, 
dans  les  villes  comme  dans  les  campagnes,  sur  les  bords 
de  la  mer  ,  comme  dans  l'intérieur  des  terres;  puisque 
le  bien-être  des  Euiopéens  ,  puissans  ou  faibles,  riches 
ou  pauvres  ,  cultivant  les  lettres  ,  les  sciences,  les  arts, 
ou  simples  ouvriers,  est  subordonné  au  sort  des  Colonies 
du  JNouveau-Monde. 

Si  Ton  pouvait  douter  encore  que  la  découverte  de 
l'Amérique  fût  un  bonheur  pour  le  reste  du  monde, 
je  me  contenterais  d'observer  qu'elle  a  produit  de 
nouveaux  rapports  politiques  entre  les  diverses  nations  , 
de  nouvelles  directions  dans  le  commerce  ,  des  besoins 
nouveaux,  il  est  vrai ,  mais  qu'elle  satisfait  dune  manière 
agréable  ;  que  c'est  à  l'ambition  désordonnée  de  cer- 
tains princes  de  1  Europe  ,  et  non  à  l'Amérique  ,  que  les 


t>  e    l'Amérique» 


7* 


Européens  doivent  attribuer  les  nouveaux  sujets  de  guerre 
entre  les  souverains  ;  enfin  que  l'Europe  a  changé  près- 
qu'entièrement  de  face,  depuis  que  les  trésors  du  nouvel 
hémisphère  y  ont  circulé  ,  et  que  les  arts,  les  sciences 
et  la  civilisation  y  ont  fait  des  progrès  inconnus  aux 
siècles  antérieurs. 


74  POPULATION      r>E      L*  EUROPE 


LIVRE  QUATRIÈME. 


CHAPITRE    PREMIER. 

Population  de  l'Europe   et  de  V Amérique, 

X  lusieurs  observateurs ,  tels  que  M.  de  Buffon  ,  ont 
cru  reconnaître  dans  quelques  nations  de  l'Amérique  , 
les  mœurs  des  anciens  peuples  de  l'Asie  ,  et  en  ont  con- 
clu que  les  Américains  descendaient  de  ces  derniers. 
Cette  assertion  est  hasardée.  La  nature  des  hommes  étant 
partout  la  même  ,  partout  ils  sont  asujétis  aux  mêmes 
besoins  :  il  n'est  donc  pas  extraordinaire  que  quelques 
usages  se  ressemblent.  Les  mœurs  d'un  peuple  se  ressen- 
tent toujours  des  localités  ;  aussi  voit-on  des  nations  qui 
vivent  sous  le  même  climat,  avoir  les  mêmes  goûts  et 
les  satisfaire  de  la  même  manière,  sans  qu'il  y  ait  jamais 
eu  entre  elles   aucune  communication. 

La  population  primitive  de  l'Amérique  a  dû  être  un 
composé  de  peuples  divers,  dont  le  centre  était  parvenu 
a  un  degré  considérable  de  civilisation,  tandis  que  le 
Nord  et  le  Sud  étaient  peuplés  de  races  à  demi-civiiisées, 
environnées  d'un  certain  nombre  de  hordes  sauvages.  La 
première  origine  des  Mexicains  est  demeurée  envelop- 
pée d'épaisses  ténèbres.  Les  recherches  des  hommes  les 
plus  habiles  ont  été  infructueuses  à  cet  égard.  Point  de 
ressemblance  entre  leur  langage  et  celui  des  Péruviens,  ou 


ET     DE     L' AMÉRIQUE.  /5 

celui  des  autres  Américains,  ni  avec  la  langue  des  Malais, 
quoique  ceux-ci  aient  peuplé  les  nombreuses  îles  de 
l'Océan  pacifique.  Leurs  traits,  les  formes  des  animaux  de 
leur  pays  diffèrent  essentiellement  de  ceux  de  l'ancien 
Continent.  Il  paraît  naturel  de  penser  que  le  Créateur  a 
formé  une  race  particulière  d'hommes  et  d'animaux  pour 
ce  Continent,  comme  il  Ta  fait  pour  l'Afrique  ,  au  moins 
dans  ce  qui  regarde  les  hommes. 

Les  Arithméticiens  politiques  ,  qui  se  sont  occupés  à 
calculer  le  nombre  des  individus  qui  peuvent  exister  dans 
l'univers,  s'accordent  en  général  a  reconnaître  que  la 
population  de  l'Amérique  l'emporte  de  beaucoup  sur 
celle  de  l'Europe. 

Dapper ,  qui  avait  étudié  avec  quelque  attention  les 
relations  connues  de  son  temps  ,  était  persuadé  que  la 
population  du  nouvel  hémisphère  surpassait  considé- 
rablement celle  de  l'Europe,  et  qu'elle  égalait  celle  de 
l'Asie,  qu'on  suppose  de  quatre  cents  et  quelques  mitions. 

Riccioll,  que  M.  Paw  ,page  64  du  Ier.  volume,  ap- 
pelle impertinent  calculateur  ,  ne  place  pas  moins  de 
trois  cent  millions  d  hommes  en  Amérique  :  ce  qui  ap- 
proche de  l'opinion  de  Dapper,  qui  croit, comme  je  l'ai 
dit,  que  les  Américains  sont  aussi  nombreux  que  les 
Asiatiques.  Un  savant  d'Allemagne ,  nommé  Susmilch  , 
qui  s'est  signalé  par  son  opiniâtreté  à  faire  pendant 
quarante  ans  des  recherches  sur  le  nombre  d'hommes 
répandus  sur  la  totalité  du  globe  ,  en  place  six  cent  cin- 
quante millions  en  Asie,  cent  cinquante  millions  en  Afri- 
que, autant  en  Amérique  et  cent  trente  millions  en  Eu- 
rope :  ce  qui  fournit  un  excédent  de  vingt  millions  en 
faveur  de  l'Amérique. 

Une  population  semblable   démontre  le  cas  que   ion 


7*>  POPULATION    DE     L*  E  TJ  R  O  P  E 

doit  faire  des  rapports  inconsidérés  de  cet  auteur,  qui  per- 
siste, en  dépit  des  conquéruns  et  des  écrivains,  à  repré- 
senter le  nouveau  monde  comme  une  solitude  prodigieuse, 
dont  la  race  humaine  n'occupait  qu'un  point.  Quelle  idée 
aurait-on  de  lui ,  si  l'on  tablait  surtout  sur  les  données  , 
ou  plutôt  sur  les  calculs  de  Riceioli  et  de  Dapper  ?  Un 
pays  qui  est  remarquable  par  la  ferti  ité  de  son  sol  ,  la 
beauté  et  la  bonté  de  son  climat  ,  doit  être  propice  à  la 
fécondité  de  l'espèce  humaine,  et  conséquemment  faire 
supposer  que  ,  si  la  population  américaine  n'égalait  pas 
tout-à-fait  celle  de  l'Asie,  elle  ne  devait  pas  s'en  éloigner 
de  beaucoup» 

Il  trouve  que  le  dénombrement  de  l'Europe  pa- 
raît être  fait  avec  la  dernière  ponctualité,  et  qu'il  est 
peut-être  impossible  à  approcher  davantage  de  la  vérité, 
mais  que  la  même  table  de  M.  Susmilch  renferme  plutôt 
une  estime  qu'un  calcul ,  en  faisant  contenir  six  cent  cin- 
quante millions  d'âmes  à  l'Asie  ,  cent  cinquante  millions 
a  l'Afrique,  et  cent  cinquante  millions  à  l'Amérique  ; 
parce  que,  selon  lui,  le  dénombrement  de  l'Afrique  est  à 
coup  sûr  fautif,  puisque  Von  ne  connaît  ,  dit-il  ?  que  les 
côtes  de  cette  vaste  portion  de  V Ancien  Continent ,  et  que 
ta  population  de  ses  cotes  est  très-considérable  ,  à  en  juger 
par  la  traite  des  Nègres.  M.  Paw  s'est  doublement  trompé, 
parce  que  les  côtes  fournissent  au  plus  le  quart  des  es- 
elavesqu'on  achète  dans  ce  pays  ,  et  que  ,  pour  s'en  pro- 
curer une  quantité  suffisante ,  il  faut  les  aller  chercher 
jusqu'à  cent  et  même  deux  cents  lieues  ,  dans  l'intérieur 


des  terres. 


Quant  à  la  population  de  l'Amérique,  il  la  trouve 
exagérée  ,  parce  qu'il  s'ensuivrait ,  selon  lui  ,  qu'il  y 
aurait  à  peu  près  treize  à  quatorze  personnes  sur  un  mille 


ET    DE    l'  AMÉRIQUE.  77 

anglais  en  carré,  et  celle  de  l'Asie  étonnante,  parce 
qu'elle  contiendrait  à  elle  seule  plus  d  hahitans  que  le 
reste  de  l'univers  connu  ;  quoiqu'elle  ait ,  selon  Tempel- 
man ,  dix  millions  deux  cent  cinquante  sept  mille 
quatre  cent  quatre-vingt  sept  mille  anglais  en  carré  •  et 
il  trouve  que  le  dénombrement  de  l'Europe  est  de 
la  dernière  ponctualité,  quoique  cette  portion  du 
globe  n'ait  que  neuf  cent  trente  -  neuf  mille  anglais 
en  carré  ,  qu'elle  soit  trois  fois  plus  petite  que  l'Amé- 
rique, et  qu'elle  contienne  1 38  hommes  et  une  fraction 
d'homme  par  mille  anglais  en  carré. 

N'est-il  pas  absurde   de  prétendre  donner  comme  un 
calcul  juste  ,  la  supposition  qu'on  dit  avoir  été  faite  de 
la  population  de   la  Virginie,  lors  de  l'arrivée  des  pre- 
miers Anglais  dans  ce  pays,  et  d'affirmer,  sur  l'estimation 
de  gens  qui  sont  restés   constamment  sur  le  bord  de  la 
mer  àchercherde  l'or  à  l'embouchure  de  la  rivière,  qu'il 
n'existait  que  cinq  cents  Américains  sur  un  terrain  de  60 
lieues  carrées;  que  dans  la  Floride  française  ,les  Ang'ais, 
après  le  traité  de  Fontainebleau,  n'ont  pu  y  compter  huit 
mille  personnes  ,   tandis  que   les  peuplades  seules  d'In- 
diens libres,  qui  ont   survécu  aux  massacres  réitérés  des 
Européens,  fournissent  encore,  de  nos  jours.,  une  popula- 
tion  de  quarante-cinq  mille  âmes  qui  occupent  55  vil- 
lages ;  que  sur  les  limites  de  la  Géorgie  ,  on  porte  à  plus 
de   quinze  -  cent   mille  ,    le    nombre    des    guerriers   in- 
diens indépendans  ,  et    à  près   de  quarante-cinq  mille  , 
ceux   qui   sont   établis   en    Géorgie.    C'est  d'après  des 
données   semblables  à  celles  ci-dessus,  qu'on  a   avancé 
que  le  Chiraguay  ,    qui  a  cent  lieues  d'étendue  ,   et  cin- 
quante de  large,  ne  contenait  tout  au  plus  que  vingt  mille 
Sauvages ,  tandis  crue  malgré  les  guerres  cruelles  qu'on 


78  POPULATION      DE     L 'EUROPE 

leur  a  faites  ,  on   en   compte  encore   soixante-dix-lmil 
mille  ,  qui  habitent  des  villages  et  des   villes   où  l'on 
trouve  des  maisons  assez  bien  bâties  ;  que  dans  la  Guyane 
qui  paraît  être  une  fois  plus  grande  que  la  France ,   on 
n'a  compté,  au  moment  de  la  découverte  ,  que  vingt-cinq 
mille  âmes  .  tandis  qu'aujourd'hui  même  ,  on  y  compte 
au  moins  ddix-cent  mille  Indiens  réunis  aux  Français , 
aux  Hollandais  ,  et  aux  Portugais  ;  qu'on  connaît  de  plus 
une  quarantaine  de  peuplades  libres,    dont  la  population 
excède  cent  mille  âmes.   C'est  par  suite  de  cet  esprit  de 
dépréciation,    qu'il   avance,    qu'en    remontant  vers   le 
Nord,  on  a  parcouru  trois  cents  lieues  en  tous  sens,  sans 
rencontrer  une  famille  ,  une  cabane  ,  sans  voir  un  être  à 
face   humaine.  Si  cet  écrivain  avait  parcouru  la   Terre- 
Ferme  proprement  dite  ,  il  eût  appris,  à  son  grand  éton- 
nement  ,  qu'on  y    compte    les   Indiens  par    centaines 
de  mille  ,  ainsi  que  dans  le  Brésil ,   dont  on  ne  connaît 
qu'une    vingtaine   de    peuplades  ;   que    sur  la  côte    du 
Mississijyi  et  dans   la  Louisiane  ,    Ton  rencontre    plu- 
sieurs centaines  de  milliers  d'Indiens  libres,  sans  compter 
ceux  qui  se   sont  fixés  parmi  les  Européens  ;  qu'à  l'O- 
rient ,  et  en  allant  vers  l'Occident,  un  peu  vers  le  Nord, 
du  coté  du  Canada  et  dans  le  Canada  même,  on   trouve 
une   cinquantaine   de  tribus  dont    le  nombre    s'élève   à 
plus  de  cent  mille  hommes  ;   enfin  ,    que   si    la  popula- 
tion des  Péruviens  et  des  Mexicains   a  été  exagérée  par 
les  Espagnols,  elle  n'en  était  pas  moins  considérable. 

Ne  serait-on  pas  fondé  à  lui  demander  d'où  il  a 
tiré  des  renseignemens  semblables  ?  Comment  se  flat- 
ter de  pouvoir  donner  au  juste  la  population  d'un  im- 
mense Continent,  où  erraient  un  grand  nombre  de  nations 
sauvages ,  qui  n  ont  jamais  songé  eiies-mêmesà  compter 


* 


ET     DE     L'AMERIQUE.  jn 

leur  propre  mombre  ?  Quel  est  le  voyageur  qui  puisse  en 
parler  aussi  pertinemment,  qui  ait  eu  assez  de  crédit  ou 
d'autorité  pour  parcourir  impunément  tous  ces  pays,  et 
faire  comparaître  devant  lui  tous  les  habitans  de  chaque 
canton,  afin  d'en  faire  un  recensement  exact,  ou  une 
approximation  exempte  d'erreurs  grossières  ?  On  sait 
d  ailleurs  que  les  Espagnols  et  les  Portugais  qui  possèdent 
la  partie  du  Nouveau-Monde  la  plus  considérable  et  la 
p]  js  peuplée  ,  sont  très-attentifs  à  dérober  la  connais- 
sance exacte  de  leurs  forces  :  et  personne  n'ignore  qu'il 
y  a  encore  de  vastes  contrées  en  Amérique  ,  tant  dans  le 
pays  conquis,  que  dans  ceux  où  l'on  n'a  jamais  pénétré  , 
qui  seraient  susceptibles  d'offrir  de  grandes  acquisitions 
pour  l'histoire  de  l'homme ,  et  dont  on  a  soustrait  à 
dessein  la  connaissance  au  public. 

Il  me  semble  qu'il  est  aussi  difficile  d'évaluer  avec  quel- 
que certitude  ,  le  nombre  des  habitans  qui  composaient  le 
royaume  deMotézuma,  que  de  prononcer  sur  l'ancienne 
population  de  l'Egypte,  de  la  Perse,  de  la  Grèce ,  et  du 
Latium.  Les  ruines  étendues  des  villes  et  des  villages 
que  M.  Humboldt  a  observées  sous  les  ï8  et  200  de  la- 
titude ,  dans  l'intérieur  du  Mexique ,  prouvent  que  la 
population  de  cette  partie  du  royaume  était  jadis  bien 
supérieure  à  celle  qui  existe  aujourd'hui.  Quoiqu'il  en 
soit,  on  avait  évalué  en  i793  ,  la  population  de  toute  la 
Nouvelle  -  Espagne  à  cinq  millions  deux  cent  mille 
âmes  ,  nombre  qui  était  probablement  au  dessous  de  la 
population  existante ,  puisqu'aucune  calamité  publique 
n'avait  affligé  ce  pays.  Depuis  le  dénombrement  de  i7q3  , 
M.  Humboldt,  en  1802,  l'a  estimé  à  six  millions  cinq 
cent  mille.  Les  Indiens,  d'après  les  renseignemens qu'on 
lui  a  fournis  sur  les  lieux  ,  forment  les  deux  tiers  de  la 


80  POPULATION      DE     l'eTJÏIOPE 

population  du  Mexique  ,  c'est  à-dire,  trois  mi  lions,  six 
cent  soixante  six  mille  six  cent  soixante-six  âmes.  Dans  la 
province  d  Oaxaea,  sur  cent  individus, on  compte  quatre- 
vingt-huit  Indiens.  Ce  grand  nombre  d  indigènes  prouve 
combien  la  culture  de  ce  pays  est  ancie  nne.  Aussi , 
trouve  t-on  près  d'Oaxaca ,  des  restes  de  monumens 
d'architecture  mexicaine,  qui  annoncent  une  civilisation 
singulièrement  avancée. 

Je  crois,  comme  M.  Paw  ,  que  les  Espagnols,  accour.  r- 
mes  à  peindre  tous  les  objets   avec  des  proportions  ou- 
trées,   ont  exagéré  la  population  des  Péruviens   et  des 
Mexicains.    Cette    exagération,  malgré     tout,   prouve 
qu'ils  ont  trouvé  dans  ces  régions,  une  mulitude  prodi- 
gieuse d'individus  ,etque  si  leur  nombre  a  diminué  dune 
manière  sensible  ,    cette  diminution  a  été  le  résultat  des 
sacrifices  ,  des  guerres  que  les  Indiens  se  font  entreux  , 
des  guerres  à  mort  que  les  Espagnols  ,    les  Portugais  et 
les  Anglo-  Américains  n'ont  cessé  de  leur  faire  ,  et  de  la 
traite  que  l'on  faisait  de  ces  mêmes  indigènes.  Le  com- 
merce  des  esclaves  américains ,  (observe  M.  Humboldt 
dans  son  Voyage  aux  Rég.  équin.  du  Nouveau  Conlin  nt) 
se  faisait  au  seizième  siècle,  avec  une  activité  étonnante 
aMacarapan,  appelle  anciennement  Amaracapana,  à  Cu- 
mana,   à  Araya,  et  surtout  à  la  nouvelle  Cadix  ,  fondée 
dans  l'ilot  de  Cubagna  ,  pour  payer  le  quint  aux  officiers 
de  la    couronne,    et  les   renvoyer  à   Saint-Domingue, 
après  avoir  souvent  changé  de  maîtres  ,   non  par  la  voie 
d'achat  ,    mais  parce  que  les  soldats  les  jouaic  nt  au  dé. 
Si  à  ces  maux  ou  joint  la  multitude  des  Indiens  brûlés 
par    les  Dominicains  de  l'inquisition;   submergés   à  la 
pêche  des  perles  ;  écrasés  sous  le  poids  des  fardeaux  et 
des  exactions  5   ceux   détruits  par  la  petite  vérole  epi , 


IT    DE    L'AMERIQUE.  8l 

lors  de  son  apparition  dans   l'île  de  Cuba ,  moissonna 
soixante    mille   âmes  ,   fit  éprouver  à  Saint-Domingue 
une  perte  deux  fois  plus  considérable  ,  et  détruisit  six 
millions  d'Américains  sur  le  Continent  d'Amérique  ;  les 
maladies  ,  la  famine  ,   le  poison  ,  le  dévouement  de  ces 
peuples  aux  mânes  de  leurs  Caciques,   qui  coûtaient, 
pour  un   petit  chef,  la  vie  de  quatorze  personnes,    et 
vraisemblablement  celle  de  milliers  d'êtres,  pour  former 
dans  l'autre  monde  la  suite  des  Incas,  et  des  prédéces- 
seurs de  Motézuma  qui  commandaient  à  plusieurs  na- 
tions  les  victimes  innombrables  qu'ils    sacrifiaient   aux 
idoles  ;  la  mort  accidentelle  ,  naturelle  ou  forcée  ;    et, 
par-dessus,  tout  le  nombre  incalculable  de  Péruviens,  de 
Mexicains  et  de  Brésiliens,  enfouis  \ivans  et  journelle- 
ment dans  les  mines  où  les  vainqueurs  les  entassaient  et 
les  entassent  encore  inhumainement  3  ces  causes,  je  crois, 
seront  suffisantes  ,  pour  convatnere  tout  homme  impar- 
tial, que  l'Amérique  était  pour  le  moins   aussi  peuplée 
que  M.  Susmilch  l'a  supposé. 

Quand  on  pense  que  les  Espagnols  ont  détruit  plus  de 
douze  millions  d'Américains  ,  en  peu  d'années ,  et  les 
Anglais  plus  de  six  millions  d'Indiens  dans  une  année  ; 
on  ne  doit  plus  être  étonné  des  révolutions  du  règne 
animal. 

N'est-il  pas  étrange  de  voir  M.  Paw  recourir  sans 
cesse  à  de  vaines  subtilités  ,  pour  détendre  la  thèse  qu'il 
doit  être  honteux  d'avoir  avancée?  Encore  une  fo  s , 
l'auteur  des  recherches  sur  les  Américains  ,  n'est  pas 
conséquent  avec  lui-même  ,  lorsqu'il  prétend  que  les 
femmes  du  Nouveau  -  Monde  sont  sujètes  à  la  stérilité, 
et  qu  elles  cessent  d'avoir  des  enfans  à  trente-six  ans. 
D'où  seraient  donc  sortis  les  douze  millions  de  Mexicains 

tome  2.  6 


S2  POPULATION     DE     LEUROPE 

qu'il  dit  avoir  été  égorgés  par  les  Castillans  ;  les  trois 
millions  de  Péruviens  qui  expirèrent  sous  les  coups  de 
Pizarre  et  successeurs  ;  les  millions  de  Elorides ,  que 
[Ferdinand  Soto  massacra  ;  les  cadavres  dont  la  morta- 
lité avait  jonché  la  terre  partout  où  les  Espagnols  péné- 
trèrent, au  point  que  les  vivans  ,  dit  M.  Paw  ,  ne  suffi-  ' 
fiaient  pas  pour  y  enterrer  les  morts  ;  les  deux  tiers  de 
Brésiliens  que  les  Portugais  assassinèrent;  les  dix  mil- 
lions d'Indigènes  que  les  Français  ,  les  Anglais  ,  les 
Hollandais  et  les  Anglo-Américains  ont  détruits  depuis 
le  Cap  Horn  jusqu'à  la  baie  de  Wager  ,  les  deux  millions 
d'Insulaires  que  les  Espagnols  immolèrent  à  leur  fureur 
dans  les  Antilles? 

Peut-on  supposer  que  le  Continent  d'Amérique,  qui 
offrait  tant  de  ressources  et  tant  de  variétés  ,  fut  une 
solitude  prodigieuse  dont  la  race  humaine  n'occupait  qu'un 
point ,  lorsqu'il  est  avéré  que  Saint-Domingue  possédait 
près  de  deux  millions  d'Indigènes;  Cube  un  million 
liuit  mille  ,  et  les  autres  îles  ,  une  population  propor- 
tionnée à  leur  étendue  et  au  produit  de  leur  territoire. 

M.  Paw,  sentant  la  futilité  de  son  assertion,  l'aban- 
donne pour  avancer  qu'on  ne  peut  pas  attribuer  la  dépo- 
pulation de  l'Amérique  aux  massacres  et  aux  cruautés 
des  Espagnols ,  puisque"/  a  passé  ,  dit-il ,  dans  les  Indes 
occidentales  ,  plus  à? Européens  qu'on  j"  a  détruit  d'Indi- 
gènes ;  car  si  Y  Espagne  ,  conclut- il,  contenait,  du 
temps  de  Ferdinand -le -Catholique  ,  vingt  millions 
d'habitans  ,  on  peut  hardiment  assurer  que  jamais  sa  popu- 
lation n'a  été  plus  forte  ,  et  il  s'ensuit  qu'en  décomptant 
les  Maures  et  les  Juifs  expulsés ,  il  est  passé  en  un  laps 
de  deux  cent  soixante  ans,  huit  millions  d'Espagnols. 

Qui  se   serait  attendu  à    un  raisonnement   et   à  une 


ET     DE     L'AMÉRIQUE.  83 

conclusion  semblables  de  la  part  d'un  homme  qui  refuse 
des  connaissances  aux  Améfi  ains?  Par  e  que  I  Espagne, 
du  temps  de  Ferdinand,  contenait ?  vingt  millions  d'iiabitans  , 
on  peut  hardiment  assurer  ,  dit-il  ,  que  jamais  sa  popu'a* 
tion  n'a  été  plus  forte.  Voilà  une  conséquence  qui  n  est 
nullement  conséquente  ;  et  pour  prouver  son  raisonne- 
ment à  fortiori ,  M.  Paw  conclut  très-Savamment  •  il 
s'ensuit  qu'en  décomptant  Les  /Maures  et  les  Juifs  expulsés 
il  est  passé  en  un  laps  de  deux  cent  soixante  ans  ,  huit 
millions  d'Espagnols.  Comme  ce tte  conclusion  est  aussi 
concluante  que  la  conséquence,  le  lectcu--,  je  l'espère, 
me  saura  gré  de  ne  point  m'appesantir  sur  un  raisonne- 
ment aussi  absurde. 

Prétendre  que  la  dépopulation  de  l'Amérique  n"a  pas 
été  occasionnée  principalement  par  les  massacres  et  les 
cruautés  des  Espagnols  ,  c'est  s  obstiner  à  nier  l'authen- 
ticité d'un  fait,  que  personne  ne  met  en  doute.  Affirmer* 
qu'il  a  passé  ,  dans  les  Indes  occidentales  ,  plus  d  Euro- 
péens qu'on  y  a  détruit  d'Indigènes,  c'est  avancer  une 
erreur  ;  puisqu'en  supposant  que  l'Europe  ,  depuis 
lan  i  5oo  ,  ait  envoyé  cinquante  mille  hommes  par  an, 
jusqu'en  1770,  moment  où  M.  Paw  a  écrit  son  ouvrage  , 
cela  ne  ferait,  dans  un  laps  de  deux  cent  soixante-dix 
ans,   que  treize  millions  cinq  cent  mille  Européens. 

Et  si  l'on  comptait  les  Nègres ,  ajoute-t-il,  on  trouve- 
rait que  le  Nouveau-Continent  a  reçu  plus  d'hommes  de 
V Ancien  Monde  ,  qu'il  nen  existait  au  moment  de  la 
découverte  de  l'Amérique. 

Quoique  cet  auteur  sorte  encore  de  1  état  de  la  ques- 
tion ,  qui  n'embrasse  que  l'Europe  et  l'Amérique  ,  je 
répondrai  que  cette  assertion  n'est  pas  plus  exacte 
que  la  précédente  ;  puisque  ce  ne  fut  qu'en  i5i-j,  qu'on 

6* 


$4  POPULATION     DE    l' EUROPE 

amena  pour  la  première  fois  mille  Nègres  à  Saint-Do  s 
mingue  ,   dont  la  moitié  fut  envoyée  au  Mexique;  que 
jusqu'en  i538,   on  ne  transporta  pas  en  Amérique  au- 
delà  de  six   mille  Nègres  par  année;  qu'en    1539.,    on 
en  envoya  de    dix   à   douze    mille  ;    que  depuis  1540 
jusqu'en  1600,  le  nombre  pouvait-être  de  vingt-cinq  à 
trente  mille  par  an;   que  de  1600  à  1700,  l'Amérique 
recevait  annuellement  de   trente-cinq  à  quarante  mille 
têtes  d'esclaves;  que  ce  commerce  jusqu'en  1760  ,  s'est 
augmenté  jusqu'à  cinquante  mille  par  an  ,  et  que  depuis 
1760  jusqu'en    1770  ,  ce    trafic  a    été  porté   à  environ 
soixante  mille   par   an;  ce    qui,    au    plus  haut    total, 
fournit   neuf    millions   quatre  cent    trente-trois   mille 
Nègres  ,   Négresses  ,    Négrillons ,    Négrittes  ;    pour  le 
terme    moyen ,    huit  millions   d'Africains  ;  et  pour   le 
grand  total  ,   y  compris   les  Blancs  et  les  neuf  millions 
quatre  cent  trente-trois  mille  Nègres,  vingt-deux  mil- 
lions neuf  cent  trente  -  trois  mille    individus;   c'est-à- 
dire  ,  à  peu  près  la  septième  partie  des  habitans  que  l'on 
a  reconnus  à  l'Amérique. 

J'observerai  que  j'ai  non-seulement  forcé  le  nombre 
de  Nègres  dans  les  cent  premières  années  de  l'établis- 
sement des  Européens  en  Amérique ,  mais  encore  que 
j'ai  exagéré  celui  des  Blancs  qui  ont  été  se  fixer  dans 
le  Nouveau-Monde  ,  et  qui ,  pour  ne  pas  végéter  misé- 
rablement dans  leur  pays  natal,  ont  été  forcés  en 
quelque  sorre  d'aller  vivre  et  mourir  en  Amérique  , 
séjour  de  la  cordialité,  de  la  bienfaisance,  qui  offre, 
quoi  qu'on  en  dise  plus  de  villes  et  de  bourgades  que 
Y  Allemagne  n'a  de  villes  murées. 

Encore  une  fois ,  ce  ncst  point  ainsi  qu'on  écrit 
l'Histoire  Naturelle   de   l'Homme  ,   et   celle  d'un  pays 


n    se     l'  a  m  £  r  i  q  u  e.  85 

nouveau  ,  lorsqu'on  veut  instruire  ses  semblables  sur 
des  faits  qu'ils  peuvent  ne  pas  connaître,  ou  qu'ils  n'ont 
jamais  été  a  même  de  vérifier  ,  pour  en  apprécier  la 
valeur  on  l'exactitude. 


SUR    LA    CONSTITUTION. 


DES 


PREMIERS    AMERICAINS, 

Juour  pallier  les  malheurs  sans  nombre  occasionnés  par 

cette  peste    horrible  ,    à    laquelle    les   Européens  ont 

donné  le  titre  modeste  de  petite  Vérole ,    et  qu'ils  ont 

introduite  en  Amérique  ,  M.  Paw,  pag.   19  du  Ier  vol.  , 

dit ,     avec   une    assurance    qui    n'appartient    qu'à    lui  : 

«    Que  la  Maladie  Vénérienne  ,  qu'on  a   nommée  ,    par 

«   opposition  la  G. . .  .  V. . . .  ,  est  née    en  Amérique  ? 

«   parce  que  ces  contrées  avaient  eu  recours  à  quantité 

«   de  remèdes,  pour  en  retarder  les  progrès  extrêmes  ; 

«   et  page  22  du  même  vol. ,   que  la  chair  des  Améri- 

«   cains ,  n'étant  autre  chose  qu'un  vrai  levain  variolique 

«   dans  sa  plus  grande  activité  .,  il  suffisait  de  séjourner 

«   dans  leur  pays  pour  y  gagner  la  goutte  sereine  etle  mai 

«   vénérien  sans  contact ,  les  germes  en   étant  comme 

k   répandus  dans  l'atmosphère.  » 

Que  signifie  cette  réticence  ,  les  germes  en  étant, 
comme  répandus  dans  l'atmosphère  ?  S'ils  ne  l'étaient 
pas  ,  pourquoi  donner  à  entendre  une  fausseté  ?  Si,, 
comme    M,   Paw  le  prétend  ?   l'air   donnait  la   gouite* 


86  SCR     LÀ     CONSTITUTION 

sereine  et  le  mal  vénérien  _,  affectait  les  facultés  physi- 
ques et  morales  des  Américains  ;  si  une  immense 
quantité  de  vers  ascarides  et  cylindriques  les  persécu- 
ta ent  à  tout  âge  ;  si  ,  la  liqueur  du  fiel  était  édulcorée 
en  eux  ,  ou  ne  coulait  pas  abondamment  ,  comme  dans 
lésenfans  mâles  des  Européens  ;  si  les  vers  cylindriques 
leur  restaient  jusqu'à  la  dix-septième  ou  dix-huitième 
année  ,  temps  auquel  la  bile  doit  acquérir  assez  d'acri- 
monie pour  nettoyer  le  canal  intestinal,  en  tuant,  par 
son  amertume  ,  les  insectes  logés  dans  ses  replis  ;  si  la 
transpiration  insensible  était  moindre  dans  les  Indiens 
occidentaux  ,  qu'elle  ne  devait  l'être  ,  au  point  de  les 
contraindre  à  se  racler  la  peau  jusqu'au  sang  ,  à  se 
frotter  de  graisses  pénétrantes,  à  se  manier  fortement 
les  membres  pour  les  tenir  souples  ,  et  en  prévenir  l'en- 
gourdissement ;  s'ils  étaient  obligés  de bo're  continuelle- 
ment de  la  salsepareille,  du  gay \c  .  de  la  lobclia,  pour 
empêcher  le  mal  endémique  et  national  de  dégénérer 
en  excès  ;  de  mâcher  continuellement  du  coca  et  du 
caamïni  pour  les  faire  cracher,  et  les  délivrer  dune 
quantité  d'humeurs  malignes  ;  de  se  mettre  du  tabac 
dans  le  nez  et  dans  la  bouche  ,  pour  provoquer  l'écoule- 
rnent  pi tui taire  ,  et  tuer  les  vers  intestinaux;  si  la  lan- 
gueur et  l'indifférence  des  Américains  pour  les  femmes  , 
avaient  été  telles  que  M.  Paw  l'avance;  est- il  probable, 
est-il  possible  que  ces  peuples  ,  chargés  d'autant  d'afilic- 
tions  ,  eussent  pu  survivre  à  tant  de  fléaux  ,  au  milieu 
d'un  pays  désert,  rempli  de  marécages.  Leur  popula- 
tion n'eût  pu  faire  face  à  leurs  guerres  ,  à  leurs  sacrifices, 
puisque  les,  Espagnols  accusaient  Moiézuma  de  laisser 
immoler,  tous  les  ans,  vingt  mille  enfans.  L'auteur, 
qui  feint  de  ne  pas  croire  à  ce  rapport ,  cite  cependant  à  ce 


DES  PREMIERS  AMERICAINS.  87 

sujet ,  par  manière  d'acquit,  l'Histoire  Générale  de  l'A- 
mérique publiée  par  le  père  Touron  en  1768  et  69  ; 
ainsi  que  Herrera ,  qui  prétend  qu'Ahuitzol  immola 
soixante-quatre  mille  hommes  à  la  dédicace  du  temple 
de  Mexico  ,  et  qu'on  trouva  cent  trente  mille  crânes 
de  personnes  qui  avaient  été  sacrifiées.  Est-il  vraisem- 
blable ,  dis-je  ,  que  la  population  américaine  eût  pu  , 
pendant  dix  ans  et  plus ,  fournir,  malgré  cette  destruc- 
tion ,  autant  de  millions  de  victimes  à  la  rage  des  Espa- 
gnols ;  que  cette  poignée  d'aventuriers  n'eût  pas  suc- 
combé elle-même  sous  les  miasmes  d'un  air  aussi 
pestiféré  ,  que  l'odeur  des  cadavres  sur  lesquels  les 
conquérans  marchaient ,  devaient  rendre  encore  plus 
mortel  ? 

M.  Paw,  au  lieu  d'avancer  au  hasard  des  faits 
semblables  ;  aura't  dû  commencer  par  prouver ,  d'une 
manière  irréfragable  ,  que  les  Américains  avaient  eu 
recours  à  quantité  de  remèdes  ,  pour  retarder  les  pro- 
grès du  mal  vénérien.  Il  s'en  est  bien  gardé  ,  parce  que 
les  preuves  qu'il  eût  alléguées  à  l'appui  de  sou  assertion, 
eussent  été  contraires  à  l'apathie  ,  à  la  stupide  insensi- 
bilité ,  à  la  paresse  ,  à  l'éloigné  ment  pour  les  femmes, 
qu'il  reproche  à  ce  peuple.  Cela  ne  doit  pas  surprendre, 
puisque  nous  allons  le  voir  dans  ce  chapitre  ,  sans  cesse 
en  contradiction  avec  lui-même. 

Si  M.  Calme,  botaniste  suédois  ,  élève  du  célèbre 
Linnéj  ,  qui  a  voyagé  en  curieux  et  en  savant  ,  dans 
l'Amérique  septentrionale  ,  s'y  est  assuré  que  les  Indi- 
gènes se  servent  avec  grand  succès  de  la  lobelia  ,  et  a 
rapporté  ,  comme  on  peut  le  voir  dans  les  Mémoires  de 
T Académie  de  Stockolm  ,  qu'orc  n*a  jamais  trouvé  de 
sauvage  ,    qui  n'ait   été  radicalement  guéri  du   virus  le 


J88  SUR     LA     CONSÏITUTION 

plus  invétéré ,  en  usant  de  ce  spécifique  ;  comment 
M.  Paw  ,  qui  avait  connaissance  du  rapport  de  M. 
Calme ,  comme  son  ouvrage  le  prouve  ,  a-t-il  rsé  pu- 
blier que  la  malad  e  vénérienne  ,  avant  la  découverte 
du  Nouveau-Monde,  existait  avec  les  qualités  horribles 
que  son  imagination  en  délire  lui  a  suggérées;  puisqu'il 
est  prouvé  par  ceux  qui  voyagent  en  Amérique  depuis 
cette  époque,  que  les  Sauvages  ne  sont  nullement  sujets 
à  ce  mal  ;  que  lorsqu'ils  Fattrappent,  ils  s'en  guérissent 
radicalement ,  avec  une  décoction  des  racines  de  simple 
ci-dessus  ? 

M.  Humboldt,  dans  son  Voyage  à  la  Nouvelle-Es- 
pagne ,  dit  :  «  Il  est  curieux  d'observer  comme  les 
«  Métis  et  les  Indiens  ,  qui  sont  employés  à  porter  le 
«  minerai  sur  leur  dos  ,  et  que  l'on  désigne  sous  le  nom 
«  de  Tenateros  ,  restent  chargés  continuellement  pen- 
ce dant  six  heures  ,  d'un  poids  de  deux  cent  vingt-cinq 
«  à  deux  cent  trente  livres  ,  étant  exposés  en  même 
k  temps  à  une  température  très-élevée  ,  et  montant 
«  huit  à  dix  fois  de  suite ,  sans  se  reposer ,  des  escaliers 
«  de  dix-huit  cents  gradins  :  l'aspect  de  ces  hommes 
y>  laborieux  et  robustes  aurait  pu  faire  changer  d'opinion 
«  auxRaynal ,  aux  Paw,  et  à  ce  grand  nombre  d'auteurs 
«  d'ailleurs  estimables,  qui  se  sont  plu  à  déclamer  sur 
c<  la  dégénération  de  notre  espèce  dans  la  Zone  Torride  , 
«  dans  les  mines  mexicaines.  Des  enfans  de  dix-sept 
ce  ans.  portent  déjà  des  masses  de  pierres,  de  cent  livres 
ce   pesant  » 

Soit  remords ,  soit  oubli ,  ce  dernier,  déclare,  pag.  43 
du  premier  vol.  ,  que  le  mal  vénérien  ne  faisait  pas  , 
parmi  les  américains  }  les  mêmes  ravages  qu'il  a  occa- 
sionnés en  Europe ,   au  commencement  de  sa  transplanta- 


DES     PREMIERS     AMERICAINS.  89 

fion,  et  que  cette  maladie  était  plus  bénigne  dans  son  pays 

natal. 

Quelle  contradiction  !  Quoi ,  vous  venez  de  nous 
dire ,  tout  à  l'heure ,  que  le  mal  vénérien  avait  désor- 
ganisé toutes  les  facultés  physiques  et  morales  des 
Américains  ;  et  maintenant  cette  maladie  est  plus  bé- 
nigne ?  Cela  ne  s'accorde  pas  !  Mais  voyons  ce  que  disent 
les  Missionnaires  qui  ont  résidé  parmi  eux. 

Le  Père  du  Tertre ,  dans  son  histoire  naturelle  des 
Antilles  ,  tome  2  ,  traité  7  ,  chapitre  ier  §,  dit  en  par- 
lant des  Caraïbes  :  «  Il  est  à  propos  de  faire  voir  dans  ce 
«  traité,  que  les  Sauvages  de  ces  îles  sont  les  plus  con- 
«  tens  ,  les  plus  heureux  ,  les  moins  vicieux  ,  les  plus 
«  sociables  ,  les  moins  contrefaits  ,  et  les  moins  tour- 
te  mentes  de  maladies  que  toutes  les  parties  du  monde.  » 

Le  Père  Claude  d'Abbeville  ,  dans  son  Histoire  de  la 
mission  des  Pères  Capucins  dans  l'île  de  Marignan  sur  la 
côte  du  Brésil,  chapitre  47,  fait  le  portrait  le  plus  avan- 
tageux des  qualités  physiques  et  morales  de  ces  insulai- 
res ,  ainsi  que  des  Brésiliens.  Son  témoignage  est 
confirmé  par  Jean  de  Lèrj. 

Antoine  Biet,  supérieur  des  prêtres  missionnaires  qui 
passèrent  en  i65s  ,  à  Cayenne  ,  dit  dans  son  Voyage  de 
la  Terre  équinoxiale  ,  livre  3  page  390  :  ce  Les  Galiibis 
«c  laissent  leurs  enfans  toujours  nus  ,  c'est  une  merveille 
«  de  voir  comme  ils  profitent  ;  quelques-uns  à  neuf 
«  ou  dix  mois,  marchent  tout  seuls.  Quand  ils  croissent, 
«  s'ils  ne  peuvent  marcher ,  ils  se  traînent  sur  leurs  pieds 
«  et  sur  leurs  mains,  »  De  pareils  témoignages  ,  n'an- 
noncent pas  une  désorganisation  totale  dans  les  facultés 
physiques  de  ces  peuples. 

M.  Humboldt  3  dans  son  Voyage  aux  Régions  équiao- 


cjo  srn    la    coxstitttioîî 

xiales  du  nouveau  monde  ,  observe  «  que  le  même  in- 
«  dien ,  qui  se  plaint  lorsque  dans  une  herborisation  , 
«:  on  le  charge  d'une  boète  remplie  de  plantes ,  fait  re- 
«c  monter  lui  canot  contre  le  courant  le  plus  rapide  ,  en 
«  ramant  pendant  14  ou  1 5  heures  de  suite  ,  parce  qu'il 
«  désire  letourner  dans  sa  famille.  Pour  bien  juger  de 
«  la  Io.^e  musculaire  des  peuples  ,  il  faut  les  observer 
«  dans  les  circonstances  tu  leurs  actions  sont  détermi- 
«  nées  par  une;  vbloûté  également  énergique.  Lorsqu'une 
«  pirogue  chargée  de  cocos  et  conduite  par  un  pêcheur 
«  indi.°n  accompagné  de  son  fils,  vient  à  chavirer  dans 
«  le  golfe  de  Cariaco  ,  et  surtout  dans  la  péninsule 
«  d'Araya  ,  en  gouvernant  trop  près  du  vent,  droit  a  la 
«  lame,  le  père  redresse  la  nacelle  et  commence  à  en 
«  faire  sortir  l'eau  ,  tandis  que  le  fils  rassemble  les  cocos 
«  en  nageant  autour.  En  moins  d'un  quart- d'heure  ,  la 
«  pirogue  est  de  nouveau  sous  voile  ,  sans  que  l'Indien  , 
«  dans  son  imperturbable  indiiTérence ,  ait  proféré  une 
«   plainte.  » 

Les  Gazettes  anglaises ,  du  2,  septembre  18 16,  ont 
annoncé  qu'un  jeune  habitant  du  détroit  de  Davis,  âgé 
de  dix-huit  ans,  a  exécuté  dans  le  bassin  de  Leith  en 
Ecosse,  avec  un  canot  de  son  pays,  des  manœuvres  très- 
adroites  ,  en  présence  d'un  grand  nombre  de  specta- 
teurs; qu'il  a  nagé  parfaitement,  plongé  avec  son  bateau 
renversé  sur  sa  tête,  et  s'est  relevé  à  une  grande  dis- 
tance ,  assis  dedans.  Ces  exercices,  quoi  qu'on  puisse  dire, 
annoncent  de  la  force  musculaire,  et  non  une  consti- 
tution délabrée. 

Je  ne  sais  comment  le  traducteur  anglais  de  M.  Sparr- 
man,  pour  nous  faire  sentir  l'utilité  des  journaux  de 
voyage ,  a  pu  citer  MM.  Paw  et  Rayual  pour  exemples  : 


DES     PREMIERS     AMÉRICAINS;  C|I 

le  docte  et  judicieux  abbé  Frizi ,  qui  ne  s'est  pas  laissé 
imposer  par  les  rêveries  de  M.  Paw ,  a  noté  plusieurs 
de  ses  méprises.  Peut-cn  en  trouver  une  plus  étonnante 

que  celle-ci  ? 

Cet  écrivain,  qui  nie  tout,  n'établit  rien,  et  prend  ce  ton 
tranchant  qui  l'a  fait  tomber  dans  mille  erreurs ,  dans 
mille  équivoques,  tant  en  physique,  qu'en  histoire,  dit 
avec  confiance,  que  c'est  le  pape  Pie  II,  qui  intro- 
duisit l'usage  du  gayac  pour  la  maladie  vénérienne.  Or, 
ce  Pape  mourut  en  1464,  c'est-à-dire,  trente  ans  avant 
que  Colomb  eût  découvert  l'Amérique ,  dîoù  Ton  rap- 
porta le  gayac...  Voilà  comme  M.  Paw,  arrange  sa 
Chronologie  ! 

Il  est  aussi  risible  de  l'entendre  affirmer  pé- 
remptoirement, que  les  germes  du  mal  vénérien,  en 
étaient  comme  répandus  dans  l'atmosphère ,  que  de 
l'entendre  assurer  que  les  Lézards  iguans ,  que  les  Fran- 
çais ont  nommé  Coqs  de  joute ,  dont  les  Américains  se 
nourrissaient,  y  renforçaient  sans  qu'on  le  sût,  le  prin- 
cipe variolique,  dont  tous  les  hommes  et  beaucoup 
d'animaux  étaient  atteints;  puisque  ce  fait  a  été  conti- 
nuellement démenti  par  l'usage  des  Créoles  ,  des 
Européens  et  des  Nègres,  qui,  depuis  la  découverte  du 
Nouveau-Monde  jusqu'à  ce  jour  ,  n'ont  cessé  d'en  man- 
ger, sans  éprouver  la  moindre  attemte  vérolique,  comme 
on  le  prétend,  sur  l'autorité  de  Lister.  La  chair  de 
ce  Lézard,  loin  d'être  malfaisante  et  contraire  à  ceux 
qui  sont  atteints  du  mal  vénérien ,  est  un  sudorifique 
qui  pousse  à  la  peau ,  comme  celle  de  Tortue.  On  a  dé- 
couvert récemment  à  Saint-Domingue  ,  le  secret  de 
guérir  la  maladie  vénérienne ,  en  avalant  de  petits  Lézards 
nommés  Anolls ,  crus  et  écorchés. 


92  SUR    LA    CONSTITUTION 

Les  voyageurs  qui  ont  mangé  de  Vlguan7  ont  tous 
exalté  la  délicatesse  et  la  tendreté  de  sa  chair,  qui  a  le 
même  goût  que  celle  du  poulet  ;  et  parce  que  M .  Pison 
seul  dit  l'avoir  trouvée  fade,  M.  Paw  conclut  qu'elle  ne 
vaut  rien,  et  qu'elle  irrite  incroyablement  le  mal  véné- 
rien. 

Pour  prouver  que  la  maladie  vénérienne  est  née 
en  Amérique,  il  cite,  page  18  du  premier  volume,  le 
premier  article  du  fameux  Edit  du  parlement  de  Paris  , 
daté  de  1496,  qui  condamne  à  la  potence,  les  étrangers 
qui,  étant  infectés  de  cette  maladie,  ne  quitteront  pas  la 
capitale  dans  vingt-quatre  heures.  Fontanon ,  qui  rapporte 
cet  Edit,  s'exprime  ainsi  : 

«  Pour  pourvoir  aux  inconvéniens  qui  adviennent 
or  chaque  jour,  par  la  fréquentation  et  communication 
«  des  malades  qui  sont  de  présent  en  grand  nombre  en 
«  cette  ville  de  Paris,  de  certaine  maladie  contagieuse 
«  nommée  la  G.  ...  V. ... ,  ont  été  advîsés,  conclus  et 
a  délibérés  par  révérend  père  en  Dieu  ,  monsieur  Tévê- 
a  que  de  Paris,  les  officiers  du  roi,  prévôts  des  mar- 
ie chands  et  échevins,  et  le  conseil,  et  l'avis  de  plusieurs 
«  grands  et  notables  personnages  de  tous  les  états,  les 
o   points  et  articles  qui  s'ensuivent  : 

«  Sera  fait  cry  public  de  par  le  Roi,  que  tout  malade 
«  de  ceste  maladie  de  G....  V....,  estrangiers  tant 
«  hommes  que  femmes,  qui  étaient  demeurants  et  rési- 
«  dents  eu  ceste  ville  de  Paris,  es-pays  et  lieux  dont  ils 
«  sont  natifs,  ou  là  où  ils  faisaient  leur  résidence, 
«  quand  ceste  maladie  les  a  prins ,  ou  ailleurs  où  bon 
«  leur  semblera  ,  sur  peine  de  la  hart;  et  à  ce  que  plus 
«  facilement  ils  puissent  partir,  se  retirent  ès-portes  de 
«  Saint  J)euis  et  Srint- Jacques,  où  ils  trouveront  geas 


DES   PREMIERS  AMERICAINS»  g3 

«  députes,  lesquels  leur  délivreront  à  chacun  quatre 
«  sols  parisis,  en  prenant  leur  nom  par  escript,  et  leur 
«  fesant  défense  sur  la  peine  que  dessus,  de  non  rentrer 
«  en  ceste  ville,  jusqu'à  qu'ils  soient  entièrement  garis 
«   de  ceste  maladie ,  etc.  » 

Cet  Edit  que  M.  Paw  a  cité,  nomme  cette  maladie, 
comme  on  vient  de  le  voir,  la  G. .  . .  V. . . . ,  et  non  pas 
le  mal  d'Amérique.  Cet  écrivain  est  peut-être  le  seul 
individu  qui  ait  imaginé  de  dégrader  un  pavs,  en  le 
gratifiant  des  turpitudes  du  sien.  Sachant,  à  n'en  point 
douter  ,  que  les  Français  et  les  Anglais  ne  pouvaient 
pas  avoir  reçu  ce  mal  de  l'Amérique  ,  puisque  Saint- 
Christophe  est  la  première  île  où  les  aventuriers  de  ces 
deux  nations  étaient  arrivés  pour  la  première  fois, 
en  1629,  c'est-à-dire,  cent  vingt-neuf  ans  après  le 
fameux  Edit  dont  il  appuie  son  assertion  :  il  a  recours, 
pour  sa  justification,  au  passage  suivant,  qu'il  a  extrait 
de  Dias  de  Isla  ;  or  ce  célèbre  Sangrado  ,  aussi  peu 
connu  dans  la  médecine  ,  que  dans  le  monde  littéraire  , 
dit  sans  plus  de  formalités  : 

«  Qu'au  moment  que  Colomb,  de  retour  du Nouveau- 
«  Monde  ,  vint  débarquer  à  Palos  en  Andalousie ,  le 
«  Roi  et  la  Reine  d'Espagne  résidaient  à  Barcelone, 
«  où  on  alla  leur  rendre  compte  du  succès  de  l'expédition 
«  du  voyage  ;  que  le  mal  vénérien  se  déclara  tout  d'un 
«  coup  dans  cette  dernière  ville  ,  et  atteignit  presque 
«  tous  les  habitans  à-la-fois  ;  qu'on  ordonna  des  pro- 
«  cessions  publiques  ,  des  jeûnes  ;  qu'on  exhorta  les 
«  citoyens  à  faire  des  aumônes  pour  fléchir  le  Ciel 
«  irrité  ;  qu'on  pria  avec  ferveur,  et  qu'on  ne  se  guérit 
«  point;  que  Tannée  suivante  (  1494  ),  Charles  VIII, 
«  Roi  de  France  ,  ayant  conduit  une  armée  formidable 


94  SUIl     LA     CONSTITUTION 

«  en  Italie  ,  plusieurs  régimens  espagnols ,  qu'on  envoya 
«  pour  s'opposer  à  l'invasion  de  Charles  ,  y  apportèrent 
«  avec  eux  le  germe  du  mal  ■d'Amérique,  et  le  com- 
te muniqierent  aux  Français  qui.  ne  sachant  d'où  leur 
«  venait  cette  épidémie  ,  en  accusèrent  le  climat  insa- 
«  1  ubre  du  royaume  de  Naples  ,  et  imaginèrent  de  lui 
«  donner  le  nom  de  mal  de  Naples,  pour  désigner  cette  ma- 
*  ladic,  dont  ils  ne  connaissaient  que  les  ravages,  sans  en 
«  connaître  1  origine  ;  et  que  les  Italiens  ,  qui  n'avaient 
«  ja ruais  entendu  parler  de  ce  nom  inventé  par  les 
«  Français ,  appelèrent  cette  indisposition  le  mal 
«  français .  » 

Que  de  pauvres  expédiens  présentés  d'une  manière 
encore  plus  pitoyable  !  D'abord  une  maladie  contagieuse 
qui  se  propage  sans  contact  immédiat,  sinon  par  l'atmos- 
phère ambiante  ,  et  qui  ne  se  déclare  précisément  qu'à 
Earcelone  ,  à  environ  cent  cinquante  lieues  du  mouil- 
lage où  elle  a  débarqué  ,  qui  fait  grâce  aux  habitans 
de  Palos  ,  à  ceux  des  villes  et  villages  que  le  courier  a 
traversés  ,  pour  n'attaquer  que  les  Earccloniens  ,  qui 
en  furent  presque  tous  atteints  ,  et  excepter  la  famille 
royale ,  qui  a  cependant  communiqué  avec  le  cour- 
rier extraordinaire  ,  a  reçu  les  dépêches  dont  il  était 
porteur ,  et  qui.  sortaient  des  mains  pestiférées  des 
nouveaux  débarqués  ;  ensuit?  la  maladresse  de  Fau- 
teur ,  qui  a  oublié  de  prévenir  que  cette  maladie 
s'était  propagée  immédiatement  par  toute  l'Espagne  , 
et  qui  fait  partir  plusieurs  régimens  espagnols  pour 
l'Italie,  sans  dire  de  quelle  partie  de  l'Espagne  ,  ni  si 
les  germes  véroli  u  s  aériens  étaient  parvenus  à  l'endroit 
où  ces  troupes  résidaient. 

Si  celte  maladie  eût  été  si  contagieuse  à  cette  époque, 


DES. PREMIERS      A  M i R I C  A  I  X  s .  q5 

qu'il  suffisait  de  respirer  l'air  ambiant  pour  l'attraper* 
comment  se  fait-il  que  les  neuf  Américains  et  les  quatre- 
vingt-deux  soldats  et  matelots,  qui  formaient  l'équipage 
du  bâtiment  que  Christophe  ramena  à  Palos ,  n'infec- 
tèrent pas  l'air  de  cette  ville  avec  plus  de  force  eue 
celui  de  Barcelone;  puisqu'ils  y  séjournèrent  quelque 
temps  avant  d'obtenir  la  permission  d'aller  à  Barcelone- 
que  le  virus  qui  ne  faisait  que  d'arriver,  devait  avoir 
plus  d'activité ,  puisque  Colomb  laissa  cinquante  deux 
soldats  et  matelots  à  Palos,  et  qu'il  est  à  présumer  crue 
Colomb,  en  se  rendant  à  Barcelone,  n'avait  emmené 
avec  lui  que  ceux  qui  étaient  sains  ou,  tout  au  plus,  les 
moins  malades  ? 

Pourquoi  le  Gouvernement  et  la  cour  d'Espagne,  en 
apprenant  que  les  nouveaux  venus  avaient  des  figures 
remplies  de  frondes  virulens,  infects  et  contagieux,  ne 
défendirent-ils  pas  de  communiquer  avec  ces  pestiférés, 
jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  guéris?  N'est-il  pas  étonnant 
que  cette  maladie  ait  perdu  sa  force  destructive  à  Pa'os 
le  long  de  la  route ,  pour  la  retrouver  à  point  nommé 
dans  le  lieu  où  la  Cour  résidait-  que  Christophe  ne  se 
soit  pas  plaint  de  cette  maladie  ;  et  que,  contre  toute 
vraisemblance  ,  il  ait  manqué  aux  égards  qu'il  devait 
à  son  roi ,  pour  lui  faire  l'hommage  d'une  nouvelle 
peste  ? 

Ce  qui  prouve  la  fausseté  de  la  relation  de  Dias  de 
Jsla,  et  le  ridicule  de  l'observation  de  M.  Paw,  qui 
prétend  que  les  Américains  débarqués  à  Palos,  faisaient 
des  hurle  meus  affreux ,  et  se  démenaient  comme  des 
démoniaques;  c'est  que  les  relations  des  autres  écrivains 
disent  positivement  que  Colomb  ,  le  2 5  mars  1493,  fut 
iavué  à  se  rendre  à  la  Cour,  pour  y  recevoir  un  hom- 


g  6  SUR      LA      CONSTITUTION 

mage  public  d'estime  et  de  reconnaissance  ,  que  le 
peuple  se  portait  en  foule  sur  les  pas  de  cet  homme 
extraordinaire ,  et  que ,  par  l'ordre  d'Isabelle ,  son  entrée 
dans  la  ville  de  Barcelone  où  la  Cour  se  trouvait,  se  fit 
avec  tout  l'appareil  et  toute  la  pompe  d'un  triomphateur  ; 
que  Christophe  présenta  au  roi  et  à  la  reine,  des  mon- 
ceaux d'or  et  quelques  Insulaires  qui  l'avaient  suivi  vo- 
lontairement jet  que  le  Gouvernement  espagnol  ordonna 
d'équiper  promptement  une  flotte  ,  avec  laquelle  ce 
héros  pût  aller  à  la  recherche  de  nouvelles  contrées. 

Reçoit-on  ainsi  un  homme  qui  amène  des  Démonia- 
ques ,  couverts  de  frondes  virulens,  sales  et  dégoûtans, 
et  ordonne-t-on  d'équiper  une  flotte  pour  s'en  procurer 
d'autres,  et  aller  à  la  recherche  d'un  pays  désert,  cou- 
vert de  marécages  mortels?  Voilà  comme  une  absurdité 
avancée  par  un  homme  d'esprit ,  se  propage ,  lorsqu'elle 
flatte  surtout  des  préjugés  nationaux,  qu'elle  se  consacre 
avec  le  temps,  et  qu'il  est  ensuite  si  difficile ,  pour  ne 
pas  dire  impossible,  de  la  déraciner  particulièrement 
de  l'esprit  de  cette  classe  d'hommes ,  qui  croient  sans 
plus  d'examen ,  tout  ce  qu'un  livre,  bon  ou  mauvais, 
peut  contenir,  et  le  répètent  avec  la  même  légèreté. 

Pour  ne  point  effaroucher  la  pudeur  de  mes  lecteurs,  je 
m'abstiendrai  de  citer  ici  vingt-deux  autorités  qui  ne 
laissent  aucun  doute  sur  cette  maladie.  Il  ne  s'agit  que 
de  voir  ce  qu'en  disent  Mojse{zjC)$  ans  avant  la  décou- 
verte de  r Amérique  ; 

L'imprécation  de   David  contre  Joab- 

Pallade,  (Hist.  Lausiaque,  pag.  82  et  83  deMeursius, 
Leyde  161 6,  in-40.); 

Les  lettres  de  Pline  le  jeune; 

Cehe?  Martial  \ 


DES     PREMIERS     AMERICAINS.  97 

La  Chronique  de  Misnie ,  citée  dans  les  Commen- 
taires de  Leipsick  ,  lors  de  l'invasion  d'Attila  ; 

Gérard  de  Carmone  (dont  il  y  a  quatre  manuscrits, 
deux  dans  la  bibliothèque  du  Roi ,  deux  dans  celle  de 
Saint- Victor)  ,  dans  son  Commentaire  sur  le  Viatique 
du   savant  moine   Constantin; 

Guy  de  Chauliac,  Brunnus  ,  Bertapalia ,  Hugo,  Henri; 
d"  Hermondaville ,  sous  Philippe  Auguste  ,  Arnaud  de 
Villeneuve.  Les  ouvrages  manuscrits  sont  à  la  Biblio- 
thèque du  Roi  ; 

Guillaume  ,  évêque  de  Paris  ,  dans  son  second 
supplément  à  son   traité   de  la    Pénitence  ; 

Hiéodoric ,  évêque  de  Servie ,  habile  médecin  ; 

Delphini  5  la  mort  du  roi  Ladislas  ;  Pacijîcus  Maximus 
au  dieu  Priape  ; 

Le  manuscrit  de  Rochouart  ,  à  la  Bibliothèque  des 
Bénédictins  ; 

Turner;  le  poème  latin  imprimé  en  1489,  qui  se 
trouve  dans  la  Bibliothèque  Mazarine,  {hoc  genus  morbi 
commune    Gallis    et    Iheris  )  ; 

Basile  Valentin   (  Chronique  d'Erfori  )  ; 

Le  docteur  Sanchez;le  médecin  Fioraventi,  auteur  des 
Caprices  Médicinaux;  Monconis ,  etc.  ; 

Enfin,  la  défense  expresse  que  Henri  III,  roi  d'An- 
gleterre ,  et  son  conseil  ont  faite  de  ne  pas  laisser  em- 
barquer pour  la  Méditerranée  quiconque  était  atteint 
du  mal  vénérien ,  autrement  dit  napolitain.  Henri  III  fut 
couronné  en  12 16,  et  mourut  en  1272,,  (c'est-à-dire, 
deux-cent  -  vingt  ans  avant  la  découverte  de  l'Amé- 
rique. ) 

L'illustre  chancelier  Bacon  ,  rapporte  qu'en  1494, 
des  marchands  de  vivres ,  ayant  fait  suler  et  encaquer  de 

Tome  2.  7 


98  SUR     LA      CONSTITUTION 

la  chair  humaine  sur  les  côtes  de  la  Mauritanie ,  vinrent 
la  vendre  aux  troupes  françaises,  persécutées  par  la  disette 
au  blocus  de  Naples  :  que  cette  salaison  les  infecta  de 
cette  même  indiposition,  qu'on  a  ensuite  retrouvée  chez 
les  Cannibales  du  Nouveau  Monde. 

Ce  résultat  paraît  assez  vraisemblable ,  si  surtout  l'on 
veut  se  donner  la  peine  d'examiner  le  poison  redoutable 
que  les  Africains  tirent  de  la  malignité  des  humeurs  et 
du  sang  humain,  que  les  anciens  Scythes  méridionaux 
mêlaient  avec  de  la  sanie  de  Vipère ,  pour  occasionner  une 
mort  plus  prompte.  Cependant  je  ferai  observer,  quoi 
qu'en  dise  l'illustre  chancelier  Bacon,  que  les  Cannibales 
qui  mangeaient  de  la  chair  humaine  fraîchement  tuée  et 
saignée,  qui  choisissaient  les  corps  sains,  comme  nous 
le  faisons  de  la  viande  de  boucherie,  et  qui  la  faisaient 
rôtir,  ne  pouvaient  pas  être  affectés  de  la  même  indis- 
position que  les  troupes  françaises  et  espagnoles,  qui 
s'étaient  repues  de  cadavres;  que  ces  soldats.,  d'ailleurs, 
n'étaient  pas  accoutumés,  comme  les  Antropophages ,  à 
se  nourrir  de  chair  humaine  fraîche;  conséquemment , 
que  les  Cannibales  ne  pouvaient  pas  avoir  éprouvé  les 
mêmes  indispositions  que  ceux  qui  avaient  dévoré  des 
charognes. 

Les  médecins  du  seizème  siècle  attribuaient  le 
mal  vénérien  aux  causes  qui  avaient  infecté  l'armée 
française,  campée  au  royaume  de  Naples  en  1494. 

Cisalpin  rapporte  que  cette  contagion  qu'on  a  nom- 
mée ensuite  mal  de  Naples,  provient  de  la  sanie  de  lé- 
preux, que  les  Espagnols  avaient  mêlée  dans  du  vin 
grec;  les  troupes  de  Charles  en  avaient  bu  avidement, 
lorsqu'ils  prirent  le  poste  que  les  Espagnols  occupaient 
dans  la  bourgade  de  Somma  près  du  Vésuve. 


DES     PREMIERS      AMÉRICAINS.  çg 

Fallope  soutient  que  les  Espagnols  y  avaient  délayé 
de  la  céruse. 

Comme  on  le  voit ,  ce  mal  était  connu  du  temps  de 
Moïse  ,  et  les  médecins  eux-mêmes  sont  loin  d'attribuer 
la  maladie  vénérienne  à  l'Amérique ,  encore  moins  aux 
sophismes  insoutenables  de  M.  Paw,  qui ,  pour  ne  pas 
démordre  de  ses  principes  erronés,  ajoute  d'après  l'Es- 
pagnol Zaràte  ,  «  que  l'air  de  cette  partie  du  Pérou ,  qui 
«  est  la  plus  voisine  de  la  ligne  Equinoxiale ,  était  sujet 
«  à  donner  des  clous,  qu'il  appelle  verrues  ou  frondes , 
«  fort  malins  et  fort  dangereux.  »  Or,  ces  frondes , 
conclut  très-ingénieusement  M.  Paw,  n'étaient  que  les 
effets  du  mal  vénérien  qui,  au  commencement  de  sa 
transplantation  en  Europe ,  y  produisit  les  mêmes  symp- 
tômes. Le  lecteur,  d  après  les  diverses  citations  que  je 
lui  ai  soumises,  voit  clairement  que  la  Chronologie  n'est 
pas  du  ressort  du  génie  de  Fauteur  des  Recherches  sur  les 
Américains,  qui  croit,  pour  mieux  prouver  la  justesse  de 
sa  conclusion  ,  devoir  citer, page  1 84  du  troisième  volume  , 
le  passage  suivant  du  poète  Le  Maire. 

c   Mais  à  la  fin  quand  le  venin  fut  meur, 
«   II  leur  naissait  de  gros  boutons  sans  lleut 
c  Si  très-hideulz,  si  laids  et  si  énormes, 
«   Qu'on  ne  vit  onc  visages  si  difformes  > 
«  IN'onc  ne  reçut  si  très-mortelle  injure 
«   j\ature  humaine  en  sa  belle  figure. 
t   Au  front ,  au  col,  au  menton  et  au  nez 
«   Onc  ne  vit-on  tant  de  gens  boulonnez, 
e  £ie  ne  sceut  onc  lui  bailler  propre  nom, 
«r  Nul  médecin,  tant  eut-il  de  renom. 
«  L'ung  la  voulut  sahafati  nommer, 
«  En  Arabie  ;   l'autre  a  pu  estimer 
«  Qu'on  la  doit  dire  en  latin  mentagra 
«  Mais  le  commun  ,  quand  il  la  rencontra, 

7* 


lOO  SUR     LA     CONSTITUTIOH 

«  La  nommait  gorre  ou  la  v...I  grosse 
<   Qui  n'épargnait  ne  couronne,  ne  crosse 

« 

«  Et  dit-on  plus  qu<;  la  puissante  armée 

«  Des  forls  Français  à  grant  peine  et  souffrance 

c  En  Naples  ,  l'ont  conquise  et  mise  en  France.  » 

(  Voyez  les  Contes  de  Cupido  et  df^tropos.  ) 

Quoi,  parce  que  le  flamand  Le  Maire  s'est  bien 
gardé  de  dire,  même  dans  cette  facétie,  que  cette 
maladie  fût  venue  d'Amer. que,  vous  n'avez  pas  rougi 
d'en  imposer  à  l'Univers ,  en  suppléaut  au  silence  de  ce 
poète,  par  une  calomnie  aussi  vile  que  méprisable;! 
Parce  que  Le  Maire  affirme  qu'en  Arabie,  les  médecins 
l'ont  nommée  sahafati,  que  le  Latin  l'appelle  meniagra , 
et  le  vulgaire  la  grosse  ou  la  V. ....  grosse ,  qui  n'épargne  , 
ne  couronne  ,  ne  crosse  ;  parce  qu'il  vous  a  plu  de  sup- 
primer le  vers  suivant  qui  eut  prouvé  votre  imposture , 
et  que  le  dernier  vers  affirme  d'une  manière  posiiive, 
que  les  Français  à  Naples  lotit  conquise  et  mise  en 
France  ;  vous  avez  l'impudeur  de  conclure  qu'elle  vient 
d'Amérique.  Si  un  Américain  était  capable  de  raisonner 
de  la  sorte ,  on  pourrait  peut-être  vous  excuser  de  taxer 
le  climat  de  lui  déranger  le  cerveau;  mais  pour  un 
homme  qui  veut  instruire  les  autres ,  cela  ne  s'appelle 
nullement  raisonner  ad  rem,  pour  prouver  que  cette  ma- 
ladie est  née  en  Amérique,  et  qu'elle  a  été  apportée 
de  là  en  Europe. 

Tout  le  monde  sait  que  cette  maladie  provient  des 
excès  auxquels  lés  deux  sexes  se  livrent,  et  surtout  de  la 
mal-propreté  et  du  genre  de  vie  qu'on  mène  ;  que  les  An» 
ciensRomains  étaient  d'une  débauche  sans  exemple,  puis- 
que Pline  dit  :   «  que  les  Hermaphrodites  de  son  temps , 


DES     PREMIERS     AMERICAINS.  101 

«  étaient  très-recherchés,  et  qu'on  les  comptait  entre 
«f  les  délices  et  les  derniers  raffineraens  du  luxe.  Gig- 
ue nuntur  et  utriuscfue  sexus  ,  auos  Hermaphrodites 
«  vocamus  ,  olini  androgjnos  vocatos  et  in  prodigiis 
«  habitos  ,  nunc  vero  in  deliciis.  »  H  st.  nat. ,  lih.  vu, 
cap.  ni.  )  ;  d'où  l'on  peut  juger  jusqu  à  quel  point  les 
débauches  les  plus  effrénées,  après  les  règnes  des 
Tihères  et  des  Nérons,  avaient  perverti  les  mœurs  ,  en  - 
étouffant  jusqu'aux  derniers  germes  de  la  liberté,  de  la 
pudeur,  pour  caresser  des  monstres,  et  satisfaire  des 
goûts  bizarres  et  contre  nature. 

A  cette  perversité  on  peut  ajouter  qu'il  existait 
parmi  les  Romains,  des  délateurs,  des  espions,  des 
satellites  ,  des  empoisonneurs  ,  des  filles  prostituées , 
des  bourreaux  et  des  flatteurs  ,  qui  disaient  aux  Nérons 
et  aux  Caligulas,  que  tout  allait  bien.  Chez  les  Améri- 
cains, ces  fléaux  étaient  et  sont  encore  inconnus. 

Quelle  différence  de  ce  temps  à  celui,  cù  le  Patri- 
cien Manilius  fut  chassé  du  sénat,  pour  avoir  donné  un 
baiser  à  sa  femme  en  présence  de  sa  fille  !  D'où  vient 
que  cette  sévérité  n'existait  plus  du  temps  des  Ti- 
bères  ?  C'est  que  la  débauche  était  alors  à  son  comble , 
qu'on  s'efforçait  de  rallumer  les  chastes  feux  d'une  mère, 
afiu  de  pouvoir  eu  inspirer  d'impurs  à  sa  fille  ? 

On  n'ignore  pas  que  les  Romains  restèrent  maî- 
tres de  l'Espagne  qu'ils  avaient  enlevée  aux  Carthagi- 
nois,  alors  ploîigés  dans  les  délices;  qu'ils  portèrent 
leurs  vices  dans  la  Gaule ,  dans  une  partie  de  l'Alle- 
magne et  en  Angleterre,  où  ils  débutèrent  par  ravir 
l'honneur  aux  filles  de  Boadicee ,  reine  des  Icéniens  ^ 

Que  les  Maures ,  après  leur  conquête  de  l'Espagne 
en  yi3  (781   ans  avant  la  découverte  de  l'Amérique). 


102  SUR      LA      CONSTITUTION 


ne  respiraient  que  le  libertinage,  qu'ils  se  mêlèrent 
avec  les  Espagnolettes,  et  les  Espagnols  avec  les  Mau- 
resques ; 

Que  dans  les  Tribus  germaniques ,  dont  Tacite  a 
vanié  la  simplicité  grossière ,  ces  peuples  demi-sauvages  , 
épousaient  leurs  soeurs ,  les  filles  de  leurs  frères ,  leurs 
belles-soeurs  et  souvent  les  veuves  de  leurs  pères  ; 

Que  Charlemagne  ,  malgré  ses  Capitulaires,  n"a  jamais 
pu  adoucir  les  mœurs  de  sou  peuple ,  à  qui  l'inceste 
n'était  pas  étranger  ; 

Qu'en  Angleterre  avant  et  après  l'arrivée  des  Romains , 
une  douzaine  d'amis  mettaient  leurs  femmes  en  commun, 
qu'ils  prenaient  sans  tirer  à  conséquence ,  la  première 
qui  se  trouvait  sous  leur  main;  (que  996  ans  avant  la 
découverte  du  Nouveau-Monde) ,  c'est-à-dire  en  496, 
après  la  conquête  de  l'Angleterre,  par  les  Saxons,  la 
débauche  y  était  si  grande,  que  Melnas,  petit  roitelet 
du  Comté  de  Sommerset ,  enleva  et  ravit  la  femme 
d Arthur.,  roi  des  Bretons;  que  Mordred,  neveu  de  ce 
malheureux  prince  ,  débaucha  la  troisième  femme  de  son 
oncle;  que  les  rois  Bretons,  Edwy,  Edgar,  Ehteïred ,  ne 
se  faisaient  point  scrupule  d'accaparer  pour  leurs  plaisirs, 
toutes  les  jolies  filles  de  leurs  sujets  ;  que  les  Religieuses 
anglaises  se  prostituaient  au  premier  venu  ;  que  les 
Danois  et  les  Princes  bretons  les  violaient  jusques  sur 
les  marches  de  l'autel;  que  les  couverts  étaient  la  plupart 
de  véritables  pépinières  de  tous  les  vices  ;  que  la  dépra- 
vation sous  Henri  III  était  telle,  qu'elle  eût  fait  rougir 
tout  autre  individu  qu'un  ecclésiastique.  (Voy.  l'Hist. 
Ecclés.  de  Collier,  1  vol  in-folio,  464,  60.) 

Pour  bien  juger  des  abus  qui  s'étaient  introduits  dans 
les  monastères  ,  bien  avant  le  douzième  Siècle ,  il  suite- 


DES     PREMIERS     AMERICAINS.  lo5 

rait  de  lire  dans  la  vie  de  l'abbé  Suger ,  les  détails  de  la 
licence  à  laquelle  s'abandonnaient  les  religieux  de  Saint- 
Denis  ,  dont  ce  grand  homme  ne  pensa  à  entreprendre 
la  réforme  qu'après  avoir  long-temps ,  lui-même  ,  auto- 
risé en  quelque  sorte  leurs  désordres  ,  au  moins  par 
l'exemple  du  faste  ,  par  celui  d'une  vie  indépendante  et 
toute  guerrière  ; 

Qu'un  désordre  à-peu-près  semblable  régnait  dans 
toute  l'Europe;  que  les  Croisades,  au  onzième  siècle ,  rie 
firent  qu'augmenter  la  corruption  des  mœurs  ;  que  ce 
dérèglement,  bien  avant  la  découverte  du  Nouveau- 
Monde,  était  porté  à  son  comble  par  l'esprit  romanesque 
de  la  Chevalerie  ; 

Qu'en  octobre  1255  (  237  ans  avant  la  découverte 
de  l'Amérique  )  les  Espagnols  introduisirent  en  Angle- 
terre, des  vices  et  des  maladies  jusqu'alors  inconnus  à 
ce  pays:  ce  qui  força  Henri  III.,  et  son  conseil,  à  prendre 
les  mesures  dont  nous  avons  parlé  plus  haut; 

Que  plus  incontinens  que  les  Américains  qui  s'étaient 
fait  une  loi  de  ne  pas  approcher  les  femmes  affectées  de 
leur  indisposition  menstruelle,  puisque  celles-ci  quittent 
la  cabane  dans  leurs  flux  périodiques,  apprêtent    elles- 
mêmes  leur  boire  ,  leur  manger, et  ne  reviennent  parmi 
les  hommes,  qu'après  s'être  bien  purifiées,  les  Européens 
bravaient ,  et  bravent  encore  le    contact   dangereux  du 
flux,  même  celui  des  filles  publiques  ,  qu'on  a  été  obligé 
de  tout  temps  de  tolérer  en  Europe  ,  et ,  par  conséquent , 
que  le  mal   vénérien   ne    pouvait   pas   être  étranger   à 
l'Europe  ,  puisqu'il  n'est  que  le  résultat  de  la  débauche, 
des  excès ,  de  la  malpropreté  y  et  du  genre  de  vie  que 
l'on  mène. 


loi  SUR     LA      CONSTITUTION 

Les  Européens,  loin  de  redouter  l'indisposition  mens- 
truelle desiemmes  ,  l'ont  célébrée  par  ces  vers  : 

«  Vous  n'êtes  pas  propre  aux  combats 

«r  Puisqu'un  peu  de  sang  vous  étonne ; 

«  Il  faut  de  plus  vaillans  soldats 

«  A  Vénus  ainsi  qu'à  Bellone  : 

«  Qu'attendre  de  votre  valeur, 

r  Monsieur,  dans  les  grandes  affaires, 

c   Si  manquant  de  force  et  de  cœur  , 

«  Vous  craignez  tant' les  ordinaires?  etc. 

Cela  ne  pouvait  pas  être  le  cas  des  Américains  ,  qui 
n'avaient  eu  de  rapport  avec  aucun  peuple  étranger,  pas 
même  avec  leurs  plus  proches  voisins,  les  habitans  du 
Kanischatka,  puisque  le  capitaine  russe  Tschirikow,  qui 
avait  embarqué  deux  Kamscbatkades  pour  l'interpréter 
auprès  des  habitans  de  celte  partie  de  l'Amérique,  qui 
est  la  plus  voisine  de  l'Asie,  courut  en  1741  ,  pendant 
000  lieues  ,  le  long  des  côtes  de  la  Californie,  sans  pou- 
voir se  faire  comprendre  des  Américains. 

Les  habitans  du  Nouvea:i  -  Monde  ignoraient  ces 
moyens  honteux  d'empêcher  la  naissance  des  hommes , 
de  tromper  la  nature,  soit  par  ces  goûts  brutaux  et 
dépravés,  qui  insultent  son  plus  charmant  ouvrage  ; 
soit  par  ces  avortemens  secrets  ■_,  dignes  fruits  de  la 
débauche  et  de  l'honneur  vicieux  ;  soit  par  l'exposi- 
tion ou  le  meurtre  d'une  multitude  d'enfaus ,  victimes 
de  la  misère  de  leurs  parens,  ou  de  la  honte  barbare  de 
leurs  mères.  Ils  n'ont  jamais  connu  ces  goûts  mons- 
trueux, qui  ne  sont  nés,  dans  les  pays  policés,  que  dune 
imagination  corrompue  ;  aussi  ne  leur  a-t-on  jamais  ap- 
pliqué  ce  sonnet  sur  l'avorton  : 

«  Toi  que  l'amour  fit  par  un  crime  , 

«  Que  l'honneur  détruit  par  un  crime  à  son  tour  ? 


DES     PREMIERS     AMERICAINS.  JOv> 

e  Funeste  ouvrage  de  l'amour, 
«  De  l'honneur  funeste  victime 


<x  Deux  Tyrans  opposés  ont  décidé  ton  sort  : 

«  L'amour,  malgré  l'honneur,  te  fit  donner  la  vie; 

«  L'honneur,  malgré  l'amour,  te  fait  donner  la  mort 


La  maladie  vénérienne  ne  pouvait  pas  être  endé- 
mique chez  ces  peuples,  ni  exister  dans  leur  sang,  avec 
les  symptômes  et  les  effets  effrayans  qu'il  lui  a  plu  de 
supposer,  puisque  lui-même  ,  page  161  du  3.e  volume 
de  son  ouvrage  ,  dit:  «  On  ne  saurait  disconvenir  que 
k  les  Autmons  ,  les  Jongleurs  ,  les  Javas  ,  les  Boy  es ,  les 
«  Alexis  et  les  Piais,  qui  sont  les  médecins  des  sauvages 
«  'du  Nouveau-Monde ,  connaissaient  des  simples,  et 
«  surtout  des  vulnéraires  et  des  sudorifiques  ,  qu'ils 
c<   employaient  contre  le  mal  vénérien.    » 

Comment  se  fait-il  ,  qu'étant  informé  de  cette  parti- 
cularité 7  il  ait  eu  l'effronterie  d'assurer  au  public,  p.  33 
du  Ier.  volume:  «  Que  les  Américains  avaient  peu  d'in- 
«  clination  et  peu  de  chaleur  pour  le  sexe  ;  que  l'amour 
«  exerçait  à  peine  sur  eux  la  moitié  de  sa  puissance  ; 
ce  qu'ils  ne  connaissaient  ni  les  tourmens,  ni  les  dou- 
ce ceurs  de  cette  passion,  parce  que  la  plus  ardente  et  la 
ce  plus  précieuse  étincelle  du  feu  de  la  nature  s'éteî- 
ce    gnait   dans  leur   âme  tiède  et  flegmatique.  » 

Quand  on  lit  ces  deux  assertions  ,  on  est  tenté  de  de- 
mander si  M.  Paw  a  cru  faire  de  l'esprit ,  en  entassant 
périodes  sur  périodes,  sans  examiner  si  elles  étaient 
marquées  au  coin  du  bon  sens.  Qui  s'attendrait,  d'après 


lo3  SUR    LA    CONSTITUTION 

cette  affirmation,  le  voir  écrire,  pag.  56  du  Ier.  vol. 
«  Il  est  avéré  que  tous  les  Indiens  sont  polygames ,  si 
«  Ton  en  excepte  quelques  hordes  particulières,  qui  ne 
«  tirent  pas  à  conséquence  pour  la  totalité.  On  pourrait 
«  croire  que  cette  polygamie  dépose  contre  ce  que  nous 
«  avons  dit  de  la  tiédeur  de  leur  tempérament  ;  mais 
«  c'en  est,  au  contraire ,  une  preuve  de  plus  ;  dès  qu'une 
«  femme  avait  eu  un  enfant ,  ils  en  étaient  dégoûtés,  et 
«  ne  communiquaient  plus  avec  elle  de  deux  ou  trois 
«  ans  ;  dans  cet  intervalle,  ils  cherchaient  une  autre 
«   épouse.  » 

Soyez-donc  conséquent ,  avec  vous-même ,  car  enfin , 
si    les  Américains    étaient  polygames,    s'ils    se  dégoû- 
taient, pour  deux  ou  trois    ans,  d'une  femme  qui  avait 
eu  un   enfant ,  pour  prendre  une  nouvelle  épouse  ;  l'a- 
mour exerçait  donc  sur  eux  toute  sa  puissance,  puisqu'ils 
ne   pouvaient  pas  se  passer  de  femmes  ?  et  le  feu  de  la 
nature,  loin  de  s'affaiblir  chez  ces  peuples ,  les  poussait 
donc  à  rechercher  des  vierges  par  préférence,  afin  d'of- 
frir plus  de  résistance  à  leur  lubricité?  De  plus,  cet 
intervalle  qu'ils  accordaient  aux  femmes  nouvellement 
accouchées,   leur  donnait  le  temps  de  se  remettre  des 
fatigues  de  leurs   couches,  et  de  l'allaitement  de  leurs 
enfans  ,  qui  n'en  devaient  être  que  mieux  constitués  par 
cette  abstinence  salutaire. 

L'auteur  s'est-il  imaginé  persuader  à  ses  lecteurs , 
que  les  Africains,  les  Turcs  et  les  Asiatiques,  ne  sont 
polygames  que  parce  que  laur  constitution  est  défec- 
tueuse, et  pèche  foncièrement  par  faiblesse  ?  Quelle 
que  soit  son  idée,  tout  être  raisonnable,  sans  égard 
pour  son  opinion,  dira  que  cette  polygamie  chez  les 
Américains  annonce  3  comme  celle  des  Turcs ,  la  force 


DES    *P  HE  MI  EUS      AMERICAINS.  IO7 

et  non  la  tiédeur  du  tempérament  ;  et  que  l'offre  que 
les  Lapons  font  de  leurs  femmes  au  premier  venu  qui  se 
présente  devant  leurs  huttes ,  est  au  contraire  une  preuve 
de  la  tiédeur,  de  la  faiblesse  de  leur  tempérament, 
et  du  peu  de  pouvoir  que  l'amour  exerce  sur  les  cœurs 
glacés  de  ces  peuples. 

Malgré  la  déférence  et  l'estime  que  j'ai  pour  M.  Ray- 
nal,  je  ne  puis  m'empêcher  de  le  soupçonner  de  s'être 
laissé  préoccuper  par  un  système  auquel  bien  des  per- 
sonnes ont  sacrifié  la  vérité.  Cet  auteur  dit,  pages  73  et 
suivantes  ,  qu'il  se  fait  une  loi  de  suivre  à  la  lettre  Ja 
relation  d'Améric  Vespuce,  lèmoin  oculaire  et  exact: 
ainsi ,  pour  prouver  la  faiblesse  de  la  constitution  natu- 
relle de  Américains  indigènes  ,  il  rapporte  :  ce  Que  les 
«  femmes  remédiaient  au  défaut  de  l'organe  des  hommes, 
»  en  leur  oignant  la  V.  .  .  .  avec  des  drogues  et  des  in- 
»  sectes  caustiques,  jusqu'à  la  faire  enfler  prodigieuse- 
y>  ment ,  de  manière  à  les  mettre  en  état  d'exécuter  les 
»  fonctions  viriles.  »  Il  cite  en  note  ,  les  paroles  de  la 
relation  imprimée  en  latin  à  Strasbourg  en  i5o5  ;  et  en 
prend  occasion  pour  décrier  le  recueil  de  Ramusio ,  en 
disant  qu'il  est  fait  sans  goût  et  sans  exactitude;  parce 
.qu'il  est  dit  dans  la  relation  de  Vespuce  ,  qui  y  est  im- 
primée ,  que  les  femmes  produisaient  cet  effet,  moyen- 
dant  un  breuvage.  Il  ajoute  donc  que  celui  qui  a  traduit 
l'original  de  Vespuce  en  italien,  a  mal  entendu  le  texte  de 
V  auteur ,  et  V  a  falsifié  autant  qu'il  a  pu. 

Qui  croirait,  comme  l'a  dit  le  comte  J.  R.  Carli,  que 
tout  cela  n'est  qu'une  falsification ,  non  du  traducteur  , 
mais  de  M.  Paw  lui-même.  D'abord,  dit-il,  la  rela- 
tion latine  nlest  pas  l'original;  c'est  au  contraire  le  texte 
italien   qu'il  prend  pour  une  traduction.  Le   traducteur 


IC>8  SUn     U      CONSTITUTION 

latin  était  un  nommé  Joconde  y  peut-être  même  un  Mo- 
rentin.  «  Fx  itallcâ  in  linguam  latinam  Jocundus  interpres 
hanc  epistolam  ver  fit.  »  Cette  relation  a  donc  été  impri- 
mée par  Ramusio  dans  son  vol.  i.  ,  pag,  141,  folio  verso, 
comme  adressée  à  Pierre  Soderini,  gonfalonier  ;  mais 
l'abbé  Baldini ,  en  la  publiant  de  nouveau  dans'  l'ou- 
vrage intitulé  :  Fie  et  lettres  d'Améric  ^espace,  l'adonnée 
comme  adressée  à  Laurent,  fils  de  Pierre-François  de 
Méd  cis. 

Or,  on  lit  ,  tant  dans  l'édition  de  Ramusio ,  que  dans 
celle  de  Baldini ,  et  très-clairement:  «  Que  les  femmes 
»  donnent  à  boire  aux  hommes  ,  le  jus  dune  certaine 
»  herbe,  et  si  cela  n'aide  point,  elles  appliquent  à  la 
»  parlie  certains  animaux  venimeux,  qui  la  mordent 
»  jusqu'à  ce  qu  elle  se  gonfle.  »  C'est  donc  dans  1  ita- 
lien me  [ne ,  qu'il  est  fait  mention  des  insectes  stimu- 
lans  ,  et  non  pas  du  breuvage.  L  infidélité  devrait  re- 
tomber sur  le  texte  latin,  si  l'on  y  avait  omis  le  breuvage , 
comme  première  tentative  ;  mais  on  n'y  a  pas  commis 
cette  erreur  :  car  il  y  est  suffisamment  indiqué  par  une 
distinction  frappante.  «  Et  hoc  auodam  earum  artificio 
«  et  mordicaiione  quorumdam  animalium ,  c'est-à-dire, 
»  et  ceci  par  un  de  leurs  artifices,  et  par  lamorsure  de 
»  quelques  animaux.  »  Or,  qu'indique  cet  artifice  ,  sinon 
ce  que  dit  le  texte  italien  du  breuvage  ?  L'erreur  re- 
tombe donc  entièrement  sur  M.  Paw,  qui  n'entendit 
pas  le  texte  Italien ,  ou  le  lut  trop  vite  ,  sans  faire  atten- 
tion aux  animaux  venimeux,  ou  ne  réfléchit  pas  sur  ce 
que  la  traduction  latine  indiquait  par  cet  artifice. 

Voilà  comment  Raynal,  d'après  une  erreur  qui  n'est 
que  la  sienne ,  ou  celle  de  la  source  altérée  où  il  a  puisé , 
décide  ,  sans  connaissance  de  cause ,  d'un  recueil  le  plus 


DES      PREMIERSÀMERÏCÀINS.  10£ 

précieux  de  tous,  tant  par  le  choix  des  relations  et  des 
pièces  originales ,  que  par  les  observa  ions  savantes  qu'y 
a  jointes  ce  célèbre  éditeur;  mais  ce  n'est  qu'un  échan- 
tillon des  nombreuses  méprises  de  l'auteur  des  Recher- 
ches sur  les  Américains  ;  on  en  verra  de  plus  graves  encore. 

Quoiqu'il  en  soit,  j'observerai  que  cettj  faiblesse  des 
hommes  n'est  assurément  pas  une  preuve  d'organisa- 
tion généralement  dégénérée  parmi  ces  Indiens,  mais 
celle  d'un  abus  énorme  de  leurs  facultés  naturelles.  Ne 
voit-on  pas  la  plupart  des  jeunes  gens  à  Paris,  épuisés 
et  vieux  à  lâge  de  treute  à  trente-huit  ans,  quoique  nés 
en  province,  de  parens  robustes?  Tout  homme  sensé  ne 
l'attribuera  qu'au  libertinage  excessif  de  ces  femmes 
bibliques  ,  qui  ont  perdu  toute  pudeur.  Voilà  la  cause 
de  cette  faiblesse  des  Indiens  et  de  la  jeunesse  de  Paris, 
ou  de  toute  autre  capitale  de  l'Europe,  doiit  beaucoup 
n'aurait  que  trop  besoin  des  ressources  qu'on  trouvera 
dans  Thécphraste.  (T.) 

Ce  que  les  Jésuites  ent  raconté  de  la  façon  dont  les 

jeunes    Américains   faisaient    l'amour   aux    filles    qu'ils 

voula'ent    épouser,   contredit  le  rêve  systématique   de 

M.  Paw  ,  sur  la  dégénération  des  parties  animales  et  des 

facultés  morales  et  physiques  des  Américains  ;   ainsi  que 

le  conte  ridicule  d'Améric  Vespuce,  qui  rappelé  :  «  Que 

«   dans  plusieurs  endroits,  où  toute  une  peuplade  logeait 

«   dans  une  vaste  cabane,  les  vieillards  ne  finissaient  pas 

«   d'y  prêcher  matin  et  soir,    qu'il   fallait   plus  aimer 

«   les  femmes  qu'on  ne  les  aimait  » 

La  maladie  vénérienne ,  chez  les  Américains ,  ne 
pouvait  pas  non  plus  provenir  de  la  mal-propreté ,  des 
excès  du  jeu,  de  la  table ,  des  spectacles  ou  autres  plai- 
sirs ,  puisqu'ils  se  baignaient  plusieurs  fois  le  jour  ;  qu'ils 


1IO  SFR      LA      CONSTITUTION 

vivaient  d'une  manière  si  frugale ,  que  la  subsistance 
de  six  Indiens  suffisait  à  peine  à  un  Espagnol ,  qui  est  le 
peuple  le  plus  sobre  de  l'Europe  ,  et  qu'il  ne  faisait  pas 
du  jour  la  nuit.  Les  deux  sexes  habitués  aux  mêmes 
exercices  ,  montaient  et  montent  encore,  avec  une  égale 
rapidité,  sur  les  arbres,  traversent  les  fleuves  à  la  nage 
en  prenant  leurs  enfans  sur  leur  dos.  Ils  étaient  légers  et 
agiles  à  la  course  (  comme  M.  Paw  l'avoue,  pag.  3i 
du  premier  vol.)  ,  par  conséqu^  nt,  doués  de  la  force  vive 
et  physique,  qui  résulte  de  l'attention  et  de  la  résistance 
des  muscles  et  des  nerfs. 

M.  Grasset-St.-Sauveur ,  dans  ses  tableaux  cosmographi- 
ques  de  l'Amérique  dit,  que  la  nation  des  Sauteurs  atteint 
les  cerfs  àla  course,  et  qu'avec  un  petit  canot  d'écorce,  ils 
s'amusent  a  se  précipiter  du  haut  des  chetus  du  Niagara , 
dans  les  bouillons  des  cascades. 

Sur  les  bords  de  la  Plata,  dans  le  Tucuman,  l'agilité 
des  Indiens  est  si  étonnante ,  qu'ils  défient  les  chevaux 
à  la  course.  Le  brigadier  D.  Juan  Mendiburn ,  gouver- 
neur du  Guayaquil,  dans  le  rapport  qu'il  a  envoyé  au 
Roi  d'Espagne  en  1817,  dit  :  «  Que  les  peuples  de  la 
«  vallée  de  Logrono ,  sont  très-forts  ,  d'une  belle  taille, 
«  très-agiles,  doux  et  affables  ;  qu'armés  d'une  pique  de 
«  bois  sans  fer ,  et  de  flèches,  ils  font  sans  cesse  la  guerre 
«  aux  bêtes  féroces,  dont  leur  pays  est  rempli  ,  et  que 
«  leur  adresse  à  manier  des  canots  ,  est  -incroyable.  Ils 
«  ont  adopté  le  costume  et  la  religion  des  Espagnols.  Ce- 
«  pendant,  ils  portent  des  casques  de  fils  tissus,  surmon- 
te tés  d'un  panache  de  plumes  de  diverses  couleurs,  au- 
«  quel  pendent  derrière  des  chapelets  de  graines,  et 
«    de  petits  fruits  du  pays.  » 

M.  Bossu  (  Nouv.  voyage  aux  Jnd.  Occident.)  dit: 


DES     PREMIERS     AMERICAINS.  111 

Les  Chactas  sont  si  alertes ,  que  j'en  ai  vu  courir  avec 
autant  de  vitesse  qu'un  cerf. 

M.  Humboldt  (dans  sonvoy.  aux  Rég.  équin.  du  Nou- 
veau-Continent), en  parlant  des  Guayqueries  qui  appar- 
tenaient autrefois  à  la  nation  des  Guaraotuios ,  que  l'on 
ne  trouve  plus  que  dans  les    marais   compris  entre  les 
bras   de  l'Orénoque ,    s'exprime  ainsi  :   «  Lorsque    nous 
«   fûmes  assez    proches   des  pirogues ,    il  y  avait  dans 
«    chacune  dix-huit  Indiens   Guayqueries  ,  nus  jusqu'à 
«.   la  ceinture ,  et  d'une  taille  très-élancée.  Leur  consti- 
*   union  annonçait  une  grande  force   musculaire  ,  et  la 
«   couleur  de  leur  peau  tenait  le  milieu  entre  le  brun  et 
«   le  rouge  cuivré.  A  les  voir  de  loin  ,  immobiles  dans 
«   leur  pose,   et   projettes    sur   l'horizon,    on   les    au- 
«   rait  pris  pour  des  statues  de   bronze.  Cet  aspect  nous 
«   frappa  d'autant  plus,  qu'ils  ne   répondaient   pas  aux 
«   idées  que  nous  nous  étions  formées,  d'après  le  récit  de 
«   quelques    voyageurs  ,    des  traits    caractéristiques     et 
«   l'extrême  faiblesse  des  naturels.   Nous  apprîmes  dans 
«   la  suite  ,  et    sans  franchir   les  limites  de  la  province 
«   de  Cumana,  combien  la   physionomie  des  Guayqua- 
«   ries  contraste  avec  celle  des  Chaymas  et  des  Caraïbes  j 
«   ils  appartiennent  à  cette  tribu  d'Indiens  civilisés,  qui 
«   habitent  les  côtes   de  la  Marguerite  ,  et  les  faubourgs 
«   de  Cumana.  Après  les  Caraïbes  de  la  Guiane   espa- 
ce  gnole ,  c'est  la  race  d'homme  la  plus  belle  de  laTerre- 
«   Eerme.  »    Tels   sont,    cependant,  ces   hommes  que 
M.    Paw  nous  représente  comme  des  spectres  ambulans. 
Si  la  nature  était,  en  Amérique,  aussi  dégradée  qu'il 
l'a  prétendu ,  au    point    que   les  Créoles  et  les  Euro- 
péens s'y  affaiblissent  tous,  on  n'y   verrait  pas   nombre 
de  vieillards   aussi  âgés  qu'en  Europe.  Voyez  ce  que  j'en 
ai  dit  au  Ier.  vol.,  traitant  de  la  température. 


112  SUR    LA    CONSTITUTIONS 

Les  Romains  appelaient  la  maladie  vénérienne  Veneris 
furor;  en  effet  ces  expressions,  de  fureur  de  Vénus  ; 
rigueurs  insupportables  de  Cypris  ;  vengeance ,  châtiment 
de  la  déesse  de  Cythère  ;  douleurs  aiguës  ;  feux  dévorans 
de  l'amour  ;  poison  subtil  et  destructeur  ;  fatal  présent 
de  la  colère  des  Dieux,  étaient  autant  de  manières  dé- 
centes d'exprimer  un  mal  honteux,  auquel  les  modernes 
ont  donné  un  nom  grossier. 

M.  Hume,  un  des  premiers  historiens  de  l'Angleterre, 
ayant  observé  ,  «  qu'il  trouvait  surprenant  qu'on  repré- 
«  sentât  l'Amérique  comme  un  pays  aussi  mal  sain  , 
«  aussi  contagieux  et  aussi  mortel  ;  puisque  les  petites 
«  armées  espagnoles  ,  qui  soumirent  et  dévastèrent 
«  ces  grandes  régions,  n'avaient  eu  presque  rien  à 
«  souffrir.  »  M.  Paw  répond  que  M.  Hume  se  trompe  , 
faute  de  s'être  instruit  dans  les  Historiens  de  ce  temps-là; 
et  pour  prouver  ce  qu'il  avance  ,  il  cite  Zarate ,  qui  dit: 
«  Que  les  troupes ,  commandées  par  les  frères  Pizarre , 
«  fuient  attaquées  de  clous ,  et  que  tout  malades  qu'ils 
«  étaient,  Pizarre  les  fit  résoudre  à  partir.  *  Puis  il 
ajoute  :  «  Que  Cortez  serait  mort  de  la  maladie  véné- 
«  rienne ,  si  les  Mexicains  ne  l'avaient  pas  guéri  ;  que 
«  Ferdinand  Soto  expira  dans  la  Floride  ,  mais  que  son 
«  armée  en  réchappa  ,  grâces  aux  remèdes  des  Sauvages  ; 
«  et  que  de  tous  les  pelotons  de  Gonsalve  à  peine  en 
«  échappa-t-il  dix  hommes.  »  C'est  ainsi  que  cet  écri- 
vain prétend  avoir  victorieusement  réfuté  M.  Hume  ! 

On  est  étonné  de  la  hardiesse  de  M.  Paw  qui ,  écri- 
vant au  fond  d'une  province  d'Allemagne  ,  deux  cent 
quarante  ans  après  les  témoins  oculaires ,  nie  tout  ? 
sans  avoir  jamais  été  en  Amérique.  On  n'a  jamais  vu 
que  des  clous  à  la  figure  ,  aux  bras  ou  aux  cuisses,  em- 


DES     PREMIERS    AMERICAINS.  Il3 

péchassent  de  marcher,  lorsqu'ils  ne  se   trouvent  pas 
dans  les  jointures  ,  ou  dans  les  articulations  :   c'était  une 
incommodité  passagère,  que  Pizarre  et  ses  soldats  regar- 
dèrent comme   une  bagatelle  ,   puisqu'ils   se  mirent  en 
route  malgré  cette  irruption  d'humeurs ,  qui ,  comme  on 
le  sait ,  évite  des  maladies  ,  lorsqu'elle  aboutit  heureuse- 
ment ,     et    qu'elle  n'est    pas   représentée.    Quant   à  la 
guérison  de  Cortez  et  de  l'armée  de  Soto  ,  ou  c  est  une 
fabrication   de  M.  Paw  ,    ou  il  en  a  imposé  au  public  , 
lorsqu'il   a  dit ,  page    45    du  premier  vol.  :    «    que   les 
a   Américains  les  plus  sains ,  en  apparence  ,  ne  laissaient 
«   pas    de  communiquer  aux   Européens  une  espèce  de 
«   virus  qui ,  à  la   longue  ,    pervertissait   la  qualité   du 
«   sang;  et  la  page  d'avant  :   que  les  Américains,    avec 
«   la  salsepareille,  le  gayac  et  la  lobelia,  pouvaient  aisé- 
*  ment   empêcher  le   mal   endémique'  et  national  ,  de 
«   dégénérer  en  excès  ;  et  qu'ils  mâchaient  continuelle- 
«   ment  du  coca  et  du  caamini  ,    pour  les  délivrer  d'une 
«   quantité  d'humeurs  malignes  ;  »    car  si  les  Mexicains 
avaient  pu  guérir  Cortez ,  et  les  Florides   l'armée    de 
Soto  ,    alors   ils    devaient  se    guérir  des  infirmités  cpie 
l'auteur  leur  a  prodiguées  avec  si  peu  de  vraisemblance 
sans  être  obligés  de  mâcher  éternellement  du  coca  et  du 
caamini  ,  pour  se    délivrer   d'une   cpiantité    d'humeurs 
malignes  ;  ni  de  se  ficher  du  tabac  dans  le  nez  ,   dans  la 
bouche  ,  pour  provoquer  l'écoulement  pituitaire. 

M.  l'abbé  de  la  Porte  ,  loin  d'accuser  l'air  du  Pérou 
d'être  nuisible  à  la  constitution  ,  dit  :  «  Les  femmes  de 
»  Lima  ont  la  peau  d'une  blancheur  éclatante  ,  les  yeux 
«  vifs,  le  teint  délicat ,  animé,  plein  de  fraîcheur  et 
«  de  vie  ;  une  taille  légère  et  bien  prise,  qui  semble  se 
«  jeter  dans  les  bras  de  l'amour;  des  cheveux  noirs , 

tome  2.  8 


H^  SUR     LA        CONSTITUTION 

«  épais,  qui  leur  descendent  jusqu'au-dessous  de  la 
«  ceinture  ;  à  des  jambes  fines  et  bien  dessinées  ,  se 
«  joint  un  pied  d'une  petitesse  extrême.  »  En  parlant 
du  Brésil  ,  il  s'exprime  ainsi  :  «  Enfin ,  parmi  les  habi- 
te tans  ,  on  ne  voit  que  des  hommes  bien  faits  ,  adroits 
«  et  pleins  de  génie  ,  dans  les  choses  du  moins  qui  leur 
«  sont  utiles.  »  Cette  description  ne  s'accorde  pas 
avec  la  constitution  dégradée  ,  qu'on  a  imaginé  de  don- 
ner aux  Américains. 

Si,  comme  M.  Calme  et  plusieurs  autres  observateurs 
l'ont  rapporté  ,  «  on  n'a  jamais  trouvé  de  Sauvage  qui 
«  n'ait  été  radicalement  guéri  du  virus  le  plus  invé- 
«  téré,  »  comment  n'a-t-il  pas  craint  de  voir  mettre  en 
évidence  son  imposture ,  lorsqu'on  s'est  permis  d'avan- 
cer: «  Oue  les  Américains  communiquaient  aux  Euro- 
«  péens  un  virus  qui  pervertissait ,  à  la  longue ,  la  qua- 
«  lité  du  sang  ;  »  et  si  Ton  n'est  parvenu  ,  que  vers 
l'an  1750,  à  apprendre  des  habitans  de  l'Amérique, 
différens  secrets  qu'ils  avaient  tenus  long-temps  cachés, 
pour  guérir  le  mal  vénérien  ,  ils  ne  pouvaient  donc  pas 
être  aussi  affligés  d'autant  de  maux,  ni  être  aussi  in- 
firmes ,  aussi  indifférens  aux  plaisirs ,  à  la  peine ,  aussi 
stupides  et  aussi  passifs,  que  Fauteur  des  Recherches 
sur  les  Américains  les  a  dépeints  ? 

Pour  comble  de  gaucherie  ,  cet  auteur  ,  page  161  du 
troisième  vol.  ,  confesse  ingénument  :  «  qu'on  n'a  pas 
«  trouvé  une  seule  peuplade  en  Amérique,  qui  n'eut 
«  des  médecins  :  ce  qui  est  fort  singulier  ,  dit-il  ,  car 
«  on  s'imagine  ordinairement  que  chaque  Sauvage  sait 
«   se  guérir  lui-même  ,   comme  les  Hottentots.  » 

Je  ne  vois  pas  qu'il  soit  singulier  que  des  peuples  par- 
venus à  une  certaine  civilisation  ,  aient  des   médecins  ; 


DES     PREMIERS     AMERICAINS.  11 5 

qui  plus  est ,  en  les  «  supposant  sauvages ,  ce  serait 
convenir  que  les  Sauvages  l'emportent  ,  sur  ce  point  , 
sur  les  peuples  civilisés  ,  puisqu'ils  pourraient  se  guériF 
eux-mêmes  ;  tandis  que  les  nations  éclairées  sont  ré- 
duites à  s'en  rapporter,  pour  la  guérison  ,  aux  lumières 
de  quelques  individus. 

Tout  autre  que  M.  Paw  n'eut  point  ,  je  crds ,  trouvé 
étonnant  que  Soto  et  les  faibles  détacliemens  de  Gon- 
zalve  qui  se  battaient  journellement  contre  les  Indiens 
occidentaux,  et  qui  avaient  constamment  à  lutter  contre 
l'intempérie  du  climat,  les  privations,  et  des  souffrances 
sans  nombre  ,  aient  succombé  ,  pour  la  majeure  partie  ? 
sous  les  flèches  empoisonnées  des  Indiens  ,  sous  le 
poids  des  fatigues,  des  privations  et  des  exhalaisons 
malsaines  des  marécages  qu'ils  étaient  parfois  obligés  de 
traverser.  Toutes  ces  considérations  ,  comme  on  le  voit  , 
sont  cependant  trop  au-dessous  de  la  prévoyance  de  cet 
écrivain  ,  pour  l'empêcher  de  ne  pas  trouver  extraor- 
dinaire que  Gonsalve  ait  perdu  quelques  centaines  d'hom- 
mes ,  en  faisant  la  guerre  dans  un  pays  que  lui-même  a 
représenté  comme  le  plus  malsain  du  globe;  et  que 
M.  Hume  se  soit  permis  de  dire  que  les  petites  armées 
espagnoles  n'avaient  eu  presque  rien  à  souffrir,  tandis 
qu'elles  avaient  eu  des  clous  qui  ne  les  avaient  cependant 
pas  empêchés  de  marcher,  et  des  maladies  qui  n'avaient 
ni  retardé,  ni  empêché  la  conquête  du  Pérou,  du 
mexique  ,    de  la  Floride  ,  etc. 

N'est- il  pas  plaisant  de  lui  entendre  ,  page  101  du 
premier  vol. ,  supposer  que ,  «  les  Américains  venaient 
«  seulement  de  descendre  des  rochers  et  des  élévations, 
«  où  ils  s'étaient  réfugiés  ,  comme  des  Deucalions, 
«  dans  des  plaines  remplies  de  vases,  qui  avaient  re- 


Il6  SUR    LA     CONSTITUTION 

«  refroidi  la  chaleur  de  leur  tempérament  ,  diminué 
«  incroyablement  leur  population ,  dépilé  et  énervé 
«  leur  corps  ,  et  occasionné  la  maladie  qui  anéantissait 
«   chez  eux  toutes  leurs  facultés  morales  et  physiques.  » 

D'après  cette  hypothèse ,  les  Hollandais  et  les  Véni- 
tiens, qui  ont  toujours  habité  des  marais,  auraient  dû. 
éprouver  les  mêmes  effets  ,  ou  d'autres  à  peu  près  sem- 
blables; les  Espagnols  n'auraient  pas  dû  trouver  des 
routes  pour  voyager  commodément;  ni  les  villes,  les 
bourgs ,  les  richesses  et  les  armées  qu'ils  ont  rencontrées 
dans  les  empires  du  Pérou  ,  du  Mexique  ,  dans  la  Flo- 
ride ;  mais  bien  une  mort  inévitable,  au  milieu  de  ces 
vases  mal  saines  ,  fourmillant  de  reptiles  dangereux  ,  et 
occasionnant  des  maladies  mortelles. 

Je  rappelerai  à  M.  Paw  que  Colomb  ,  dans  sa  lettre, 
dit  au  contraire,  que  c'étaient  des  terres  saines  et  fer- 
tiles ,  qui  s'étendent  au-delà  de  tout  ce  que  l'imagina- 
tion peut  se  figurer  ,  ou  que  l'avarice  peut  convoiter  ; 
et  non  pas  un  climat  qui  avait  fait  dégénérer  les  ani- 
maux ,  qui  avait  abruti  et  vicié  les  hommes  ,  dans 
toutes  les  parties  de  leur  organisme  d'une  façon  éton- 
nante. Les  descriptions  de  Cortez ,  de  Pizarre  et  des 
autres  conquérans ,  s'accordent  toutes  à  vanter  les 
richesses  et  les  merveilles  qu'ils  ont  trouvées  dans  ce 
vaste  pays.  Si  la  maladie  vénérienne  eût  exercé  des 
ravages  aussi  affreux  que  ceux  dont  parle  cet  écrivain  , 
Colomb  et  ses  gens  eussent  été  affectés  ;  Christophe 
n'eut  pas  manqué  d'en  faire  mention  dans  la  lettre  qu'il 
écrivait,  de  la  Jamaïque  en  1504,  au  roi  Ferdinand, 
pour  rendre  encore  plus  déplorable  la  triste  situation 
dans  laquelle  il   se  trouvait. 

Cet  auteur ,  qui  ne  manque  pas  d'expédiens ,  bons  ou 


DES     PREMIERS     AMERICAINS.  l\j 

mauvais  pour  colorer  ses  hyperboles,  nous  eût  tirés  d'un 
grand  embarras  .   s'il  nous  eût  démontré   les  ressources 
que  les  cent  cinquante  millions  de  Deucalions  avaient 
trouvées  ,    pour  subsister  dans  les  rochers   pendant  le 
déluge  de  leur  pays  ;  à  moins  qu  il  ne  suppose  que  cela 
se  soit  fait  par  enchantement  ;   pour  dédommager  ces 
Américains    imberbes ,    dont   le    défaut  de   poil   sur   la 
surface   de    l'épiderme    et    des  parties  génitales  ,    était 
cause  de  la   défaillance  et  de  l'altération  de  ces  mêmes 
parties  ,  de  la  petitesse  de  Voigane  et  de   la   longueur  du 
scrotum,  et  les  rendait  incapables  de  rien  faire,  pas  même 
d'avoir  des  villes;  quoique  les  Espagnols  avouent  qu'ils 
trouvèrent  chez  ces  Américains  des  lois,  des  villes  con- 
sidérables, des  édifices  remarquables ,  et  des  temples  ma- 
gnifiques,   dont  M.  Humboldt  a  admiré  l'architecture 
en  1 80 1 .  Certes ,  l'établissement  de  ces  villes ,  de  ces  mo- 
numens ,  a  dû  prouver  l'antiquité  des  connaissances  de 
ces  peuples ,   condamnés  par  M.  Paw,  à  une  éternelle 
stup.'ditée,   et  leur  réunion  en  société  et  les  ressources 
qu'ils  tiraient  de  leur  sol  et  de  leur  intelligence ,  démen- 
tent la  prétendue  descente  de  ces  Deucalions. 

Mais  s'il  est  avéré,  M.  Paw,  que  les  Américains  se 
sont  retirés  dans  les  montagnes,  pendant  le  déluge  de  leur 
pays  ,  il  est  vraisemblable  que  leurs  troupeaux  et  une 
partie  des  animaux  de  la  première  grandeur  y  ont 
trouvé  le  moyen  de  s'y  garantir  des  eaux  ,  sans  qu'il 
soit  nécessaire  ponr  cela ,  «  de  faire  grimper  aux  élé- 
«  phans ,  le  montChimboraço,  ni  les  pointes  de  rochers 
«  nuds  et  incultes  ;  »  puisqu'il  existe  en  Amérique  beau- 
coup d'élévations  convexes,  telles  que  les  Andes,  qui, 
par  une  pente  insensible  à  l'est ,  se  convertissent  en  une 
plaine  de  plusieurs  centaines  de  lieues  ;  les  Apalaches 
ou  Alleganjs  ,  qui  ont  assez  de  surface  pour  fournir  à 


Il8  SUR      LA      CONSTITUTION 

leur  nourriture  ,  et  assez  de  hauteur  pour  les  mettre 
au-dessus  de  la  plus  forte  inondation  que  notre  planète 
puisse  éprouver.  Le  grand  nombre  d'ossemens  de  ces 
animaux  qu'on  a  déterrés  le  long  de  l'Oh'o  et  dans  tout 
le  nord  de  l'Amérique  septentrionale  ,  confirme  cette 
assertion  ,  et  donne  lieu  de  présumer  que  c'est  le  grand 
froid  de  ces  hauteurs  qui  les  a  détruits  ,  et  non  pas  l'eau 
et  le  manque  de  nourriture. 

Quoiqu'il  semble  extraordinaire  à  M.  Paw  de  voir 
les  éléphans  grimper  sur  les  montagnes  ;  cependant  cet 
auteur  me  permettra  de  lui  dire  ,  qu'à  Daca  dans  lTn- 
dostan  ,  on  se  sert  de  ces  animaux  pour  aller  chasser  les 
bêtes  féroces  dans  les  montagnes  ;  qu'au  Bengal ,  les 
Anglais  employent  les  éléphans  dans  leurs  armées , 
surtout  pour  dégager  leurs  canons  des  bourbiers  ;  dans 
ce  cas-là,  l'animal  saisit  la  pièce  avec  sa  trompe,  la 
soulève  ;  et  jette  au  même  instant  un  cri  perçant,  qui 
effraie  les  bœufs  de  traits  et  les  excite  à  donner  un  coup 
de  collier  pour  la  sortir  du  bourbier.  Si  l'éléphant  s'aper- 
çoit que  l'un  d'eux  n'a  pas  fait  sjn  devoir  ,  il  laisse  re- 
tomber le  canon  ,  et  va  châtier  avec  sa  trompe  le  bœuf 
coupable.  Dans  l'Inde  on  s'en  sert  pour  exécuter  les 
criminels  ;  sitôt  que  le  coupable  leur  est  remis  ,  ils  le 
renversent  par  terre  ?  et  le  foulent  sous  leurs  pieds.  La 
sagacité  de  l'éléphant  est  telle ,  qu'il  reconnaît  les  ser- 
vices cp'on  lui  rend  (  témoin  l'aventure  du  sold  at  de 
Pondichéri  ,  cju'un  de  ces  animaux  empêcha  de  fusil- 
ler )  ,  comme  il  sait  punir  ceux  erui  osent  se  jouer  de 
lui  (  témoin  l'aventure  du  tailleur  de  cette  même  ville  , 
qui  s'étant  amusé  à  piquer  avec  son  aiguille  la  trompe 
d'un  éléphant  em'il  avait  coutume  de  caresser  devant  sa 
boutique,   fut   inondé  de   boue  par   cet  animal  3    à  son 


DES    PREMIERS    A  M  ÉRIC  A  IN  S.  HC| 

retour  de  la  rivière).  Mais  revenons  à  la  constitution  des 
premiers  Américains. 

N'en  déplaise  à  M.  Paw  ,  la  maladie  vénérienne  est 
née  en  Europe  ,  comme  sa  cruelle  sœur  la  petite  vérole. 
Les  Espagnols  qui  la  possédaient  de  temps  immémo- 
rial,  soit  qu'ils  l'eussent  reçue  des  Romains  ,  soit  qu'elle 
fût  provenue  de  leur  mélange  avec  les  Maures ,  peuples 
non  moins  libertins  que  les  anciens  Romains,  l'ont 
apportée  en  Amérique,  où  l'air  salin  de  la  traversée ,  la 
mauvaise  nourriture  du  passage  ,  l'air  mal  sain  des 
entre-ponts  ,  l'eau  corrompue  ,  la  chaleur  du  pays  où 
ils  débarquèrent  ,  et  les  excès  en  tout  genre  de  ces  san- 
guinaires usurpateurs  ,  peuvent  lui  avoir  donné  une 
nouvelle  activité.  C'est  ainsi  que  les  Européens  l'ont 
propagée  dans  divers  cantons  de  l'Asie,  et  dans  quel- 
ques îles  de  la  mer  Pacifique. 

Si  cette  maladie  eut  existé  dans  le  Nouveau-Monde 
avec  cette  contagion  et  cette  force  destructive  que 
M.  Paw  a  inventées  ;  si  les  chiens  que  les  Espagnols 
avaient  lâchés  dans  quelques  cantons  ,  l'attrapaient  bien- 
tôt ,  et  si  ceux  qui  mangeaient  les  Indiens  dont  la 
chair ,  suivant  lui  ,  n'était  qu'un  vrai  levain  vario- 
lique  ,  étaient  attaqués  de  ce  mal  vénérien  ;  ces  ani- 
maux auraient  dû  perdre  de  leur  force  ,  de  leur  rage  ; 
n'être  plus  aussi  alertes  à  poursuivre  les  Indiens  à  la 
piste,  et  à  les  harceler  jour  et  nuit.  Au  lieu  d'éprouver 
cette  altération,  cette  espèce  de  chiens  conserve  encore 
jusqu'à  ce  jour  le  même  goût  pour  la  chair  des  Indiens . 
et  les  dogues  de  ces  Indiens,  la  même  antipathie  contre 
les  Espagnols. 

S'il  suffisait  de  séjourner  dans  leur  pays,  pour  gagner 
la  goutte  sereine,    et  le  mal  vénérien ,   même  sans  cou- 


120  SUR    LA    CONSTITUTION 

tact  ;  les  Espagnols  ,  dont  le .  sang  était  plus  riche  que 
celui  de  ces  Américains,  n'aurait-il  pas  dû  offrir  plus  de 
prise  à  la  fureur  de  ces  deux  fléaux,  que  le  sang  appau- 
vri des  naturels  ?  Ces  conquérans  et  leurs  successeurs 
n'auraient  pu,  ni  dû  trouver  à  massacrer  de  vingt  h  trente 
millions  d'individus,  tant  dans  les  Antilles  que  sur  toute 
la  surface  du  Nouveau-Monde. 

Si  Ton  ajoute  à  ce  nombre  des  millions  d'autres  In- 
diens, que  leurs  guerres  particulières,  les  maladies  ,  les 
infirmités  de  la  vieillesse  ,  et  les  sacrifices  des  idoles 
enlevaient;  si  l'on  y  joint  les  ravages  de  la  petite  vérole, 
dont  Terrebio  assure  que ,  «  d'après  les  rapports  qui 
k  furent  faits  à  Cortez  ,  il  mourut  dans  l'empire  du 
«  Mexique  trois  millions  cinq  cent  mille  Mexicains  ;  que 
«  peu  de  temps  après  ,  il  périt  huit  cent  mille  Indiens 
«  par  les  nouvelles  infections  varioliques ,  qui  furent 
«  apportées  d'Europe  ,  qui  continua  de  communiquer 
«  ces  fléaux  à  l'Amérique  ,  à  des  intervalles  de  vingt  à 
«  trente  ans  ,  on  d'un  nombre  d'années  moins  considé- 
«  râbles  ;  que  la  contagion  s'étendit  de  la  Fera  Cruz 
«  jusqu'aux  extrémités  les  plus  reculées,  répandant  la 
«  terreur,  la  mort  et  la  désolation  sur  tout  ce  conti- 
k  nent  ;  que  cette  perte  ,  il  y  a  trente  ans,  dit  le  même 
«  auteur,  emporta  encore  dix  mille  Indiens  dans  les 
k   villes  de  Mexico  et  de  Puebla. 

«  Qu'environ  cinquante  ans  après  l'invasion  du  Pérou, 
«  (en  i58o),  l'Europe  infesta  ce  pays  avec  la  petite 
«  vérole;  qu'elle  enleva  100.000  Indiens  dans  la  seule 
k  province  de  Quito.  (  M.  de  la  Condamine  a  trouvé  ce 
«  rapport  dans  un  ancien  manuscrit ,  que  l'on  conserve 
«  dans  la  cathédrale  de  cette  ville  ),  que  la  petite  vérole 
«   ne  fit  pas  imxiisde  dégâts  dans  les  é  tab  lisse  mens  por- 


DES     PREMIERS     AMERICAINS.  121 

«   iugaîs  ,  et  le  long  au  fleuve  des  Amazones  ;  que  dans 
«   le  royaume  de  Léon ,  où   les  Espagnols  avaient  peine 
«   à  résister   aux  attaques  que  les  Indiens  faisaient  sur 
«   leurs  villes  ;  la  petite  vérole  a  presque  détruit  tous  les 
«   naturels  de  la  campagne,  ainsi  que  ceux  qui  habitaient 
k   Monterrej ,  capitale  du  nouveau  royaume  de  Léon  5 
«   qu'à  l'instar  des  chênes  àllulus  à  Troyes  ,  qui  ombra- 
«   geaient  les  tombeaux ,  on  voyait ,  il  y  a  environ  cin- 
«   quante   ans,    sous   les  vieux  chênes  des  plaines ,  des 
«   monceaux  d'ossemens  d'Indiens,  comme  autant   de 
«   trophées  de  ce  fléau  destructeux  ;  que    dans  le  nord 
«   de  V Amérique  septentrionale  ,  la  petite  vérole   étendit 
«   ses  ravages  comme  le  feu  dans  l'herbe  sèche  ;  que  des 
«   tribus  entières  disparurent  parmi  les  Esquimaux,  les 
«   Indiens  de  la  côte  de  Labrador  ;  que  dans  les  Antilles 
«   elle  ne  fit  pas  moins  de  dégâts  5  que  l'île  de  Cuba,  lors 
«   de  la  première  apparu tion  de  ce  fléau,  perdit  soixante 
«   mille  âmes  ,  et  Saint-Domingue  le  double  de  ce  nom- 
«   bre.    »   On  n'aura  pas   de   peine  à  s'apercevoir   alors 
combien  la  description  que  M.  Paw  a  faite  de   l'Amé- 
rique et  de  ses  naturels  ,  est  fausse  et  erronée  ,  puisque 
les  principes  de  la  dégéuération  ,  dans  les  deux   sexes  , 
eussent  été  trop  viciés  par  le  mal  vénérien  ,  pour  résister 
aux  ravages  de  cette  maladie  ,  à  ceux  du  climat ,  à  l'a- 
nimosité  des  peuplades  acharnées  à  leur  destruction  mu- 
tuelle, et  pour  permettre  aux  Américains  de  se  procréer, 
au  point  de  suffire  ,  et  au-delà ,  à  toutes  ces  pertes. 

Il  est  aussi  ridicule  de  supposer  que  les  sels  les  plus 
subtils  de  Vhumus  ,  et  la  grande  humidité  de  l'atmos- 
phère du  Nouveau-monde  ,  ont  produit  le  mal  vénérien 
chez  les  Américains  ,  que  de  soutenir  que  les  Vénitiens  , 
mais  principalement  les  Hollandais,  doivent  tous  l'avoir , 


122  SUR      LA      CONSTITUTION 


parce  qu'ils  sont  établis  dans  un  pays  marécageux  ,  et 
qu'ils  s'entourent  d'eaux  plus  ou  moins  stagnantes  dans 
tous  les  endroits  où  ils  se  fixent  5  que  de  prétendre  comme 
il  Va  dit,  p.  199  du  troisième  vol.  ,  «  qu'on  a  été  long- 
»  temps  avant  de  savoir  discerner  les  eaux  dont  on 
»  pouvait  boire,  d'avec  celles  dont  il  fallait  s'abstenir;  et 
»  que  les  Européens  qui  arrivaient  nouvellement  en 
»  Amérique  ,  devaient  là-dessus  se  faire  instruire  par 
»  les  personnes  qui  avaient  déjà  fréquenté  le  pavs  depuis 
»   quelque  temps  ,  et  qu'on  nommait  alors  Vétérans.  » 

Il  ne  peut  y  avoir  qu'un  bomme  aussi  peu  versé  dans 
la  Géographie  ,  qui  puisse  émettre  une  pareille  idée  ; 
puisque  le  dernier  enfant  ,  qui  étudie  la  Géographie, 
sait  que  l'Amérique  possède  les  plus  grands  fleuves  , 
le  plus  grand  nombre  de  rivières  ,  de  ruisseaux,  et  les 
lacs  d'eau  douce  de  la  plus  vaste  étendue  du  monde 
connu  :  pour  donner  une  lueur  de  vraisemblance  à  un 
conte  aussi  outré,  M.  Paw  aurait  du  démontrer  comment 
les  armées  de  Cortez  ,  dans  le  Mexique  ;  de  François 
Pizarre ,  dans  le  Pérou  ;  de  Soto ,  dans  la  Floride  ;  de 
Cabecca  de  Vacca  ,  dans  la  Louisiane  ;  de  Dieguc  à' Al- 
magro  ,  dans  le  Chili  ;  d' Orellana  ,  sur  le  Maragnon  ;  de 
Gonzalve  Pizarre ,  dans  la  Canella;  et  de  Barthelemi  Co- 
lomb ,  dans  111e  de  Saint-Domingue,  et  à  la  Jamaïque  , 
ne  s'empoisonnèrent  pas  immédiatement  après  leur  dé- 
barquement. 

Parce  que  les  trois  cents  Epouses  de  VInca  Atabaliba 
qui  furent  prises  avec  lui ,  furt  nt  contraintes  sur  le  champ 
de  bataille  de  Caxamaloa  ,  de  céder  à  la  brutalité  des 
Vainqueurs  ,  que  le  lendemain  de  l'affaire  ,  plus  de  cinq 
mille  femmes  éperdues  ,  après  avoir  arrosé  de  leurs 
larmes  le  corps  de  leurs  époux  gisans  sur  la  terre,  vin- 


DES      PREMIERS      AMERICAINS.  12a 

rent  avec  des  cris  lamentables ,  se  rendre  an  camp  des 
Espagnols,  lorsque  les  restes  de  leur  nation  vaincue, 
fuyaient  à  plus  de  quarante  lieues  dans  les  forets  ot  dans 
les  solitudes  ;  parce  que  le  sort  des  armes  força  la  sœur 
d 'Atabaliba  à  être  la  maîtresse  du  victorieux  Pizarre 
parce  qu'il  eut  un  enfant  avec  une  Péruvienne  de  Cusco 
parce  que  la  maîtresse  dy Almagro ,  était  née  à  Panama 
qu'une  Indienne  de  l'île  d'Haïty,  devenue  amoureuse  de 
l'Espagnol  Dias ,  indiqua  le  terrein  et  favorisa  rétablis- 
sement de  la  ville  de  Santo-Domingo  ,  que  Bartlielemi 
Colomb  n'aurait  jamais  pu  entreprendre  sans  elle;  parce 
que  l'Américaine  Amazillj  fut  la  maîtresse  et  l'inter- 
prète de  Fernand-Cortez  ;  que  des  femmes  Indiennes  sau- 
vèrent Vasco-Nunnez  et  son  armée  au  Darien  ,  d'une 
conspiration  formée  par  les  "Naturels  ,  pour  la  détruire; 
parce  que  \ajîlle  du  Cacicjue^Coîaciqui,  ouvrit  la  Floride 
à  Ferdinand  Soto,  et  lui  fournit  tous  les  moyens  imagi- 
nables, pour  dompter  cet  immense  pays  ;  et  que  des 
femmes  sauvages  vinrent  avertir  les  Français  que  les 
peuplades  de  la  Louisiane  avaient  conclu  le  projet  de 
profiter  de  leur  sécurité,  pour  les  égorger  :  doit-on  en 
conclure,  «  que  les  Indiennes  furent  extraordiiiairemsnt 
»  charmées  de  l'arrivée  des  Européens  ,  que  leur  lubri- 
»  cité  faisait  ressembler  à  des  satyres,  en  comparaison 
»   des  Naturels?  » 

Tout  autre  que  M.  Paw  eut  vu  dans  la  démarche  des 
cinq  mille  Américaines  qui  se  rendirent  après  le  mas- 
sacre de  Caxamalca  ,  les  unes  éeli  veiées  ,  les  autres 
portant  leurs  enfaus  à  la  mamelle  ,  des  .émises  ,  qui 
avaient  cru  parleurs  larmes,  leur  déplorable  situation, 
émouvoir  la  pitié  de  leurs  vainqueurs  ;  drms  celle  des 
Indiennes  du  Dar'un  et  de  la  Louisiane  ,  un  mouvemrv  t 


124  SU31     IjA     CONSTITUTION 

de  compassion  qui  leur  fait  honneur  ;  et  si  M.  Paw  n'eût 
pas  feint  d'oublier  comme  il  Ta  dit  :  «  que  les  Sauvages 
»  en  général ,  sont  dans  l'habitude  de  battre  leurs  fem- 
»   mes,  et  de  s'arroger  sur  elles  le  droit  de  vie  et  de 
»  mort,  de  les  exclure  de  la  famille  quand  il  leur  plaît, 
»  et  de  regarder  les  femmes  comme  une  propriété  ap- 
»  partenante  au  vainqueur;  »  il  eut  attribué  ,  à  la  con- 
duite des  autres  Indiennes,  un  tout  autre  motif  que  leur 
amour  pour  les  Oreillards  de  la  Bissadoa;  pour  ces  Espa- 
gnols, que  leurs  longues  chausses  ,  leurs  goitres,  leurs 
collerettes  et  leur  barbe  hideuse  ,  pouvaient  (  comme  il 
l'observe  fort  bien  )  faire  paraître  aussi  ridicules  que  des 
satyres;  et  il  eut  conclu,   plus  naturellement,  que  ces 
femmes,  par  devoir,  par  habitude  et  par  crainte  ,  autant 
que  par  le  désir  de  changer  leur  condition  et  leur  exis- 
tence misérables  ,  s'étaient  crues  obligées  de  souscrire  à 
la  volonté  de  leurs  nouveaux  maîtres,  et  peut-être  de  la 
prévenir:  tout  comme  en  Angleterre,  même  dans  le  dix- 
neuvième    siècle,    la  femme,    dont  un    mari  veut    se 
défaire  ,  souffre  qu'il  lui  passe  un  corde  au  col ,  qu'il  la 
mène  dans  cet  état  à  travers  les  rues  pour  aller  la  vendre 
publiquement  au  premier   venu ,    dans    le    marché    de 
Sinithsfieldà  Londres,  ou  dans  celui  de  toute  autre  ville 
d'Angleterre. 

Il  fallait  être  aussi  barbare  que  ces  Espagnols,  pour 
n'être  pas  touché  des  prières  de  cinq  mille  femmes 
éplorées  ,  des  cris  de  milliers  d'enfans  tendans  leurs 
petits  bras  pour  invoquer  leur  pitié  ,  et  surtout  pour 
abuser  de  la  situation  de  ces  malheureuses  mères.  Quelle 
différence  d'avec  ces  farouches  Romains  !  Galba ,  qui  ne 
pouvait  se  laver  du  crime  dont  on  l'accusait,  n'eut  qu'a 
produire  ,  aux  yeux  de   rassemblée  ,  ses  petits  enians  , 


DES   PREMIERS  AMÉRICAINS.  125 

que  sa  mort  allait  rendre  orphelins;  et  ce  spectacle  tou- 
chant arracha  à  ses  juges  attendris  l'absolution  qu'il 
ne  pouvait  obtenir  de  leur  justice.  Comme  on  le  voit,  il 
n'en  est  pas  de  même  de  M.  Paw,  puisque  ,  non  con- 
tent de  prêter  des  ridicules  à  ces  femmes  infortunées  ,  il 
ne  rougit  pas  d'insulter  la  vertu  dans  le  malheur.  Quand 
on  applaudit  à  un  forfait  semblable  ,  on  doit  approuver 
aussi  i'enlèvement  des  Sabines  !..... 

Qu'il  allègue  que  Ruminagui ,  général  d'Ataba- 
liba,  ait  fait  rassembler  ses  femmes  après  l'assassinat  de 
Caxanialca  ,  qu'il  leur  ait  dit  :  Mesdames ,  vous  aurez 
«  bientôt  le  plaisir  de  vous  divertir  avec  les  chiens  de 
«  Chrétiens ,  et  qu'il  les  ait  fait  décapiter  ,  pour  s'être 
«  mises  à  rire.  »  Je  réponds  que  c'est  un  conte  à  dormir 
debout ,  ejt  contre  nature ,  parce  qu'il  n'est  pas  vrai- 
semblable que  ces  femmes  ,  qui  n'avaient  jamais  vu 
d'Espagnols,  qui  n'avaient  jamais  eu  d'intrigues  avec  ces 
étrangers ,  dont  le  costume  devait  leur  paraître  ridi- 
cule ,  sale  et  même  puant,  par  rapport  à  leur  barbe,  à 
la  grossièreté  de  leurs  étoffes  ,  et  à  l'habitude  qu'ils  ont 
de  se  laver  les  mains  et  la  figure  avec  leur  urine;  enfin 
qui  étaient  en  sûreté  et  hors  d'état  d'être  insultés  par 
eux  ,  aient  pu  oublier  qu'elles  étaient  mères  ,  et  s'ima- 
giner trouver  le  bonheur'  avec  ces  farouches  étrangère, 
tout  dégoûtans  du  sang  de  leurs  pères  ,  de  leurs  frères , 
de  leurs  amans  et  de  leurs  compatriotes.  M,  Paw  ignore 
sans  doute  que  les  femmes  d'un  rang  élevé ,  n'importe 
dans  quel  pays  ,  tiennent  plus  au  décorum  que  les  vivan- 
dières et  les  femmes  de  soldats. 

En  second  lieu  ,  ce  propos  vulgaire,  vous  aurez  bientôt 
le  plaisir  de  vous  divertir  avec  les  chiens  de  Chrétiens  ,  est 
une  expression  familière  aux  Turcs,,   et  que  M.  Paw  a 


llG  SUR      LA     CONSTITUTION 

platement  placée  dans  la  bouche  d'un  général  Péruvien  , 
croyant  sans  doute   qu'il  était  question  d'un  manant. 

Cette  histoire  controuvée  servirait  encore  à  démentir 
l'indifférence  pour  le  sexe  ,  que  cet  auteur  suppose  aux 
Américains.  Que  pourrait-il  répondre  ,  si  on  lui  citait 
ceux  qui  avaient  jusqu'à  trois  cents  femmes?  Dirait-il 
ou  prétendrai t-il  nous  persuader  que  des  hommes  exté- 
nués ,  et  qui  n'avaient  que  le  souffle,  étaient  obligés, 
pour  améliorer  leur  constitution  débile  et  ruinée,  d'a- 
voir recours  à  un  spécifique  aussi  extraordinaire  ? 

Je  ferai  observer  en  même  temps  à  l'au'cur  des  Re- 
cherches sur  les  Américains  ,  que  si  les  Espagnols  se  sont 
empressés  de  prendre  ces  Ind.ennes  pour  leurs  maîtres- 
ses ;  s-  les  Français  et  les  Anglais  ont  imité  leur  exem- 
ple ;  si  le  capitaine  Smith  ,  surnommé  le  Voyageur  ,  et 
le  jeune  anglais  Ro'fe ,  n'ont  pu  résister  aux  charmes  de 
de  la  virginienne  Pocahuntas  ,  fille  du  Roi  Powhatan  ; 
c'est  une  preuve  qu'elles  ne  manquaient  pas  d'attraits  ,  et 
qu'elles  n'étaient  pas  aussi  matérielles  ,  aussi  hideuses  , 
ni  aussi  dégoûtantes  ,  que  Fa  faussement  avancé  l'auteur 
des  prétendus  mémoires  intéressans. 

Parce  que  des  femmes  européennes  se  prostituent  à 
des  étrangers  ,  au  lieu  de  rester  fidèles  à  leurs  maris,  et 
aux  hommes  de  leur  pays;  conclu  era-t~on  peur  cela, 
comme  M.  Paw  ,  que  les  Allemandes  ,  par  exemple  , 
sont  extraordinairement  charmées  de  la  présence  des 
Français,  que  leur  lubricité  fait  ressembler  à  des 
satyres  ,   en  comparaison  des  Allemands  ? 

Quand  cet  auteur  assurait  «  que  le  climat  de  l'Amé- 
«  rique  éteignait  ,  dans  ses  hab.tàns  ,  tout  sentiment 
«  d'amour  ,  d  amitié  et  de  sens.bilité  ,  »  il  faisait  tort  à 
ses  connaissances  ,   en  avançant  un  paradoxe  ,   qui  est 


DES      PREMIERS      AMERICAINS.  127 

démenti  ,  non-seulement  par  Dulertre  ,  Charlevoix ,  et 
les  autres  Missionnaires  qui  ont  écrit  sur  l'Amérique, 
mais  encore  par  les  voyageurs  et  les  écrivains  ,  qui 
s'accordent  tous  à  dire  qu'une  simple  fosse  y  fait  verser 
plus  de  larmes  que  les  catafalques  des  cathédrales  de 
l'Europe;  parce  que  l'Américain  regarde  les  tombeaux 
comme  les  plus  forts  liens  de  la  patrie  ,  tandis  que  l'Eu- 
ropéen ne  s'y  arrête  que  lorsque  le  ciseau  du  sculpteur  a 
su  fixer  ses  regards. 

Oui  ,  certes ,  c'est  en  Amérique  que  la  douleur 
prend  de  la  sublimité,  qu'elle  s'allie  avec  tous  les  efforts 
de  la  nature  ,  sans  que  les  travaux  les  plus  rudes  et  les 
destinées  les  plus  humiliantes  puissent  en  éteindre  l'im- 
pression dans  les  cœurs  les  plus  misérables.  Le  Canadien 
à  la  vue  du  petit  tertre  qui  couvre  les  cendres  de  son 
enfant  ,  ou  celles  de  sa  femme  ,  y  verse  journellement 
des  pleurs  ;  la  Canadienne  arrose  de  son  lait  et  de  ses 
larmes  les  restes  de  son  enfant ,  et  sur  celle  de  son 
époux  ,  elle  va  déposer  des  fleurs  et  une  touffe  de  ses 
cheveux.  Le  Péruvien  ,  à  la  vue  de  ses  grands  tombeaux 
murés  ,  nommés  Guacas  ,  se  prosterne  et  se  recueille 
avec  respect  ;  l'esclave  noir  dans  les  Ku tilles  ,  ne  man- 
que pas  de  visiter  quelquefois,  pendant  plusieurs  années  , 
l'humble  lieu  qui  contient  ce  qu'il  avait  de  plus  cher  au 
monde. 

C'est  encore  en  Amérique ,  que  l'amour  et  l'amitié  se 
sont  signalés  par  une  tragédie  ,  dont  la  fable  et  l'histoire 
n'avaient  pas  encore  fourni  l'exemple. 

Deux  Nègres  créoles,  de  Saint-Christophe,  jeunes, 
bienfaits,  robustes,  courageux  ,  nés  avec  une  àme  rare, 
s'aimaient  depuis  l'enfance.  Associés  aux  mêmes  tra- 
vaux,  ils  s'étaient  unis  par  leurs  peines ,  qui,    dans  les 


128  SUR     LA     CONSTITUTION 

cœurs  sensibles  ,  attachent  plus  que  les  plaisirs.  S'ils 
n'étaient  pas  heureux ,  ils  se  consolaient  au  moins  dans 
leur  infortune.  L'amour  qui  les  fait  toutes  oublier,  vint 
y  mettre  le  comble.  Une  négresse  ,  esclave  comnje  eux? 
avec  des  regards  plus  vifs,  sans  doute,  et  plus  brûlans  , 
à  travers  un  teint  d'ébène  ,  alluma ,  dans  ces  deux  amis' 
une  égale  fureur.  Plus  faite  pour  inspirer  que  pour  sentir 
une  grande  passion  ,  leur,  amante  aurait  accepté  Tun  ou 
l'autre  pour  époux  ;  mais  aucun  des  deux  ne  voulait  la 
ravir ,  ne  pouvait  la  céder  à  son  ami.  Le  temps  ne  fit 
qu'accroître  les  tourmens  qui  dévoraient  leur  âme,  sans 
affaiblir  leur  amitié ,  ni  leur  amour.  Souvent  leurs  larmes 
coulaient ,  amères  et  cuisantes ,  dans  les  embrassemens 
qu'ils  se  prodiguaient  à  la  vue  de  l'objet  trop  chéri  qui 
les  désespérait.  Us  se  juraient  quelquefois  de  ne  plus 
l'aimer,  de  renoncer  à  la  vie  plutôt  qu'à  l'amitié.  Toute 
l'habitation  était  attendrie  par  le  spectacle  de  ces  com- 
bats déchirans  ;  on  ne  parlait  que  de  l'amour  des  deux 
amis  pour  la  belle  Négresse. 

Un  jour  ils  la  suivirent  au  fond  d'un  bois.  Là,  chacun 
des  deux  l'embrasse  à  l'envi  ,  la  serre  mille  fois  contre 
«on  cœur,  lui  fait  tous  les  sermens  ,  lui  donne  tous  les 
noms  qu'inventa  la  tendresse  ;  et  tout-à-coup  ,  sans  se 
parler  ,  sans  se  regarder ,  ils  lui  plongent  à-la-fois  un  poi- 
gnard dans  le  sein.  Elle  expire  ;  et  leurs  larmes ,  leurs 
sanglots  ,  se  confondent  avec  ses  derniers  soupirs.  Us  ru- 
gissent ;  le  bois  retentit  de  leurs  cris  forcenés.  Un  esclave 
accourt:  il  les  voit  de  loin  qui  couvrent  de  leurs  baisers 
la  victime  de  leur  étrange  amour.  Il  appelle  ,  on  vient  , 
et  l'on  trouve  ces  deux  amis  ,  qui ,  le  poignard  à  la 
main  ,  se  tenant  embrassés  sur  le  corps  de  leur  malheu- 
reuse amante  ,  baignés  dans  leur  sang  ,  expiraient  eux- 


DES     PREMIERS     AMERICAINS.  1 2Gj 

mêmes  dans  les  flots  qui  ruisselaient  de  leurs  propres 
blessures.  (  Raynal.  )'- 

Pour  donner  une  idée  de  la  complexion  des  Indigènes 
du  Nouveau-Monde,  je  ne  puis  mieux  faire  que  de  rapporter 
ici  l'opinion  de  M.  Humboldt .  «  La  race  américaine,  dit 
«    ce    savant,  offre    des  peuples  ,  qui  par  leurs  traits  , 
«   diffèrent  aussi  essentiellement  les  uns  des  autres  ,  que 
«  les  variétés  nombreuses  de  la  race  du  Caucase  ,    les 
«   Circassiens ,    les     Maures  ,     les    Perses.    La    forme 
«   élancée  des  Patagons  qui  habitent  l'extrémité  australe 
«   du  Nouveau-Continent,  se  retrouve,  pour  ainsi  dire, 
ce  dans  les  plaines  depuis  le   Delta  de   l'Orénoque  jus- 
«  qu'aux  sources  du  Rio-Blanco ,  chez  les  Caraïbes  que 
«  l'on  doit  compter  parmi  les  peuples  les  plus  robustes 
«  de  la  terre ,   et  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  les 
«  Zambos   dégénérés ,    appelés  jadis   Caraïbes  ,   à  l'île 
«   Saint- Vincent;  et  le  corps  trapu  des  Indiens  Chajrmas 
«   de  la   province   de  Cumana.   La   grande  nation   des 
ce   Caraïbes  ,  qui  ,  après  avoir  exterminé  les  Cabres ,  ont 
ce   conquis  une  partie  considérable  de  l'Amérique  méri- 
«   dionale,   s'étendait  au  seizième  siècle,  depuis  l'équa- 
«   teur  jusqu'aux  îles  Vierges.  Le  peu  de  familles  qui 
ce   existaient  encore  dans   les  Antilles  orientales,  et   qui 
ce   viennent  d'être  déportées  par  les  Anglais,  étaient  un 
ce   mélange  de  vrais  Caraïbes  et  de  Nègres.  Quelle  diffé- 
ce  rence  de  forme  entre  les  Indiens  de  Tlascala ,  descen- 
te  dans  des  Tolstèques ,  et  les  Lipans  et  les  Chichimèyues 
ce   de  la  partie  septentrionale  du  Mexique  ! 

Parmi  les  Indigènes  du  Nouveau-Continent,  ilexiste 
des  tribus  d'une  couleur  très-peu  foncée ,  et  dont  le  teint 
se  rapproche  de  celui   des  Arabes  ou  des  Maures.   Les 

TOME    2.  9 


l3o  SUR     LA     CONSTITUTION 

peuples  du  Rio-Nigro    sont  plus  bazanés  que    ceux  du 
bas  Orénoque. 

Dans  les  forets  de  la  Guiane ,  surtout  vers  les  sources 
de  rOrénoque  ,  vivent  plusieurs  tribus  blanchâtres  ,  les 
«  Guaicas ,  les  Guajaribes ,  et  les  Aribes ,  dont  quelques 
a  individus  robustes  ,  et  n'offrant  aucun  signe  de  la  ina- 
«  ladie  asthénique  qui  caractérise  les  Albinos ,  ont  le 
«  teint  de  vrais  métis!  Cependant,  ces  peuples  ne  se  sont 
«  jamais  mêlés  avec  les  Européens,  et  se  trouvent  en- 
te  tourés  d'autres  peuplades  d'un  bruu  noirâtre. 

«  Les  Indiensqui,  dans  la  zône-torride  habitent  les  pla- 
te teaux  les  plus  élevés  de  la  Cordillière  des  Andes , 
«  ceux  qui ,  sous  les  45e  de  latitude  australe ,  vivent  de 
«  pêche  entre  les  îlots  de  l'archipel  des  Chonos  ,  ont  le 
«  teint  aussi  cuivré  que  ceux  qui ,  sous  un  ciel  brûlant, 
«  cultivent  les  bananes  dans  les  vallées  les  plus  étroites 
«  et  les  plus  profondes  de  la  région  équinoxiale.  Les 
«  Mexicains  sont  plus  bazanés  que  les  Indiens  de  Quito 
«  et  de  la  Nouvelle  Grenade ,  qui  habitent  un  chmat 
«  également  analogue  ;  les  peuplades  éparses  au  nord 
«  du  Rio-Gila  ,  sont  plus  brunes  que  celles  qui  avoi- 
«c  sinent  le  royaume  de  Guatimala.  Cette  couleur  fou- 
it cée  se  soutient  jusqu'à  la  côte  la  plus  proche  de  l'Asie  5 
«  mais  sous  les  540  10  de  latitude  boréale ,  à  Cloak- 
«  Bay  ,  au  milieu  des  Indiens  à  teint  cuivré ,  et  à  petits 
«  yeux  très-allongés,  se  présente  une  tribu  quia  de 
&  grands  yeux  ,  des  traits  européens ,  et  la  peau  moins 
«  brune  que  les  paysans  des  campagnes  de  l'Europe. 
k  Tous  ces  faits,  dit  M.  Humboldt,  tendent  à  prouver 
«  que ,  malgré  la  variété  des  couleurs  et  des  hauteurs 
«  qu habitent  les  différentes  races  d'hommes,  la  nature 


DES     PREMIERS     AMÉRICAINS.  îSl 

*  ne  dévie  pas  du  type  auquel  elle  s'est  assujettie  depuis 
«   des  milliers  d'années, 

«  Les  Indigènes  à  teint  cuivré  ne  sont  presque  sujets 
k  à  aucune  difformité» 'Je -n'ai  jamais  vu  ,  dit  ce  savant , 
«  un  Indien  bossu  ;  il  est  extrêmement  rare  d'en  voir 
«  de  louches  ,  de  boiteux  ou  de  manchots.  Ils  sont 
m  exempts  de  goitres,  rarement  si  l'on  observe  cette 
«  affection  de  la  glande  thyroïde  chez  les  Métis.  J'ai 
«  vu  ,  en  1801,  le  fameux  géant  mexicain,  nommé  Mar* 
«  tin  Salmeron  ;  il  a  sept  pieds  un  pouce  de  hauteur,  me- 
«  sure  de  Paris  •  c'est  le  mieux  proportionné  que  j'aie 
«  rencontré»  Il  a  un  pouce  de  plus  que  le  géant  de  Tor- 
«  néo ,  venu  à  Paris  en  1735  ;  il  est  fils  d'un  Métis  qui 
«  a  épousé  une  Indienne  du  village  de  Chilapa  el  grande^ 
«  près  de  Chilpansingo,  » 

La  race  blanche  américaine  offre,  en  général,  dans 
l'Amérique  méridionale,  des  formes  heureuses,  vue  car- 
nation animée  ,  des  yeux  expressifs.  Dans  la  partie  sep- 
tentrionale de  l'Amérique ,  les  hommes  ont  une  stature 
élevée  ,  des  membres  vigoureux  et  bien  proportionnés. , 
un  teint  vermeil.  Les  femmes  y  sont  grandes  \  élancées, 
leur  poitrine  haute  et  ferme;  leurs  traits  seduisans? 
leur  peau  douce ,  blanche  ,  rehaussée  par  l'incarnat  de 
la  rose. 

Les  enfans  sont  en  général  bien  faits  7  actifs,- dispos, 
brillans  de  santé  et  de  fraîcheur.  (Voyez  ce  qu'en  disent 
M.  Bonnet  et  le  duc  de  Liancourt.  ) 

Dire  qu'un  Créol  Portugais  et  Anglais  se  tiennent 
pour  offensés  quand  on  les  appelle  américains ,  et  qu'un 
Espagnol  ne  pardonne  jamais  à  celui  qui  a  osé  lui  faire 
ce  reproche  ;  c'est  s'oublier  soi-même ,  sans  porter  pré- 
judice  en  rien  au  caractère  des  Américains,  puisque 

9* 


l32  SUR      LA     CONSTITUTION 

tout  le  monde  sait  que  les  premières  familles  espa- 
gnoles tiennent  à  honneur  de  descendre  des  anciens 
seigneurs  Aztèques  et  Mexicains;  et  que  les  alliances 
entre  ces  deux  peuples  sont  très  -  communes.  Plus 
grands  que  Cornélius  Fidus ,  gendre  d'Ovide  ,  qui  pleura 
en  plein  sénat  ,  parce  que  Corbulon  l'avait  appelé 
Autruche  sans  plumes  ,  les  Créoles ,  à  l'instar  de  Socrate, 
qui  écoutait  de  sang  froid  la  comédie  des  Nuées,  dans 
laquelle  Aristophane ,  ce  lâche  et  vil  bouffon  renversait 
la  religion  de  son  pays. ,  tournait  Socrate  en  ridicule 
d'une  manière  si  indécente ,:  et  préparait  lentement  le 
poison  (pïAnilus  et  Melitus  devaient  bientôt  lui  envoyer 
au  nom  de  ses  concitoyens  superstitieux  et  ingrats  ;  les 
Créoles  ,  dis-je  ,  croiraient  se  déshonorer  s'ils  descen- 
daient à  prendre  la  plume  pour,  repousser  les  sarcasmes 
déplacés  de  M.  Paw  ;  parce  qu'ils  n'ignorent  pas  que  ce 
sont  les  armes  dont  les  insolens  et  les  petits  esprits  ont 
coutume  de  se  servir,  lorsqu'iJs  ne  savent  que  répondre 
aux  objections  qu'on  leur  fait;  et, qu'elles  sont  indignes, 
d'ailleurs  ,  du  mérité  de  l'auteur  des  Recherches  sur  les 
Américains 

Je  l'engage  a  ne  pas  oublier  ces  sentences  du  ph'lo- 
sophe  Démocrate  :  «  Celui  qui  fait  une  injure,  est  plus 
malheureux  que  celui  qui  la  reçoit.  Il  vaut  mieux  condam- 
«  ner  ses  propres  erreurs  que  celles  des  autres  ;  et 
«  comme  hommes,  nous  devons  gémir  sur  les  calamités 
«  de  nos  semblables ,  et  non  pas  en  faire  un  sujet  de 
«  risée.  »  C'est  ainsi  que  pensaient  ce  philosophe  et  son 
confrère  Démophile ,  tous  deux  de  la  secte  de  Pytha- 
gore.  Ce  même  Démophile  prétendait  ce  que  la  plaisan- 
ce terie  était  comme  le  sel,  qu'on  ne  devait  l'employer 
«  qu'avec  ménagement  ;  et  que  pour  être  maître  de  soi, 


DES     PREMIEBS     AMERICAINS.  l35 

«  il  fallait  savoir  gouverner  sa  langue  et  ses  passions.  » 
M.  Paw  croit-il  se  faire  nu  mérite  aux  yeux  des  hom- 
mes sensés  ,  en  avançant ,  pag.  2  du  2.e  vol.  :  «  Que  si 
«  l'on  prenait  à  tâche  d'excuser  la  méprise  des  théolo- 
«  giens  et  des  philosophes  du  quinzième  siècle  ,  dont 
«  l'ignorance  seule  pouvait  les  avoir  induits  à  refuser  une 
«  âme  immortelle  aux  habitans  de  l'Amérique,  et  à 
«  soutenir  qu'ils  n'étaient  pas  de  véritables  hommes , 
«  mais  bien  de  véritables  Orang-outangs  ;  il  ne  sait  pas 
«  si  l'on  ne  pourrait  pas  réussir  à  excuser  cette  méprise, 
«   quelqu'énorme  qu'elle  paraisse  ?  » 

L'idée  d'une  opinion  semblable  déshonore  celui  qui 
l'a  conçue  ,€ t  plus  encore  celui  qui  s'efforcerait  de  la 
défendre.  Quoi  !  M.  Paw  ,  prétendriez-vous  jus'iÇer  ces 
Espagnols  qui  se  flattent  d'être  des  Chrétiens  zélés, d'a- 
voir chassé  des  hommes  paisibles  avec  des  dogues  alains, 
de  les  avoir  découpés  en  morceaux  pour  repaître  les  chiens 
qui  les  avaient  saisis  ?  Et  parce  que  les  Alains  amenèrent 
en  Europe  cette  race  particulière  de  chiens ,  qu'ils  s'en 
servirent  peut-être  dans  leurs  guerres  contre  les  anciens 
habitans  de  l'Espagne  ,  vous  croyez  que  leurs  descendans 
ont  eu  raison  de  s'en  venger  sur  les  peuples  pacifiques 
et  innocens  de  l'Amérique  ,  qui  n'avaient  jamais  eu-  de 
communication  avec  l'Europe  ?  Il  n'y  a  donc  point  de 
crime  unique  dans  lHistoire  ? 

Autant  vaudrait-il  approuver  la  conduite  de  cet  An- 
glais qui,  pour  se  soustraire  à  la  juste  vengeance  des  Ca- 
raïbes ,  qu'il  avait  cherché  à  enlever  sur  le  Continent 
d'Amérique ,  pour  en  faire  des  esclaves,  s'était  jeté  dans 
un  bois,  où.  il  fut  rencontré  par  une  jeune  Indienne  qui 
lui  sauva  la  vie,  et  qu'il  vendit  à  sen  retour  à  la  Bar- 
Lade ,  après  que   celle-ci  lui    eut  donné  son  cœur  avec 


l34  SUR   LA.   CONSTITUTION 

tous  les  sentimens  et  tous  les  trésors  de  l'amour.  Malheur 
a  celui  que  l'indignité  de  cette  action  ne  fait  pas  frémir 
d'horreur  et  de  pitié  ;  la  nature  Ta  formé  ,  non  pas  pour 
l'esclavage  des  Nègres ,  mais  pour  la  tyrannie  de  leurs 
maîtres.  Cet  homme  aura  vécu  sans  commisération,  il 
n'aura  jamais  pleuré,  jamais  il  ne  sera  pleuré...  (Ray nal). 

Autant  vaudrait-il  donner  son  assentiment  à  la  conduite 
de  ce  Crctssus  dans  le  jugement  ,  où  Clodius  était  accusé 
d'avoir,  à  la  faveur  d'un  déguisement,  déshonoré  la  femme 
de  César  }  après  avoir  violé  la  sainteté  d'un  sacrifice  cé- 
lébré pour  le  salut  du  peuple  romain, d'un  sacrifice  dont 
non  seulement  les  hommes  étaient  exclus ,  mais  où  l'on 
voilait  même  les  peintures  de  tous  les  animaux  mâles  ; 
de  ce  Crassus  qui,  pour  purger  Clodius  de  son  adultère, 
gagna  les  juges  à  prix  d'argent,  et  par  les  faveurs  de 
quelques  dames  ,  et  de  quelques  jeunes  gens  de  qualité  , 
dont  ils  avaient  exigé  la  jouissance  ,  en  sus  de  leur  sa- 
laire. (Cicer.  Epis  t.  ad  Altic ,  îib.  I,  Epis  t.  1 6,  traduction 
de  l'abbé  Mangault.  ) 

Je  craindrais  d'abuser  de  la  patience  du  lecteur,  si  j'en 
treprenais  de  relever  tous  les  paradoxes  dont  M.  Paw  a 
semé  la  description  qu'il  a  faite  de  la  maladie  véné- 
rienne ,  de  la  dégénération  dans  toutes  les  espèces  ani- 
males des  hommes  et  des  femmes  de  l'Amérique  ;  de 
leur  surabondance  laiteuse  ;  de  la  facilité  et  de  \apromp-* 
iitude  avec  laquelle  les  Américaines  accouchaient;  enfin, 
de  leur  stérilité ,  parce  qu'il  est  visible  que  cet  écrivain 
cherche  par  des  sophismes  affreux:  à  faire  briller  son 
esprit  aux  dépens  de  la  vérité  et  de  la  raison  ;  qu'il  re- 
jette tout  ce  qui  ne  s'accorde  pas  avec  son  désir  et  sa 
manière  de  penser  :  que  par  une  prévention  qui  n'a  point 
d'exemple  j  il  s'est  efforcé  de  dégrader,  sans  exception, 


DES     PREMIERS     A.MERICA1KS.  l35 

toutes  les  races  d'Américains ,  à  qui  il  a  refusé  jusqu'à  la 
faculté,  jusqu'au  plaisir  de  penser,  de  concevoir  ses  rai- 
sonnemens  scientifiques,  sublimes,  lumineux  et  profonds; 
quoiqu'il  prétende  les   avoir  justifiés  de  ses  imputations 
grossières  ,  en  disant  :  «   Qu'on  avait  exagéré  le  nombre 
«   dCAntropophages  qu'on  a  trouvés  au  TsTou v eau-Monde  ; 
«   que  Pizarre  est  un  voleur  ;  Cortez  un  brigand  ;  Vasco- 
«c  Nunnez  un  monstre  infâme,  digne  du  dernier  supplice; 
«   que  les  Indiens  pleurèrent  la  mort  de  Christophe  Co- 
ta lomb  ;  et  qu'ils  trouvèrent   dans  Ovanâo ,  son  succès- 
a   seur ,  le  tyran  le  plus  féroce ,  le  plus  dénaturé  de  tous 
«  les  Castillans  qui  passèrent  en  Amérique.    »  Que  ré«* 
pondre  à   une   justification   semblable  ?  Se  taire  est  le 
parti  le  plus  sage. 

Pour  se  venger  de  son  peu  de  succès  contre  l'Amé- 
rique, il  accuse  ,  page  i56  du  2e.  volume  ,  Antonio  de 
Solis  j  dans  son  Histoire  de  la  Conquête  du  Mexique  , 
«  de  n'avoir  tâcbé  que  de  briller  par  l'éclat  des  pensées 
«  et  des  images  gigantesques,  par  la  pompe  de  la  nar- 
k  ration ,  et  d'avoir  indignement  sacrifié  la  vérité  de 
«  l'Histoire    aux  vains  agrémens  d'un  style  ampoulé.  » 

Si  M.  Paw  n'avait  pas  fait  abnégation  de  toute  pu- 
deur ,  il  se  fût  abstenu  de  reprocher  à  Solis  d'avoir  in- 
dignement sacrifié  la  vérité  de  l'Histoire,  afin  d'écarter 
de  l'esprit  du  lecteur  ,  Vidée  de  l'accuser  de  ce  reproche 
qu'il  s'est  fait  gloire  de  mériter  à  chaque  chapitre  de  son 
ouvrage  ,  sans  avoir  la  triste  certitude  que  son  génie  aura 
réussi  à  nuire  à  un  pays  au-dessus  de  ses  éloges,  au-des- 
sus de  sa  médisance.  Quant  à  son  jugement  sur  l'ouvrage 
de  M.  Solis,  il  est  bien  différent  de  celui  de  Voltaire  ; 
qui  prétend  dans  ses  notes  à  la  suite  de  la  Henriade  , 
«  Que  c'est  un  ouvrage  excellent ,  et  que  le  poënae  épi» 


i  36  Sur   la    constitution 

k  que  de  X  Araucaria  de  dom  Alonzo  d'Ercilla  (  dont 
«  fâ.  Paw  parle  peu  favorablement  à  la  page  i58  du 
«  ie.  volume  )  ,  est  célèbre  par  quelques  beautés  parti- 
«  ticulières  qui  y  brillent ,  aussi  bien  que  par  la  singu- 
«   ïarité  du  sujet.  » 

Cet  auteur,  qui  prétend  qu'un  poème  épique  en  prose 
est  une  monstruosité,  eût  pensé  peut-être  différemment, 
s'il  eût  lu  le  discours  de  Ramsej ,  et  le  jugement  de 
quelques  autres  écrivains  instruits  ,  qui  ne  font  pas  dif- 
ficulté de  regarder  Télémaque  comme  un  poème  épique 
comparable  à  V Iliade  et  à  V Enéide. 

Si  le  poème  épique,  intitulé  le  Mexique  conquis  ;  si  la 
Colombiade;  si  le  poème  de  Jumonville,  et  l'Araucana 
d' Alonzo,  n'ont  pas  eu  toute  la  célébrité  qu'on  devait 
en  attendre  ,  il  ne  faut  pas  en  chercher  la  cause  dans  la 
nature  du  sujet,  connue  l'a  avancé  M.  Paw  ,  mais  bien 
dans  la  difficulté  inséparable  de  ces  sortes  d'ouvrages. 

ISAlzire,  de  Voltaire;  la  tragédie  de  Fcrnand-Cortez, 
de  Piron;  l'opéra  de  Fernand-Cortez,  de  MM.Esmenard, 
de  Jouy  et  Spontini ,  prouvent  que  l'Amérique  ,  ses  pro- 
ductions et  ses  habilans.  sont  faits  pour  fournir  des  chef- 
d'oeuvres  au  théâtre,  indépendamment  des  sujets  variés 
qu:ils  offrent  à  l'Histoire ,  à  la  Poésie  épique,  et  aux  trois 
règnes  de  la  Nature.  Leslncas  de  Marmontel,  et  l'Atala  de 
M.  de  Chateaubriand,  sont  deux  autres  preuves  convain- 
cantes delà  fraîcheur  du  coloris,  et  de  l'élégance  du 
style  que  la  prose  acquiert  lorsqu'elle  sait  traiter  l'Amé- 
rique comme  elle  doit  l'être. 

Quoiqu'il  en  dise  ,  la  Défense  et  la  Conquête  du 
Mexique  ;  la  réception  de  Cortcz  dans  le  palais  de  Mo- 
îézuma;  la  mort  déplorable  de  cet  empereur  ,  triste  vic- 
time de  sacoiiiiance,  celle  du  brave  Guatimozin  expirant 


DES  PREMIERS  AMÉRICAINS.         \Zf 

paisiblement  sur  un  brasier  ardent;  Yinvasion  du  Pérou  ; 
la  mauvaise  foi  de  Pizarre  ;  V  empressement  de  l'Inca  Ata- 
baliba  à  écouter  les  augustes  vérités  de  la  religion  chré- 
tienne ;  la  célèbre  bataille ,  ou  pour  mieux  dire ,  le  lâche 
assassinat  de  Caxamalca  ,  qui  décida  du  sort  de  l'empire 
du  Pérou  ;  le  viol  des  5,ooo  Américaines  qui  s'étaient 
mises  sous  la  protection  de  leurs  vainqueurs  ;  Vaffreuse 
condition  delà  sœur  d'Atabaliba,  réduite  à  servir  de  mai- 
tresse  à  l'usurpateur  Pizarre  ;  la  rançon  exliorbitante  d'A- 
tabaliba, sa  fin  tragique  et  cruelle,  sont  des  sujets  dignes 
du  génie  d'un  Homère ,  d'un  Virgile  ,  ou  d'un   Voltaire. 

Ces  sujets  ,  je  pense  ,  valent  bien  ceux  de  Patrocle 
et  d'Automédon  (  au  o,.e  liv.de  l'Iliade  )  ,  mettant  trois 
gigots  de  mouton  dans  une  marmite  ,  allumant  et  souf- 
flant le  feu,  et  préparant  le  dîner  avec  Achille  ;  celui  de 
la  princesse  Nausica ,  fille  d'Alcinoùs,  roi  des  Phéacicns, 
qui,  suivi  de  toutes  ses  femmes,  va  laver  ses  robes  et 
celles  du  roi  et  de  la  reine;  la  Fable  (dans  l'Enéide  ) 
des  Harpies  enlevant  le  dîner  du  héros  de  ce  poème; 
les  prédictions  de  Céléno;  la  surprise  du  petit  Ascagne  , 
qui  s'écrie  :  que  les  Troycns  ont  mangé  leurs  assiettes  ; 
la  métamorphose  des  vaisseaux  d'Enée  en  Nymphes,  etc. 

La  guerre  de  Troyes  était  légitime  ;  le  Troyen  Paris 
l'avait  provoquée,  en  enlevant  et  en  refusant  de  restituer 
Hélène.  Rien  ,  au  contraire ,  ne  saurait  justifier  la  con- 
quête du  Mexique  ,  celle  du  Pérou  ,  encore  moins  le 
meurtre  infâme  des  monarques  et  des  sujets  de  ces  deux 
vastes  contrées  ;  enfin  la  guerre  de  Troyes  était  de  peu 
de  conséquence  ,  puisqu'il  ne  s'agissait  que  de  détruire 
une  ville  qui  se  refusait  à  un  acte  de  justice  ;  tandis 
que  la  conquête  de  l'Amérique  a  été  faite  contre  le  droit 
des  gens  et  des  nations,   parce  qu'elle  devait  assurer  ? 


l38  SUE     LÀ     CONSTITUTION 

aux  vainqueurs ,  non  pas  des  ruines  et  des  décombres 
comme  Troyes  ,  mais  l'empire  de  la  moitié  du  monde 
Connu  ;  des  trésors  et  des  productions  ,  qu'on  cher- 
cherait vainement  dans  les  trois  autres  parties  du  globe. 

Si   M.   Paw  ,  au  lieu  d'exhaler  injustement  sa  bile 
contre  un  peuple  et  un  pays  qu'il  n'a  jamais  connu,  eût 
voulu  prouver  à  ses  lecteurs  qu'il  était  doué  d'un  esprit 
sage  et  judicieux,   qui  ne  précipite  ni  son   admiration  , 
ni  sa  censure  ;  il  eut  cherché  à  imiter  ces  prudcns  Seno- 
nois  qui,  étant  saisis  d'abord  d'une  crainte  respectueuse, 
à  l'aspect  imposant  des  sénateurs  de  Rome,   qu'ils  pre- 
naient pour  des  Dieux ,  voulurent  ,  avant  de  leur  rendre 
les    honneurs    divins ,   examiner   à    fond   leur  nature  ; 
s'il  se   fût   apitoyé    sur    la    situation     affreuse    de  ces 
infortunés  Américains  ,   il  n'eût  pas  flétri  aussi  légère- 
ment ce  peuple  et  ce  pays,  où  l'Européen  va  chercher  le 
bonheur  lorsqu'il  ne  peut  le  trouver  dans  le   sien;  et  il 
eût  reconnu  un  intérêt  digne  de  l'épopée  et  de  la  tragé- 
die ,  dans  la  conquête  du  Mexique  par  Cortez  ,  parce 
qu'il  eut  affaire  à  des  peuples  belliqueux,  qu'il  fut  exposé 
aux  plus  affreux  dangers  ,   qu'il  ne  s'en  tira  que  par  des 
prodiges  de  valeur,  de  constance  et  de  sagesse ,  quoiqu'il 
fût  cruel  plus  dune  fois. 

Prétendre  fixer  les  causes  de  la  constitution  des  pre- 
miers Américains  ,  et  vouloir  ,  par  des  moyens  con- 
tradictoires ,  expliquer  pourquoi  leurs  corps  étaient 
dégarnis  de  poils ,  c'est  une  entreprise  dont  on  pourrait 
dire  ce  que  Pline  disait  de  ceux  qui  veulent  comprendre 
la  nature  de  Dieu.  «  furor  et  profecto  furor.  »  Cette 
présomption  est  digne  de  celle  de  Leuvenhœk ,  qui 
composait  l'épi  derme  de  l'homme  avec  des  écailles  à 
charnières .,  ignorant,  comme  l'observe  M.  Paw  ,  que 


DES    PREMIERS    AMERICAINS.  l$g 

ces  écailles  et  ces  charnières  n'existent  pas  dans  la  nature  ; 
elle  peut  aller  de  pair  avec  celle  de  Maupertuis  ,  qui 
voulait,  comme  dit  Voltaire ,  «  creuser  un  trou  au  centre 
«  de  la  terre  pour  voir  le  feu  central  ;  disséquer  les 
«  Patagons  pour  connaître  la  nature  de  l'âme  ;  enduire 
«  les  malades  de  poix  -  résine  pour  les  empêcher  de 
«   transpirer  ,  et  exalter  sou  âme  pour  prédire  l'avenir.  » 

J'ignore  quel  motif  a  pu  engager  cet  écrivain  à  avancer 
que  les  Américains  n'ont  naturellement  ni  poil  ,  ni 
barbe  sur  le  reste  du  corps  ;  car  presque  tous  les  In- 
diens des  environs  de  Mexico  portent  des  moustaches, 
et  les  Mexicains,  surtout  ceux  de  la  race  Aztèque  ,  ont 
plus  de  barbe  que  d'autres  Indigènes  de  1* Amérique 
méridionale.  Des  voyageurs  modernes  ont  aussi  retrouvé 
ces  moustaches  chez  leshabitansde  la  côte  nord-ouest  de 
l'Amérique.  Quoique  les  Indiens  de  la  Zône-Torride 
aient  généralement  peu  de  barbe  ;  cette  barbe  cepen- 
dant augmente  lorsqu'ils  se  rasent.  M.  Humboldt  et 
d'autres  voyageurs  en  ont  vu  des  exemples  dans  les 
missions  des  capucins  de  Caripe ,  où  les  sacristains  In- 
diens désirent  ressembler  aux  moines  leurs  maîtres. 

Si  M.  Paw  ,  au  lieu  de  se  perdre  en  longs  commen- 
taires insignifians  sur  le  peu  de  barbe  et  de  poils  des 
habitans  du  Nouveau-Monde  ,'  se  fût  donné  la  peine 
d'examiner  la  chevelure  des  Américains  ;  il  y  eût  vu  la 
raison  qui  les  empêchait  d'avoir  autant  de  barbe  ;  il 
l'eût  trouvée  infiniment  plus  fournie  \  plus  forte  et  plus 
longue  que  celle  des  Européens;  il  y  eût  vu  une  nouvelle 
preuve  de  cette  bonté  divine  ,  à  ne  pas  couvrir  d'autant 
de  poil  le  menton  et  le  corps  des  Indiens  occidentaux  , 
dont  la  tête  est  surchargée  d'une  immense  quantité  de 
cheveux.  C'est  par  suite  de  cette  même  raison  7  que  les 


1Ï0  SUR   LA   CONSTITUTION 


femmes  ,  en  Europe ,  qui  ont  une  chevelure  mieux 
garnie  et  plus  longue  que  celle  des  hommes,  ne  sauraient 
avoir  autant  de  barbe  et  de  poils  qu'eux  ;  que  les  Chinois 
et  les  Orientaux  sont  plus  chevelus  que  barbus  ;  et  que 
les  Africains ,  qui  ont  pour  chevelure  une  espèce  de 
matelas  eu  laine,  épaisse  et  crépue ,  sont  plus  imberbes 
et  moins  velus  que  les  Européens.  La  chevelure  ,  sous 
les  tropiques  ,  garantit  de  l'ardeur  du  soleil  la  partie 
la  plus  essentielle  de  1  homme  ;  dans  les  pôles-nords , 
la  barbe  et  les  poils  contribuent ,  avec  les  cheveux .,  à 
la  préserver  des  rigueurs  du  froid  ,  comme  chez  les 
femmes  l'épaisseur  de  l'épiderme  et  de  la  chevelure.  Au 
surplus ,  ce  corps  velu  ,  qui  représente  plutôt  la  beauté 
d'un  ours  ou  d'un  orang-outang  que  celle  de  rhonime  , 
est  si  peu  du  goût  des  Européens  ,  qu'ils  ne  sont  jamais 
plus  aises  que  lorsqu'ils  peuvent  se  débarrasser  de  cette 
barbe  incommode  ,  et  cacher  leurs  membres  velus  sous 
d'amples  vêtemens. 

On  peut  dire  à  cette  occasion ,  avec  un  auteur  connu , 
que  les  systèmes  sont  plutôt  un  jeu  d'esprit  qu'un  moyen 
de  connaître  la  nature.  Ils  ont  été  utiles,  en  ce  qu'ils 
ont  porté  l'esprit  humain  ,  par  l'intérêt  de  l'amour-pro- 
pre  ,  à  faire  de  grands  efforts  dans  la  recherche  et  la 
combinaison  des  faits  ,  en  voulant  les  faire  concorder 
avec  telle  ou  telle  opinion  ;  mais  il  n'y  a  que  la  con- 
naissance des  faits  qui  fasse  la  véritable  science  de 
1  homme  :  les  causes  premières  ,  sont  un  secret  pour 
lui  ,  et  ce  secret  qui  n'intéresse  que  sa  vanité,  est  heu- 
reusement inutile  à  son  bonheur. 

Toutes  les  exagérations  qu'il  plaira  à  M.  Paw  de  dé- 
biter contre  le  nouvel  hémisphère  3  n'empêcheront  pas 
les  gens  sagrs  de  regarder  la  découverte  de  l'Amérique 


DES     PREMIERS     AMERICAINS.  ]^I 

et  le  passage  aux  Indes  par  le  Cap  de  bonne-Espérance , 
comme  les  événemens  les  plus  intéressans  pour  l'espèce 
humaine  ,  puisqu'ils  ont  fourni  un  vaste  champ  aux 
Lettres ,  aux  Arts  ,  à  l'imagination  ,  à  l'industrie  ,  à 
l'activité  et  au  commerce.  Cependant  ils  seraient  plus 
intéressans  encore  ,  si  l'on  pouvait  réussir  à  trouver  le 
passage  dans  la  mer  Pacifique,  par  le  nord-ouest  de  l'A- 
mérique ;  ne  pouvant  pas  le  faire  par  le  nord-est  de 
l'Europe  ,  parce  que  cette  communication  abrégerait 
presque  des  deux  tiers  les  voyages  de  la  Chine  et  du 
Japon  ,  par  la  route  du  Cap  de  Bonne- Espérance. 

Je  ne  sais  ,  s'il  ne  serait  pas  plus  avantageux ,  vu  les 
tempêtes  qu'on  essuie,  et  les  dangers  que  l'on  rencontre 
dans  les  mers  du  nord  ,  de  se  frayer  le  passage  par  la 
mer  Caraïbe  au  lac  de  Nicaragua ,  et  dans  le  golfe  de 
Papayago  ,  comme  je  l'ai  dit  à  l'article  des  Lacs.  Cette 
route  abrégerait  considérablement  la  longueur  des  voya- 
ges d'Europe  aux  Grandes-Indes*par  la  voie  actuelle.  La 
facilité  que  les  nations  commerçantes  1  à  leur  retour  des 
Grandes-Indes,  trouveraient  à  charger  leurs  vaisseaux 
au  passage  de  Nicaragua  ,  des  riches  productions  du 
Nouveau-Monde ,  doiu  ce  me  semblé  ,  les  déterminer 
a  exécuter,  de  concert,  une  entreprise  aussi  utile. 

Si  Christophe  Colomb  etVasco  de  Gama,versla  fin 
du  quinzième  siècle  ,  ont  fait  à  la  grandeur  de  Venise 
des  blessures  que  le  temps  n'a  jamais  pu  fermer,  qu'ils 
étaient  loin  aussi  de  prévoir  tous  les  maux  qu'ils 
causeraient  un  jour  aux  pieux  plus  belles ,  aux  deux  plus 
fertiles  portions  du  globe  ,  l'Asie  et  l'Amérique  !  Quant 
à  cette  dernière  ,  elle  gémira  toujours  d'avoir  connu 
les  Européens.  A  quel  prix  n'a-t-elle  pas  acheté  les  pré- 
tendues lumières  qu  ils  y  ont  apportées?  Quelques  con-^ 


l42  SUR      LA     CONSTITUTION,    ETC. 

naissances  en  agriculture  ,  quelques  progrès  dans  l'in^ 
dustrie,  quelques  plantes  ,  que'ques  animaux,  quelques 
usages  plus  propres  à  corrompre  les  mœurs  qu'à  les 
épurer,  valaient-ils  les  millions  d'hommes  qui  ont  péri 
dans  les  conquêtes,  et  qui  expiraient  journellement  sous 
la  fatigue  ,  dans  les  travaux  périlleux  des  mines  !  Peu  à 
peu  l'Amérique  fut  dépeuplée  ;  afin  d'y  recueillir  les 
trésors  que  venait  y  chercher  l'avidité  européenne  il 
fallut  y  transporter  des  Nègres  et  même  des  Européens. 
La  cupidité,  et  des  raisons  de  toute  espèce,  engagèrent 
en  outre  des  hommes  de  tous  les  pays  à  s'y  établir 
volontairement.  C'est  ainsi  que  l'Europe  perdit  une  partie 
de  ses  habitans. 

Un  pays  qui  a  eu,  et  qui  a  encoreune  aussi  grande 
influence  sur  l'Europe,  mérite  bien  qu'on  cherche  à 
le  connaître  aussi  parfaitement  que  possible.  Pre- 
nons sous  les  yeux  la  carte  de  l'Amérique  ;  embar- 
quons-nous en  idée  ,  et  après  avoir  suivi  Colomb  et 
les  premiers  conquérans  dans  leurs  premières  décou- 
vertes ;  après  avoir  parcouru  les  productions  étonnantes 
des  trois  règnes  de  la  nature ,  arrêtons-nous  un  moment 
à  examiner  les  habitans  de  ce  pays  ,  leurs  mœurs,  leur 
religion  et  l'état  de  civilisation  dans  lequel  ils  étaient  lors 
de  la  découverte  du  Nouveau-Monde. 


LIVRE    CINQUIÈME, 

CHAPITRE    DEUXIÈME. 


Mœurs ,  Usages  et  Religions  des  Américains. 

JLiORSQUE  les  Espagnols  débarquèrent  dans  les  Antilles, 
ils  les  trouvèrent  habitées  par  les  Caraïbes.  Ces  peuples 
cultivaient  le  maïs,  le  manioc ,  la  banane  ,  les  patates  , 
les  giramons ,  plusieurs  espèces  de  pois  et  légumes ,  du 
pourpier  ,  des  callebasses,  etc.  Ils  vivaient  du  produit 
de  leur  chasse  et  de  leur  pêche;  leur  sobriété  diminuait 
leurs  besoins  ;  ils  étaient  tous  égaux.  Quand  il  s'agissait  de 
marcher  contre  l'ennemi,  ils  donnaient  le  commandement 
de  l'armée  à  un  père  de  famille ,  dont  Pautorité  cessait 
avec  la  guerre.  Ce  chef,  avant  de  recevoir  un  pareil 
honneur  ,  devait  s'être  acquis  quelque  gloire  militaire  ; 
il  fallait  surtout  qu'il  se  distinguât  de  ses  concitoyens 
par  une  supériorité  dans  les  forces  du  corps  et  par  beau- 
coup d'éloquence  ;  leur  courage  était  intrépide  :  on  les 
voyait  s'exposer  sans  crainte  sur  une  mer  orageuse,  dans 
des  barques  qui  avaient  ordinairement  quarante-deux 
pieds  de  long  sur  sept  de  large,  qu'ils  faisaient  mouvoir 
à  force  de  rames ,  l'usage  des  voiles  leur  étant  peu 
connu. 

Le  Caraïbe  est  sociable ,  sensible  aux  bons  procédés  ; 
mais  la  moindre  injure  excite  sa  fureur,  et  la  vengeance 


l44  MŒURS,     USAGES     ETRELIOIOff 

suit  de  près  l'offense.  S'il  tue  l'agresseur,  et  que  ce  der- 
nier n'ait  point  de  parens,  la  querelle  est  terminée;  dans 
le  cas  contraire  les  parens  ou  les  amis  du  défunt  se  font 
un  devoir  de  venger  sa  mort.  Le  meurtrier  ,  pour  ne  pas 
perpétuer  la  querelle  ,  e§t  obligé  de  quitter  la  Tribu  ; 
c'est  pour  cette  raison  que  les  parens  du  défunt  exami- 
nent toujours  son  corps ,  pour  s'assurer  si  sa  mort  a  été 
naturelle. 

Avant  d'enterrer  leurs  morts,  ils  les  enduisent  d'une 
couleur  rouge  à  l'huile  ,  et  les  déposent  ensuite  dans  des 
fosses  de  sept  pieds  de  profondeur ,  de  sorte  que  le  ca- 
davre s'y  tienne  debout  ;  ils  ensevelissent  avec  eux,  leurs 
arcs,   leurs  flèches  ,  leurs  massues  et  leurs  couteaux. 

Le  Caraïbe  est  d'ordinaire  ,  grand ,  bienfait  et  vigou- 
reux ;  il  regarde  comme  un  trait  de  beauté  d'avoir  le 
front  plat.  Pour  lui  donner  cette  forme  de  bonne  heure , 
il  presse  la  tête  des  enfans  entre  deux  planches.  Ces  peu- 
ples vont  nus,  à  l'exception  d'un  petit  tablier  garni  de 
plumes,  que  portent  les  deux  sexes  ;  ils  se  peignent  le 
corps  en  rouge  ;  leur  tête  est  ornée  d'un  bonnet  ou  d'une 
couronne  de  grandes  plumes  ;  leurs  principaux  ornemens 
consistent  en  petits  os  ,  en  coquillages  ,  en  perles  de 
verre  ,  et  en  pierres  de  toutes  couleurs ,  qu'ils  s'atta^- 
thent  aux  oreilles  ,  à  la  partie  supérieure  et  inférieure 
du  bras.  Les  femmes  portent  en  outre  ,  autour  du  col  et 
des  jambes  ,  des  cordons ,  dans  lesquels  sont  enfilés  des 
perles.  La  plus  grande  parure  des  hommes,  est  de  larges 
plaques  de  cuivre  en  forme  de  croissans  et  de  soleils } 
enchâssés  dans  des  bois  précieux.  Pour  se  donner  un  air 
guerrier  ,  ils  se  peignent  la  figure  avec  des  raies  rouges  et 
noires;  un  turban  de  plumes  rouges  sert  à  distinguer  les 
différcns  chefs  de  la  nation.  Xes  hommes  ont  ordinaire- 


DES    AMERICAINS,  t45 

ment  une  ceinture ,  à  laquelle  est  attaché  mi  grand  cou- 
teau; à  leur  col  est  suspendue  une  petite  flûte  ,  dont  ils 
accompagnent  leurs  tamtams  ou  tambours.  Leur  triom- 
phe, dans  ta  musique,  est  d'imiter  léchant  des  oiseaux- 
ils  sout  très-adroits  à  lancer  des  flèches  ,  et  -manient 
la  massue  avec  beaucoup  de  dextérité.  Leurs  guerres 
sont  terribles  ;  ils  mangent  une  partie  de  leurs  prison- 
niers ,  dans  les  premiers  transports  de  la  victoire  ; 
ensuite  ils  font  grâce  au  reste  ,  ils  épargnent  toujours  Leg 
femmes  et  les  enfans. 

Ils  trafiquent  avec  le  Européens,  des  corbeilles 
qu'ils  font  très  -  artistement  ,  des  perroquets,  de  la 
volaille  ,  des  ananas,  des  moules  et  autres  coquillages, 
contre  des  couteaux  ,  des  haches  ,  des  fusils  ,  des  pisto- 
lets, des  sabres,  de  la  toile,  des  perles  de  verre  ,  et 
surtout  de  Teau-de-vie.  Ils  aiment  l'argent  qui  brille,  et 
surtout  la  monnaie  qui  occupe  le  plus  de  place  ;  s'il 
survient  un  mal-entendu  entre  les  vendeurs  et  les  ache- 
teurs ,  il  est  quelquefois  prudent  d'emporter  les  mar- 
chandises ,  afin  de  leur  ôter  l'envie  de  s'en  emparer  :  car 
alors  ,  ils  ne  manquent  pas  de  dire  ,  qu'ils  font  comme 
les  Européens  ,  qu'ils  accusent  d'avoir  introduit  parmi 
eux  le  vol  dont  ils  n'avaient  aucune  idée.  Malgré  cela , 
on  aperçoit  en  eux  un  sentiment  naturel  pour  îe 
juste  et  l'injuste  ,  qui  fait  que  souvent  ils  mettent 
dans  leurs  procédés  plus  de  bonne  foi  que  les  nations 
civilisées. 

Leurs  maisons  ont  soixante  pieds  de  long  sur  cin- 
quante de  large.  Ce  sont  des  poteaux  plantés  en  terre  , 
réunis  par  des  lattes ,  et  couverts  de  feuilles  de  palmiers  ; 
la  cuisine  forme  toujours  une  pièce  à  part.  A  l'une  des 
extrémités  de  la  chambre  où  habite  la  famille  ,  on  aJU- 

TOME    2,  10 


l46  MŒURS,    USAGES    ET     KELICION 

lume  le  feu,  autour  duquel  les  hommes  se  rassemblent 
pour  fumer  du  tabac  ;  ils  exercent  l'hospitalité  envers 
tous  les  étrangers  indistinctement;  ils  ne  mettent  point 
de  sel  dans  leurs  alimens  ;  mais  ils  les  assaisonnent  avec 
du  miel  ou  du  sucre  ,  du  piment,  du  citron  et  du  poivre 
du  pays.  Il  n'y  a  que  les  écrevisses  qu'ils  font  cuire  à 
l'eau;  autrement  tout  est  grillé  ou  rôti.  Quand  ils  rôtissent 
une  volaille  ,  ils  rattachent  à  une  broche  de  bois  plantée 
en  terre  ;  pour  les  grandes  pièces  de  viande  ,  ils  les 
met  tent  sur  un  brasier  ardent,  sans  penser  à  rôter  les 
plumes  ni  les  entrailles.  Les  hommes  mangent  les  pre- 
miers, et  sont  servis  par  les  femmes  ,  qui  desservent 
ensuite,  et  vont  manger  les  restes  dans  la  cuisine  avec 
leurs  enfans. 

Quelques-uns  de  ces  demi-sauvages  ont  embrassé  le 
Christianisme,  les  autres  adorent  le  Soleil  et  la  Lune 
sans  culte  public,  ni  temples,  ni  cérémonies  quelconques  ; 
ils  regardent  leur  Etre-Suprême  comme  parfaitement 
heureux  ,  et  par  conséquent  ,  comme  ne  devant  pas 
s'embarrasser  des  hommes  qui  se  tourmentent  mal-à- 
propos  j  au  lieu  de  borner  leurs  des  rs.  Dans  quelques  en- 
droits ils  adoptent  de  bons  et  de  mauvais  génies  ;  alors 
ils  ont  des  prêtres  qui  sont  en  même  temps  devins. 
Chacun  d'eux  a  son  dieu  particulier ,  qui  l'inspire  ,  et 
dont   il  vend  les  révélations. 

Des  Brésiliens. 

Les  Brésiliens,  qui  se  sont  soustraits  au  joug  des  Euro- 
péens ,  se  couvrent ,  comme  leurs  ancêtres  ,  de  peaux 
d'animaux  crues  ou  tannées  ;  d'autres  se  peignent  le 
corps ,  n'ont  autour  des  reins  qu'une  pièce  d'étoife  garnie 


DES     AMÉRICAINS*  l4j 

de  plumes.  Quelques  tribus  regardent  le  nez  plat  tomme 
un  trait  de  beauté  ;  aussi  ont-elles  le  soin  de  Tapplatir 
un  peu  aux  enfans  ,  quand  ils  naissent.  Elles  se  parent 
de  plumes,  dont  elles  font  des  ceintures  et  des  bonnets» 
Les  Brésiliens  ont  des  beures  fixes  pour  manger,  et 
d'autres  pour  boire  ;  car  ils  ne  font  jamais ,  ou  que  rare- 
ment, l'un  et  l'autre  dans  le  même  repas.  Quand  deux 
Brésiliens  se  battent,  jamais  un  tiers  ne  s'en  mêle  ;  y  en 
a-t-il  un  de  tué ,  les  parens  sont  obligés  de  le  venger,  et 
de  poursuivre  le  vainqueur,,  jusqu'à  ce  qu'ils  l'aient 
atteint,  et  que  l'injure  soit  réparée.  Pour  éviter  ce  mal- 
heur, les  familles  examinent  les  raisons  de  l'un  et  de 
l'autre  adversaire ,  avant  de  les  laisser  battre. 

Ces  Indiens ,  dont  la  vengeance  est  terrible ,  exercent 
cependant  l'hospitalité.  Ils  n'ont  d'autres  armes  que  des 
massues  de  bois  dur  ,  des  arcs  et  des  flèches.  Les  femmes 
suivent  l'armée  et  portent  les  munitions  de  bouche  et  de 
guerre.  Celui  qui  a  tué  le  plus  d'ennemis,  est  reconnu 
pour  chef.  Leur  musique  militaire  consiste  en  des  espèces 
de  cors  et  de  flûtes  d'os ,  dont  ils  tirent  des  sons  ,  tantôt 
variés  ,  tantôt  confus.  Comme  leur  principal  but  est  de 
faire  des  prisonniers  ,  ils  attaquent  ordinairement  de 
nuit,  pour  surprendre  leur  ennemi  :  s'ils  combattent  le 
jour  ,  en  rase  campagne  ,  c'est  avec  une  fureur  qui  va 
jusqu'à  la  rage.  Ils  ne  mangent  pas  les  morts,  mais  quel- 
quefois certains  prisonniers  ,  dont  ils  ont  juré  la  mort, 
Quand  ceux-ci  sont  trop  maigres  ,  ilsJ.es  conservent  pour 
les  engraisser.  Pendant  ce  temps-là  ,  on  leur  permet 
d'aller  à  la  chasse  ,  à  la  pêche  ,  parce  que  ces  exercices 
sont  favorables  à  la  santé  ;  mais  toujours  on  les  surveille 
de  près.  Ces  prisonniers  sont  partagés  entre  toutes  les 
familles  :  quand  l'un  est  assez  gras  ,  ils  invitent  tous  les 


l48  MŒURS,     USAGES      ET      RELIGION 

amis  et  les  voisins ,  et  la  fête  commence.  On  danse  ,  on 
chante  ,  on  boit  :  le  prisonnier  même  prend  part  à   ces 
plaisirs ,  quoiqu'ils  lui  annoncent  sa  fin  prochaine.  Après 
cela  on  le  promène  dans  plusieurs  villages  ,  exposés  aux 
insultes  de  tout  le  monde  ;  on  lui  permet  néanmoins  de 
se  venger  à  coups  de  pierre  :  pour  lors  ,  on  l'assomme  à 
coups  de  massues.  On  lave  le  corps ,  on  le  dépèce ,  on  arrose 
les  petits  enfans  de  son  sang  ,  en  leur  faisant  jurer  de  se 
faire  tuer  plutôt  que  de  se  laisser  prendre;  après  quoi  Ton 
fait  rôtir  Ja  victime,  et  on  la  mange.  Sa  tête  est  conservée 
comme  un  trophée  de  la  victoire  :  on  fait  des  flûtes  de 
ses  plus  grands  os;  et  le  vainqueur  reçoit  les  dents,  dont 
il  se  fait  un  collier.  Ceux  qui  ont  pris  plusieurs  prison- 
niers, se  font,  en  signe  d'honneur,  des  incisions  dans  la 
chair.   Si  les  prisonniers,  pendant  leur   captivité  ,  par- 
viennent à  plaire  à  des  femmes,  et  à  les  épouser;  ou  s'ils 
intéressent  en   leur  faveur    quelques   guerriers  ,  on  les 
aggrège  à  la  tribu.  Avant  d'obtenir  cette  grâce  ,  ils  su- 
bissent quelques  épreuves  pour  savoir  s'ils  sont  dignes 
de  ce  bienfait.  Il  existe  différentes  tribus  chez  lesquelles 
ces  atrocités  ne  s'exercent  pas  ;  il  semble  même  qu'elles 
soient  le  résidât  de  leur  haine  contre  les  Portugais. 

On  remarque  dans  ces  peuples  une  indifférence  éton- 
nante pour  la  mort  ;  ils  souffrent  la  douleur  avec  un  cou- 
rage héroïque.  Dès  qu'ils  sont  en  paix,  toutes  distinctions 
de  rang  cessent:  les  vieillards  seuls  y  sont  considérés,  ils 
aident  les  jeunes  gens  de  leurs  conseils  ;  la  moindre 
insulte  qu'on  leur  fait ,  est  punie  très-sévèrement. 

Les  Brésiliens  n'ont  en  général  que  des  idées  confuses 
de  religion  ,  mais  ils  n'en  sont  pas  moins  superstitieux  : 
ils  croient  au  bon  et  mauvais  génie.  Ils  ont  des  sorciers 
pour  prêtres,  et  des  charlatans  pour  médecins,  qui  abu- 


DES     iMERlfiAINÎ.  I$9 

sent  de  leur  crédulité  :  ces  derniers  joignent  Part  de  la 
devination  à  la  médecine.  Ces  sauvages  croient  ,  par 
exemple ,  que  l'oiseau  lugubre ,  qui  pousse  des  cris  lamen- 
tables ,  et  des  soupirs  plus  plaintifs  que  ceux  de  la  tour- 
terelle, est  un  messager  de  leurs  païens  défunts,  qui  ré- 
clame leurs  bons  offices.  Lorsqu'il  commence  son  ra- 
mage, ils  prêtent  une  attention  religieuse  pendant  tout 
le  temps  qu'il  cliante  :  malheur  à  celui  qui  les  trouble- 
rait dans  cet  instant  de  recueillement  !  On  pourrait  con- 
clure de  là  qu'ils  ont  quelque  idée  de  la  vie  future. 

Parmi  les  autres  peuples  du  Brésil  ,  on  compte  les 
Cariges  ;  ce  sont  les  plus  policés  :  ils  sont  vêtus  d'étoffes 
de  peaux  de  bêtes ,  ornées  de  colifichets,  et  le  disputent 
en  blancheur  avec  les  Européens.  On  leur  a  toujours 
trouvé  beaucoup  de  bonne  foi  dans  le  commerce  ;  mais  la 
crainte  de  l'esclavage  ,  pour  lequel  ils  se  voient  quelque- 
fois enlevés  par  les  Portugais, les  empêche  d'aller  à  Saint- 
Vincent  ,  seconde  ville  de  la  première  Capitainerie  du 
Brésil.  Les  Cariges  sont  hospitaliers  ,  cultivateurs  et 
guerriers.  Ils  ont  des  bourgs  ,  des  villes  ,  des  temples , 
des  prêtres ,  des  médecins  ;  ils  croient  à  un  grand  génie 
dont  le  pouvoir  s'étend  sur  tout ,  mais  dont  la  trop 
grande  bonté  tolère  un  autre  génie  puissant  ,  qui  ne 
s'attache  qu'à  nuire  sourdement  à  tous  ses  plans.  Ils  vi- 
vent de  fruits  ,  de  légumes  et  de  la  chair  de  leurs 
bestiaux. 

Les  Portugais  en  cherchant  à  asservir  les  Mameïus  du 
Brésil  ,  en  ont  fait  des  ennemis  implacables  dans  leur 
haine  et  dans  leur  vengeance  :  s'ils  rencontrent  un  Por- 
tugais à  l'écart ,  ils  ne  manquent  pas  d'en  faire  un  de  ces 
horribles  festins  qui  font  frémir  la  nature.  Dans  la  Ca- 
pitainerie du  Saint-Esprit ,  on  ne  compte  que  vingt  mille 


l50  ÏIÛEUR5,    USAGES    IT    RËLÏ6Ï0N 

Indiens  convertis  :  on  les  appelait  autrefois  Margageats . 
Ils  ont  été  long-temps  les  ennemis  mortels  des  Por- 
tugais ,  mais  s'élant  apprivoisés  par  degrés,  ils  ont  fait 
avec  eux  des  alliances  que  le  temps  a  confirmées.  D'au- 
tres Indiens  ,  plus  enfouoés  dans  les  terres ,  ne  veulent 
point  de  réconcilia  ion.  Ils  s'abstiennent  de  chair  hu- 
maine ,  et  sont  idolâtres. 

Dans  la  Capitainerie  de  Porto  Securo,  le  voisinage  de 
certains  peuples  cruels  et  barbares ,  ne  permet  pas  de 
cultiver  ce  pavs.  Les  Molopaques  occupent ,  au-delà  du 
fleuve  Paraïba  ,  une  vasie  contrée  :  ils  ressemblent  aux 
Allemands  pour  la  taille.  Cette  nation  se  couvre  le  corps, 
et  laisse  croître  sa  barbe.  Les  mœurs  de  ce  peuple  n'ont 
rien  qui  blesse  l'honnêteté  naturelle.  Us  ont  des  villes 
environnées  d'un  mur  de  solives  ,  dont  les  intervalles 
sont  remplis  de  terres  ;  des  églises  ;  des  idées  assez  rai- 
sonnables sur  l'Etre-Suprême.  Leurs  femmes  sont  belles, 
spirituelles  ,et  ne  souffrent  jamais  debadinage  indécent  : 
elles  portent  leurs  cheveux  très-longs.  Toute  la  nation  a 
des  heures  réglées  pour  les  repas  ;  elle  ainie  la  propreté: 
les  mœurs  et  les  usages  n'y  sentent  pas  la  barbarie  ;  on 
les  accuse  d'oublier  quelquefois  leur  caractère  pacifique, 
pour  satisfaire  leur  vengeance. 

Aux  environs  du  fleuve  Paraïba,  habite  un  autre  peuple , 
qui  â  toujours  conservé  beaucoup  d'affection  pour  les 
Français  :  il  déteste  les  Portugais ,  et  se  montre  toujours 
disposé  à  entrer  en  guerre  contre  eux.  Il  adore  un  bon  et 
un  mauvais  génie. 

Dans  la  vaste  région  qu'arrose  le  fleuve  des  Ama- 
zones ,  on  trouve  plus  de  cent  cinquante  nations  ,  dont 
les  habitations  sont  si  proches  l'une  de  l'autre  ,  que  du 
dernier  bourgs  on  entend  couper  le  bois  de  la  peuplade 


DES      AMERICAINS.  1SI 

voisine.  La  religion  de  tous  ces  peuples  est  presque  la 
même.  Quand  ils  sont  prêts  à  marcher  pour  la  guerre , 
ils  élèvent  à  la  proue  de  leurs  canots  l'idole  dont  ils 
attendent  la  victoire  ;  et  en  partant  pour  la  pêche  3  ils 
arborent  celle  qui  préside  aux  fleuves  et  aux  lacs. 

Ces  naturels,  ainsi  que  les  Gallibls  ,  sont  bien  faits; 
grands  et  robustes  ;  ils  sont  si  attachés  à  leur  manière  de 
vivre  ,  que  l'exemple  et  les  efforts  des  Européens  n'ont 
jamais  pu  les  en  faire  changer.  Chaque  citoyen  est  libre  ; 
caries  chefs,  dans  leurs  bourgades,  n'ont  aucune  autorité 
sur  leurs  propriétés  ni  sur  leurs  personnes  ;  ils  se  bornent 
à  donner  des  conseils ,  à  maintenir  l'union  ,  et  à  com- 
mander le  peuple  pendant  la  guerre.  On  accuse  les  Gal- 
libis  de  s'abstenir  avec  peine  de  manger  leurs  prison- 
niers. 

De  toutes  les  nations  qui  habitent  les  bords  de  l'Ama- 
zone ,  les  Omagues  sont  les  plus  raisonnables  et  les  mieux 
policés.  Ils  ont  la  coutume  ,  avant  de  se  mettre  à  table  , 
de  présenter  une  seringue  à  chaque  convive ,  comme 
dans  plusieurs  villes  d'Europe  ,  on  apporte  de  l'eau  pour 
se  laver  les  mains  avant  le  repas  ,  ou  du  café  après  le 
dîner.  La  forme  de  ces  seringues  est  celle  d'une  poire 
creuse  ,  percée  d'un  petit  trou  à  la  pointe  ,  et  dans 
laquelle  ils  adaptent  une  canule.  Ils  les  remplissent 
deau  ;  lorsqu'on  les  presse ,  elles  font  l'effet  des  serin- 
gues ordinaires.  Ce  meuble  est  fort  en  honneur  chez  ces 
Indiens;  il  annonce  qu'on  fera  bonne  chère,  et  qu'il 
convient  de  lui  faire  une  place. 
'  Les  Portugais  ont  poussé  la  calomnie  jusqu'à  dire 
que  les  Omagues  engraissent  leurs  prisonniers  pour  les 
manger.  Jamais  il  ne  sest  mangé  ,  encore  moins  vendu 
chez  eux  ,  de  chair  humaine.  Ils  tuent ,  dans  leur  fêtes , 


3^2  MâSUÏlS»    USAGES   ET   RELIGION 

les  prisonniers  qui  ont  une  grande  réputation  de  bra- 
voure. Aussitôt  qu'ils  leur  ont  coupé  la  tête ,  la  pen- 
dent en  triomphe  dans  leurs  maisons ,  et  jettent  les 
corps  dans  le  fleuve.  Il  n'y  a  point  aujourd'hui  d'an- 
tropophages  sur  les  bords  du  Maragnon  ;  mais  il  en 
reste  encore ,  dit-on ,  dans  les  terres  ,  surtout  vers  le 
nord. 

Les  Topinamboux  étaient  originaires  de  "Fernambouc  5 
ils  aimèrent  mieux,  après  la  conquête  de  leur  pays, 
renoncer  à  leurs  terres  ,  que  de  vivre  sous  le  gouvernement 
des  Portugais  ;  ils  se  dirigèrent  du  côté  du  Pérou , 
où  ils  furent  maltraités  par  les  Espagnols  ,  et  descen- 
dirent le  fleuve  des  Amazones  jusqu'à  la  grande  île  de 
Maragna  ,  dont  ils  occupent  maintenant  une  partie,  et 
les  Portugais  l'autre.  Les  Topinamboux  sont  braves , 
spirituels  ,  guerriers  ,  très-attachés  aux  Français  ,  avec 
lesquels  ils  ont  été  en  relation  5  mais  ils  détestent  les 
Portugais. 

Les  Barbades  ,  les  Oragnates ,  les  Typayes  ,  vivent 
les  uns  errans  dans  les  forêts  ,  les  autres  se  réunissant 
dans  des  villages  en  nombre  considérable.  Ils  sont  redou- 
tables dans  la  guerre.  Il  y  a  dans  l'intérieur  des  terres 
plusieurs  peuples  Nomades ,  auxquels  on  envoie  des 
Missionnaires  pour  les  convertir.  Les  Uctaques  sont  , 
dit-on  ,  plus  sauvages  que  les  autres  ;  ils  ne  souffrent 
pas  d'étrangers  ;  ce  n'est  qu'à  cent  pas  de  distance 
qu'on  peut  traiter  avec  eux.  Les  mauvais  procédés  des 
Portugais  leur  ont  inspiré  cette  méfiance. 

Les  Otiomaques  ,  hab.'tans  des  bords  del'Orénoque  et 
du  Meta,  se  nourrissent  de  poisson  qu'ils  tuent  à  coups 
de  flèches  avec  une  adresse  admirable.  Quand  ces  deux 
fleuves  sont  débordés ,   ils  mangent ,  pendant  deux  ou 


DES     AMÉRICAINS.  l53 

trois  mois  des  lézards,  de  la  racine  de  fougère,  et 
avalent'  une  quantité  prodigieuse  de  terre  glaise  ,  qu'ils 
font  cuire  en  forme  déboules;  ils  partagent  ce  goût 
avec  les  Nègres  de  Guinée ,  qui  mangent  une  terre 
jaunâtre  qu'ils  appellent  caouac  ;  avec  les  habitans  de? 
l'île  de  Java  ,  entre  Sourabaja  et  Samarang,  qui 
mangent  des  gâteaux  de  glaise  rougeâtre ,  qu'ils  appellent 
Tanaampo. 

Les  Mapuires  %  les  Guamos ,  les  Solivas ,  les  Acha- 
ques ,  les  Caribes ,  les  Araucas  ,  les  Caveres  ,  qui  habi- 
tent le  long  de  l'Orénoque  ,  sont  hospitaliers,  guerriers 
superstitieux  et  vindicatifs.  Les  Missionnaires  ont  tenté 
plusieurs  fois  de  les  convertir  au  Christianisme,  et  n'ont 
pu  y  réussir. 

Des  Amazones. 

L'existence  des  Amazones  de  l'Asie  et  de  l'Afrique , 
dont  on  a  publié  tant  de -prouesses ,  ayant  été  soutenue 
et  niée  ,  il  n'est  pas  étonnant  qu'il  se  soit  élevé  les  mô- 
mes doutes  au  sujet  des  Amazones  de  l'Amérique.  Ce- 
pendant on  sait  que  les  Vierges  sacrées  du  Pérou  avaient 
préféré  s'opposer  au  penchant  de  la  nature ,  et  à  rendre 
ainsi  inutiles ,  les  plus  précieux  dons  de  cette  mère  bien- 
faisante ,  pour  ensevelir  avec  elles  une  suite  de  géné- 
rations. Mêla  rapporte  que  les  Lemniennes  ,  ayant  formé 
le  projet  de  se  gouverner  elles-mêmes  ,  assassinèrent 
leurs  maris  pour  régner  en  souveraines  dans  l'île  de 
Lemnos,  et  vendirent  Hypsipyle  à  des  pirates,  pour  avoir 
soustrait  son  père  à  la  mort.  (Diction,  de  Lloyd  ,  au  mot 
Hjpnpjle,  ou  dans  l'Archipel  de Dapper.  p.  ni.  de  l'Edit. 
orig.  Holland.  Art.  Lemnos) 


I  54  MŒTJRS,      USAGES     ET. RELIGION 

Sans    m'arrêtera    tout   ce    que    Schmidel ,    Orellanct , 
Acona ,  Barazy  i  le  comte  de  Carli  et  tan/  d'autres  ,  ont 
écrit  pour  prouver  l'existence  des  Amazones-Américai- 
nes ;  je  vais  exposer  les  rapports  de  divers  savans  et  voya- 
geurs. M.  de  la  Condamine  nous  appvend  (  dans  les  Mé- 
moires de   l'Académie  des   Sciences   de  Paris   1745.)  , 
«   qu'ayant  demandé  aux  Indiens  des  diverses  nations, 
«   qu'il  rencontra  le  long  du  fleuve  des  Amazones,  s'ils 
«    avaient  connaissance  de  quelques  femmes  guerrières  , 
«   si  elles  étaient  réellement  séparées  de  toute   société 
«   avec  les  hommes  ,  et  ne  se  laissaient  voir  qu'une  seule 
«    fois  par  an;   tous  lui  avaient  répondu  unanimement 
c<    que  cela  était  vrai  ;  qu'ils  avaient  su   de  leurs  ancê- 
«    très,  que  cette  république  de  femmes  était  dans  l'inté- 
¥    rieur  de  leur  pays-,  qu'à  leur  retour  elles  s'étaient  re- 
«    tirées  au  Noifl,  par  le  Fleuve-Noir ,  ou  un  autre  qui  se 
«   décharge  de  ces  côtés  dans  le  Maragnon.  » 

Sur  ce  qu'un  Indien  de  S.Joachim  d'CXmaga  ,  lui  avait 
dit  qu'il  trouverait  facilement,  à  Coari,  un  vieillard  dont 
le  père   avait  connu  ces  femmes,  M.  de   la  Condamine 
s'y  rendit  avec  ses  compagnons  de  voyage.   Cet  Indien 
était  mort  et  avait  laissé  un  fils  âgé  de  soixante-dix  ans , 
qui  était    alors   chef  du  village.  Cet  homme  lui  assura 
oue  son  aïeul  avait  réellement  vu  et  connu  les  Amazones 
à  l'embouchure  du  fleuve   Cuchivara  ;  qu'elles  venaient 
de  Cajame  qui  se   décharge  dans  le  Maragnon  ,   entre 
Tese  et  Coari  ;   que  cet  aïeul  avait  eu  des  relations  par- 
ticulières avec  quatre   d  entre   elles  ,   dont  une  avait  un 
enfant  à  la  mamelle;   qu'il  savait  le  nomade  chacune 
d'elles  ,  et     quand    elles   se    retirèrent    de     Cuchivara , 
qu'elles  avaient  passé  le  grand  fleuve  et  avaient  pris  la 
route  de  la  Rivière  Noire. 


DES   AMERICAINS."  1 55 

Les  informations  que  M.  de  la  Condamine  eut  depuis 
Coari 3  furent  d'accord  avec  les  précédentes;  il  apprit 
en  outre  que  les  Amazones  faisaient  usage  de  certaines 
pierres  vertes  ,  qu'on  appellait  pierres  des  Amazones ,  et 
que  ces  guerrières  femelles  se  nommaient  Çougnqn , 
Tains e  ,  Couima  ,  ou  femmes  sans  mari.  Un  Indien  de 
Mortigura,  mission  voisine  du  Para  ,  lui  offrit  de  le 
conduire  à  un  fleuve  par  lequel  il  pourrait  approcher 
du  pays  habité  par  ces  femmes.  Mais  un  autre  Indien 
le  prévint  que  pour  arriver  à  l'habitation  de  ces  femmes, 
il  fallait  ,  depuis  le  fleuve  Irijo ,  traverser  une  forêt 
de  plusieurs  jours  de  chemin ,  et  des  montagnes  vers 
l'ouest. 

Enfin,  M.  de  la  Condamine  rencontra  un  vieux  soldat 
de  Cayenne ,  qui  avait  été  de  l'expédition  entreprise  en 
17.26 ,  pour  découvrir  l'intérieur  du  pays.  Ce  soldat  lui 
dit  qu'il  avait  pénétré  jusqu'aux  Amanes ,  nation  à  lon- 
gues oreilles,  et  fixée  aux  sources  de  VOyapoc;  qu'ayant 
vu  les  femmes  parées  de  certaines  pierres  vertes,  il  avait 
demandé  à  quelques-unes  d'elles,  d'où,  elles  avaient  eu 
ces  pierres ,  qu'elles  lui  avaient  répondu  des  Couima  ou 
femmes  sans  mari. 

Ainsi ,  les  notices  qu'eut  M.  de  la  Condamine,  furent 
constantes,  et  s'accordèrent  parfaitement  avec  celles 
qu'avaient  eues  en  1726,  Dom  Diegue  Portalès,  et 
D.  François  Toralva  ,  gouverneurs  de  Venezula.  Il 
semble,  d'après  tout  ce  que  M.  de  la  Condamine  apprit 
sur  le  pays,  que  ce  devait  être  dans  les  montagnes  de  la 
Guyane ,  où  ,  ni  les  Portugais ,  ni  les  Français  de  Cayenne , 
n'ont  pas  encore  pénétré.  Cependant  M.  de  la  Conda- 
mine ne  dit  pas  si  ces  Amazones  y  subsistent  encore 
actuellement. 


l56  MŒURS,     USAGES     ET     RELIGION 

Eus  tache  ,  d'après  Denjs  Perigète  ,  nous  apprend  que 
les  anciennes  femmes  de  l'île  de  Man  (homme)  sur  les 
côtes  d'Angleterre,  s'étaient  approprié  l'île  de  l'Homme, 
et  n'allaient  sur  la  grande  que  pour  être  fécondes. 

Gonzale  Pizarre  assura  à  Oviedo,  que  dans  son  voyage 
de  Quit  >,  pour  découvrir  le  Canelier,  ses  gens  et  lui, 
avaient  été  obligés  de  combattre  contre  des  femmes 
armées,  commandées  par  une  reine;  qu'elles  se  lais- 
saient voir  de  temps  en  temps  par  des  hommes;  qu'elles 
rendaient  les  màlcs  à  leurs  pères,  et  ne  gardaient  que 
les  filles  parmi  elles  :  qu'on  les  avait  nommées  Amazones  , 
quoiqu'elles  eussent  leurs  deux  seins,  et  que  le  nom  en 
était  resté  au  fleuve. 

M.  Paw ,  d'après  son  système  négatif,  prétend  qu'O- 
rellana  seul  est  l'auteur  de  cette  fable ,  et  que  jamais 
on  n'avait  entendu  parler  avant  lui ,  (  en  1^43  )  de  ces 
guerrières.  J'ai  déjà  fait  voir  combien  l'auteur  des  recher- 
ches sur  les  Américains  était  peu  familier  avec  la 
Chronologie  ,  en  voici  d'autres  preuves.  La  relation  que 
Nugno.  de  Gusman  envoya  à  Charles  V,  est  datée  du  8 
juillet  i53o  :  elle  dit  que  les  femmes  sont  regardées 
comme  des  déesses;  qu'on  les  dit  plus  blanches  que  les 
autres  femmes  de  ces  contrées ,  qu'elles  sont  armées 
d'arcs ,  de  flèches  ,  de  rondaches  ,  etc. 

Ace  récit  antérieur  à  celui  d'Orellana,  j'ajouterai  le 
rapport  de  Pierre  Martyr  ,  membre  du  Conseil  des  Indes, 
sous  Charles  V,  comme  sous  Philippe,  qui  a  écrit  son 
sommaire  d'après  l'histoire  du  moine  qui  a  accompagné 
Cortez ,  et  qui  connaissait  très-bien  la  langue  mexicaine. 
Il  dit  :  «  Que  des  femmes  sans  hommes ,  habitaient  l'île 
«  de  Matitjna;  qu'elles  se  défendaient  avec  des  armes; 
«  qu'elles  ne  recevaient  de  commandement  que  d'elles- 


DES      AMERICAINS.  l57 

«   mêmes;  et  qu'il  leur  avait  douué  à  cette  occasion  le 
«   nom  d' Amazones    » 

Alphonse  Ul/oa,  qui  était  page  à  la  Cour  de  Ferdi- 
nand et  dTsabelle ,  lors  du  premier  et  du  deuxième 
voyage  de  Christophe  Colomb;  qui  l'avait  accompagne  à 
son  troisième  voyage  ,  qui  avait  eu  en  main  les  journaux 
de  cet  amiral,  et  avait  écrit  les  histoires  de  Colomb  •  dit 
dans  le  premier  chapitre:  «  Que  plusieurs  Espagnols  ayant 
«  mis  pied  à  terre  dans  l'Ile  de  Quado-Zupa,  ils  y 
«  aperçurent  nombre  de  femmes  armées  d'arcs ,  de 
«  flèches,  ornées  de  panaches  ;  que  la  reine  ayant  été 
«  prise ,  elle  fit  entendre  à  Colomb  que  l'île  était  ha- 
«  bitée  par  des  femmes;  qu'il  se  trouvait  accidentel- 
«  lement  parmi  elles  quatre  hommes  d'une  île  voisine, 
k  qui,  en  certain  temps  de  l'année,  venaient  coucher 
«   avec   elles.  » 

On  voit  que  ,  dès  le  commencement  de  la  conquête , 
les,  Espagnols  les  ont  combattues  ;  c'est  aussi  pour  cette 
raison  que  le  cacique  Agaria  avertit  Orellana  de  se  tenir 
en  garde  contre  ces  femmes ,  qu'il  nommait  Konia 
Pujara  ,  femmes  sans  maris. 

Améric  Vespuce,  dans  la  Relation  de  son  premier 
Voyage  ,  parle  de  ces  femmes  guerrières  ;  il  s'exprime 
ainsi  :  «  Les  femmes ,  dans  quelques  contrées,  se  servent 
«   aussi  de  ces  arcs.  » 

M.  de  la  Condamine  ,  au  sujet  de  ces  Amazones  1 
dit  :  «  Peut-on  supposer  que  des  Sauvages  des  contrées 
«  très-éloignées  se  soient  accordés  à  imagines,  sans  au- 
«  cun  fondement  le  même  fait  ;  que  cette  prétendue 
k  fable  se  soit  répandue  à  plus  de  mille  cinq  cents  lieues 


]  58  MCEDKS,      USAGES      ET      RELIGION 

«  de  distance  ,  et  qu'elle  ait  été  si  uniformément  adoptée 
«  à  Maynas  ,  au  Para  ,  à  Cajenne  ,  à  Venezuela  ;  parmi 
«  tant  de  nations  qui  ne  s'entendent  pas,  et  qui  n'ont 
«   aucune  communication?  » 

Il  est  possible  que  cette  société  ne  subsiste  plus  au- 
jourd'hui ;  mais  les  objections  de  M.  Paw  sont  bien 
puériles,  quand  on  songe  qu'aucun  bistorien  (  excepté 
Diodore  de  Sicile  )  n'a  rapporté  que  ces  Amazones  exer- 
çassent un  empire  sur  une  population  d'hommes. 

Des  Peuples  du  Paraguay. 

Parmi  les  différens  peuples  du  Paraguay,  nous  n'en 
citerons  que  quelques-uns.  Les  Abipons  habitent  la 
Guyane  et  la  province  de  Rio  de  la  Plata.  C'est  une 
tribu  guerrière  qui  met  en  campagne  six  mille  hommes 
de  cavalerie ,  armés  de  lances  de  douze  pieds  de  long , 
garnies  de  pointes  de  fer.  Les  hommes  sont  bien  faits,  et 
les  femmes  ne  sont  pas  beaucoup  plus  basanées  que  les 
Espagnoles.  Ces  peuples  sont  idolâtres. 

Les  Mocobs  ,  les  Aucas  et  les  Tobas  ,  guerriers  par 
caractère ,  habitent  au  nord-ouest  des  Abipons  ;  ils  sont 
armés  de  longues  lances  ferrées  ,  de  flèches  garnies  de 
fer.  Les  Indiens  de  l'Amérique  méridionale ,  vers  le 
détroit  de  Magellan ,  sont  indépendans  ,  ainsi  que  le.i 
Puelches  du  désert  de  Comarca  ;  les  Moluches  ,  les  Té- 
huels  ,  qu'on  peut  appeler  les  Tartanes  de  l'Amérique 
méridionale. 

Les  Manacicas  sont  plus  industrieux  ;  ils  vivent  sous 
un  gouvernement  qui  approche  beaucoup  de  celui  des 
Insulaires  de  l'océan  Pacifique  ,    dent  ils  ont  aussi  les 


DES     AMERICAINS.  li>g 

manières.  Cette  nation  a  tous  les  caractères  qui  distin- 
guent les  peuples  policés. 

Les  Guaranis ,  qui  habitent  la  rive  Orientale  du  fleuve 
de  l'Uraguay,  ont  accueilli  favorablement  les  Mission- 
naires :  beaucoup  d'entre  eux ,  se  sont  soumis  à  l'Evangile, 
mais   ils   conservent  leur  indépendance    et    leur  esprit 
guerrier.  Ceux  qui  sont  à  Fembouchure  de  l'Orénoque  , 
n'ont  jamais  été  domptés.  Perchés,  durant  la  saison  des 
pluies ,  sur  des  arbes ,  où. ,  ils  tendent  avec  art,  des  nattes 
tissues  avec  la   nervure  des  feuilles  du  Maurltia  ,  ils  vi- 
vent en  paix  des  fruits  de  cet  arbre,  et  de  ceux  des  pal- 
miers à  éveittail.  C'est  sur  cette  couche  humide,  que  les 
femmes  allument  le  feu  nécessaire  aux  besoins  du  mé- 
nage. Le  voyageur  qui  navigue  sur  l'Orénoque  pendant  la 
nuit,  voit  avec  surprise  des  flammes  sortir  à  une  très- 
grande  hauteur,  du  milieu  de  ces  arbres. 

Les  ^Chiriguanes ,  qui  habitent  sur  les  bords  du  Pilico- 
Mayo  ,  sont  ennemis  irréconciliables  des  Chrétiens  ,  et 
toujours  en  guerre  avec  les  Espagnols.  Ils  descendent  des 
Guaranis  qui  n'ont  pas  embrassé  le  Christianisme.  Ils 
sont  armés  d'arcs,  de  flèches ,  de  poignards ,  se  couvrent 
le  corps  de  peaux  de  tigres,  de  plumes ,  et  croient  à  un 
bon  génie  et  à  un  mauvais  qu'ils  invoquent  plus  souvent 
pour  se  le  rendre  pus  propice. 

Les  Chiquites  sont  moins  féroces  et  plus  disposés  à 
recevoir  les  lumières  de  l'Evangile.  Ils  cultivent  de  vastes 
champs  ,  et  s'habillent  d<|  peaux  apprêtées,  ou  d'étoffes 
qu'ils  font  eux-mêmes. 

Les  Missions  du  Paraguay  sont  environnées  d'Ido- 
lâtres. Les  plus  obstinés  sont  les  Guenoas ,  les  Charuas 
montrent  moins  de  résistance;  ils  sont  plus  laborieux, 
et  n  ont  aucune  communication  avec  les  Espagnols.  Dès 


1 6o  M  CE  UIIS,      USAGES     ET      RELIGION 

la  fin  du  dernier  siècle  ,  on  comptait  dans  le  pays  des 
Moxes  huit  à  neuf  peuplades  chrétiennes.  Le  père  Ba- 
raze  étant  parvenu  jusqu'à  la  terre  des  Baures  ,  il  y  fut 
massacré  au  milieu  des  travaux  apostoliques. 

La  nation  des  Manacicas  est  environnée  de  peuples 
libres  ,  mais  farouches. 

Les  Ticharos  sont  barbares;  mais  les  Mammelus ,  ainsi 
nommés,  pour  exprimer  apparemment  leur  ressem- 
blance avec  les  anciens  brigands  d'Egypte  ,  sont  les  plus 
redoutables  pour  les  Missionnaires,  les  Chrétiens,  et  les 
Infidèles  eux-mêmes.  La  douceur  du  climat,  la  fertilité 
de  la  terre  ,  qui  fournit  toutes  les  commodités  delà  vie, 
servent  encore  à  entretenir  les  Mammelus  dans  l'indé- 
pendance. On  prétend  que,  dans  l'espace  d'un  siècle,  ils 
ont  détruit  ou  fait  esclaves  près  de  deux  millions  d'in- 
dividus, et  qu'ils  ont  répandu  la  terreur  et  la  mort  dans 
plus  de  mille  lieues  de  pays ,  jusqu'au  fleuve  des  Ama- 
zones. 

Il  y  a ,  dans  l'intérieur  du  royaume  de  la  Plata  ,  de 
nombreuses  peuplades  d'Indiens.  Ceux  du  Nord  ,  dans 
le  Tucuman  ,  habitent  des  lieux  marécageux,  et  se  nour- 
rissent de  poisson  ;  ceux  du  Midi  sont  nomades  et  chas- 
seurs. Quelques  tribus  se  sont  retirées  dans  des  ca- 
vernes souterraines.  Leurs  mœurs  sont  plus  ou  moins 
barbares ,  suivant  leurs  rapports  avec  les  Européens  :  on 
leur  envoie  de  temps  en  temps  des  Missionnaires,  pour 
tâcher  de  les  convertir  au  Christianisme. 

Nous  avons  déjà  vu  qu'on  évaluait  à  soixante  mille 
hommes,  le  nombre  des  Indiens  nomades  ou  agricul- 
teurs ,  qui  habitentlcs  plaines  qui  entourent  Buenos-Ajres. 
Ce  sont  autant  de  cavaliers }  qu'on  peut  regarder  cpmme 


DES     AMERICAINS*  l6i 

comme  les  Tartares  de  l'Amérique  méridionale.  Il 
sont  joueurs  de  profession,  mais  francs  au  jeu,  hospita- 
liers ,  généreux. 

.  Des  Patagons. 

Ce  peuple ,  d'une  stature  remarquable  ,  et  d'une  force 
non  moins  étonnante,  n'est  pas  assez  connu ,  pour  que  je 
fasse  ici  la  dénomination  de  toutes  les  tribus  qui  le 
composent.  Je  me  contenterai  seulement  de  citer  tous 
les  témoins  respectables,  qui  ont  certifié  la  taille  élevée 
des  Patagons. 

Suivant  Magellan ,  ils  paraissaient  avoir  six  pieds  et 
demi  ;  et  parmi  eux,  il  s'en  trouvait  un  qui  était  si  grand» 
que  les  Espagnols  ne  lui  allaient  qu'à  la  ceinture.  Six  de 
ces  Patagons  mangeaient  comme  vingt  Espagnols. 

Pigafetta  parle  de  ces  hommes  extraordinaires. 

Vers  Pan  1592,  le  chevalier  Cavendish  atteste  avoir 
vu  deux  cadavres  de  Patagons  qui  avaient  quatorze  pal- 
mes de  long  (la  palme  était  de  93,  97  lignes,  ancienne 
mesure  ).  Il  mesura  la  trace  du  pied  d'un  de  ces  sau- 
vages ,  elle  se  trouva  être  quatre  fois  plus  longue  qu'une 
des  siennes.  Enfin,  trois  de  ses  matelots  manquèrent  d'être 
tués  par  les  quartiers  de  rochers  qu'un  géant  leur  lança* 

Tous  les  voyageurs  du  seizième  siècle  ont  parlé  de 
l'existence  des  géans  du  Cercle  Antarctique,  comme  d'une 
vérité  reconnue. 

Sarmiento  dit  que  l'Indien,  que  ses  gens  avaient  pris , 
était  géant  entre  les  autres  géans,  et  ressemblait  à  un 
Cyclope;  que  ses  compatriotes  étaient  hauts  de  trois 
aunes  (  Voy.  Purchas  ),  gros  et  forts  à  proportion. 

L'Anglais  Hawkins  assure  que  les  Patagons  sont  si 
hauts  de  taille  ,  qu'on  leur  donne  le  nom  de  Géans. 

Tome  2,  11 


î62  MŒURS,    USAGES    ET    RELIGION 

L'amiral  Hollandais,  Olivier  de  Noort,  dit  :  qu'il  a  eu  à 
sou  bord  quatre  Sauvages  et  quatre  filles  ;que  l'un  d'eux, 
qui  avait  appris  le  hollandais  ,  lui  avait  assuré  que,  dans 
l'intérieur  de  laPatagonie,  il  y  avait  un£  nation  nommée 
Tiremenen  ,  dont  les  individus  ont  dix  à  douze  pieds  de 
hauteur.  En  se  rapelant  que  soixante-dix  pieds  d'Ams- 
terdam font  soixante-un  pieds  de  France  \  les  dix  ou 
onze  pieds  se  réduisent  à  huit  ou  neuf  français. 

Le  vice-amiral  Sèbald  de  Veerl  déclare  en  avoir  tué 
quatre. 

Parce  que  quelques  navigateurs  du  dix-septième  siècle, 
entre  autres,  ÏVood  et  Narboroug ,  prétendent  n'avoir  vu 
au  détroit  de  Magellan ,  que  des  hommes  de  petite 
taille,  est-ce  une  raison  pour  que  Pigafetla  ,Ha\vkins  et 
Knivet,  soient  des  imposteurs  ?  On  n'a  jamais  prétendu 
que  tous  les  peuples  de  la  pointe  de  l'Amérique  méri- 
dionale eussent  une  taille  colossale. 

En  1704,  les  capitaines  Harington  de  Saint-Mâlo  ,  et 
Carman  de  Marseille  ,  virent  une  fois  sept  Géans  dans 
une  baye  de  Magellan  ;  la  seconde  fois  six  ,  et  la  troi- 
sième fois,  une  troupe  de  deux  cents  hommes,  parmi 
lesquels  il  y  avait  des  Géans  ,  et  des  Sauvages  d'une  taille 
ordinaire. 

Le  judicieux  Frezier,  qui  fit  exprès,  en  17 12,  le  voyage 

de  la  mer  du  Sud ,  termine  ainsi  sa  relation  :  «  On  peut 

«   croire  sans  légèreté  qu'il  y  a,  dans  cette  partie  de  l'A- 

ec   mérique  ,  une  nation  d'hommes  d'une  taille  très-supé- 

«   rieure  à  la  nôtre.  » 

Shelvock  ,  et  d'autres   capitaines  moins  connus ,  rap- 
portent la  même  chose. 

Le  célèbre  Amiral  Biron  dit  :  «  Leur  grandeur  était  si 
«   extraordinaire ,   que  même  assis^  ils  étaient  presque 


DES       AMERICAINS.  l63 

«  aussi  hauts  que  l'amiral  cl ebou1:.  Leur  taille  moyenne 
w  parut  être  de  huit  pieds ,  et  la  plus  haute  de  neuf  pierls 
«  et  plus.  La  stature  des  fe. -mes  est  aussi  étonnante 
«  que  celle  des  hommes.  On  remaroue  dans  les  enfans, 
«  les  mêmes  proportions.  »  Il  est  bon  d'observer  que 
le  pied  anglais  a  un  pouce  de  iroi:»s  que  le  pied 
français.  Ainsi,  huit  pieds  se  réduisent  à  sept  pieds 
quatre  pouces.  Le  Géant  mexicain  que  M.  Humboldt  a 
vu,  avait  sept  pieds  un  pouce  français. 

M.  Duclos-Gujot ,  lieutenant  de  frégate  .  et  M.  de  la. 
GiVat/û/ûw ,  commandant  une  flotte  du  roi  de  France  ,  en. 
1766  ,  après  avoir  séjourné  quelque  temps  parmi  les 
Patagons,  disent  que  le  moins  grand  avait  au  moins 
cinq  pieds  sept  pouces  de  hauteur  $  que  leur  carrure  était 
proportionnée  à  leur  taille. 

Il  paraît  donc  prouvé  que  les  Patagons ,  depuis  trois 
siècles ,  ont  conservé  une  taille  considérablement  plus 
grande  que  celle  d'aucune  autre  race  humaine.  Voilà 
qui  ne  s'accorde  pas  avec  le  système  de  désorganisation 
dans  les  facultés  morales  et  physiques  des  Américains , 
comme  l'avance  le  détracteur  de  l'Amérique. 

M.  Paw ,  en  refusant  dadmettre  en  Amérique  ,  des 
liommes  d'une  taille  haute  et  bien  proportionnée,  s'é- 
lève contre  le  témoignage  des  voyageurs  qui  assurent 
les  avoir  vus  dans  les  Patagons  ,  parce  que  l'amiral  Ansony 
qui  a  dirigé  sa  route  à  plus  de  soixante  lieues  au-dessous 
du  détroit  de  Magellan,  et  qui  n'a  fait  que  toucher  au. 
fort  de  Saint-Julien ,  situé  au-dessus  de  cette  cote  orien- 
tale de  l'Amérique,  sans  s'y  arrêter  dit  :  qu'il  n'a  rien 
vu,  pas  même  des  arbres  sur  la  côte.(Voy.  le  chap.  vr 
du  Ier.  liv.  de  son  Voyage  ). 

Parce  que  Narberough  a  observé  la  même  chose  lors- 

11   * 


l64  MŒURS,   USAGES   ET   RELIGION 

qu'il  vint  reconnaître  cette  côte,  en  1670  ,  par  ordre  de 
Charles  II,  roi  d'Angleterre  ;  parce  que  Adanson  n'a  pas 
vu  les  îles  des  Papjs  ou  Falkland,  peut-on  en  conclure 
que  nombre  de  voyageurs  n'ont  pas  vu  ces  hommes  à 
haute  taille  ?  Certainement  non,  puisque  depuis  1764, 
il  s'est  formé  dans  leur  pays  ,  des  établissemens  fran- 
çais /anglais  et  espagnols,  et  que  la  fameuse  dispute 
qui  est  survenue  en  1770  ,  entre  les  Colons  et  les  Pata- 
gous,  a  confirmé  l'existence  de  ces  Géans. 

L'Equipage  du  JVager,  vaisseau  de  l'amiral  Anson , 
dans  son  naufrage  en  1740,  s'étant  sauvé  dans  l'embou- 
chure du  détroit  de  Magellan ,  y  vit  des  hommes  d'une 
haute  taille ,  qui  avaient  un  drapeau  blanc  et  des  che- 
vaux. 

L'amiral  Blron ,  qui  était  arrivé  le  21  décembre  1764 
à  l'entrée  du  détroit  de  Magellan,  dit ,  dans  la  relation 
qu'il  a  présentée  à  l'amirauté  d'Angleterre  :  «  qu'il  a  vu 
«  une  troupe  de  5 00  Américains  avec  des  chevaux  et 
«  un  drapeau  blanc  ;  qu'il  leur  a  fait  quelques  présens , 
v  qu'un  de  ses  officiers ,  nommé  Comming,  qui  avait 
«  près  de  six  pieds  anglais  de  haut,  paraissait  un  pygmée 
x   à  côté  du  Patagon  ,  auquel  il  offrit  du  tabac  à  fumer.  » 

L'existence  des  Patagons  a  été  certifiée  parmi  les  Espa- 
gnols, par  Magellan, Sarmiento,  Nodal ;  parmi  les  Anglais, 
par  Cavendiôh,  Hawkins^Knivetj  Biron  ;parmiles Français, 
par  les  équipages  des  vaisseaux  le  Marseille,  le  Sl.-Mâlo, 
par  M.  de  Bougainville  ;  parmi  les  Hollandais  t  par  Sc~- 
bald ,  Noort7  Lemaire  ,  Spilberg. 

Quand  M.  Paw  objecte  que  personne  n'a  jamais  eu  à 
sa  disposition  un  de  ces  individus.,  cela  prouve  son  igno- 
rance ,  puisque  Magellan  en  prit  deux,  dont  l'un  fut 
baptisé  avant  de  mourir  ;  que  Pigafetla  avait  appris  beau- 


DES     AMÉRICAINS.  l6à 

coup  de  termes  de  leur  langue  ;  que  Knivet  dit  en  avoir 
vu  un  au  Brésil  _,  qui  avait  été  pris  au  port  St.-Julien, 
et  qui  avait  déjà  treize  palmes,  quoiqu'il  fut  jeune  ; 
qu'  Olivier  Noort  avait  appris  des  habitans  du  port  Désiré, 
qu'il  y  avait  dans  1  intérieur  une  nation  de  géans  bien 
plus  grands  qu'eux ,  appelés  Tireménens. 

M.  Turner  se  trouvait  à  la  cour  de  Londres  en  1610, 
lorsqu'on  mesura  l'os  de  la  cuisse  d'un  Patagon,  qui 
prouva  la  taille  gigantesque  de  cette  nation. 

M.  de  Commerson,  naturaliste  éclairé ,  qui  accompa- 
gna M.  Bougainville,  dit  en  avoir  vu  à  la  baie  de  Boucaut, 
qui  avait  six  pieds  quatre  pouces,  pied  de  roi. 

Vespuce ,  dans  la  lettre  qu'il  adressa  à  Laurent  de  Mé- 
dicis  pour  lui  rendre  compte  de  son  second  voyage ,  au 
sujet  de  ce  qui  lui  arriva  au  golfe  de  Parias,  dans  une  de 
ces  îles  qu'il  nomme  Yîle  des  Géans ,  dans  la  relation  in- 
titulée second  voyage ,  dit:  «  Nous  trouvâmes  douze 
«  cabanes ,  où  il  n'y  avait  que  sept  femmes  de  haute 
«  taille  ,  dont  la  moindre  avait  un  empan  et  demi  déplus 
«  que  moi.  Nous  vîmes  trente-six  hommes  d'une  si  haute 
«  taille ,  qu'étant  à  genou ,  ils  me  surpassaient  lorsque 
k  j'étais  debout.  Enfin,  ils  étaient  d'une  stature  gigan- 
k  tesque,  tant  à  l'égard  de  la  taille  ,  que  des  autres  pro- 
«  portions.  »  Or,  Vespuce  a  connu  ces  géans  avant  d'ar- 
river à  Venezuela  :  conséquemment  il  a  connu:  les  Pata- 
gons  avant  tout  autre  navigateur ,  c'est  ce  que  personne 
n'a  observé  dans  ses  rapports.  Voilà  M.  Paw  confondu 
par  le  témoin  même  qu'il  respecte. 

Les  commandans  de  vaisseaux  TVallis  et  Carteret,  qui 
se  séparèrent  au  détroit  Magellan,  en  1766,  ont  vul'un 
et  l'autre  les  Patagons.  Cartejet  en  a  fait  une  relation 


l66  MŒURS,    USAGES   ET    RELIGIOTÎ 

très-circonstanciée,  qu'on  a  publiée  dans  le  tom.  LX 
des  Transactions  j  hilosophiques. 

M.  de  Bougainville ,  parti  de  Saint-Mâlo  en  1765,  avec 
les  frégates  1  Aigle  et  l'Etoile ,  rapporte:  «  que  M.  de 
«  Saint-Simon,  capitaine  d'infanterie,  né  au  Canada,  ayant 
«  débarqué  au  cap  Georges,  avec  les  autres  Français 
«c  qui  étaient  dans  la  chaloupe,  ils  restèrent  pendant 
«•deux  jours  au  milieu  de  SooPatagons,  parmi  lesquels 
«  il  y  avait  des  femmes  et  des  enfans  ;  que  la  chaloupe 
«  étant  retournée  à  bord  avec  un  pavillon  blanc ,  ou 
«   fît  alliance  avec  eux  ; 

«  Que  dans'  la  baie  de  possession,  les  Français  trai- 
«  tèrent  amicalement  avec  les  Patagons  ,  qu'ils  avaient 
tt  des  moustaches  sous  le  nez,  que  le  moindre  avait  cinq 
«  pieds  dix  pouces ,  et  six  pieds  ;  qu'ils  avaient  une 
«  énorme  carrure,  une  grosse  tète,  des  membres  épais, 
«  robus  es  ,  bien  nourris,  leurs  nerfs  tendus  ,  leur  chair 
«  ferme  et  soutenue  ;  qu'il  n'y  avait  pas  de  femme  ,1'au- 
«    tre  partie  de  la  peuplade  étant  plus  loin.  » 

Il  y  avait  chez  M.  Darboulin,  fermier-général,  un  ha- 
billement et  des  armes  de  ces  hommes  extraordinaires  , 
que  M.  de  la  Giraudais  ,  commandant  de  la  frégate  VÊ- 
ioile  ,  avait  rapportés  avec  lui. 

Acosta  assure  qu'aucune  histoire  n'a  été  plus  répan- 
due parmi  les  peuples  du  Pérou  et  les  autres  nations 
américaines,  que  celle  des  invasions  et  des  anciennes 
guerres  de  ces  géans  ;  et  aucune  chose  n'a  été  prouvée 
par  plus  de  témoins,  que  cette  race  gigantesque,  depuis 
Verpuce  jusqu'àByron,  Wallis,Carteretet  Bougainville, 
les  derniers  voyageurs  les  plus  judicieux  et  les  plus 
éclairés. 

M.  Cook,  en  transportant   MM*  Banks  et  Solander  à 


DES     AMÉRICAINS»  167 

Taïti,  en  1769,  pour  observer  le  passage  de  Vénus,  tra- 
versa par  le  détroit  de  Lemaire  ,  et  non  par  celui  de 
Magellan.  Cependant,  étant  descendus  à  terre,  ils  entrè- 
rent dans  une  cabane  où  il  y  avait  une  petite  famille  , 
dont  les  hommes  avaient  cinq  pieds  huit  pouces.  Ils  dif- 
féraient des  Patagons  ,  dont  le  détroit  de  Magellan  les  sé- 
pare, tant  par  les  habits  et*les  usages,  que  par  la  langue, 
et  ils  n'avaient  pas  de  drapeau  blanc. 

J'accorderai  sans  difficulté  a  l'auteur  des  Mémoires 
sur  les  Américains,  que  les  grands  os  qu'on  trouve  dans 
le  Nord  et  le  Sud  de  l'Amérique,  sont  une  partie  de 
ceux  de  grands  animaux;  mais  il  est  certain  que  l'autre 
partie  doit  être  des  os  de  ces  géans  qu'on  ne  supposera 
pas  sans  doute  immortels.  Au  reste,  M.  D.  Prenetty 
a  encore  mieux  prouvé  l'existence  des  Patagons ,  pages 
82-123. 

Cette  énergie  de  la  nature  n'est  pas  bornée  en  Amé- 
rique, aux  contrées  du  Sud.  Oviedo  dit,  dans  son  som- 
maire ,  que  les  Jugules  ,  au  nord  de  la  Terre  -  Ferme  , 
étaient  généralement  plus  hauts  que  ne  sont  les  Alle- 
mands. C'est  aussi  ce  que  confirme  Âlvaro-Nugnez ,  en 
parlant  des  habitans  de  la  Floride. 

Pamphile  Narvaez  dit  :  «  Tous  les  Indiens  que  nous 
«  vîmes  dans  la  Floride,  jusqu'aux  Apalaches,  sont  ar- 
ec chers,  hauts  de  taille,  et  paraissent  autant  de  géans. C'est 
k  une  nation  singulièrement  bien  faite ,  bien  découplée, 
«c  d'une  très-grande  force,  et  très-leste.  Leurs  arcs  sont 
«  de  la  grosseur  du  bras  ,  et  ont  de  onze  à  douze  pau- 
«  mes  de  long,  portant  jusquà  deux  cents  pas.  Jamais 
«   ces  gens  ne  manquent  leur  coup.    a 

Gumilla ,  qui  a  demeuré  tant  d'années  parmi  les  peu- 
ples de  l'Orénoque  ,  dit,  Tom.  1.  pag.  io3':  «  Chez  les 


l68  MŒURS),   tTSÀGES   ET   RELÏGÏOX 

y>  Ottomaques ,  les  hommes  sont  grands  et  replets. 
»  Chez  les  nations  Cjrara ,  Ajrïca ,  Saliva  ;  et  chez 
»  les  Caraïbes ,  on  trouve  un  grand  nombre  d'Indiens 
»   dune  tadle  haute ,  élégante  et  bien  proportionnée. 

Je  crois  donc  pouvoir  conclure  que ,  comme  il  Y  a  des 
peuples  d'un  ou  deux  pieds  plus  bas  que  les  Européens , 
il  est  possible  qu'il  s'en  troifve  qui  les  surpasse  de  la 
même  mesure  ;  de  sorte  que  l'on  se  trouve  lîxé  dans  le 
moyen  terme  de  ces  deux  extrêmes  ,  où  la  nature  peut 
faire  avancer  ou  rétrograder  la  taille  et  l'espèce  hu- 
maine. 

Dans  la  terre  Magellanique  ,  quelques-unes  des  peu- 
plades qui  habitent  du  côté  du  Paraguay ,  de  Buénos- 
Ayres  ,  et  du  Chili ,  se  sont  un  peu  civilisées  ;  mais  on 
n'a  jamais  pu  communiquer  librement  avec  les  Patagons 
du  midi ,  qui  ont  voué  une  guerre  à  mort  aux  Espagnols. 

Les  Pécherais  se  sont  conservé  la  possession  de  l'Ile 
de  Feu  ,  et  n'ont  rien  perdu  de  leurs  moeurs  agrestes, 
ni  de  leurs  superstitions. 

Peuples  du  Chili. 

'  Les  Moluches  habitent  la  fertile  et  riante  contrée  entre 
la  rivière  Biobio  ,  et  celle  de  Valdivia. 

Les  Cunchi  demeurent  depuis  Valàivia  jusqu'au  Golfe 
de  Gujaleca. 

Les  Huiliches  résident  depuis  l'Archipel  de  Choiios , 
jusques  vers  le  Golfe  de  Pennas. 

La  taille  de  ces  peuples  est  grande  dans  les  parties  des 
montagnes  ,  et  moyenne  vers  les  côtes.  Leurs  traits  sont 
assez  réguliers,  et  leur  teint  n'est  pas  basané.  Ils  exercent 
l'agriculture ,  récoltent  des  fruits ,  font  du  cidre  ,  pos- 


DES    -AMÉRICAINS*  1% 

sèdent  des  troupeaux  immenses  de  Chevaux ,  de  Bœufs, 
de  Guanacos ,  et  de  Vigognes.  Leur  religion  approche 
beaucoup  de  celle  des  Péruviens.  Ils  forment  souvent  un 
corps  de  cavalerie  de  dix  mille  hommes  ,  qui  agissent 
comme  autant  de  Tartares  ,  lorsqu'on  les  provoque. 

Les  Araucanes  forment  une  tribu  redoutable  ,  ainsi 
que  les  Cuinches.  Ils  habitent  au  sud  de  la  rivière  Bibio. 
Ils  ont  attiré  dans  leur  confédération  quelques  tribus 
Tuelches  ,  habitans  de  la  plaine.  Celles  des  montagnes , 
s'appellent  Serranos  :  elles  s'étendent  jusqu'au  détroit  de 
Magellan.  Le  missionnaire  Falkner  prétend  qu'un  Cacique 
de  ce  peuple,  avec  lequel  il  était  lié  ,  avait  sept  pieds  et 
quelques  pouces. 

Ces  Indiens  sont  Nomades ,  et  changent  souvent  d'ha- 
bitation. Ils  sont  presque  toujours  à  cheval ,  et  se  nour- 
rissent de  racine,  de  lait  et  de  la  chair  de  leurs  troupeaux. 
Ils  ressemblent  aux  Arabes  et  aux  Tartares  d'Asie.  Plu- 
sieurs de  ces  hordes  sont  encore  en  guerre  avec  les  Espa- 
gnols :  lorsque  Tune  est  vaincue ,  elle  abandonne  le  pays, 
et  revient  au  bout  de  quelque  temps ,  avec  de  nouvelles 
forces  ,  et  une  nouvelle  fureur.  Souvent  elles  forment  des 
armées ,  dont  le  nombre  monte  de  quinze  à  vingt  mille 
hommes.  Les  Espagnols ,  voyant  qu'ils  perdaient  beaucoup 
de  monde  dans  de  pareilles  expéditions  ,  ont  été  forcés 
de  diminuer  leurs  vexations  ,  pour  ne  plus  être  exposés» 
à  de  semblables  défaites.  La  douceur  a  obtenu  de  ces  peu- 
ples, ce  que  la  rigueur  n'aurait  jamais  pu  faire  :  ils  sont 
devenus  plus  traitables ,  et  ont  reçu  des  Missionnaires 
chez  eux. 

Les  Tuelches  à  pied  errent  dans  les  Pampas  :  ils  re- 
connaissent un  bon  et  un  mauvais  génie. 

La  demeure  des  Argueles  ,  ou  des  Césares  ,  n'est  pas 


If©  BICETTUSj    US  ACES     ET    RELICIOS 

encore  bien  connue.  De  toutes  les  contrées  du  Nouveau- 
Monde  ,  c'est  le  Chili  qui  a  fait  la  plus  longue  résistance: 
la  guerre  dura  dix  ans  sans  interruption,  et  avec  un  achar- 
nement incroyable.  Almagro  la  commença  en  i535. 
Valdivia,  lui  ayants  uccédé,  en  1 541,  il  surprit  les  habi- 
t'ans  qui  étaient  occupés  à  leur  récolte  ,  et  massacra  ceux 
qui  tombèrent  sous  sa  main.  Un  vieux  guerrier ,  furieux 
de  voir  ses  compagnons  mis  en  déroute  par  ces  étrangers  >  , 
qu'il  avait  battus  plusieurs  lois,  rassemble  ses  frères  d'armes, 
en  forme  treize  compagnies  de  mille  hommes  chacune, 
les  met  en  colonnes  par  échelon  ,  et  marche  à  l'ennemi , 
après  avoir  ordonné  à  la  première  ,  en  cas  qu'elle  fut 
repoussée,  d'aller  se  rai  lier  sous  la  protection  de  la  dernièrej 
à  la  deuxième,  et  aux  autres  colonnes,  d'imiter  la  même 
manœuvre.  Ses  ordres  ayant  été  exécutés  avec  précision, 
les  Espagnols,  après  avoir  défoncé  tous  les  corps  les  uns 
après  les  autres  ,  se  trouvèrent  avoir  à  combattre  encore 
la  même  armée.  Valdivia  et  ses  gens,  épuisés  de  fatigues, 
voulurent  se  retirer  vers  un  défilé  ;  on  les  prévint ,  ils  se 
virent  attaqués  de  tous  les  côtés  :  leur  armée  fut  taillée 
en  pièce,  et  Valdivia  fait  prisonnier.  Le  vieux  capitaine 
Indien  lui  fit  couler  dans  la  bouche  de  l'or,  en  lui  di- 
sant :  abreuve-toi  de  ce  mêlai  dont  tu  es  si  avide,  les  Indiens 
ne  s'en  tinrent  p^s  là  :  ils  entrèrent  dans  le  Pérou ,  pil- 
lèrent les  villes,  ravagèrent  les  établi ssemeus Européens, 
emmenèrent  leurs  femmes ,  commirent  les  cruautés  qu'ils 
avaient  vu  commettre  aux  Espagnols.  Cette  conduite 
mal-adroite  augmenta  le  nombre  de  leurs  ennemis  : 
ils  furent  obligés,  à  leur  tour,  de  se  retirer  dans 
les  montagnes;  après  une  longue  guerre  et  beau- 
coup de  sang  répandu  ,  ils  furent  vaincus  par  les  for- 
ées nombreuses   accourues  du  Pérou  :   les  Espagnols^ 


DBS     AMÉRICAIN  S.  171 

malgré  ce  succès ,  n  ont  jamais  pu  soumettre  entière- 
ment le  Chili. 

Des  Péruviens. 

Les  peuples  du  Pérou  avaient  reconnu  pour  fondateurs 
de  leur  société  civile  ,  Ynca  Manco-Capac ,  et  sa  sœur  et 
femme  Coja  Mamma  OEllo  Huaco.  Ynca  Capac ,  signifie 
Grand-Seigneur  ;  et  Coja  Mamma ,  Impératrice-Mère  : 
ces  titres  passèrent  à  leurs  descendans. 

Selon  la  tradition  de  ces  peuples ,  ces  deux  illustres 
personnages  étaient  nés  du  Soleil ,  peu  de  temps  après  le 
déluge  ,  dans  l'île  du  Lac  Titica,  à  huit  cents  lieues  de 
Cuzco.  Le  Soleil  ,  leur  père  ,  en  leur  apprenant  comme 
ils  devaient  s'y  prendre  pour  rendre  les  hommes  heureux  7 
leur  ordonna  d'établir  le  siège  d'un  Empire  dans  l'endroit 
où  la  verge  d'or  ,  qu'il  leur  remit,  s'enfoncerait  en  terre 
d'un  seul  coup.  Ils  se  mirent  donc  en  route  :  quand  ils 
arrivèrent  aHuana-Cauti,  la  verge  s'étant  enfoncée  dans 
la  terre,  ils  choisirent  ce  lieu  pour  le  exécuter  les  ordres 
de  leur  père  :  ensuite  ils  se  séparèrent  pour  aller  chercher, 
chacun  de  leur  côté,  des  hommes  en  assez  grand  nombre 
pour  fonder  une  ville.  Ils  revinrent  bientôt  avec  beaucoup 
de  monde ,  et  bâtirent  Cuzco  ,  qu'ils  divisèrent  en  deux 
parties.  L'une  fut  nommée  Huanan-Cuzco  ,  la  haute 
Cuzco  ;  l'autre  Hurin-Cuzco ,  la  basse  Cuzco.  lisse  réglè- 
rent sur  cette  division  pour  les  autres  villes  de  l'empire- 
Manco  apprit  aux  peuples  à  bâtir  des  maisons  ;  à  faire 
des  charrues,  des  bêches  et  autres  instrumens  aratoires; 
à  labourer  ,  semer  ,  recueillir  les  grains  ,  les  légumes 
nécessaires  ,  et  à  faire  les  armes  offensives  et  défensives. 
Il  leur  enseigna  une  religion  fort  simple  :  les  premiers 
usages  qu'ils  pratiquèrent  leur  firent    sentir  de  quelle 


I72  MOEURS,   USAGES    ET    RELICIOW 

importance  il  était  d'obéir  aux  lois  ;  il  leur  donna  des 
leçons  sur  la  propagation  et  les  avantages  des  troupeaux. 

Coya  Mamma  apprit  aux  femmes  à  filer  la  laine  et  le 
coton  5  à  tisser,  et  à  faire  des  habits  pour  leurs  maris  et 
leurs  enians;  à  conduire  une  famille,  et  enfin  à  faire  tout 
ce  qui  regarde  le  ménage. 

Les  premières  limites  de  ce  royaume  furent  fixées ,  du 
côté  orientai  ,  au  fleuve  Paucartampu  ;  à  l'Occident ,  le 
fleuve  Apurimac  lui  servit  de  frontière  ;  et  vers  le  Midi 
le  Quequisana  borna  son  étendue.  Cet  espace  de  terrein 
renfermait ,  dit-on  ,  plus  de  cent  bourgades  ,  dont  les 
inoindre  s  étaient  composées  de  cent  maisons.  Mais  la 
tradition  générale  est  que  plusieurs  nations  se  réunirent 
sous  les  ordres  de  Manco-Capac  ;  savoir  :  celles  de  Masca , 
à.' Unie  qui  ex.  de  Papri ,  du  côte  de  l'Occident  ;  quatre 
autres  du  côté  du  Nord, ,  connues  sous  le  nom  de  Majrrù, 
Cancu ,  Chinchapucuyn ,  Rimactampu  ;  et  du  côté  du  Midi^ 
dix  -  sept  autres  comprises  sous  la  dénomination 
RAyarmaca. 

!Les  simples  Incas  avaient  les  cheveux  coupés  à  diffé- 
rens  étages,  de  la  longueur  de  deux  ou  trois  doigts  :  leurs 
oreilles  étaient  percées  d'un  large  trou  ,  dans  lequel  ils 
attachaient  de  longs  pendans,  qui  leur  tombaient  jusqu'à 
la  ceinture.  L'ornement  de  la  tête  consistait  en  une 
bande  de  couleur  noire ,  avec  des  plumes  droites. 

Les  femmes  des  Incas  ,  nées  du  sang  royal  ,  étaient 
toujours  distinguées  de  celles  des  simples  Incas  :  on  les 
appelait  P allas.  Les  femmes  des  simples  Incas  avaient 
le  titre  de  Mammacunes ,  (Dames).  Palla  ,  signifie  sang 
royal.  Les  filles  des  Incas  étaient  consacrées  au  Soleil  , 
non  à  l'Empereur ,  pour  demeurer  Vierges  et  cloîtrées 
loutc  leur  vie.  Les  Pallas  que  l'Empereur  prenait  pour 


DES     AMÉRICAINS.  Ij3 

maîtresses ,  tenaient  le  premier  rang  après  1*  Coja  ,  et 
leurs  fils  étaient  habiles  à  succéder  au  trône ,  si  l'Impé- 
ratrice morrait  sans  enfans.  Il  n'en  était  pas  de  même 
de  ceux  qui  étaient  nés  des  filles  de  Princes  ou  de  Caci- 
ques. La  différence  de  la  parure  distinguait  les  degrés 
de  la  première  ,  de  la  seconde  et  de  la  troisième 
noblesse. 

La  gloire  de  ce  sage  Gouvernement  ,  était  :  que  la 
maxime  fondamentale  des  Souverains  devait  obliger  même 
les  sujets  à  être  heureux.  L'empire  du  Pérou  fut  le  seul 
de  la  terre  qui  parvint  à  un  but  si  digne  de  l'humanité. 
Quant  aux  moyens  que  les  souverains  employèreni  pour 
y  arriver,  (voyez  les  lettres  sur  l'Amérique,  par 
M.  J.-R.  Carli,  depuis  la  page  202  jusqu'à  254  du 
deuxième  volume.) 

A  l'époque  de  la  conquête  du  Pérou ,  la  noblesse 
européenne  ne  savait  ni  lire  ni  écrire ,  tandis  que 
celle  du  Pérou  était  instruite. 

Les  noms  des  empereurs  Romains  retentissent  tou- 
jours à  nos  oreilles  ;  si  les  uns  ont  été  justes  ,  les  autres 
étaient  atroces;  ceux  qui  n'ont  pas  fait  de  mal,  l'ont 
laissé  faire  à  leurs  femmes  et  à  leurs  favoris. 

c  Libertina  ferens  ,  nuptarum  queimproba  facta, 
c  Nonfaciendonocens,  sed  patiendofuit. 

(Ausone  de  Claude). 

L'Histoire  ne  fait  ce  reproche  à  aucun  Inca. 

Cet  écrivain  paraît  avoir  ignoré  que  les  Péruviens 
avaient  su  apprivoiser  et  former  en  troupeaux  nombreux 
les  Lamas,  les  Pachos ,  ou  Alpaques  ,  les  Vigognes  ,  ces 
espèces  de  Chameaux  et  de  Chèvres,  dont  la  laine  dif- 
fère des  espèces  analogues  des  Anciens-Continens. 

Pour  faire  respecter  les  lois,  on  les  publiait  au  nom  du 


2  74  ttCEtTfiS;    USAGES    ET    RELIGION 

premier  législateur,  dont  le  souvenir  était  toujours  cher 
au  peuple.  C'est  à  tort  qu'on  a  cru  pouvoir  comparer  au 
gouvernement  des  Incas ,  si  toutefois  ou  le  peut ,  le  gou- 
vernement  d'Angleterre ,  sous   le    roi    Alfred  ;    car  les 
Francs,  les  Fisigoths,  les  Gotlis,  avaient  le  même  système. 
Les   Saxons   l'avaient    eu    chez  eux  ,    avant    de    passer 
en  Angleterre.    Les    coutumes  de    Bourges    et    àC Anjou  , 
parlent  même  de  divisions  par  seplaines  et  par  quintes. 
D'ailleurs  le  système  d'Alfred  réglait,  il  est  vrai ,  Tordre 
civil  parmi  le  peuple;   mais  il  laissait  subsister  tous  les 
défauts  ,    que  les  Incas   avaient   évités  ;    leur  gouverne- 
ment était  Le  vrai  système  d'une   famille  ,   où   le   père 
distribuait  le  travail  à  ses  eufans  ,    sans  leur  rien  aban- 
donner en  propre.  La  religion  ,  loin  d'y  avoir  la  prépon- 
dérance,   n'en  faisait  la  base  que  comme  subordonnée 
aux  besoins  de  l'empire.  Une  loi  inviolable   avait  rendu 
l'empire  héréditaire;  c'était  toujours   l'aîné  qui  succé- 
dait ;   l'héritier  devait  épouser  sa  sœur  de  père   et   de 
mère  :    la   deuxième  classe  était  celle   des   Caciques  et 
des  nobles  de  l'empire.  Au  Mexique  ,    le  souverain  était 
électif,  les  biens  y  étaient  autant  de  propriétés;  l'ambi- 
tieux pouvait  aspirer  au  trône.  Le  despotisme  du  temps 
de  Motézuma  était  le  seul  effet  de  l'ambition  ;   aussi  le 
peuple  était  opprimé ,  esclave  et  mécontent  :  outre  cela, 
la  religion  était  sanguinaire.   Les  Incas  ,  au  contraire  , 
souverains  et   chefs  d'une  religion  simple,  et  humaiue  , 
étaient  chéris  de  leurs  peuples ,  dont  ils  prévenaient  les 
besoins.  La  religion  se  trouvait  fondue  dans  le  respect 
qu'ils  avaient  pour  leur  souverain.  La  religion  des  Péru- 
viens étaitcelle  de  l'amour  et  de  la  bienfaisance.  Les  plus 
éclairés  de  la  nation  reconnaissaient  un  Etre-Suprême  , 
un  esprit  créateur  ,   arbitre  de  tous  les  éyenemens. 


DES      AMÉRICAINS*  1^5 

Los  Impératrices  et  les  Empereurs  ne  portaient  pas 
d'autres  habits  que  ceux  que  les  vierges  du  grand  monas- 
tère de  Cuzco  avaient  faits.  L'habillement  de  FEmpe- 
reur  était  fort  simple;  il  avait  la  tête  ceinte  dune  ban- 
delette large  d'un  pouce  ,  qui  faisait  plusieurs  tours  ; 
elle  était  bordée  d  une  espèce  de  ruban  et  de  franges 
de  diverses  couleurs  ;  cette  frange  était  fixée  à  chaque 
côté  des  tempes,  et  surmontée  de  plumes;  c'est  ce  quon 
appelait  le  Llautu  ou  frange  impériale  ;  une  espèce  de 
chemise  appelée  Uncy.  lui  tombait  jusqu'aux  genoux  ;  il 
mettait  par-dessus  un  manteau  de  même  longueur., 
nommé  Racolla  ;  un  ruban  large  de  quatre  doigts  tom- 
bait de  l'épaule  gauche  en  écharpe  vers  le  côté  droit,  au 
bout  duquel  pendait  une  bourse  carrée  où  était  le  Çoca, 
plante  qu'il  mâchait ,  comme  les  Orientaux  le  bétel* 
sa  chaussure  était  une  semelle  qu'on  fixait  au  pied  avec 
des  cordons  ,  comme  les  sandales  des  Romains.  Les 
étendards  de  l'Empereur  portaient  la  figure  de  l'Iris  ,  ou 
arc-en-ciel. 

Outre  les  vierges  qui  vivaient  dans  la  retraite  ,  plu- 
sieurs filles  dlncas  renonçaient  aussi  au  mariage  ,  et 
faisaient  vœu  de  virginité ,  ce  qui  leur  attirait  beaucoup 
de  respect ,  et  les  faisait  appeler ,  par  excellence , 
Oello. 

L'usage  voulait  qu'on  n'allât  jamais  rendre  visite  à  un 
supérieur  sans  lui  porter  quelque  présent.  Lorsque  l'Em- 
pereur faisait  ses  visites  dans  les  provinces ,  on  ne  se 
prosternait  devant  lui  ,  on  ne  lui  baisait  la  main  qu'en 
lui  présentant  l'hommage  de  quelque  ouvrage  d'or  ou 
d'argent,  de  pierres  précieuses ,  de  bois  rares,  ou  de 
quelques  animaux  sauvages  pour  sa  ménagerie.  L'or  et 
i'argeut ,  si  abondans  dans  ce  pays   rempli  de  raines  ? 


IjÔ  MŒURS,    USACES    ET    RELIGION 

étaient  devenus  un  simple  objet  de  dévotion  et  d'hom- 
mage ;  et  la  législation  des  Incas ,  un  amour  sans  bornes , 
un  respect,  qui  allait  jusqu'à  l'adoration. 

Les  mariages  étaient  célébrés  par  des  fêtes.  L'Empe- 
reur faisait  lui-même ,  et  avec  beaucoup  d'appareil,  la 
cérémonie  du  mariage  des  Incas.  Lorsque  le  jeune  Inca 
avait  atteint  l'âge  de  vingt-quatre  ans  ,'  fixé  par  la  loi ,  il 
épousait  sa  sœur,  s'il  en  avait  une  ,  ou  bien  sa  plus  pro- 
che parente  ,  qui  ne  devait  pas  avoir  moins  de  dix-huit 
ans.  La  cérémonie  se  faisait  dans  le  temple  du  Soleil,  à 
Cuzco.  Tous  les  deux  ans  l'Empereur  rassemblait,  dans 
le  même  temps,  tous  les  jeunes  garçons  et  toutes  les 
jeunes  filles  nubiles  du  sang  royal ,  s'asseyait  au  milieu 
d'eux,  choisissait  ceux  qui  se  convenaient ,  joignait  leurs 
mains  ,  leur  faisait  promettre  une  fidélité  réciproque, 
leur  donnait  sa  bénédiction ,  et  les  renvoyait  à  leurs  pa- 
reils. Les  nouveaux  mariés  se  rendaient  dans  la  maison 
du  père  de  l'époux,  où  se  célébraient  les  noces,  qui  du- 
raient huit  jours;  de  cette  manière  la  famille  royale  ne 
contractait  jamais  d'alliance  étrangère  ,  mais  llnca  seul 
épousait  sa  sœur,  on  consacrait  vingt  jours  aux  réjouis- 
sances pour  ses  noces. 

Les  gouverneurs  ,  après  lui ,  étaient  chargés  de  marier 
les  individus  du  peuple.  Après  les  épousailles  publiques, 
le  père  de  famille  célébrait  des  noces  particulières  chez 
lui  ;  les  plaisirs  duraient  trois  jours.  Il  y  avait  des  fêtes 
lorsqu'il  s'agissait  de  couper  les  cheveux  ,  pour  le  se- 
vrage ,  pour  le  baptême  du  premier  né  de  l'Empereur, 
et  de  même  à  proportion  pour  les  autres  sujets  de 
l'Etat.  La  lutte,  la  course  de  la  jeunesse,  étaient  aussi 
des  jours  de  fête.  L'agriculture  était  honorée  par  des 


DES      AMERICAINS.  1 J,? 

jours  de  fêtes  ;  cependant  les  fêtes  les  plus  solennelles 
étaient  celles  de  la  Religion  et  du  Soleil. 

La  cérémonie  des  Ramis  ou  fêtes  du  Soleil ,  commen- 
çait par  des  offrandes  eu  statues  d'or  ,  d'argent ,  ou 
éméraudes,  turquoises,  etc.  Le  sacrifice  consistait  en  un 
cancu  ou  pain  béni ,  et  Vaca  ou  liqueur  sacrée  ,  dont  les 
prêtres  et  les  Incas  buvaient  une  partie  ;  après  quoi  les 
danses  commençaient. 

Mais  les  fêtes  majeures  étaient  celles  des  Equinoxes. 
Ils  avaient  trouvé  le  moyen  de  marquer  ces  deux  points 
du  cours  du  soleil  avec  une  colonne  parfaitement  tra- 
vaillée ,  enrichie  d'or ,  d'émeraudes  ,  de  turquoises ,  et 
placée  au  milieu  de  la  place  du  temple.  Un  cercle,  dont 
elle  faisait  le  centre  ,  s'y  trouvait  partagé  par  un, dia- 
mètre qui  s'étendait  du  point  de  l'Orient  à  celui  de 
l'Occident;  au  moyen  de  l'ombre  de  cette  colonne,  que 
les  prêtres  observaient  au  lever  et  au  coucher  du  soleil, 
ils  saisissaient  le  moment  de  l'équinoxe  ,  et  vérifiaient 
leur  observation  à  midi ,  lorsque  l'ombre  du  gnomon  ou 
de  la  colonne  tombait  sur  le  méridien. 

Aussitôt  on  ornait  cette  colonne  de  fleurs ,  d'herbes 
aromatiques  :  on  plaçait  dessus  un  trône  d'or  pour  servir 
de  siège  au  Soleil ,  où  l'on  disait  qu'il  se  reposait. 

On  avait  élevé  de  pareilles  colonnes  dans  les  villes 
situées  près  de  la  ligne  Equinoxiale  ,  entre  autres  ,  à 
Quito.  Celles  où  le  §oleil  tombait  perpendiculairement 
à  midi  ,  sans  jeter  aucune  ombre  ,  étaient  beaucoup 
plus  révérées  par  le  même  principe. 

L'Espagnol  Sébastien  Beîalcazarût  détruire  et  enterrer 
les  colonnes  de  Quito ,  et  de  toutes  les  autres  villes.  La  fête 
du  renouvellement  du  feu,  celle  des  œufs  depaques  ,  etc. , 
se  célébraient  aussi  tous  les  ans. 

*       TOME    2.  12 


I78  M  Π U  II  S  ,     USAGES     ET    RELIGION 

Dans  les  fêtes  où  il  y  avait  des  danses  ,  de  la  mu- 
sique j  les  instrumens  variaient  avec  la  province.  Ceux 
de  Colla  se  servaient  particulièrement  d'une  flûte  com- 
posée de  cinq  brins  de  roseau,  de  grosseur  et  de  longueur 
différentes.  Lorsqu'ils  jouaient  à  deux ,  le  second  cor  ré- 
pondait parfaitement  en  proportion  de  quinte  plus  basse. 
Ils  jouaient  aussi  de  la  flûte  simple ,  qui  n'avait  que 
quatre  ou  cinq  tons  ;  cet  instrument  était  celui  des  amans. 
Cette  flûte  était  consacrée  aux  airs  et  aux  chansons 
d'amour. 

Les  trompes  étaient  des  instrumens  militaires  ,  de 
même  que  les  tambours  ;  ils  servaient  aussi  aux  danses. 
L'on  a  conservé  quelques-unes  des  hymnes  que  ces  peu- 
ples chantaient  dans  ces  occasions  :  elles  rappèlent,  d'une 
manière  touchante  ,  la  douceur  des  mœurs  et  le  génie 
de  cette  nation.  Les  Péruviens  jouaient  des  comédies 
pendant  ces  fêtes,  ils  les  aimaient  par  préférence,  tandis 
qu'a  Tlascala  on  préférait  la  tragédie.  On  peut  voir  dans 
Garcilasso  quelques  pièces  anacréontiques  de  poésie  pé- 
ruvienne. 

Rien  n'est  plus  intéressant  que  le  détail  de  ces  peuples. 
Au  printemps  on  cultivait  les  champs  en  commun  ,  et 
chaque  père  de  famille  recevait  un  terrein  proportionné 
au  nombre  de  sa  famille  ;  les  villes  avaient  des  magasins 
où  chacun  portait  sa  contribution  en  nature.  Les  armes 
et  les  habits  militaires  étaient  conservés  dans  des  arse- 
naux. Il  ne  paraît  pas  qu'il  y  eût  une  classe  particulière 
d'artisans  ;  chacun  faisait  lui-même  tous  les  ouvrages 
dont  il  avait  besoin ,  ou  se  procurait  chez  un  autre  ce  qui 
lui  manquait. 

On  ne  voyait  jamais  les  Péruviennes  dans  les  rues  ? 
«ans    filer  ,   cordonner  la  laine  ou  le  coton.  Elles  île   sa 


DES      A  MB  RI  C  AI  N  S»  î^fj 

rendaient  aucune  visite  sans  avoir  leur  ouvrage  avec  elles. 

Blas  Faleras  dit  que  si  les  Espagnols  avaient  élevé 
•leurs  enfans  aux  professions  de  leurs  pères  ,  suivant  la 
sage  institution  des  Incas ,  le  Pérou,  aurait  été  plus  flo- 
rissant qu  il  ne  l'est  actuellement  (en  i56o  ).  Je  défie  le 
philosophe  Paw  de  montrer  un  Code  de  lois  ,  un  plan 
de  gouvernement  plus  exact  dans  toutes  ses  parties  ,  et 
de  ressorts  aussi  actifs  et  aussi  bien  enchaînés  que  ceux 
de  la  législation  des  Incas. 

Les  Péruviens  avaient  quelques  connaissances  en  géo- 
métrie ,  en  astronomie  ,  en  peinture  et  en  architecture. 
Sans  le  "fcours  du  fer,  ils  savaient  tailler,  travailler  les 
pierres  et  construire  d'immenses  édifices  ;  ils  se  servaient 
de  cuivre  pour  la  fabrication  de  leurs  instrumens  ;  leur 
vaisselle  était  de  terre  cuite.  Ils  soignaient  l'éducation  de 
la  jeunesse  ;  les  écjles  publiques  n'étaient  point  confiées 
aux  prêtres  ;  ceux-ci  étaient  entièrement  restreints  aux 
fonctions  du  culte. 

Au  milieu  de  la  ville  de  Cuzco  ,  les  Péruviens  avaient 
ménagé  une  grande  place  ,  d'où  sortaient  quatre  belles 
rues  qui  représentaient  les  quatre  coins  du  monde.  Il  j 
avait  des  quartiers  assignés  pour  chaque  province  de 
l'empire  :  on  y  adorait  le  Soleil  dans  un  temple  somp- 
tueux ,  lambrissé  d'or  et  de  pierres  précieuses  ,  où  l'on 
voyait ,  comme  en  trophées  ,  les  idoles  des  peuples  que 
les  Incas  avaient  éclairés  et  soumis.  La  figure  du  Soleil 
était  telle  que  nos  peintres  la  représentent,  mais  d'une 
grandeur  monstrueuse  ,  et  d'or  massif.  Vis-à-vis  de  ce 
temple  il  y  en  avait  quatre  autres  qui  offraient  les  mêmes 
richesses.  Le  premier  était  consacré  à  la  Lune  ;  Le 
deuxième  à  l'étoile  de  Vénus  :  le  troisième  au  Tonnerre  . 
le  quatrième  à  i'iVrc-eu-cieJ.  Une  salle  voisine,  revêtue 


*8o  MŒURS,    CSAGKS    ET    RELIGION 

de  lames  d'or ,  servait  aux  conférences  des  prêtres.  Les 
provinces  cherchaient  à  se  distinguer  par  leur  magni- 
ficence. Les  rues  de  Cuzco  étaient  ornées  d'un  grand 
nombre  de  palais  et  d'édifices  royaux  ,  dont  l'or  et  l'ar- 
gent étaient  la  principale  décoration;  on  y  voit  encore 
les  restes  d'une  fameuse  forteresse ,  que  les  Incas  avaient 
élevée  pour  leur  sûreté  ;  ils  l'avaient  environnée  d'un 
rempart ,  pour  fermer  tous  les  passages  extérieurs,  et  so 
conserver  en  même  temps  une  communication  libre 
avec  leurs  sujets  par  des  voûtes  souterraines  qui  condui- 
saient à  trois  autres  forts ,  où  ils  entretenaient  une  nom- 
breuse garnison.  Les  murs  étaient  d'une  hauteur  extraor- 
dinaire ,  composés  de  pierres  bien  taillées  et  plus  remar- 
quables encore  par  leur  grosseur.  (Le  Voyageur  français , 
pag.  87  ,  tome  XII.  ) 

On  trouvait  dans  tout  le  Pérou  des  grands  chemins  et 
des  chaussées  qui  facilitaient  les  relations  d'une  province 
à  l'autre.  Cinq  cents  lieues  de  montagnes  coupées  par  des 
rochers,  des  vallées,  des  précipices,  des  torrens  sur- 
montés de  ponts  de  cordes  de  lianes  ,  offrent  encore  un 
chemin  commode  ,  depuis  la  province  de  Quito  jusqu'à 
l'extrémtié  du  royaume.  On  y  voyait  des  routes  de  deux 
et  trois  cents  lieues  ;  des  pierres  millières  indiquaient 
aux  voyageurs  la  situation  des  lieux  et  des  auberges  pour 
se  reposer. 

Les  Péruviens  n'enterraient  pas  leurs  morts  ,  mais 
ils  les  mettaient  dans  de  grands  tombeaux  murés  , 
dune  hauteur  et  d'une  longueur  considérables.  On 
les  appelait  Guacas.  On  en  trouve  encore  dans  plu- 
sieurs endroits.  Dans  ces  tombeaux  de  pierre  que  les 
Péruviens  consacraient  à  la  postérité  ,  et  qui  formaient 
des  collines  artificielles  de  soixante  pieds  de  hauteur  sur 


DES     AMÉRICAINS.  l8ï 

cent  de  longeur;  ils  ensevelissaient  le  défunt  ,  avec  ses 
meubles  ,   ses  pincettes  ,  dont  la  plupart  était  d'or. 

D'après  les  renseigneraens  que  les  personnes  qui 
avaient  résidé  long-temps  dans  le  Pérou,  avaient  donnés 
à  M.  le  comte  J.  R.  Carli ,  sur  les  édifices  ,  les  ouvrages 
des  Incas  ,  les  canaux  ,  les  grandes  routes  ,  les  ruines 
qui  restent  encore  des  forteresses  ,  des  palais  ,  des  aque- 
ducs ,  etc.  ;  d'après  le  récit  d'un  savant  ex-jésuite  , 
entre  autres  ,  né  à  Lima ,  qui  a  demeuré  plusieurs  an- 
nées à  Cuzco ,  et  qui  a  confirmé  à  M.  le  comte  J.  R. 
Carli  la  vérité  de  ce  que  les  relations  ont  appris  à  ce 
sujet ,  M.  Carli  s'exprime  ainsi  :  «  Il  m'a  assuré  qu'on 
«  voyait  encore  des  canaux  construits  sur  la  pente  des 
«  montagnes ,  soutenus  par  des  digues  élevées ,  avec 
«  une  espèce  d'argile  si  solide,  que  cela  forme  actuelle- 
«  ment  un  massif  d'une  dureté  égale  à  celle  de  la  pierre. 
«  Il  y  a  quelques  années  qu'un  tremblement  de  terre 
«  y  fit  une  rupture.  Les  Espagnols  essayèrent  de  réparer 
a  le  dommage  ;  mais  ils  ne  purent  retrouver  cet  argile  , 
■  ni  former  un  ciment  analogue ,  quoiqu'ils  fissent 
k   de  très -grandes  dépenses  pour  rétablir  la  "digue.  » 

Examinons  les  villes  ,  dit  M.  Carli.  Caxas  était  une 
ville  médiocre  ;  Guacamba  paraissait  plus  importante  : 
ony  voyait  un  fort  présentant  une  enceinte  de  pierres  de 
taille  ;  deux  escaliers  de  pierre  y  conduisaient  à  deux 
appartemens. 

Caxamalca  avait  aussi  un  fort  auquel  on  montait  par 
un  escalier  de  pierre.  François  Xérès  ,  un  des  capitaines  ? 
lors  de  la  conquête  ,  dit  :  «  Qu'il  y  avait  deux  mille  mai- 
«  sons  dans  cette  ville  et  bien  bâties  ;  les  murs  en  étaient 
«  épais  et  hauts  de  dix-neuf  pieds  ;  il  en  a  décrit  la 
«  principale  5  elle  représentait  plusieurs  appartemens  ? 


3  82  MŒURS,    USACES    ET    RELIGIOS 

«  tout  faits  de  pierres  de  taille  et  bien  travaillées:  le  toit 
«  en  était  de  bois  et  de  paille.  La  maison  qu'habitait 
«  jltnliualpa  ,  dans  la  ville  de  Caxamalca,  était  partagée 
«  en  quatre  appartemeus  ou  corps-de-logis.  Dans  Tin- 
te térieur  était  une  cour  où  il  y  avait  un  bain  d'eau  chaude 
«  et  d'eau  froide,  qu'y  amenait  un  aqueduc.  Le  bassin 
«  du  bain  était  en  pierre.  L'appartement  du  jour  avait 
«  un  balcon  sur  un  jardin ,  et  près  de  là  une  chambre 
«  à  coucher,  dont-  la  fenêtre  donnait  sur  la^cour.  Les 
«  murs  avaient  pour  enduit  une  espèce  de  bitume  ronge 
«  très-brillant:  la  charpente  était  peinte  de  la  même  coû- 
te leur  ; T autre  appartement,  qui  était  de  front,  présentait 
te  quatre  voûtes  rondes  ;  mai»  par  leur  ensemble,  elles 
te  se  trouvaient  toutes  réunies  en  une,  elles  jetaient  en- 
«   duites  d'un  crépi  blanc  comme  neige.  » 

Cette  relation  dément  formellement  ceux  qui  soutien- 
nent que  les  maisons  des  Péruviens  n'avaient  pas  do 
fenêtres.  Les  maisons  des  parties  méridionales  de l'Espa- 
gne n'en  ont  pas  ;  à  peine  en  aperçoit-on  aux  maisons  des 
Romains  ,  découvertes  à  Pompeia. 

Chinca  était  une  autre  ville  au  milieu  d'un  pays  habité  par 
des  pâtres  qui  y  gardaient  de  nombreux  troupeaux  de  vi- 
gognes. Le  temple  du  Soleil  se  trouvait  à  Pachacamac. 
te  II  y  avait  des  maisons  de  deux  étages  comme  en  Es- 
rc  pagne  ;  et  les  ruines  des  édifices  prouvent  que  ce 
t<   pays  était  habité  depuis   long-temps.  » 

Cuzco  avait  le  nom  de  capitale  du  royaume.  L'or  que 
le  général  Chili  chuchima  livra  aux  Espagnols  par  ordre 
d'Atalmalpa,  fut  enregistré  dans  les  actes  par  un  notaire. 
3?;zarre  décrit  cette  ville  comme  très-grande  ,  bien  bâtie? 
avec  un  beau  pavé  dans  les  mes.  Les  Espagnols  y  trouvè- 
rent un  palais  bien  construit  ,  carré  ,  orné  de  lames  on 


DES     AMÉRICAINS.  1 83 

plaques  cTor,  Une  autre  maison  leur  présenta  d'aussi 
riches  orne  mens;  dans  la  première  ils  enlevèrent  six 
cents  lames  d'or  ,  dont  chacune  pesait  cinq  cents  castil- 
lans ;  la  seconde  leur  fournit  un  aussi  grand  nombre  de 
lames  ,  de  la  valeur  de  deux  cents  castillans. 

Cet  or  en  lames ,  joint  à  une  grande  quantité 
d'argent,  arriva  à  Caxamalca  le  i3  juin  i533.  Les 
lames  d'or  avaient  trois  ou  quatre  palmes  de  long.  Il  y 
avait  des  trous  qui  montraient  qu'elles  avaient  été  déta- 
chées des  murs  où  on  les  avait  enchâssées.  Ce  fut  le  jour 
de  la  Saint- Jacques  qu'on  acheva  la  fonte  de  l'or  et  de 
l'argent  de  ce  butin.  L'or  montait  ,  de  fin  ,  à  la  valeur 
d'un  million  ,  trois  cent  quatre-vingt-six  mille  cinq 
cent  trente-neuf  castillans  ;  l'argent  pesait  cinquante-un 
mille  marcs.  , 

Les  Espagnols  comptèrent  trente  villes  de  Caxamalca 
à  Cuzco.  L'auteur  dit  :  que  les  Espagnols  fondaient 
tous  les  jours  pour  la  valeur  de  cinquante  à  soixante  mille 
castillans  d'or, penda?it  que  les  Américains  qvl  fondaient  pour 
la  valeur  de  quatre-vingt  mille  :  car,ajoute-t-il,  il  y  a  parm1 
ces  gens  ,  d'habiles  orfèvres  et  d'habiles  fondeurs.  Pizarre 
s'empara  enfin  de  Cuzco  ,  le  i5  novembre  i53o,;  mais 
la  ville  avait  été  presque  toute  réduite  en  cendres  ,  par 
Quizquiz ,  partisan  de  Chilichuchima  ,  que  les  Espagnols 
avaient  fait  brûler  vif  après  les  avoir  servis. 

Les  divers  mathématiciens  Français  et  Espagnols,  qui, 
après  ces  ravages ,  passèrent  dans  ces  contrées  deux  cent 
de  trente  ans  et  plus ,  pour  mesurer  un  degré  du  méridien , 
observèrent  que  le  flanc  du  château  de  Cannar,  avait  plus 
cent  pieds  de  long  ;  le  mur  en  était  encore  haut  de  plus 
de  six  pieds ,  épais  de  trois  ,  formé  de  couches  parallèles 
de  pierres  parfaitement  unies  entre  elles.  A  la  partie  an- 


l84  MCËTTRS,    USAGES    ET    RELIGION 

térieure  elles  sont  un  peu  convexes  en  dehors  ,  formant 
à  l'extérieur  comme  une  espèce  de  rustique.  Les  pierres 
étaient  de  la  classe  du  granit  ;  ils  virent  dans  l'épaisseur 
des  jambages  et  des  portes,  des  cannelures  courbes  creu- 
sées régulièrement,  et  que  le  plus  habile  sculpteur, 
selon  M.  de  la  Condamme  serait  à  peine  en  état  d'imiter 
(  Voy.  à  ce  sujet  le  Mémoire  qu'il  a  mis  dans  ceux  de 
l'Académie  de  Berlin. en  1746,  pag.  143.  )  j  il  y  donne 
la  vue  et  le  plan  de  ce  château ,  que  les  Incas  avaient 
bâti  pour  contenir  les  habitans  de  Cannar.  On  y  remar- 
que des  terre-pleins,  des  terrasses  ,  des  corps-de-garde. 
Du  côté  du  nord  ,  où  la  forteresse  est  escarpée  ;  la  terrasse 
qui soutientle  terre-plein,  a  pour  base  une  seconde  terrasse 
de  six  pieds  et  de  quinze  à  seize  pieds  de  haut ,  etc. 
(On  les  voit  dans  le  tome  XIII  de  la  Collection  des 
Voyages  de  Prévost ,  Edit.  de  Paris  ).  Il  y  donne  aussi 
d'autres  détails  curieux ,  que  l'auteur  devait  passer  sous 
slence,dans  le  plan  de  ses  lettres,  mais  qui  convainquent 
de  faux  le  s  assertions  de  M.  Paw. 

Qu'on  consulte  les  détails  de  D.  Ulloa  ,  dans  son 
Voyage  historique  de  l'Amérique. 

Le  temple  de  Caïambé  ,  qui  est  chez  les  Candies  , 
province  méridionale  du  Pérou ,  n'excite  pas  moins 
l'admiration  par  ses  restes  dégradés.  L'or  et  l'argent  j 
étaient  prodigués. 

Qu'on  se  figure  à  Cuzco  une  grande  enceinte ,  dans 
l'intérieur  de  laquelle  les  Péruviens  avaient  élevé  six 
vastes  édifices.  Le  temple  du  Soleil  était  le  premier  ;  il 
faisait  face  à  l'Orient.  Le  comble  avait  une  forme 
quadrangulaire  ,  qui  représentait  une  pyramide  tron- 
quée à  certaine  hauteur.  Il  était  de  bois  ,  couvert  en 
paille  ;   on  voyait  intérieurement ,  sur  la   muraille  qui 


DES     lMÉRICÀINSi  l85 

faisait  face  à  l'entrée  ,  l'image  d'or  du  Soleil ,  avec  des 
rayons  et  une  face  humaine  ,  telle  que  les  peintres  la 
représentent.  De  l'un  et  de  l'autre  côté ,  étaient  placés , 
selon  l'ordre  des  années,  les  corps  embaumés  des  Empe- 
reurs précédens ,  tous  assis  sur  des  trônes  d'or ,  le  visage 
tourné  vers  la  terre ,  excepté  celui  de  l'Inca  Huagna- 
Capac  ,  qui ,  à  cause  de  ses  grandes  actions  et  de  ses 
éminentes  vertus,  avait  été  jugé  digne  de  fixer  le  Soleil. 
Acosta  dit  avoir  vu  plusieurs  de  ces  corps  qui  étaient  si 
bien  embaumés  ,  qu'ils  s'étaient  conservés  au  point  de 
présenter  la  fraîcheur  d'un  corps  vivant:  toutes  les  parties 
intérieures  et  les  portes  du  temple  n'offraient  au  specta- 
teur que  des  plaques  d'or  ,  dont  le  haut  était  couronné 
tout  autour  d'un  feston  d'or  de  la  grandeur  et  de  la 
largeur  d'environ  deux  coudées.  L'enceinte  où  était  ce 
temple  ,  présentait  aussi  à  son  extrémité  supérieure  ,  un 
feston  dor  semblable,  que  les  Espagnols  conservèrent; 
mais  par  la  suite  ils  en  firent  un  limbe  d'or,  qui  existait 
encore  en  i56o,  lorsque  ce  temple  servit  à  l'établisse- 
ment d'un  couvent  de  Dominicains. 

Les  autres  édifices  de  cette  enceinte  avaient  aussi  la 
même  forme  extérieure.  Le  plus  proche  du  temple  du 
Soleil  était  dédié  à  la  Lune ,  sa  sœur  et  sa  femme.  Il  était 
revêtu  en  argent ,  représentant  une  face  de  femme  de 
même  métal.  On  la  nommait  Mamma-quilla  ,  ou  mère 
étoile.  De  l'un  et  de  l'autre  côtés  on  plaçait  les  corps  em- 
baumés àes  Impératrices.  Mamma-oello  seule  regardait 
la  lune  ,  ayant  eu  l'avantage  d'être  la  femme  de  l'Inca 
Huagna-Capac. 

L'édifice  voisin  était  consacré  à  l'étoile  de  Vénus  ,  nom- 
mée Chasca  au  Pérou  ,  c'est-à-dire  3  l'étoile  à  cheveux 
longs  et  crépus.  On  la  révérait  particulièrement  comme 


l86  MŒURS,    USAGES   ET    RELIGION 

la  messagère  du  Soleil,  que  tantôt  elle  précédait,  et 
tantôt  elle  suivait. 

On  n  y  avait  pas  moins  de  vénération  pour  les  autres 
Astres  dont  on  formait  même  la  cour  de  la  lnne.  Voilà 
pourquoi  le  comble  de  cet  édifice  était  couvert  d'argent, 
avec  des  étoiles  d'ur.  Les  Péruviens  connaissaient  quinze 
planètes  :  il  est  à  présumer  qu'ils  connaissaient  aussi  les 
lunettes  longues-vues. 

Il  y  avait  près  de  ce  Temple  un  autre  édifice  dédié 
au  Tonneire,  à  l'Eclair  et  à  la  Foudre.  On  les  connaissait 
sous  le  nom  commun  de  Illapa.  On  les  regardait  comme 
les  ministres  de  la  vengeance  divine.  C'est  ce  qui  fit 
croire  aux  Espagnols  que  c'était  l'emblème  de  la  Tri- 
nité. Cet  édifice  était  garni  de  plaques  d'or. 

Le  cinquième  édifice  était  dédié  à  1" 'Arc -en -Ciel  , 
'  comme  une  émanation  du  Soleil  ;  ils  avaient  repré- 
senté la  figure  avec  des  plaques  d'or,  d'argent  de  diverses 
couleurs. 

Enfin  le  sixième  édifice  était  destiné  au  serv.ee  du 
Grand  Prêtre ,  et  de  tous  ceux  qui  avaient  quelques 
fonctions  à  remplir  dans  le  Temple.  La  famille  des 
Incas  fournissait  ces  ministres.  L'édifice  ne  servait  que 
comme  salle  ,  où  ils  se  réunissa:cnt  ;  mais  non  pour  man- 
ger, ni  coucher.  On  nommait  le  grand-prêtre,  Fillacumu, 
ou  devin  sacré. 

Il  y  avait,  à  côté  du  Temple  du  Soleil,  des  appartc- 
mens  où  se  tenaient  les  Prêtres  qui  servaient  tour-a- 
tour",  par  semaine  ,  ou  par  quartier  de  lune.  Les  femmes 
étaient  exclues  de  l'entrée  de  ce  Temple  ;  et  les  prê- 
tres ne  devaient  pas  approcher  de  celui  des  femmes, 
pendant  leur  semaine  de  service.  Dans  chacune  des  quatre 
faces  qni  regardaient  la  grande  enceinte,  il  y  avait  une 


DES ■     AH  ÉRIC  AIN  S.  l8/ 

niche  (  ou  tabernacle  )  ornée  d'or  et  de  pierres  précieuses: 
telles  que  des  émeraudes ,  des  turquoises  ,  etc.  C'était-là 
que  l'empereur  se  plaçait  selon  Tordre  des  fêtes ,  et  l'ob- 
jet auquel  elles  se  rapportaient. 

Les  murs  des  Temples  à  l'usage  de  la  famille  royale 
et  des  vierges,  étaient  couverts  intérieurement  de  pla- 
ques d'or ,  d'argent ,  ornées  de  pierres  précieuses.  Tous 
les  vases  des  vierges  et  deslncas,  étaient  de  ces  matières. 
Les  Péruviens  ,  pour  les  soustraire  à  leurs  oppresseurs , 
ont  jeté  dans  les  lacs  tout  ce  qu'ils  ont  pu  ôterdes  Tem- 
ples et  des  autres  maisons. 

Le  temple  le  plus  riche  était  celui  du  lac  de  Titica , 
où,  selon  les  Indiens,  Manco-Capac  était  né.  Ils  y  por- 
taient tous  les  ans  une  grande  quantité  d'or  et  de  pier- 
reries. Outre  les  plaques  qui  garnissaient  les  murs  ,  et 
nombre  de  vases  ,  de  statues ,  d'arbres  artificiels  ,  même 
avec  leurs  fruits  tout  en  or  ;  on  y  déposait  les  lingots 
qu'ils  appelaient  Mitmac  :  ces  riches  trésors  furent  jetés 
dans  le  Lac.  Ce  qu'ils  purent  emporter  de  Cuzco  ,  fut 
pareillement  jeté  dans  le  lac  de  la  vallée  à'Orco,  à  six 
lieues  de  cette  capitale ,  ainsi  c[ue  la  fameuse  chaîue  d'or 
de  trois  cent  cinquante  pas  ,  de  la  grosseur  d'un  pouce , 
qui  servait  à  croiser  les  danseurs  ,  que  l'Inca  Huagna- 
Capac  avait  fait  faire  pour  les  danses  et  les  fêtes  qu'il 
donna  à  la  naissance  de  son  fils  aîné  Huercar. 

L'auteur  de  la  relation  dit  :  qu'entre  tous  les  vases 
qu'Atalmalpa  fit  apporter  aux  Espagnols  ,  avant  sa  mort, 
il  se  trouva  une  statue  de  berger  avec  des  moutons ,  le 
tout  eu  or,  parfaitement  travaillé.  François  Xérès  écrivit 
la  relation  cm  on  envoya  à  la  Cour  ,  signée  de  François 
Pizarre  ,  Aharo  Riclielmi,  Antoine  Navarro  ,  et  de  Garcia 
de  Saltego ,  en  date  du  1 5  juillet  i534-  «  C'était  une  chose 


l83  JICEURS*    USAGES    ET    RBLIGIOU 

«  vraiment  curieuse ,  dit-il ,  que  cette  maison  consacrée 
«   à  la  fonte  ,  remplie  d'une  si  grande  quantité  d'or  en 
«   lingots ,  de  hait  à  dix  livres  pesant  ;  en  vaisseaux ,  pots  , 
«   bassins  et  autres  pièces  de  diverses  formes ,  qui  ser- 
«   vaient  à  ces  princes  et  aux  seigneurs.  Il  y  avait  entre 
«    autres  quatre  grands  moutons  (des  Lamas)  d'or  le  plu* 
«   fin,  et  dix  ou  douze  statues  de  femmes  ,  de  la  grandeur 
«   des  femmes  de  ce  pays.  L'or  en  était  très-pur;  et  elles 
«   étaient  aussi  belles  que  si  elles  eussent  été  vivantes  : 
«   on  en  a  trouvé  aussi  en  argent ,  de  la  niême  hauteur.  » 
Cet   écrivain  avait  déjà   dit   auparavant   qu'on    avait 
apporte  de  Cuzco  plus  de  cinq  cents  plaques  d'or  ,  dont 
la  moindre  pesait  quatre  à  cinq  cents  livres  ;  mais  il  s'en 
trouva    aussi   de    dix  à  douze   livres.   Le  même  auteur 
parle,  en  outre  ,  d'une  fontaine  dor,  très  artistement  tra- 
vaillée ,  et  dont  la  forme  et  l'ouvrage  étonnaient  encore 
plus  que  la  quantité  de  sa  matière  ;  d'une  chaise  d'or, 
du   poids  de   dix-huit   raille  pesos ,  (onze   cent  vingt- 
cinq  livres  pesant,  à  seize  onces  par  livre)  ;  des  pailles 
cf or  massif,  avec  des  épis  dont  elles  étaient  surmontées, 
absolument  telles    qu'on    les    voyait   Groître    dans    les 
champs.    Garcilasso  nous  a  donné  la  description  de  ces 
ouvrages. 

M.  Paw  n'en  croit  rien  ,  mais  la  relation  de  Xérès  est 
infiniment  plus  vraie  que  les  rêveries  de  cet  auteur  ;  car 
ces  ouvrages  ont  été  admirés  par  d'autres  peuples  que  les 
Espagnols. 

M.  de  la  Condamine  décrit  dans  les  mémoires  de 
Berlin  ,  quelques  petites  idoles  ,  dont  il  avait  fait  l'acqui- 
sition, et  dans  lesquelles  l'art  et  la  délicatesse  se  faisaient 
remarquer  au  premier  coup  d'œil.  Il  parle  aussi  d'un 
vase   de   trois  pouces  de   diamèttre  ,  et  d'environ  tieuf 


DES     AMÉRICAINS.  1S9 

pouces  de  haut ,  si  mince ,  que  l'épaisseur  n'égalait  pas 
celle  de  deux  feuilles  de  papier.  Dans  les  curiosités  qu'il 
envoyait  à  Paris  ,  mais  qui  ont  péri  en  mer,  il  y  avait 
des  vaisseaux  de  terres  avec  des  figures ,  faits  de  ma- 
nière que  l'eau  en  sortait  en  sifflant. 

Dom  Ultoa  et  d'autres  nous  ont  donné  des  figures  de 
haches  ,  de  houes  ou  marres ,  de  miroirs  ,  d'épingles  ,  de 
marteaux ,  de  vases.  On  connaît  la  figure  d'or  de  l'homme 
accroupi  sur  une  base  ,  les  genoux  un  peu  élevés ,  tenant 
d'une  main  un  oiseau  ,  et  de  l'autre  un  vase  :  le  tout  fort 
bien  exécuté.  Les  vases  étaient  faits  avec  des  figures , 
dans  le  goût  étrusque  ,  et  dune  terre,  qu'on  ne  peut 
plus  trouver  :  ils  avaient  un  ou  deux  anses  ,  avec  des 
figures  d  hommes  en  relief. 

Frézier  a  fait  graver  quelques  vases  assez  curieux. 
Ils  sont  analogues  à  ceux  qu'on  a  rapportés  ces  der- 
nières années  du  Pérou.  Le  comte  Carli  et  plusieurs 
personnes  les  ont  vus,  ainsi  que  d'autres  curiosités  en 
terre  de  différentes  couleurs ,  en  cuivre  ;  et  une  petite 
momie  en  or.  Quant  aux  épingles  d'argent ,  elles  étaient 
très-longues,  la  tête  en  était  faite  en  forme  décroissant. 
L'on  se  rappelle  encore  de  la  petite  camisolle  de  fille , 
trouvée  dans  un  tombeau,  dont  le  fond  était  un  cane- 
vas très-bien  fait ,  semblable  à  ceux  sur  lesquels  les  fem- 
mes européennes  travaillent  en  gros  ou  petits  points,  avec 
de  la  laine  ou  de  la  soie.  L'ouvrage  était  en  belle  laine 
dun  rouge  très-vif,  mêlé  de  noir. 

Il  résulte  de  tous  ces  faits  ,  que  M.  Paw  s'est  gros- 
sièrement trompé  en  jugeant  les  Péruviens  comme 
il  l'a  fait.  Xérès  nous  dit  que ,  daus  le  dénombre- 
ment des  choses  qu'on  apporta  de  Cuzco  ,  il  y  avait 
un   bloc   d'or  sur   lequel  on  pouvait   s'asseoir;   il   pe- 


39O  MŒUJIS,    USAGES    ET    RELIGION 

sait  deux  cents  livres.  En  outre  de  grandes  fontaines 
avec  leurs  canules,  par  où  Peau  tombait  dans  un  petit 
lac  ou  bassin  tenant  au  corps  de  ces  fontaines  :  divers 
oiseaux  et  plusieurs  figures  d'hommes  y  puisaient  de 
l'eau  ,  le  tout  en  or. 

Le  Temple  du  Soleil  à  Cuzco  regardait  l'Orient,  tous 
les  murs  en  étaient  couverts  de  plaques  d'or.  Il  y  avait  dans 
le  Temple  Pachacamœc  (  ville  que  les  Espagnols  disent 
avoir  été  plus  grande  que  Rome),  une  idole  de  bois  con- 
sacrée, dans  une  chapelle  au  pied  de  laquelle  étaient 
déposés  les  hommages  des  gens  religieux.  C'étaient  des 
émeraudes  enchâssées  dans  de  l'or.  Il  n'y  avait  que  le 
gardien  de  la  chapelle  qui  pût  y  entrer. 

Plzarre  parle  du  cadavre  du  père  d'Atahualpa  ,  placé 
dans  une  chambre  particulière,  et  assis  sur  une  chaise 
d'or ,  tenant  un  bâton  d'or  à  la  main ,  et  auquel  on  avait 
destiné  une  femme,  ayant  le  visage  couvert  d'un  masque 
d'or  ,  avec  un  éventail  à  la  main,  pour  le  garantir  de 
la  poussière  et  des  mouches.  Cette  femme  ,  selon  lui ,  ne 
pouvait  entrer  que  nus  pieds  dans  cette  chambre. 

Xérès  dit  que  le  premier  présent  qu'Atahualpa  fit 
à  Pizarre.,  fut  une  fontaine  en  pierre.,  faite  en  forme  de 
deux  tours ,  et  qui  versait  à  boire.  M.  de  la  Condamine 
a  admiré  la  patience  et  l'industrie  avec  laquelle  ils  tra- 
vaillaient le  marbre.  Ce  qui  létonna  le  plus,  ce  fut  de 
voir  des  têtes  d'animaux  sculptées  parmi  les  ornemens 
des  murs  de  granit;  les  oreilles  en  étaient  même  percées, 
et  il  en  pendait  des  anneaux  faits  du  même  morceau. 
M.  de  la  Condamine  dit  que  le  plus  habile  sculpteur  eu- 
ropéen ,  avec  des  instrumens  en  fer  ou  acier,  aurait 
.  peine  à  imiter  les  cannelures  courbes  et  meulières  des   ' 


DES      AMERICAINS.  1Q1 

portes  de  la  forteresse  de  Cannar.  (  Pour  ample  infor- 
mation ,  voyez  Clavigero.  ) 

M.  le  comte  Carli  assure  avoir  vu  à  Strasbourg  ,  en 
1760  ,  chez  le  père  Lefevre  ,  Jésuite,  un  très-ancien 
éventail  du  Mexique  ,  fait  d'une  toile  aussi  fine  que  la 
plus  belle  mousseline  connue  5  que  sur  cette  toile  étaient 
représentées  nombre  de  figures  formant  une  pareille 
mosaïque  ;  qu'il  n'a  jamais  rien  vu  de  si  beau ,  tant  pour 
l'art  avec  lequel  les  couleurs  naturelles  et  éclatantes  des 
plumes  étaient  nuancées  ,  que  pour  la  beauté  du  dessin  , 
et  qu'il  ne  croit  pas  qu'aucun  ouvrier  en  Europe  fut  en 
état  d'en  faire  autant ,  car  ces  plumes  n'étaient  que  lé 
duvet  du  bel  oiseau  Clncon.  (Quant  aux  émeraudes  dont 
parle  l'auteur  ,  voyez  Bergman  ,  Manuel  minéralogique 
français,  pag.  i33.) 

François  Corréal ,  qui  mesura  pour  ainsi  dire  pied  à 
pied  le  Pérou  ,  en  1760 ,  a  décrit  tout  ce  qu'il  a  aperçu 
des  restes  des  édifices  des  Incas.  Ceux  du  temple  du  Soleil 
Tomebamba ,  étaient  de  pierres  noires  et  vertes,  c'est-à- 
dire,  dune  espèce  de  jaspes  :  les  portes  étaient  ornées  de 
figures  d'oiseaux  ,  de  quadrupèdes ,  et  d'autres  animaux 
avec  des  têtes  imaginaires ,  mais  sculptées  avec  un  art 
infini. 

M.  de  la  Condamine  avoue  ,  k  qu'il  ne  conçoit  pas 
»  comment  les  mêmes  Indiens  ont  pu  arrondir  et  polir 
»  les  émeraudes  ,  et  les  percer  de  deux  trous  coniques 
»  diamétralement  opposés  sur  un  axe  commun  ,  telles 
»   qu'on  en  trouve  encore  aujourd'hui  au  Pérou.  » 

Le  palais  de  Latacunga  ,  destiné  aujourd'hui  à  être 
une  retraite  de  moines  ,  a  également  mérité  l'attention 
à'Ulloa  le  mathématicien  :  s'il  n'a  pas  cet -air  de  gran- 
deur, de  magnificence  des  anciens  édifices  de  la  Grèce 


I92  MŒURS,    USAGES    ET    AELIGIOS 

et  de  Rome ,  cependant  on  ne  peut  s'empêcher  de  con- 
venir qu'il  se  présente  avec  un  certain  air  de  noblesse , 
qui  frappe  au  premier  aspect. 

Que  l'on  considère  ensuite  cette  quantité  de  forteresses  , 
de  fortifications ,  que  les  Incas  ont  fait  faire  en  tant  de 
lieux  ,  dans  les  vallées  ,'les  montagnes  ,  les  plaines;  qu'on 
réfléchisse  sur  les  ruines  sans  nombre  d'édifices  autrefois 
si  considérables,  que  les  mathématiciens  ont  obser- 
vées dans  l'espace  de  quatre  cents  lieues  de  Quito  h 
Cuzeo ,  et  qu'ils  ont  examinées  en  partie  ;  on  conviendra 
qu'il  fallait  de  l'art ,  de  ^industrie  ,  des  combinaisons 
supérieures  aux  prétendus  barbares  de  M.  Paw  ,  pour 
tailler  ou  polir,  assortir,  arranger  ces  masses  de  pierres  , 
qui  sont  un  vrai  granit ,  et  que  tout  l'art  de  nos  jours 
n'assemblerait  pas  plus  parfaitement. 

Parmi  les  restes  d'anciens  édifices  qu'on  aperçoit  de 
nos  jours  dans  toute  cette  contrée  ,  et  que  les  Indiens  ap- 
pellent Jnca  pirca  ,  muraille  des  Incas  ,  on  doit  remar- 
quer les  grands  chemins  qui  subsistent  encore  aujour- 
d'hui, et  qui  n'ont  été  détruits  qu'en  partie  par  les  Es- 
pagnols; ces  Canaux, parle  moyen  desquelsils  amenaient 
l'eau  des  sources  les  plus  éloignées,  pour  arroser  leur 
pays  situé  dans  la  Zone  Torride,  entre  l'Equateur  et  le 
Tropique  du  Capricorne  :  il  y  en  avait  un  qui  se  portait 
à  plus  de  i5o  lieues  le  long  des  montagnes  du  Sud  au 
Nord ,  traversant  la  province  de  Quechua,  pour  arroser 
les  Pâturages. 

Je  me  rappelle,  dit  Garcilasso  \  liv.  V  ,  «  un  canal 
«  dont  la  structure  me  parut  merveilleuse  lorsque  je 
«  l'examinai  attentivement,  et  il  faut  avouer  que  ces  chef- 
ce  d'oeuvres  étonnent  l'imagination;  il  est  impossible  de 
«   les  décrire.  Malgré,  cela  les  Espagnols  n'ont  pas  su  en 


DES     AMÉRICAIN  Se  ig3 

«  prévenir  la  ruine  ;  il  semble  même  qu'ils  les  aient  vu 
«  dépérir  avec  plaisir.  Les  canaux  destinés  aux  arrose- 
xc  mens  du  maïs  ont  eu  le  même  sort  ;  il  y  en  a  plus 
«  des  deux-tiers  de  détruits ,  et  ce  qui  en  reste  ne  sub- 
«  siste  que  par  la  nécessité  absolue  où  Ton  a  été  de  les 
«    réparer.    » 

Après  cet  aveu,  fait  au  milieu  de  PEspagne  ,  que  doit- 
on  penser  des  Espagnols  à  cette  époque  ?  Frézier,  qui 
a  vu  ces  ouvrages  ,  avoue  que  ces  Indiens  devaient  eu- 
tendre  parfaitement  Part  du  nivellement ,  pour  faire  des 
travaux  qui  embarrasseraient  nombre  d'Européens.  On 
voit  aussi  par  ce  détail,  qu'ils  connaissaient  les  écluses. 
L'eau  des  canaux  se  distribuait  à  des  heures  fixes  ,  et 
sans  préférence,  dans  la  proportion  requise  ;  et  quicon- 
que manquait  d'arroser  le  champ  où  il  devait  semer  son 
maïs ,  en  était  dépouillé  comme  oisif  :  ce  qui  était  parmi 
ces  gens  la  plus  grande  de  toutes  les  punitions. 

François  Corréal  nous  apprend  qu'outre  ces  canaux  , 
les  Péruviens  faisaient  des  citernes  et  des  réservoirs  d'eau-, 
il  vante  surtout  celui  qu'il  vit  en  ce  genre  à  C.irangua. 
Les  mathématiciens  français  et  espagnols  ont  examiné 
les  ruines  des  canaux ,  et  ceux  qui  subsistaient  :  ce  qui 
met  hors  de  doute  leur  réalité. 

Quant  aux  professions  des  Péruviens,  et  à  l'instruc- 
tion de  leurs  enfans ,  Acosta  dit  lui-même  :  a  Les  en- 
ce  fans  étaient  instruits  de  bonne  heure  ,  de  tout  ce  qui 
ce  était  nécessaire  pour  les  commodités  de  la  vie.  Quoi- 
ce  qu'il  n'y  eut  pas  d'ouvriers  dont  la  profession  fut  des- 
ce  tinée  au  public  ,  ces  Indiens  n'en  exerçaient  pas  moins 
ce  les  talens  nécessaires  à  l'usage  de  leurs  familles.  On 
«   voyait  chez  eux  des  orfèvres,  des  peintres :  des  tein- 

tome  2.  i3 


lo4  M  CE  U  R  £,      USAGES      KT      RELIGION 

«   turiers,  des  potiers  de  terre,  des  espèces  de  luthiers  , 
«   des  maçons  ,  des  tisserands,  etc.    » 

Les  Espagnols  ont  été  étonnés  de  Fart  et  de  l'habileté 
avec  lesquels  les  Péruviens  fondaient  l'or  ,  et  en  sépa- 
raient l'argent ,  même  beaucoup  mieux  qu'eux  ;  ils 
avaient  un  autre  art,  qu'on  ignore  absolument;  c'était 
celui  de  donner  au  cuivre  la  trempe  de  l'acier.  Ils 
appelaient  le  cuivre  an/a;  ils  en  faisaient  tous  leurs 
ustensiles  et  instrumens  d'agriculture ,  des  couteaux ,  des 
épingles ,  des  peignes  ,  des  marteaux  ,  et  ce  qu'il  y  a  de 
plus  étonnant ,  des  miroirs  parfaitement  polis. 

Les  ouvriers  faisaient  trois  qualités  de  laine  ;  l'infé- 
rieure servait  aux  vêtemens  du  peuple  ,  on  l'appelait 
anasca;  la  seconde  qualité  ,  ou  la  campi ,  était  plus  fine  , 
et  se  teignait  de  diverses  couleurs  ;  ils  en  faisaient ,  dit 
Garcilasso  ,  des  draps  d'une  qualité  égale  à  celle  des 
draps  de  Flandres  ;  on  les  réservait  pour  les  seigneurs. 
La  troisième  qualité  ou  la  campo ,  qui  était  superfîne  , 
s'employait  pour  les  habits  de  la  famille  royale. 

On  travaillait  le  coton  avec  le  même  soin,  et  on  lui 
donnait  des  couleurs  d'une  sol  dite  qu'on  n'a  pas  encore 
pu  trouver  en  Europe.  L'auteur  de  la  relation  mentionnée 
ci-devant ,  dit  en  parlant  du  butin  que  les  Espagnols 
firent  dans  les  magasins  de  Caxamalca ,  «  les  nôtres 
a  prirent  tout  ce  qu'ils  voulurent;  malgré  cela  les  mai- 
«  sons  demeurèrent  si  pleines,  qu'il  ne  paraissait  pas 
«  qu'on  y  eût  touché  :  mais  les  habits  étaient  ce  qu'il  y 
«  avait  de  meilleur.  La  plupart  étaient  faits  d'une  laine 
«  très-fiue  et  délicate  ;  les  autres  étaient  de  coton  de 
«   diverses  couleurs  et  bien  fines.  » 

Cent  cinquante  ans  après  la  conquête,  c'est-à-dire , 
lorsque  Çorréal  était  en  Amérique ,  les  Sa^uanches  (dans 


DÉS    AMÉRICAINS.  1  $5 

le  pays  desquels  est  Ja'ên ,  ville  capitale  ,  au  pied  des 
Cordillières  )  avaient  conservé  leur  ancienne  industrie  ,  et 
faisaient  encore  d'assez  belles  tapisseries  ,  et  des  broderies 
qui  ne  le  cédaient  pas  aux  plus  belles  de  Y Europe.  Ces 
ouvrages  étaient  auparavant  destinés  aux  Incas.  François 
Xérès  assure  que  «  parmi  les  présens  qu'Atahualpa  fit  à 
«  Pizarre,  il  y  avait  des  habits  d'une  étoffe  très-fine, 
«  de  laine  des  plus  curieuses  à  voir  ,  qu'on  prenait 
a  pour  de  la  scie;  sur  ces  habits  on  avait  attaché  nombre 
«  de  figures  et  d'ouvrages  en  or  ,  appliqués  en  lames , 
a   et  avec  beaucoup  de  goût. 

«  Quatre-vingt-dix  Indiens  ,  chargés  d'or  ,  furent  en- 
«  voyés  en  même  temps  de  Cuzco  au  camp  des  Espa- 
ce gnols.  Le  capitaine  sur-intendant  de  la  fonte  des 
«  métaux  l'a  assuré,  en  disant:  je  l' atteste  ;  car  pétais 
a  gardien  de  la  maison  de  l'or,  et  je  le  vis  fondre.  Il  y  avait 
«  plus  de  quatre-vingt-dix  plaques  de  ce  métal.  On  trouva 
«  dans  cette  maison  voisine  de  Cuzco,  plus  de  deux- cents 
«  grands  bassins  d'argent  qui  faisaient  un  poids  de  cent 
«  cinquante  mille  marcs ,  et  un  monticule  d'or  massif 
«  de  la  hauteur  d'un  homme.  Pizarre  fit  la  distribution 
«  d'une  partie  de  l'or  ,  et  en  réserva  cent  mille  pesos 
«  pour  la  cour ,  consistant  en  quinze  grands  bassins , 
«  quatre  urnes  ,  tenant  chacune  deux  sceaux  d'eau  ,  et 
«  autres  ustensiles.  Chaque  fantassin  de  sa  troupe  eut 
«  quatre  mille  huit  cents  pesant  d'or  ,  ou  sept  mille  deux 
«  cent  huit  sequins,  et  les  cavaliers  le  double.  Il  n'y  eut 
«  peut-être  que  Tamas  Kouli-Kan  ,  qui  ait  réuni  une 
«  aussi  grande  quantité  d'or,  lorsqu'il  envahit  les  contrées 
«   du  Grand  Mogol.  » 

Pizarre  n'eut  pas  plutôt  fait  périr  Atahualpa,  qu'il  plaça 
sur  le  trôneundes  fils  de  Hucsear, heureusement  échappé 

i3  * 


]û6  MŒCRS,   USAGES   Et    RELÏGÏOK 

des  mains  d'Atahualpa.  Culiclmcliima ,  général  d'Ata- 
hualpa ,  fît  aussi  apporter  chez  les  Espagnols  une  bien 
plus  grande  quantité  d'or  en  différens  vaisseaux.  Le  quint 
de  cette  partie  seul ,  destiné  pour  la  Cour  d'Espagne  9 
montait  à  plus  de  180,000  pesos  d'or.  Ainsi,  en  sup- 
posant que  cette  distribution  fut  exacte,  il  devait  y  avoir 
plus  de  720,000  pesos  d'or. 

Le  Gouvernement  du  Pérou  était  celui  d'un  père.  Les 
Incas  avaient  soin  qu'il  n'y  eût  qu'une  religion ,  une  loi , 
une  même  discipline  et  une  même  langue.  Malheureu- 
sement l'ambition  porta  Huayna-Capac  à  la  conquête  de 
Quito  ;  ce  fut  le  sujet  de  la  division  de  ses  fils,  et  la  cause 
principale  de  la  ruine  de  ce  beau  pays.  Le  secrétaire 
même  de  Pizarre,  assure  que  sans  ces  circonstances  7 
jamais  les  Espagnols  n'auraient  pu  s'en  rendre  maîtres. 
L'armée  ordinaire  des  Incas  était  de  40,000  hommes 
bien  d  sciplinés.  Ils  étaient  habillés  et  pourvus  de  tout,  des 
magasins  communs  ;  il  y  avait  un  officier  par  chaque  di- 
zaine, c'était  ordinairement  unlnca.  Il  resta  dix  mille  Incas 
sur  le  champ  de  bataille  dans  la  dernière  action  qu  il  y 
eut  entre  Atahualpa  et  Huescar  ,  lorsque  ce  dernier  fut 
pris  par  Atahualpa. 

Quant  aux  Quipos  du  Pérou  ,  et  aux  livres  mexicains^ 
tjue  M.  Paw  a  regardés  avec  tant  de  mépris ,  parce  qu'il 
n'y  a  aperçu  ni  proportion ,  ni  règle  de  perspective ,  et 
n'a  pu  comprendre  rien  de  ce  qu'a  cru  lire  le  traduc- 
teur espagnol  dans  le  seul  monument  que  l'évêque  Sama- 
ruga  avait  épargné;  l'on  sait  que  les  Quipos  étaient  unfais- 
ceau  de  cordons  de  plusieurs  couleurs,  où  l'on  faisait  un 
certain  nombre  de  noeuds  ;  que  le  nombre  et  la  position 
de  ces  nœuds  servaient  à  conserver  la  tradition  des  faits 
historiques,  à  marquer  l'état  de  la  population  ;  la  quan- 


DES     AMÉRICAINS.  197 

tité  des  tributs,  etc.,  que  chaque  ville,  village  ou  ha- 
bitation devait  payer. 

Parce  que  M.  Paw  n'a  pas  compris  que  ces  signes  et 
leur  arrangement ,  qui  étaient  de  pure  convention,  pou- 
vaient bien  représenter  tout  ce  qu'ils  étaient  convenus  de 
représenter,  il  en  conclut,  «  qu'on  ne  doit  pas  ajouter 
h  foi  a  tout  ce  qu'on  a  rapporté  de  la  signification  de 
«  ces  cordons,  »  lors  même  qu'il  en  avait  journellement 
des  preuves  chez  les  Européens ,  qui,  pour  se  rappeler 
de  quelque  chose  ,  mettent  quelquefois  un  petit  morceau 
de  papier  blanc  dans  leurs  tabatières  ;  quelquefois  une 
épingle  à  leur  manche  ,  eu  font  un  nœud  à  leur  mou- 
choir. Acosia,  qui  s'en  fit  expliquer  plusieurs  ,  dit  qu'ils 
retraçaient,  par  ces  cordons,  les  idées  des  lois,  des  cé^ 
rémonies,  des  calculs,  et  conservaient  le  souvenir  des 
moindres  circonstances. 

Les  officiers  ou  archivistes  des  Quipos  publics ,  se 
nommaient  Quippa-Camayu.  C'étaient  les  Incas  Amanti 
ou  lettrés  qui  en  transmettaient  la  science  et  l'enseignaient 
dans  leurs  écoles.  Les  Espagnols  restèrent  daps  le  plus 
grand  étonne  ment  lorsqu'ils  virent  la  facilité  avec  la- 
quelle ces  Indiens  calculaient  une  somme  quelconque  , 
avec  des  grains  de  maïs  ,  ou  de  petites  pierres  qu'ils 
arrangeaient  par  divers  compartimens. 

Xérès  nous  apprend,  dans  la  Relation  envoyée  à 
Charles  V ,  que  les  Espagnols  ayant  pris  la  route  de 
Caxamalca  ,  un  Cacique  avertit  secrètement  Pizarre. 
qu'Atahualpa  était  campé  près  de  cette  ville  avec  cin- 
quaute  mille  hommes;  que  Pizarre  ,  n'ayant  pas  grande 
confiance  au  rapport  de  l'Indien  ,  voulut  cependant  s'en 
assurer  ,  en  voyant  leur  manière  de  compter  j  qu'il  vit 
qu'ils  comptaient  depuis  un  jusqu'à  dix,  de  dix  à.  cent. 


11)8  MOEURS,     USAGES     ET         *ELIGIOÏ« 

de  dix  fois  cent  à  mille  ,  et  que  par  cinquante  fois  ce 
dernier  nombre  ,  ils  avaient  désigné  celui  de  l'armée 
d'Atahualpa  ,  tel  que  le  Cacique  l'avait  dit.  (  Voyez  les 
dénominations  des  Mémoires  du  Mexique  ,  par  Herrerciy 
La'él ,   et  l'Histoire  générale  des  Voyages.) 

Il  est  démontré  que  leur  manière  de  nombrer  et  de 
calculer  ,  était  la  série  des  dizaines  ,  comme  en  Europe 
et  dans  les  anciens  Continens;  et  M.  Paw  a  voulu,  sans 
rougir,  en  imposer  à  toute  l'Europe,  lorsqu'il  a  rangé 
ces  peuples  policés  parmi  les  autres  barbares  ,  qui,  dans 
l'Ancien  et  le  Nouveau-Monde ,  ne  savent  pas  compter 
au-delà  de  leurs  doigts. 

Pour  ce  qui  regarde  l'astronomie ,  Garcilasso  et  d'au- 
tres écrivains  rssurent  que  les  Péruviens  réglaient  leur 
relgion,  leurs  fêtes,  leurs  sacrifices  annuels  sur  les 
joints  des  solstices  et  des  équinoxes  ;  c'est  un  fait  sur 
lequel  tous  les  écrivains  s'accordent  à  dire  qu'ils  con- 
naissaient aussi  les  Pléiades  ,  et  qu'ils  leurs  avaient  élevé 
un  temple  ,   comme  aux  autres  Astérismes. 

M.  de  la  Condamine  rapporte  qu'ils  distinguaient  très- 
bien  les  Hyades  ;  que  les  peuples  de  Panuco  et  ceux  de 
de  la  contrée  qu'on  appelle  actuellement  la  Nouvelle- 
Angleterre  ,  connaissaient  les  sept  Etoiles  du  pôle 
Arctique.  Ce  qui  confirme  l'observation  de  la  Conda- 
mine ;  c'est  qu'ils  les  appellaient  Mosk  et  Pankunnaw  ; 
c'est-à-dire  ,  Ours  ,  comme  les  Européens  le  nomment 
aussi.  Acosia  et  Garcilasso  nous  apprennent  qu'il  y  avait 
seize  tours  à  Cuzco,  qui  servaient  à  fixer  et  à  rectifier 
les  points  des  solstices. 

Lorsque  la  nation  Péruvienne  ,  revenue  de  sa  stu- 
peur ,  prit  les  armes  sous  la  conduite  de  Manco-Capac, 
et  assiégea  ses  oppresseurs  dans  Cuzco ,  elle  leur  enleva 


DES     AMERICAINS.  1 9$ 

leurs  armes  et  leurs  chevaux  ,   dont  elle  fit  usage  ;   elle 
assiégea  dans  les  formes  la  ville  de  Lima  ,  que  les  Espa- 
gnols venaient  de  bâtir,  et  s'empara   de  Cuzco  ,  qui  fut 
reprise  par  Almagro  enfin  par  les  Pizarres  en  i536.  Ces 
preuves  de  valeur  et  de  courage  ,  que  cette  nation  montra 
et  montre  encore  contre  ces  usurpateurs  ,  réfutent  assez 
puissamment  les  inculpations  de  lâche  ,.  de  vile ,  que  lui 
prodigue  M.  Paw.  Ce  fut  à  la  prise  de  Cuzco  que  le  fer , 
le  feu  et  le  carnage  dévastèrent  ces   contrées ,   que  les 
cruels  conquérans  se    disputaient   les   uns  aux  autres  , 
pour  n'y  voir  enfin  que  des  ruines  et  les  derniers  de  ses 
habitans  ;   comme  jadis  les  Romains,  lorsqu'ils  aban- 
donnèrent soixante  villes  de  la  Grèce  au  pillage. 

Le  butin  ne  faisait  que  passer  d'une  main  dans  l'autre. 
Xa  moitié  du  palais  des  Vierges  sacrées  ,  devint  la  proie 
de  Pierre  de  Barca ,  et  l'autre  moitié  fut  abandonnée  au 
licencié  de  Gama.  L'image  d'or  du  Soleil,  qui  était  dans 
le  temple  ,  et  en  occupait  au  fond  toute  la  largeur  , 
échut  à  Maneco  Serra  de  Lequicano.  Comme  il  était 
grand  joueur  ,  il  la  perdit  dans  une  nuit  ;  c'est  ce  qui 
fit  dire  à  Acosta  :  «  que  le  Soleil  avait  été  joué  avant 
«   d'être  levé.  » 

La  petite  vérole  ne  parut  sur  ce  Continent,  qu'en  en- 
tassant les  morts  sur  les  morts.  Mais  ,  si  les  villes  mêmes 
que  les  Espagnols  avaient  augmentées  et  peuplées  ,  telles 
que  Valladolid ,  Loyola  ou  Cumbinama ,  qui  étaient 
devenues  si  fameuses ,  si  opulentes;  si  Macas  ,  Séville 
d'or ,  et  tant  'd'autres ,  ne  sont  plus  aujourd'hui,  selon 
M.  de  la  Condamine  même  ,  après  un  siècle,  que  de 
petits  hameaux  d'Indiens ,  ou  de  Métis  transférés  dans 
leurs  premières  habitations  ;  que  pouvait-il  donc  s'atten- 


200  MŒURS,    TTSieES    ET     RîLltfïOH 

dre  à  voir  après  deux  cents  ans  de  servitude  ,  de  persé- 
cution ,  de  changement  dans  le  système  civil  et  religieux , 
et  dans  les  races  de  ce  peuple?  Oui ,  tout  y  a  changé  de 
face,  tout  y  paraît  nouveau,  si  l'on  en  excepte  ces 
restes  d'anciens  palais  ,  où  l'avidité  de  l'or  n'a  pas  fait 
porter  la  main  :  autrement  ils  auraient  disparu.  Qu'il 
considère  ce  que  la  Grèce  devint  en  si  peu  de  temps, 
sous  les  Turcs  ,  et  il  cessera  d'être  étonné  du  changement 
qui   s'est  opéré  dans  le  Pérou  ? 

Les  Américains  n'étaient  pas  si  stupides  que  M.  de  la 
Condamine  veut  bien  le  croire.  Il  a  oublié ,  sans  doute, 
qu'un  Indien  du  Pérou  a  fait  des  tableaux  qui  ont  été 
admirés  même  à  Rome  ;  que  le  jeune  Inca  Garcilasso, 
lié  huit  ans  après  la  conquête  ,  a  composé  l'histoire  des 
Incas  ,  qu'il  a  assaisonnée  d'une  critique  aussi  sage  qu'é- 
clairée ,  qu'aucun  autre  l'eut  fait  de  son  temps  ,  et  dont 
le  sujet  na  élé  mieux  traité  par  personne;  ces  deux  faits 
prouvent  évidemment  que  la  nature  n'était  pas  plus 
ingrate  pour  cette  nation  que  pour  celles  de  l'hémisphère 
européen  ,  et  que  l'espèce  humaine  pouvait  y  devenir, 
en  peu  de  temps ,  ce  qu'était  toute  l'Europe ,  si  l'on 
avait  cherché  à  éclairer  l'Amérique  au  lieu  de  la  dé- 
vaster. Aussi  les  Espagnols  ont  ,  dans  les  peuplades  qui 
habitent  vers  les  Cordillières  ,  des  ennemis  irréconci- 
liables ,  qui  inondent  les  habitations,  lorsqu'on  y  pense 
le  moins  ,  surprennent  les  villages,  pillent,  massacrent, 
incendient  tout,  et  se  retirent  avant  qu'on  ait  pu  marcher 
contre  eux.  Peu  d'années  avant  la  paix  de  Versailles, 
les  Péruviens  ,  sous  les  ordres  de  Tupac-Amaru ,  fils  du 
Cacique  de  Tongasuca  ,  après  avoir  combattu  pendant 
deux  .ans  pour,  rétablir   au  Cuzco    l'ancien  empire  des 


DES      AMERICAINS.  201 

ïncas,  virent  échouer  leurs  projets  par  la  perte  de  la 
bataille  qui  eut  lieu  dans  la  province  de  Tinta.  Si  la 
victoire  eut  secondé  leurs  efforts,  c'en  était  fait  de  la 
domination  Espagnole. 

Des  habitons  de  la  Terre-Ferme.  —  Je  ne  m'éten- 
drai pas  sur  les  naturels  de  la  Terre-Ferme ,  puisque 
leurs  mœurs  ,  leurs  usages  et  leur  religion  ,  ne  diffé- 
raient pas  de  celles  des  nations  qui  les  avoisinaieut , 
et  que  j'ai  déjà  parlé  de  quelques-unes  de  leurs  peuplades  5 
je  terminerai  cet  article  par  faire  observer  que  les  Sau- 
vages de  la  province  de  Popaj'an,  sont  agiles ,  vigoureux, 
rusés  ,  courageux  et  guerriers  ;  qu'ils  harcèlent  souvent 
les  Espagnols,  et  n'ont  jamais  voulu  se  soumettre  à  eux; 
qu'ils  sont  gouvernés  par  un  chef  particulier  ;  que  les 
Indiens  Bravos  inquiètent  souvent  quelques-uns  des 
bailliages  de  Popayan;  qu'ils  s'efforcent  d'entretenir  cette 
haine  dans  l'esprit  de  leurs  enfans  ,  en  rappelant  sans 
cesse  l'époque  de  la  conquête  de  leur  pays,  et  les  cruautés 
de  leurs  conquérans. 

Quant  aux  Indiens  du  Guyaquil  ,  leurs  relations 
commerciales  avec  les  Européens,  sont  une  preuve  de 
leur  civilisation ,  qui  dément  encore  les  assertions  de 
l'auteur  des  Mémoires  sur  les  Américains. 

Des  Mexicains.  —  À  l'époque  où  le  Mexique  fut  atta- 
qué par  les  Européens,  ce  vaste  pays  renfermait  plusieurs 
états  très-bien  organisés  :  on  y  voyaitungrandnombrede 
villes  et  de  hameaux  ,  dont  la  plupart  existent  encore  ,  où 
régnait  une  police  exacte.  Il  était  gouverné  ;  depuis  cent 
trente  ans,  par  des  souverains  qui  faisaientleur  résidence 
dans  la  vil  le  de  7  yenochfiltan ,  aujourd'hui  Mexico.  Le  sys- 
tème était  féoda^l'empire  monarchique,  mais  non  hérédi- 


202  MŒURS,  USAGES    ET    RELIGION 

taire.  Lorsqu'il  s'agissait  de  nommer  un  Empereur  ,  un 
hiérophante  commençait  par  annoncer  la  volonté  de  Dieu 
à  ce  sujet.  Alors  six  électeurs  nommaientiEmpereur.  Deux 
d'entre  eux  étaient  toujours  les  princes  de  Tezcuco,  ou 
à'Alcohuacan  et  de  Tacuba.  Il  y  avait  aussi  un  prince  du 
sang  royal  •  néanmoins  l'éiection  devait  toujours  tomher 
sur  une  personne  de  la  famille  des  Acamapitzin  :  c'est 
dans  elle  que  la  couronne  demeura  jusqu'à  la  destruction 
de  l'empire  du  Mexique. 

Herrera  rapporte  :  (dec.  II.  L.M.)  «  qu'il  y  avait  trente 

»  familles  qui  tenaient  le  premier  rang  dans  l'Etat  ;  et 

»  que  chacune  d'elles  possédait  jusqu'à  cent  mille  vas- 

»  saux  :  que  la  seconde  classe  était  composée  de  plus 

»  de  trois  mille  familles  ,   ayant  un  nomhre    plus  ou 

»  moins  considérable  de  vassaux.  Les  vassaux  étaient  des 

»  serfs  attachés  à  la  glèbe,  et  les  propriétaires  ou  maîtres 

»  avaient  droit  de  vie  et  de  mort  sur  eux.  Les  propriétés  y 

»  étaient  distinguées  en  Allodiales  ,  en  héréditaires  et 

»  en  éventuelles  :  celles-ci  dépendaient  des  charges  de 

»  l'empire ,  et  l'on  n'en  jouissait  qu'autant  qu'on  occupait 

»  ces  charges. 

»  Les  prêtres  étaient  chargés  de  l'éducation  de  la 
»  jeunesse  :  le  témoignage  qu'ils  rendaient  de  leurs 
»  élèves ,  décidait  si  l'on  devait  les  inscrire  sur  le  rôle 
»  des  nobles  ,  ou  sur  celui  des  roturiers  :  le  seul  mérite 
»  personnel  faisait  la  distinction  de  la  noblesse,  sans 
»   avoir  égard  aux  ayeux. 

»  Plusieurs  des  loix  fondamentales  prononçaient  la 
»  peine  de  mort  sur  certains  crimes.  Violer  les  principes 
»  religieux  ;  offenser  la  personne  du  souverain  ,  voler  , 
»  tuer ,  étaient  des  crimes  qu'on  punissait  du  dernier 


DES      AMÉRICAINS.  9C<3 

»  supplice.  Sfrquelqu'un  était  surpris  cueillant  des  fruits , 
»  ou  arracliant  du  grain  dans  le  champ  d'autrui ,  il  deve- 
»  nait  l'esclave  de  celui  à  qui  appartenait  le  terrein.  » 

Cortez  proteste  à  Charles  V:  «  que  les  Mexicains 
»  avaient  autant  de  respect  pour  les  lois ,  que  les  Espagnols 
»  sur  le  Continent  d'Europe  ,  que  leur  vie  était  à-peu-près 
»  réglée  de  même.  »  Quant  à  la  magnificence  de  Moté- 
zuma ,  «  le  conquérant  déclare  ne  savoir  par  où  commencer 
»  pour  la  dépeindre  ;  il  dit  qu'il  est  impossible  de  trouver 
»  un  prince  barbare  plus  riche  et  plus  puissant  :  son  em- 
»   pire   est  aussi   grand  que   celui   de  l'Espagne.  » 

Cet  état  était  divisé  en  plusieurs  seigneuries.  Les  fils 
des  grands  ne  pouvaient  pas  quitter  la  cour  ;  et  tous  les 
ans ,  les  seigneurs  étaient  obligés  de  venir  rendre  hommage 
au  souverain.  Chaque  province  était  assujettie  à  un  tribut; 
(voyez  à  ce  sujet  Clavigero.)  Il  fait  surtout  remarquer 
que  les  provinces  de  Quaubitlau  ,  Tebuillojocan ,  fournis- 
saient huit  mille  nattes  ;  et  celle  de  Quaubnahuac ,  seize 
mille  feuilles  de  grand  papier  ,  outre  les  autres  tributs  ; 
quelques  nobles  en  étaient  exceptés,  mais  ils  étaient  obli- 
gés d'aller  à  la  guerre ,  avec  un  certain  nombre  de  vassaux. 

Tout  ce  qui  entrait  dans  les  villes  devait  payer  à  l'Em- 
pereur un  tribut ,  qui  consistait  en  une  portion  ,  qu'on 
détachait  pour  sa  personne ,  tant  en  commestibles  ,  qu'en 
ouvrages  et  en  espèces.  Il  y  avait  dans  tout  l'empire  des 
Postes ,  moyennant  lesquelles  la  cour  était  à  portée  de 
savoir  en  peu  de  temps  ce  qui  se  passait  dans  les  province! 
les  plus  éloignées  ,  et  de  pourvoir  à  tout. 

Il  y  avait  cinrj  cents  nobles  ,  qui  faisaient  pendant  toute 
la  journée  le  service  dans  l'antichambre  du  prince  :  ils 
mangeaient  aux  tables  de  la  cour  ;  leurs  domestiques 
occupaient  les  cours  et  leurs  portiques.  On  ne  pouvait 


2oi  MŒURS,    eslGES   ET    REIICIOK 

entrer  au  palais  que  nus  pieds  ,  et  Ion* ne  paraissait 
jamais  devant  l'Empereur  qu'en  inclinant  la  tête  ,  et  en 
baissant  les  yeux.  Ce  Prince  ne  sortait  que  dans  une 
litière,  portée  par  des  gentilshommes,  qui  marchaient  alors 
pieds  nus  :  un  coureur  ,  armé  de  trois  verges  ,  le  pré- 
cédait. Ensuite  marchaient  les  serviteurs,  les  nobles  qui 
étaient-de  service,  puis  les  princes.  Le  cérémonial  était 
si  multiplié,  si  varié,  que  Corlez  dit  :  «  Jamais  on  ne 
«  vit  rien  de  semblable  chez  les  Sultans  ,  ou  autres 
«   princes  Asiatiques.  » 

Les  marchés  étaient  abondamment  fournis;  les  obliga- 
tions ,  l'ordre  des  contrats  bien  réglés.  Il  y  avait  dans  la 
grande  place  de  Tenochfiflan  un  hôtel  où  siégeait  une  cour 
judiciaire,  composée  de  dix  magistrats,  par  devant  lesquels 
on  rendait  compte  des  obligations  qu'on  venait  de  con- 
tracter :  ils  avaient  en  sous-ordre  des  bas  officiers  ,  tels 
que  les  commissaires  européens ,  qui  faisaient  leur  ronde 
pour  examiner  les  mesures ,  s'informer  du  prix  des  mar- 
chandises et  des  denrées  ,  des  échanges  ou  des  achats, , 
de  manière  que  personne  ne  fut  trompé.  Quelques  his- 
toriens parlent  aussi  d'autres  tribunaux  destinés  à  diffé- 
rentes circonstances  ou  rapports  ci  vils,  aux  cas  criminels, 
àl'économie,  aux  finances,  etc.  Le  souverain,  dit  Herrera, 
ne  pouvait  pas  prononcer  sur  une  affaire   importante, 
sans  l'avis  du  Grand-Prêtre ,  et  l'approbation  du  Conseil  ; 
comme  \apaix  ,  la  guerre  et  Y  emploi  des  revenus  publics. 
L'Empereur  du  Mexique  et  les  seigneurs  avaient  des 
jardins  où  ils  cultivaient   des  plantes   médicinales  pour 
l'utilité  publique;  ils  ont  été,  peut-être,  les    modèles 
de  ceux  qu'on  trouve  aujourd'hui  en  Europe ,  puisqu'ils 
^ont  bien  antérieurs  à  ceux-ci. 


DES      AMÉRICAINS.  2o5 

L'établissement  des  postes  et  des  courriers  de  dis- 
tance en  distance  ,  dont  l'usage  était  général  au  Pérou 
et  au  Mexique  ,  n'était  pas  encore  introduit  en  Europe 
depuis  les  diverses  irruptions  des  Barbares  qui  avaient 
renversé  l'Empire  Romain. 

Ce  n'est  que  dans  le  dix-huitième  siècle,  ou  un  peu 
auparavant,  qu'on  s'est  occupé  en  Europe  d hôpitaux 
militaires  pour  les  soldats  invalides.  Motezuma,  dernier 
Roi  du  Mexique  ,  en  avait  déjà  fait  construire  un  dans 
la  ville  de  Coltivacan  ,  où  tous  les  infirmes-,  non-seule- 
ment militaires ,  mais  même  citoyens  ,  étaient  pourvus 
de  tout  ce  qui  leur  était  nécessaire. 

C'est  à  la  table  de  Motezuma,  que  les  Espagnols, 
surpris  de  voir  du  feu  dans  des  réchauds  d'argent ,  pour 
tenir  les  plats  chauds  pendant  l'hiver ,  ont  appris  à 
l'Europe  l'usage  d'un  pareil  ustensile. 

C'est   du   Pérou  que   l'Europe    a  appris  à  faire   des 
fourneaux ,    dans  lesquels  on  entretient  le  feu  latérale- 
ment ,   et  sur  la  bouche  desquels  on  pose  les  vaisseaux 
où  doit  cuire  le  man0^r. 

Voilà  ces  hommes  que  nombre  d'Espagnols  hési- 
taient de  compter  dans  l'espèce  humaine  !  ces  hommes 
que  l'Espagne  n'a  jugés  que  sur  les  détails  d'un  moine 
de  Cordoue ,  nommé  Thomas.  Ce  fait  est  prouvé  par 
Gomara  ,  qui  cite  les  détails  de  ce  moine. 

Les  Mexicains  avaient  aussi  des  études  domestiques 
pour  se  faire  suer.  Ils  entendaient,  comme  les  Péruviens , 
l'art  des  voûtes  ,  quoique  M.  Paw  l'ait  nié  contre  toute 
vérité. 

Les  rapports  des  mathématiciens,  la  Condamine  et 
Bouguer  ne  laissent  aucun  doute  sur  .l'habileté  des  Amé- 
ricains à  travailler  le  marbre  et  le  granit. 

Lorsque  Cortez ,  de  retour  à  Madrid ,  épousa  Jeanne 


3o6  MCEtJIlS,    USAGES    ET    RELIGION 

de  Lunica ,  fille  du  comte  d'Anguillara  ,  il  lui  donna 
entr'autres  présens  cincr  émeraudes  travaillées  par  les 
Américains  ,  qui  furent  estimées  cent  mille  sequins.  La 
première  était  taillée  en  forme  de  rose  ;  les  pétales  en 
étaient  parfaitement  formés  :  la  deuxième  avait  la  forme 
d'un  cornichon  ou  cornet  :  la  troisième  représentait  un 
poisson,  dont  les  jeux  étaient  faits  en  or:  la  quatrième 
était  en  cloche  ,  elle  avait  pour  battant  une  grosse  perle 
©blongue:  la  cinquième  avait  la  forme  d'une  petite  coupe  , 
avec  un  pied  d'or  ;  il  en  pendait  cinq  chaînettes  dor, 
dont  les  bouts  étaient  réunis  par  le  moyen  d'une  perle, 
qui  tenait  lieu  de  bouton. 

Entre  autres  choses  que  l'Europe  ignorait  alors ,  c'était 
l'art  de  filer  le  poil  de  lièvre  ou  de  lapin.  Les  Européens 
ont  cherché  aies  imiter,  mais  ils  n'ont  jamais  pu  atteindre 
la  perfection  de  leur  travail. 

Cortez ,  dans  la  relation  qu'il  envoya  à  Charles  V , 
dit:  «  qu'il  avait  eu  plusieurs  fois  en  présent,  de  Moté- 
â  znma  ,  nombre  d'habits  de  soie  ,  et  particulièrement 
«  cinq  mille  ,  la  dernière  fois ,  pour  tous  ceux  qui  étaient 
k   avec  lui.  » 

L'art  de  la  teinture  avait  été  poussé  en  Amérique ,  et 
l'est  même  encore  à  la  Terre-Eerme ,  à  un  plus  haut 
degré  qu'il  ne  l'est  actuellement  même  en  Europe  ,  malgré 
toutes  les  connaissances  chymiques  des  Européens  ;  car 
une  lessive  un  peu  forte  déteint  les  étoffes  ,  ou  les 
ternit. 

Les  Mexicains  ont  été  les  plus  habiles  dans  la  culture 
du  nopal  où  vit  la  cochenille  ,  à  conserver  et  à  placer 
les  petits  nids  sur  la  plante ,  à  en  faire  la  récolle,  et  à  les 
employer  dans  la  teinture. 

L'Europe  eut  appris  de   l'Amérique   l'art  de  donner 


DES      AMERICAINS.  207 

au  cuivre  une  trempe  aussi  dure  que  celle  de  l'acier  r  et 
d'en  faire  d'excellentes  haches ,  et  autres  instrumens 
tranchans  ;  de  le  polir  ainsi  que  l'argent ,  l'ohsidienne  et 
la  gallinace  ,  de  manière  à  réfléchir  les  images  des 
objets  ,  si  les  Espagnols  n'avaient  pas  été  aussi  barbares. 

Ils  mêlaient  l'or  au  cuivre ,  et  donnaient  à  cette  com- 
position une  trempe  assez  dure ,  pour  en  faire  des  bêches, 
des  rasoirs ,  etc. 

Il  est  certain  que  les  mathématiciens  ci-dessus  n'ont 
jamais  pu  comprendre  comment  ces  peuples  étaient  par- 
venus à  faire  des  statues  d'or  et  d'argent ,  toutes  d'un 
seul  jet;  vuides  en  dedans  ,  minces  et  déliées  ,  telle  que 
cette  espèce  de  momie  ,  à  laquelle  on  ne  voyait  aucune 
espèce  de  soudure.  Les  clochettes  d'or  et  d'argent  étaient 
très-communes  dans  ce  Continent. 

On  a  admiré  des  plats  à  huit  faces  ,  chacune  d'un 
métal  différent ,  alternativement  d'or  et  d'argent ,  sans 
aucune  soudure  ;  des  poissons  jetés  en  fonte  ,  dont  les 
écails  étaient  mêlées  d'or  et  d'argent  ;  des  perroquets , 
qui  remuaient  la  tête  ,  la  langue  et  les  ailes  ;  des  singes  ? 
qui  faisaient  divers  exercices ,  tels  que  de  filer  au  fuseau . 
de  manger  des  pommes ,  etc.  Ces  Indiens  entendaient 
parfaitement  l'art  d'émailler  ,  qu'a  tant  cherché  Palissy , 
et  celui  de  mettre  en  œuvre  des  pierres  précieuses.  (Foui- 
plus  grands  détails  ,  voyez  Herrera  ,  Gage  ou  Prévost , 
tom.  12  ,  pag.  434). 

Dans  les  premiers  présens  que  Motézuma  envova  à 
Cortez,  il  y  avait  un  casque  de  lames  d'or,  entouré  de 
sonnettes  ,  orné  d'émeraudes  par  le  haut ,  avec  des  pa- 
naches de  grandes  plumes  ,  au  bout  desquelles  pendaient 
des  mailles  d'or.  (T.) 

Clavigero  confirme  tous  les  détails  de  l'auteur,  et  dit 


2oS  MŒURS,    USAGES    IT    HELÏGIOfl 

en  outre  :  «  que  les  Mexicains  payaient  ce  qu'ils  ache-» 
taient  avec  des  noix  de  cacao  ,  de  l'or  en  pièces ,  et  de 
la  poudre  d'or  dont  on  remplissait  plus  ou  moins  de 
fois  ,  des  plumes  d'oies.  Ils  avaient  aussi  des  pièces  de 
cuivre ,  auxquelles  on  donnait  une  certaine  forme  ,  et  de 
petites  toiles  de  coton,  (tom.  1 1 ,  page  i65  ). 

Mexicains.  —  Il  y  avait  au  Mexique  une  idole  con- 
sacrée au  dieu  des  marchands.  Cette  idole  /renfermée 
dans  un  temple  ,  était  assise  sur  un  monceau  d'or  et 
d'argent ,  ornée  de  plumes  les  plus  rares  ,  et  d'autres 
marchandises.  Elle  avait  un  corps  de  forme  humain 
avec  une  tète  d'oiseau,  et  tenait  une  faucille  à  la  main. 
Acosta  et  Herrera  l'ont  décrite.  Les  Mexicains  appe- 
laient ce  dieu  du  commerce  Tacateuctli.  Il  avait  ses 
temples  ,  ses  fêtes  et  ses  sacrifices. 

Leurs  radeaux  ou  baises  étaient  composés  de  5  ,  y 
ou  o,  sulives  ,  jointes  par  des  liens  de  béjuque  ,  et  des 
soliveaux  qui  croisaient  en  travers  sur  chaque  bout. 
Elles  étaient  si  fortement  attachées  les  unes  aux  autres, 
qu'elles  résistaient  aux  plus  impétueuses  vagues  :  la 
plus  grosse  faisait  une  petite  avance  sur  la  poupe.  On 
y  attachait  les  premières  des  deux  côtés  ,  et  les  autres 
ensuite  ,  la  grosse  et  maîtresse  pièce  du  bâtiment.  Au- 
dessus  était  une  espèce  de  tillac  ,  ou  de  revêtissement 
fait  de  petites  planches  de  cannes  et  couvert  d'un  toit  à 
deux  faces  :  au  lieu  de  mât  ,  il  y  avait  deux  perches 
posées  l'une  et  l'autre  de  chaque  bord  ,  et  qui  en  s'éle- 
vant  se  réunissaient  par  le  haut ,  soutenait  une  vergue 
attachée  par  le  milieu  ,  et  qui  tendait  la  voile  ,  qu'on 
fixait  par  le  bas  selon  le  besoin  ;  les  grandes  portaient 
ordinairement  jusqu'à  5oo  quintaux  de  marchandises , 
sans   que    la   proximité   de  l'eau   y    causât  le  moindre 


Î)ES    A  MER  ICAÎTSf  S?___  20< 


Hommage.  L'eau  qui  battait  entre  les  solives  n'y  péné- 
trait point  5  parce  que  tout  le  corps  de  l'édifice  suivait 
le  mouvement  et  le  cours  de  Peau  ,  etc. 

Elles  pouvaient  voguer  et  louvoyer  dans  un  vent 
Contraire,  aussi  bien  que  le  meilleur  vaisseau  à  quille; 
mais  ce  n'était  pas  à  l'aide  d'un  gouvernait.  Ils  avaient 
des  planches  de  3  à  l\  aunes  de  long  sur  une  di mi- 
aune  de  large,  qui  se  nommaienl£7/#/"e.s,  et  qiiMs  arran- 
geaient verticalement  à  là  poupe  entré  les  solives  de  la 
baise  :  ils  enfonçaient  lès  unes  dans  l'eau  ,  et  ils  en 
retiraient  un  peu  les  autres.  Par  ce  moyen  ,  les  baises 
s'éloignaient ,  arrivaient  ou  gagnaient  le  vent.  Elles' 
reviraient  de  bord,  et  se  maintenaient  à  la  cape  ,  suivant 
la  manœuvre  qu'ils  voulaient  faire  :  invention  jusqu'à 
présent  inconnue  dans  les  manœuvres  des  bâtiniens  de 
l'Europe  (D.  Ulloa).; 

Les  Mexicains  avaient  des  signes  graphiques  pour 
représenter  sur  des  toiles  de  coton  ,  sur  des  écorces  ou 
des  feuilles  d'arbres,  lés  choses  dont  ils  voulaient  dési- 
gner les  rapports,  et  cela  d'une  manière  infaillible  ,  vu 
l'usage  général  qu'on  faisait  de  ces  signes.  Qu'importe, 
après  tout,  si  l'auteur  des  Pvtcherches  sur  les  Américains 
n'a  pas  aperçu  ce  clair  obscur  dont  l'expression  signi- 
ficative  était  si  familière  à  ces  peuples? 

Comment  a  -  t  -  il  pu  se  flatter  de  décréditer  la 
traduction  espagnole,  en  disant  que  les  Espagnols 
n'entendaient  pas  le  mexicain  ,  ni  les  Mexicains  l'espa- 
gnol ,  lorsque  Cortez  avait  avec  lui  des  interprètes  des 
deux  sexes  (  entre  autres  la  belle  3Iarina  ou  Amazili^)  9 
qui  tous  avaient  appris  l'espagnol;  que  Cortez  et  les 
siens  ,  et  particulièrement  Anguillara  ,  avaient  appris 
le  mexicain  ? 

TOJYl.    2v  têç. 


5110  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGION 

M.  Paw  a  oublié,  comme  à  son  ordinaire,  que  Cortec 
écrivait  à  Charles  V  :  ce  Ces  peuples  ont  certains  carac- 
»  tères  et  des  figures  sur  le  papier  qu'ils  comprennent 
33  parfaitement.  3>  Il  a  oublié  l'affaire  de  ces  deux  sei- 
gneurs du  Mexique  ,  au  sujet  des  limites  d'un  terrain  , 
qui  fut  portée  au  tribunal  du  licencié  Zuaro.  ce  Les 
33  pièces,  dit  Oviedo ,  n'étaient  qu'une  peinture  ou  des 
3)  signes,  des  espèces  de  chiffres,  des  caractères,  des 
33  figures  ,  qui  exposaient  aussi  bien  le  fait  qu'on  aurait 
n  jamais  pu  le  détailler  avec  une  de  nos  écritures  quel- 
3)  conques.  3> 

Il  aurait  dû  se  rappeler  que  ,  sur  le  refus  que  fit 
Cortez  d'évacuer  les  Etats  de  Montézuma  ,  les  ambassa- 
deurs expédièrent  des  gens  à  la  cour,  quoique  Tenoch- 
tillan  fût  à  180  lieues,  et  qu'au  grand  étonnement  des 
Espagnols,  ces  ambassadeurs  reçurent  une  réponse  aux 
informations  qu'ils  avaient  données  à  l'empereur  j  qu© 
Montézuma, en  envoyantde  nouveauxprésens,  avait  dé- 
claré qu'il  ne  permettrait  pas  que  des  troupes  étrangères 
entrassent  dans  ses  Etats.  Comment  eût-il  été  possible  , 
par  de  simples  signes  ,  de  faire  connaître  l'intention  de 
Cortez  et  de  Montézuma  à  une  si  grande  distance?  Ces 
faits,  assurés  par  Cortez  ,  prouvent  qu'outre  les  figures, 
qui  ne  représentaient  que  les  objets  sensibles  ,  il  y  en 
avait  aussi  de  convention  ,  pour  marquer  précisément 
les  idées  :  ce  qui  est  le  second  pas  vers  la  perfection 
des  caractères  qui  servent  à  exprimer  les  sons  et  les 
paroles. 

Il  y  a  dans  la  bibliothèque  de  Vienne  des  papiers 
mexicains  :  quelques-uns  semblent  être  relatifs  à  des 
faits  militaires. 

Les  Mexicains  reconnaissaient  certainement  un  Créa- 


DES    AMERICAIN  Si'  «âll 

teur  suprême  ,  un  Dieu  conservateur  de  l'Univers  ;  ils 
l'appelaient  Teut  ou  Teot ,  comme  les  Egyptiens  et  les 
Grecs.  La  religion  ,  du  temps  de  la  conquête  ,  était  un 
culte  monstrueux  et  horrible.  Le  sacerdoce  et  l'empire 
étaient  divisés 5  le  chef  de  la  religion  ou  le  sacerdoce 
formait  un  corps  indépendant  de  l'empire  :  aussi  agis- 
sait-il avec  des  vues  tout-à-fait  différentes  de  l'intérêt  de 
l'Etat:  son  autorité  redoutable  était  fondée  sur  la  cré- 
dulité des  peuples  et  sur  leur  pusillanimité.  Les  prêtres 
mexicains  s'appelaient  papi ,  comme  1  atteste  Ovieclo^ 
1.  xx  de  son  Histoire  générale  des  Indes.  Chez  les  Grecs 
modernes  ,  papa  signifie  père  ou  prêtre  $  le  chef  de  l'Eglise 
romaine  a  le  même  nom  :  il  avait  le  même  sens  chez 
les  Romains  et  les  Grecs. 

Les  prêtres  du  Mexique  avaient  un  extérieur 
grave,  imposant,  et  leur  conduite  était  exemplaire. 
Ceux  d'entre  eux  qui  manquaient  à  l'honneur  et  à  la 
chasteté  étaient  punis  de  mort.  Ils  apprenaient  aux 
peuples  les  usages,  les  coutumes  :  leurs  habits  étaient 
de  longues  robes  noires  3  ils  avaient  les  cheveux  épars  ? 
et  les  mains  teintes  de  sang  5  ils  ne  les  lavaient  jamais  5 
ils  étaient  partagés  en  deux  classes,  celle  des  sacrifica- 
teurs et  celle  des  prêtres. 

Les  habitans  de  l'Amérique  septentrionale  distin* 
gnaientdu  soleil,  le  Créateur  de  l'Univers.  Ils  appelaient 
celui-ci  Isnez,  et  le  soleil  suroë.  Les  Mexicains  appe- 
laient l'âme  antenotal.  La  doctrine  des  Incas  était  d'ac- 
cord avec  celle  de  ce  vieux  insulaire  qui  disait  à  Colomb  , 
<c  qu'après  la  mort,  le^  bons  et  les  mauvais  seraient 
»  traités  d'après  la  conduite  qu'ils  auraient  tenue.  r> 
L'existence  de  Dieu  et  l'immortalité  de  l'âme  étaient  la 
base  de  la  religion  de  ces  peuples  qu'on  appelle  sauvages, 

14* 


iil2  MOEUltSj    USAGES    ET    RELIGIO» 

dont  quelques  Espagnols  mirent  l'espèce  en  problème^ 
pour  les  assassiner  sans  pitié.  Le  sang  qui  fume  encore 
depuis  les  conciles  de  Constance  et  de  Bàle ,  prouve 
que  ,  de  tous  les  peuples  ,  les  plus  cruels  sont  ceux  qui 
croyaient  connaître  le  vrai  Djeu  ,  et  qui  s'en  disaient 
les  adorateurs.  Quand  le  chef  d'une  religion  ou  d'un 
sacerdoce  foule  un  empereur  (^  Henri)  aux  pieds,  et 
lui  dit,  comme  un  Ilildchrand ,  qui  était  alors  pape, 
«  qu'un  souverain  pontife  est  fait  pour  écraser  le  lion 
3)  et  le  dragon  •  :»  que  doit-on  attendre  de  ceux  qui 
sont  à  ses  ordres  ? 

La  religion  barbare  du  Mexique,  qui  immolait  tant 
de  victimes  5  celle  de  Mploch  ,  de  Cartilage  ,  de  Tyr,  de 
Marseille  .  n'ont  pas  fait  périr  tant  d'innocens  que  la 
page  des  faux  chrétiens,  qui  n'arrosèrent  que  de  sang 
les  autels  d'un  Dieu  de  paix  et  de  bonté.  Ces  peuples- 
croyaient  à  un  être  tout-puissant,  créateur  et  premier 
moteur  de  l'univers.  Ils  l'appelaient  Io  Canna  ou  Gna* 
maonocon;  il  avait,  suivant  eux,  une  mère  ,  à  laquelle 
ils  donnaient  cinq  noms  :  Attabeira,  Mamona ,  Cuaca- 
rapita,  Litlla  ,  Evimazoa ;  ils  étaient  anssi  enclins  à  la 
Superstition  ,  à  la  magie.  On  voyait  leurs  dieux  repré- 
sentés avec  des  figures  humaines,  ayant  une  queue  et 
des  yeux  de  serpens  5  ou  c'était  une  figure  de  femme  y 
accompagnée  de  deux  génies  à  ses  côtés,  qui  présidaient 
à  la  grêle  et  aux  tempêtes. 

Dans  le  Yucatan,  c'était  une  figure  de  lion.  La  ma- 
tière en  était  d'or,  d'argent  ,  de  bois  ,  de  pierre.  Les 
Yucatains  lui  immolaient  les  fils  et  les  filles  d'autrui  f 
mais  jamais  ceux  de  leur  famille.  Avant  les  Incas  .  les- 
Canches adoraient  un  lion  5  ceux  de  Colla,  un  mouton; 
blanc,  auquel  ils  immolaient  des  agneaux  ;  les  Indiens- 


DES    AMÉRICAINS.  21  3 

de  Panuco  rendaient  un  culte  particulier  à  Pnape,  dont 
ils  avaient  la  figure  dans  le  temple  ,  dans  les  places  , 
où  l'on  vo)  ait  des  images  en  relief  représentant  la  copu- 
lation de  diverses  manières.  Ou  révérait  aussi  à  Tlcs- 
cala  le  symbole  de  la  génération,  ou  Vénus  ,  mère  des 
Amours.  Cependant  le  culte  du  soleil  ,  de  la  lune  et  des 
astres  ,  était  le  plus  général  en  Amérique. 

C'est  d'après  les  relations  des  témoins  oculaires,  qui 
n'ont  que  trop  bien  connu  le  danger  qu'ils  ont  couru 
pour  obtenir  la  vicroirej  c'est  sur  le  témoignage  irréfra- 
gable de  CorteZ)  des  capitaines  Julien  Alderete  ,  Alphonse 
de  Grado ,  Bernardin,  Vasquez  de  Léon  ,  Tapia^  et 
envoyé  à  Cbarles  V,  que  je  vais  donner  une  description 
abrégée  de  Tenochtillan ,  aujourd'lmi  IMexico ,  que 
Cortez  et  ses  compagnons  ne  nomment  jamais  qu'avec 
l'épilliète  de  fameuse,  de  grande.  Tout  autre  que  M.  Paw 
peuuil  en  douter,  si  sur-tout  il  se  donne  la  peine  de 
considérer  que  220,000  hommes  ,  pendant  soixante-cinq^ 
jours,  l'assiégèrent  en  règle  ,  sous  la  direction  des  Eu- 
ropéens ,  qui  foudroyaient  par  terre  et  par  mer,  avec 
leurs  canons  et  leurs  arquebuses  ,  tout  ce  qui  s'offrait  à 
leurs  coups,  et  portaient  au  loin  un  genre  de  mort  in- 
connu jusqu'alors  dans  ce  continent.  Des  moyens  sem- 
blables font  nécessairement  supposer  que  cette  ville 
devait  être  telle  que  Cortez  et  ses  compagnons  d'armes 
l'appelaient. 

Mexico  y  comme  Venise,  était  bâtie  au  milieu  des 
eaux.  Elle  avait  o,  milles  de  circuit  5  trois  grandes  chaus- 
sées, outre  l'aqueduc,  l'unissaient  au  continent.  La 
plus  courte  avait  un  mille  de  long  5  une  autre  avait 
4  milles  et  demi;  la  troisième  était  de  6  milles  de  lou- 
£,y!e-ur.  Ces  deux  dernières  traversaient  tout  le  !ac2   e% 


2l4  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGION 

venaient  se  réunir  an  centre  tle  la  ville  5  elles  étaient 
fort  élevées,  laites  en  pierres,  et  pavées  de  grosses  brigues 
sur  trente  pas  de  large  environ,  bordées  de  maisons  et 
munies  de  tours  :  selon  Cor  lez  même,  huit  hommes  à 
clie val  pouvaient  y  marcher  de  front.  Les  ponts,  faits 
de  poutres  et  de  planches,  avaient  dix  pas  de  large  ,  se 
levaient  et  se  baissaient  au  besoin. 

Sur  l'une  des  quatre  chaussées  s'étendait  un  aque- 
duc double  :  un  de  ces  canaux  transmettait  l'eau  à  la 
ville  5  l'antre  restait  toujours  vide,  et  ne  servait  que 
lorsqu'il  fallait  nettoyer  le  premier,  ou  y  faire  des  ré- 
parations. Cet  aqueduc,  selon  Cortez  ,  avait  deux  pas 
de  large  ,  et  était  de  la  hauteur  d'un  homme.  Divers 
canaux  partaient  de  là  pour  fournir  de  Peau  dans  tous 
les  quartiers  de  la  ville  ,  tant  pour  l'usage  du  public  que 
celui  des  particuliers. 

Il  y  avait  plusieurs  places  dans  cette  ville.  La  plus 
étendue  était  plus  grande  que  celle  de  Salamanque  5 
elle  avait  même  trois  fois  plus  d'espace,  si  l'on  en  croit 
l'auteur  de  la  relation  qui  suit  celle  de  Cortez  :  tout  le 
contour  présentait  des  portiques  5  on  la  nommait  Tla- 
telolco  :  c'était  là  que  les  marchés  se  tenaient  tous  les 
cinq  jours  5  mais  011  y  trafiquait  tous  les  jours.  Les  té- 
moins oculaires  s'accordent  à  dire  qu'on  y  voyait  tous 
les  jours  de  20  à  9.5, 000  âmes,  et  qu'il  y  en  avait  le 
double  le  jour  des  marchés.  D'un  côté,  l'on  vendaitde 
l'or,  des  pierres  précieuses  enchâssées  dans  l'or,  arran- 
gées artistement  en  forme  d'oiseaux  ou  d'autres  ani- 
maux ;  de  l'autre,  on  vendait  des  plumes,  des  panaches 
de  toutes  couleurs.  Ailleurs  ,  on  exposait  les  pierres 
•pour  faire  des  couteaux,  des  épées  :  choses  merveilleuses,, 
dit  Fauteur,  e£  do?it  on  71e  peut  se  former  f  idée,  Ensuite^ 


DES    AMERICAINS.  2l5 

on  voyait  les  marchands  d'étoffes  ou  de  toiles ,  d'habits 
de  différentes  sortes  pour  les  hommes  ,  les  femmes  3  des 
souliers  de  cuirs  passés ,  soit  de  cerf,  soit  d'autres  ani- 
maux. Pins  loin  ,  étaient  placés  ceux  qui  vendaient  les 
ornemens  pour  hommes  et  pour  femmes  :  ces  ornemens 
étaient  faits  en  cheveux.  Après  eux,  on  rencontrait  les 
marchands  de  coton.  Dans  d'autres  quartiers  ,  dit  Cor- 
tez,  se  vendait  la  chaux,  les  pierres,  les  briques  crues 
ou  cuites ,  les  bois  façonnés  ou  bruts.  Ailleurs ,  on  allait 
acheter  des  oiseaux,  des  poules,  des  perdrix,  des  tour- 
terelles, des  pigeons,  des  canards,  des  étourneaux,  des 
lièvres  ,  des  cerfs ,  des  lapins.  Un  quartier  était  destiné 
aux  herbes  ,  fruits  ,  cerises ,  prunes  (  ces  prunes  ressem- 
blent parfaitement  à  celles  d'Espagne).  On  y  voyait  aussi 
des  pommes,  des  raisins  et  autres  fruits  ,  du  miel  5   en 
outre,  on  vendait  aussi  du  fil  enécheveauxde  différentes 
couleurs  ,  dans  un  quartier  semblable  à  la  rue  où.  l'on 
vend  les  soies  à  Grenade,  mais  en  plus  grande  quantité. 
Cortez  compte  aussi  parmi  les  marchandises,  des  peaux 
de  cerfs  parfaitement  passées,  avec  le  poil  et  sans  poil, 
blanches  ou  teintes  de  différentes  couleurs.  Il  y  avait 
un  endroit  où  l'on  vendait  du  pain  et  une  espèce  de  vin  . 
Il  fait  encore  mention  de  couleurs  à  l'usage  des  peintres: 
il  y  en  avait  de  toutes  sortes,  comme  en  Espagne;  enfin, 
l'on  vendait  des  vaisseaux  de  terre,  de  grandes  et  de  pe- 
tites jarres,  des  pots,  des  flacons  ou  bouteilles,  une  quan- 
tité   de    différentes    vaisselles  ;   des   nattes  de  plusieurs 
sortes,  tant  pour  les  lits,  que  pour  tapisser  les  chambres 
et  les  salles.  La  mesure  commune  du  prix  des  choses,  ou 
l'espèce  numéraire,  était  des  noix  de  cacao- 
La  largeur  des  rues,   percées   de  canaux  comme  à 
"Venise  5  la   magnificence  des  édifices  ,  non-seulement 


iil^  MOEURS,    USAGES    ET    RKLI6IÛS 

•des  temples  et  des  palais  de  l'empereur  ,  mais  même  dû 
tous  les  grands  et  les  nobles  de  l'empire  ,  répondaient  à 
cette  abondance  de  toutes  les  choses  nécessaires  à  la 
■yie.  Montézuma  avait  plusieurs  palais  dans  la  ville  et 
dehors;  les  premiers,  dit  Cortez  à  Charles  V,  ce  sont 
:>  si  grands,  si  merveilleux  ,  qu'il  me  semble  impossible 
}>  de  vous  eu  raconter  l'étendue 5  je  dirai  seulement 
y  qu'il  n'y  a  rien  de  semblable  en  Espagne.  »  Tous 
les  écrivains  de  ces.  temps- là  s'accordent  à  décrire  ces 
palais  comme  très-vastes.  L'auteur  de  la  relation 
en  parle  ainsi  :  ce  J'entrai  plusieurs  fois  dans  la  mai? 
»  son  d'un  grand  seigneur,  uniquement  pour  la  voir} 
»  et  toutes  les  fois  j'y  ai  tant  marché,  que  je  ma 
»  suis  trouvé  fatigué  :  je  ne  finissais  jamais  de  la 
»  voir.  3) 

Cortez  assure  que  ces  palais  étaient  beaucoup  mieux 
construits  qu'on  ne  le  croirait  ,  ou  mieux  qu'il  ne 
peut  le  dire  5  et  il  ajoute  :  ce  Ce  que  je  dis  à  Votre 
»  Majesté  est  la  vérité  pure.  5)  Il  ajoute  ,  en  décrivant  ces 
palais  j  quM  y  avait  de  quoi  loger  deux  grands  princes 
avec  leur  cour.  Il  compte  dix  pêcheries  en  eau  douce  et 
salée  dans  le  jardin,  au  tour  desquelles  on  voyait  de  grands 
logemens  ornés  de  jaspe  ,  habilement  travaillés.  C  étaife 
là  que  Montézuma  avait  des  volières  remplies  d'oiseaux 
les  plus  rares.  Dans  un  autre  palais  ,  il  y  avait  des 
oiseaux  de  proie  et  des  bêtes  fauves.  Suivant  Cortez, 
cet  édifice  était  formé  d'un  large  péristiîe  ,  pavé  de 
marbre  précieux  en  forme  d'échiquier.  Il  y  avait  des 
pièces  particulières  pour  chaque  espèce  d'oiseaux  , 
fiepuis  le  plus  petit  jusqu'à  l'aigle.  Ailleurs,  on  voyait 
fies  loges  pour  le,s  lions  %  les  figres,  les  renards,  les 
thaïs   iio.iry   et  antres  quadrupèdes .  qui   y  és-aunten 


DES    AMERICAINS*  21 J 

grand  nombre.  Moiitézuma  poussa  le  luxe  jusqu'à  faire 
une  collection  de  monstres  marins  et  de  figures  con; 
tre faites.  Trois  cents  hommes  faisaient  le  service  de 
chaque  palais.  Les  grands  et  les  nobles  étaient  pro* 
porliomiément  aussi  magnifiques  dans  leurs  palais. 
L'auteur  de  la  relation  déjà  citée  dit  :  ce  \\  y  avait 
?>  et  il  y  a  encore  dans  cette  ville,  nombre  de  bonnes 
a)  et  belles  maisons  si  grandes,  et  avec  tant  de  cham- 
y>  bres  ,  d'appartemens,  de  jardins  élevés  et  dans  le 
?)  bas ,  que  c'était  nue  chose  merveilleuse  à  voir.  » 

Cortez  trouva  à  se  loger,  lui  ,  6oo  Espagnols  et 
6400  Indjens  de  sa  suite  ,  dans  une  des  maisons  de 
Montézuma.  Il  décrit  un  jardin  d'un  prince  royal  ?  où 
il  y  avait  un  belveder  contenant  différentes  salles  , 
des  galeries  couvertes,  une  pêcherie  carrée  faite  en. 
pierre  ,  et  entourée  d'un  bâtiment  pavé  en  belles  bri- 
ques ,  où  pouvaient  marcher  quatre  hommes  de  front  : 
chacun  des  côtés  était  long  de  /(oo  pas  ,  et  l'on  des- 
cendait dans  la  pièce  d'eau  par  4  degrés.  Il  y  avait  des 
jardins  flottans  sur  l'eau  ,  iormés  sur  des  radeaux  , 
qu'on  poussait  où  l'on  voulait.  Ces  jardins  n'étaient 
pas  seulement   un  objet  de  plaisir  et  de  délices,  on  y 

trouvait  aussi  des  plantes,    des  fruits,  qu'on  cultivait 

i 
avec  soin. 

Voilà  donc  les  cabanes  de  Mexico  ,  e\ comme  Mon té,- 
jeuma  était  cabane  !  î  !  Quand  ou  peut,  après  ^5o  ans  f 
venir  dire,  cela  peut  être,  cela  n'est  pas  vrai,  ce  sent 
des  fables ,  des  mensonges ,  et  se  contenter  des  ces  as- 
sertions, pour  détruire  les  relations  de  (tuteurs  ocu- 
laires qui  rendaient  compte  de  tout  à  leur  souverain  } 
pn  ne  doit  pas  être  surpris  que  M.    l'abbé  Çroizier  aï£ 


21 8  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGION 

i 

dit  ;  ce  M.  Paw  n'est  pas  un  écrivain  sincère  5  il  de- 
s>  nature  les  faits  pour  en  abuser.  » 

Les  observations  faites  sur  l'histoire  générale  de  la 
Chine  ,  par  M.  JD  es /1  ai/ traies ,  prouvent  encore  que 
M.  Paw  s'appuie  sans  réflexion  de  l'abbé  Renaudot , 
et  sans  avoir  examiné  les  vraies  sources  de  l'histoire  de 
la  Chine  ,  ce  qui  montre  le  cas  que  l'on  doit  faire 
de  ses  recherches. 

En  niant  et  en  dénaturant  tout,  cet  auteur  n'a  pu 
s'imaginer  que  les  gens  sages  lui  accorderaient  plus 
de  confiance  qu'aux  hommes  revêtus  d'un  caractère 
public,  qui  ont  conquis  l'Amérique  d'après  les  ordres 
et  la  commission  de  leur  souverain  5  qui  en  ont  en- 
voyé des  journaux  très  -  circonstanciés  à  leurs  cours 
respectives,  et  qui,  au  milieu  de  gens  envieux  ,  tur- 
bulens,  séditieux  ,  pouvaient  s'attendre  à  une  disgrâce 
sans  ressource ,  s'ils  en  avaient  imposé,  dans  leurs 
relations.  Ainsi  ,  l'on  doit  regarder  les  assertions  de 
cet  écrivain  ,  au  moins  comme  très-hasardées,  si  elles 
11e  sont  pas  extravagantes. 

Ou  convient  ,  avec  lui  ,  que  le  peuple  était  au 
Mexique,  comme  en  Europe  et  dans  le  reste  de  la  terre, 
logé  dans  des  cabanes  5  mais  la  moyenne  classe  de  la 
société  l'était  dans  des  logemens  plus  commodes  :  il 
n'y  avait  que  les  grands  et  les  nobles  ,  qui  pussent  éle- 
ver de   vastes   édifices  et  des  palais. 

Tous  les  écrivains  disent  que  les  temples,  particu- 
lièrement celui  où  résidaient  les  prêtres ,  le  grand 
prêtre,  et  où  l'on  tenait  une  maison  d'éducation  pour 
la  jeune  noblesse,  étaient  ceints  de  hautes  murailles,  et 
aussi  grands  qu'une  ville.  Il  y  avait  quatre  portes  juin- 


DES    AMERICAINS.  ai9 

cipales,  sur  chacune  desquelles  était  une  espèce  de 
forteresse  remplie  d'armes  ,  qui  formait  comme  un 
arsenal.  Dix  mille  hommes  y  tenaient  garnison.  C  était 
«n  même  temps  la  garde  du  souverain.  La  cour  elait 
entourée  de  grands  salons  ,  qui  pouvaient  contenir 
chacun  1000  hommes.  On  comptait  ,  dans  l'intérieur 
du  circuit  ?  plus  de  vingt  tours  ou  pyramides ,  au  haut 
desquelles  étaient  placées  les  idoles.  La  principale  était 
la  plus  élevée. 

Ramusio  a  donné  le  dessin  de  ces  tours.  Cinq  étages 
ou  plans  solides  en  faisaient  la  division  7  et  l'on  y  mon- 
tait par  un  escalier  pratiqué  dans  un  des  côtés ,  dont 
chaque  partie  avait  18  à  20  degrés  d'un  étage  à  l'autre. 
Sur  le  dernier  plan  5  s'élevaient  deux  tourelles  en  forme 
de  clochers,  aussi  bien  construites  que  les  autres.  On 
voyait  beaucoup  de  tours  semblables  dans  la  ville  ?  eu 
partie  consacrées  au  culte  religieux  ,  en  partie  formant 
autant  de  forts  ,  ou  destinées  à  la  sépulture  des  grands 


semneurs. 


Indépendamment  de  Mexico  }  il  y  avait  nombre  de 
villes  dans  cet  empire  ,  et  dans  toute  cette  immense 
étendue  de  pays  qu'on  appelle  actuellement  la  Nou- 
velle-Espagne ,  la.  Galice  ,  la  Biscaye  ?  etc.  Les  bourgs  , 
les  villages  y  étaient  très-nombreux.  Cortez  a  fait  le 
dénombrement  des  maisons  de  Tiascala  et  de  tout 
l'Etat:  il  assure  qu'elles  passaient  i5o5ooo5  que  les 
vallées  ,  les  plaines  et  les  collines  étaient  parfaitement 
cultivées. 

Tiascala  ,  selon  Cortez  ,  était  plus  grande  et  plus  forte 
que  Grenade,  ce  Jl  y  avait  des  édifices  aussi  beaux  et 
n  peut-être  plus  riches  :  elle  était  plus  peuplée  que  ne 
5)  l'était    Grenade  7    lorsque  les  Espagnols  enlevèrent 


Q2.Q  MOEURS,     USAGES    ET     RELIGION 

*>  celîe-ci  aux  Maures,  j>  Or,  on  comptait  60  mille  mai- 
sons à  Grenade  ,  lorsque  Ferdinand  et  Isabelle  en 
firent  la  conquête  le  6  janvier  1491  5  en  prenant  cinq 
personnes  par  maison  ,  il  se  serait  trouvé  3oo,ooo  âmes 
à  Grenade.  Qu'on  juge  maintenant  de  la  population 
de  Tlascala. 

Lorsque  les  Tlascalans  rtaient  en  face  de  l'ennemi , 
ils  décochaient  une  flèche  où  était  gravé  le  nom  de 
leurs  deux  anciens  héros.  Ils  devaient  mourir  ou  la 
r'avoir ,  pour  n'être  pas  déshonorés.  On  ne  doit  pas  être 
surpris  que  l'empereur  du  Mexique  n'ait  jamais  pu 
soumettre  ces  peuples  5  mais  on  doit  l'être  de  la  ma- 
nière dont  M.  Paw  en  a  parlé. 

Outre  Tlascala  ,  il  y  avait  deux  autres  républiques  , 
Curctecal  et  Guezecingo  *,  elles  avaient  suivi  le  plan  de 
celle  de  Tlascala.  L'auteur  de  la  relation  faite  du 
temps  même  de  Cortez  ,  nous  apprend  que  Curetecal 
était  gouvernée  par  vingt-cinq  des  principaux  du  pays, 
à  Ja  tête  desquels  était  un  vieillard. 

Cholula  était  de  la  même  grandeur  que  Tlascala: 
on  y  comptait  26,000  maisons.  Sou  gouvernement 
«tait  aussi  républicain,  ce  C'est  une  très-belle  ville  , 
n  disait  Cortez  ,  et  j'assure  sincèrement  à  Votre  Majesté, 
■»  que  ,  regardant  du  haut  d'une  tour  fort  élevée,  je 
?>  comptais  quatre  cents  tours  dans  la  ville.  r> 

L'auteur  de  la  relation  dit  que  cette  ville  ressemblait 
en  partie  à  Grenade,  en  partie  à  Ségovie.  Il  mentionne 
une  troisième  ville  ,  semblable  ,  dit-d  ,  à  Burgos^  c  est 
flucccatzinco.  Il  y  en  avait  plusieurs  autres  sur  le  lac 
de  Mexico. 

On  comptait  ,  entre  autres  villes,  Iztapalapa,  où  il 
y  avait  i5?ooo  maisons.  Le  seigneur  de  celte  ville  avait 


fcfeS    AMÉRtCAfNS;  è'&i 

des  palais  aussi  grands  (  quoique  non  encore  achevés  ) 
dit  Cortez  ,  que  ceux  qu'on  peut  trouver  dans  toute 
l'Espagne  5  ils  étaient  bien  bâtis  :  les  matériaux  étaient 
du  bois  ,  des  pierres* 

Cortez  décrit  ensuite  la  grande  place  du  marché  dé 
Tlascala  ,  et  la  compare  à  celle  de  Mexico*  On  y  voyait 
en  abondance  du  pain  ,  des  volailles,  etc. 

Pierre  cC Aharédo  ,  envoyé  par  Cortez  pour  con- 
quérir le  pays  vers  la  mer  du  Sud  $  dit ,  dans  sa  rela- 
tion datée  de  Saint-Jacques,  le  2.8  juillet  i5a8  :  ce  Que 
3)  Votre  Altesse  me  croie  ,  ce  pays  est  habité  plus  coin- 
»  modément  et  par  des  peuples  plus  nombreux  que 
«  tout  ce  que  Votre  Majesté  a  gouverné  jusqu'ici,  tf 
Il  décrit,  entre  autres  villes,  lapalan  ,  qu'il  assure  avoir 
été  aussi  grande  que  Mexico.  On  y  voit  de  vastes  édi- 
fices,  construits  solidement  à  pierres  et  à  chaux,  et 
dont  le  haut  est  terminé  par  une  terrasse» 

Pierre  Godry  nous  a  aussi  donné  la  description  de 
Camula  ,  de  ses  fortifications,  de  ses  bastions,  de  ses 
palissades ,  etc. 

Nuguo  de  Gusman^  qui  succéda  à  Cortez  en  i528> 
apprenant  que  Ferdinand  Ramirez  allait  au  Mexique 
pour  lui  succéder,  partit  avec  une  armée  pour  se  rendre 
diez  les  Chichimèques  et  dans  la  Nouvelle  -  Galice  , 
afin  de  se  faire,  auprès  de  l'empereur,  un  mérite  de 
quelques  nouvelles  conquêtes.  Dans  la  relation  qu'il  a 
donnée  de  divers  pays,  il  décrit  la  ville  d'Amec,  de 
Tuliacan,  lieu  fort,  dit-il  ,  où  il  y  a  de  maguifîques 
édifices  y  de  vastes  palais,  et  autres  maisons  semblables 
à  celles  de  Mexico.  Les  cours  des  palais  sont  très- 
spacieuses,  et  l'on  y  voit  de  belles  fontaines  de  bonne 
eau*  Après  avoir  passé  d' Atacla  ,  au  fleuve  qu'on  nomme 


2.22  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGION 

actuellement  le  Saint  Esprit ,  il  fut  attaqué  par  une 
troupe  de  soldats  indiens  ,  couverts  de  beaux  habits  ? 
ornés  de  panaclies  ,  et  ayant  des  carquois  d'un  très- 
joli  travail.  L'attaque  de  cette  troupe  fut  très-régulière, 
et  la  victoire  long-temps  disputée.  Il  écrivait,  en  date 
du  8  juillet  i53o  ,  è? Om.itla.7i  ,  dans  le  Méchoacan. 

Le  moine  ISIarc  de  Nice^  envoyé  par  Antoine  Men- 
doza  ,  gouverneur  du  Mexique,  écrivit  en  i53q  des 
choses  étonnantes  des  pays  qu'il  avait  vus  ,  dans  le 
royaume  de  Cévola.  Mendoze  ,  n'ayant  point  de  con- 
fiance en  ce  qu'il  lui  marquait  ,  expédia  François 
Vasquez  le  22  avril  i5^.o.  Masquez  fit  la  relation  qu'on 
envoya  à  la  cour,  et  démentit  le  moine,  quoique 
M.  Paw  prétende  ce  que  les  Espagnols  ne  faisaient 
:»  pas  ,  ou  ne  voulaient  pas  faire  de  faux  rapports.  » 
Vasquez,  dans  la  description  qu'il  fait  des  villes  de  cette 
province,  dit  :  <c  J'y  ai  vu  des  maisons  de  trois  et  de 
quatre  étages  ,  où  il  y  avait  de  bons  logemens  ,  des 
chambres  et  des  cours  fort  belles 5  d'autres  chambres 
sous  terre  ,  faites  en  briques,  destinées  à  être  habitées 
l'hiver,  à  la  manière  des  stubes  des  Allemands  \  3> 
c'est-à-dire  garnies  d'un  poêle  fait  en  four  ,  et  qu'on 
allume  hors  de  l'appartement. 

Le  cacique  de  Yucatan  avait  un  bouclier  couvert  de 
plumes,  au  milieu  duquel  était  un  écusson  d'or. 
Les  peuples  de  Camula  avaient  des  boucliers  nommés 
pavois  ,  qui  se  pliaient  et  se  mettaient  sous  le  bras 
comme  un  parasol.  Ils  les  étendaient  pour  s'en  couvrir 
lorsqu'il  était  nécessaire.  Parmi  les  présens  que  reçut 
Grijalva ,  il  y  avait  des  genouillères  ,  des  jambiers  ,  faits 
de  bois  ,  couverts  d'une  lame  d'or. 

Outre  les  armes  et  les  boucliers  dont  se  servaient  les 


DES    AMÉRICAINS.  ft^3> 

Mexicains  ,  ils  portaient  une  saie  faite  de  coton  piqué, 
de  l'épaisseur  d'un   doigt  et  demi  5  ils  mettaient  par- 
dessus une  chemisette   unie.   Ils  avaient  des  caleçons 
qui  s'attachaient  par  derrière.  Ces  caleçons  étaient  faits 
de  grosse  toile  garnie  de  plumes  de   diverses  couleurs. 
Les  officiers  et  les  gens    de  marque  avaient  des  saies 
faites  en  réseau  ,  dont  les  mailles  étaient  d'or  et  d'ar- 
gent doré.  Ils  mettaient  par  dessus  une  chemisette  de 
plumes,    de  sorte  que   ni   les  flèches,  ni  les  javelots, 
ni  une  épée   ne   pouvaient   les   percer   aisément.  Ils 
avaient  sur  la  tête  un  cimier  avec  des  figures  de  lions  , 
de  tigres ,  de  serpens.    Ce  casque  ,  qui  était  de  bois  , 
était  recouvert  de  lames  d'or,  erïrichies  de  pierreries  . 
et  leur  garantissait  la  tête  et  le  visage.  Leurs  rondaches 
étaient  faites  en  roseaux  jointes  ensemble  avec  de  gros 
fils  de  coton  ,    qui  en  formaient  un  tissu.  Au   milieu 
il  y  avait  un   plumage   d'or    massif.   Ces    rondaches 
étaient  ornées  de  plumes  ,  et  ne  pouvaient  être  percées 
que    par  une  forte  arbalêtre.   Nugno    de   Gusman  fait 
aussi   mention    de  boucliers   semblables  ,  couverts  de 
cuirs  de  vache  ,  chez  les  peuples  du  fleuve  du  Saint-Esprit. 
On  voit  sept  couteaux  ou  rasoirs  de  pierre  ,   parmi 
les  instrumens  tranchans  que  reçut  Grijalva.  Les  épées 
des  Mexicains  étaient  de  bois,  mais  garnies  d'un  filet 
tranchant  de  pierre  qui  coupait  comme  un  rasoir.  Leurs 
instrumens   tranchans  étaient  si  bien  affilés,  que  les 
sacrificateurs  ouvraient  sans  peine  la  poitrine  des  vic- 
times toutes  vivantes.  Ils   se   servaient  de  frondes  ,  de 
sarbacanes.  Parmi  celles  dont  Montézuma  fit  présent 
à  Cortez ,  il  y   en  avait  cinq  destinées  pour  la  chasse  : 
elles  étaient  ornées   d'or  et  peintes   avec  des  couleurs 
parfaites. 


âî*4  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGION 

Est -il  possible  que  tant  de  gouverneurs,  de  capi- 
taines ,  vivant  au  milieu  d'amis  ou  d'ennemis  ,  aieuf 
tous  conspiré  ensemble  pour  tromper ,  abuser  leur 
souverain  par  des  relations  fausses  ,  imaginaires  y 
qu'on  pouvait  démentir  à  chaque  instant  ?  Pour  con- 
naître de  quelle  nature  étaient  les  fortifications,  lents 
formes  et  ce  qui  en  reste  encore  ,  j'engage  le  lecteur  à 
"voir  le  tome  premier,  livre  Ief,  et  livre  VIIe  de  l'ou- 
vrage de  M.  Clavigero  ,  sur  le  Mexique. 

Ramusio  ,  après  avoir  lu  ces  relations,  que  les  mi- 
nistres mêmes  des  souverains  avaient  communiquées  y 
les  lit  imprimer  traduites  en  italien  ,  non  après  un 
siècle  ,  mais  quinze  ans  après  ,  dans  un  temps  où  plu- 
sieurs des  auteurs  existaient  encore  ,  et  pouvaient  ré- 
clamer contre  l'abus  qu'on  aurait  fait  de  leurs  noms 
et  de  leurs  expressions,  si  les  relations  imprimées  eh 
traduction  ou  en  original  n'avaient  pas  été  d'accord 
avec  le  texte  envoyé  à  la  cour  d'Espagne.  C'est  à  ces 
Mémoires  qu'on  doit  recourir  ,  et  non  aux  chimères  dé 
M.  l'aw ,  qui  ne  comprend  pas  comment  les  ravages 
étranges  ,  causés  dans  ces  provinces  par  la  petite  vérole 
et  par  les  Espagnols  ,  ont  pu  les  rendre  désertes  et  sans 
culture. 

Oviedo  n'a  pu  se  faire  illusion  sur  la  furie  de  ses  com- 
pagnons :  quelque  intéressé  qu'il  fût  à  la  dissimuler,  il 
a  plusieurs  fois  déclamé  contre  ces  barbares,  et  plaint 
le  malheur  de  ces  infortunés  Américains. 

Corréales  ne  s'est  pas  exprimé  avec  moins  d'énergie 
contre  les  Espagnols  de  sou  temps. 

Barthëlemi  de  Las  Cazas ,  qui  passa  en  Amérique  avec 
Colomb  .  et  resta  plus  de  quarante  ans  dans  ce  pays  , 
où  il  fut  faitévèque  deChiapa,  et  q.ui  fut  témoin  oculaire- 


DES    AMÉRICAINS.  225 

de  tout  ce  que  faisaient  les  Espagnols ,  s'exprime  ainsi 
clans  l'article  12  de  la  relation  qu'il  envoya,  en  \S^> 
à  Charles  V,  intitulée  :  La  "Liberté  demandée  par  l'es- 
clave Indien  suppliant.  «  Nous  autres  Indiens  ,  ô  séré- 
»  nissime  Seigneur!  quand  nous  disons  à  Votre  Ma- 
■»  jesté  que  les  Espagnols  ont  détruit  sept  royaumes  plus 
3î  grands  que  l'Espagne  ,  nous  voulons  que  vous  sachiez 
3>  que  nous  les  avions  vus  aussi  remplis  d'habitans  qu'une 
y>  ruche  l'est  d'abeilles  5  au  lieu  qu'actuellement  ils  sont 
n  tons  déserts  ,  par  le  carnage  que  les  Espagnols  ont 
3>  fait  des  citadins  et  des  habitans  des  campagnes  .  etc.  » 
Dans  un  autre  endroit,  il  dit  :  ce  Nous  mettrons  clai- 
»  rement  sous  les  yeux  de  Votre  Majesté  ,  que  les  Espa- 
»  gnols  ,  dans  l'espace  de  40  ans  ,  ont  anéanti  plus  de 
3>  douze  millions  de  vassaux  à  Votre  Majesté.  :» 

L'abbé  Clavigero  ,  en  terminant  V Histoire  de  la  Con- 
quête du  Mexique ,  déclare  que  ce  fut  par  ordre  de  Cortez 
qu'on  pendit  l'empereur,  les  rois  de  Tezcuco  et  deTla- 
copan  ;  que  les  Mexicains  et  toutes  les  nations  qui  con- 
tribuèrent à  leur  ruine ,  restèrent  (au  mépris  du  chris- 
tianisme et  des  lois  humaines  du  roi  catholique)  aban- 
donnés à  la  plus  affreuse  misère  ,  à  l'oppression,  à  la 
haine  non  -  seulement  des  Espagnols  ,  mais  à  celle 
des  plus  vils  nègres  de  l'Afrique,  et  de  leurs  infâmes 
descendans. 

Voici  un  aperçu  des  monumens  que  M.  Humboldt  ? 
en  1802  ,  a  trouvés  dans  le  Mexique  ;  M.  Paw  dirat-il 
que  ce  savant  en  a  exagéré  les  dimensions,  ou  qu'un 
enthousiasme  mal  placé  lui  a  fait  prendre  des  huttes 
pour  des  édifices  imposans  ? 

Le  premier  Téocalli ,  dit  M.  Humboldt,  autour  du- 
quel les  Aztèques  ,  en  i3:io  ,  construisirent  la  ville  de 

TOM.    II.  j5 


2.2.6  MOEURS,    U  S  A  6  E  S    ET    RÉLlGlOW 

Mexico  5  étaitde  bois ,  tel  que  le  plus  ancien  temple  grec, 
celui  d'Apollon  à  Delphes,  décrit  par  Pausanias.  L'édi- 
fice en  pierre  dont  Cortez  et  Bernai  Diaz  admirèrent 
l'ordonnance  ,  avait  été  construit  par  le  roi  Ahuitzotl , 
l'année  î/j&ôj  c'était  un  monument  pyramidal,  situé 
au  milieu  d'une  Vaste  enceinte  de  murailles,  et  élevé  de 
3y  mètres.  On  y  distinguait  5  assises  ou  étages,  comme 
dans  plusieurs  pyramides  de  Sakharah  ,  sur-tout  dans 
celle  de  Mcïdoum ,  en  Egypte.  Le  Téocalli  de  Tenoch- 
tillan  ,  exactement  orienté  comme  toutes  les  pyramides 
égyptiennes  ,  asiatiques  et  mexicaines  ,  avait  07  mètres 
de  base  j  il  formait  une  pyramide  si  tronquée  ,  que  ,  vu 
de  loin  ,  le  monument  paraissait  un  cube  énorme  ,  sur 
la  cime  duquel  s'élevaient  de  petits  autels  couverts  de 
coupoles  construites  en  bois.  La  pointe  par  laquelle  se 
terminaient  ces  coupoles  ,  était  élevée  de  5z[  mètres  au- 
dessus  de  la  base  de  l'édifice  ,  ou  du  pavé  de  l'enceinte. 
On  voit,  d'après  ces  détails  ,  que  le  Téocalli  avait  une 
grande  analogie  avec  le  monument  antique  de  Baby- 
lone,  que  Strabon  nomme  le  Mausolée  de  Bélus ,  et  qui 
n'était  qu'une  pyramide  dédiée  à  Jupiter. 

Tous  les  édifices  consacrés  aux  divinités  mexicaines 
formaient  des  pyramides  tronquées.  Les  grands  monu- 
mens  de  Teotihuacan  >  de  Cholula  et  de  Vapantla  ,  qui  se 
sont  conservés  jusqu'à  nos  jours,  confirment  cette  idée: 
ils  indiquent  ce  qu'ont  été  les  temples  moins  considé- 
rables ,  construits  dans  les  villes  de  Tenochtitlan  et  de 
Tezcuco. 

Peu  de  nations,  observe  M.  Humboldt,  ont  remué 
de  plus  grandes  masses  que  les  Mexicains.  Lorsqu'on  a 
pavé  récemment  autour  de  la  cathédrale,  on  a  trouvé 
des  pierres  sculptées,  jusqu'à  12  mètres  de  profondeur. 


BBS    AMERICAINS.'  227 

La  pierre  calendaire  et  celle  des  sacrifices ,  exposées  à 
Ja  vue  du  public  sur  la  grande  place,  ont  jusqu'à  10 
mètres  cubes.  La  statue  colossale  de  Teoyaomiqui , 
chargée  d'hiéroglyphes  ,  et  couchée  dans  un  des  vesti- 
bules de  l'université  ,  a  a  mètres  de  long  sur  3  de  large. 
En  fouillant  vis-à-vis  de  1a  chapelle  du  Sagrario  ,  on  a 
trouvé,  parmi  une  immense  quantité  d'idoles  apparte- 
nant au  Téocalli,  une  roche  sculptée,  qui  avait  y  mètres 
de  long,  6  de  large  et  3  de  haut.  On  a  travaillé  en  vain 
pour  la  retirer. 

Le  Téocalli  était  déjà  en  ruines  quelques  années  après 

le  siège  de  Tenochtitlan  (Mexico),  qui,  comme  celui 

de  Troye  ,  finit  par  une  destruction  presque  totale  de 

la  ville.  Dans  le  livre  de  la  municipalité,  commencé  le 

8  mars  1624  (  trois  ans  après  le  siège  ),  il  y  est  parlé  de 

la  place  où  avait  été  le  grand  temple.  C'est  sur  le  chemin, 

qui  mène  à  Tanepantla  et  auxAkuakuetes  ,  où  l'on  peut 

marcher  pendant  plus  d'une  heure  entre  les  ruines   de 

l'ancienne  ville.  On  y  reconnaît  ,  ainsi  que  sur  la  route 

de  Tacuba  et  tflztapalapan ,  combien  Mexico,  rebâtie 

par  Cortez  ,  est  plus  petite  que  l'était  Tenochtitlan  sous 

le  dernier  des  Montézuma. 

L'énorme  grandeur  du  marché  de  Tlatelolco  ,  dont 
on  reconnaît  encore  les  limites,  prouve  combien  la  po- 
pulation de  l'ancienne  ville  doit  avoir  été  considérable. 
Les  Indiens  montrent  sur  cette  place  une  élévation  en- 
tourée de  murs  :  c'est  la  même  qui  formait  un  des 
théâtres  mexicains  ,  et  sur  laquelle  Cortez  ,  peu  débours 
avant  la  fin  du  siège,  avait  établi  la  fameuse  catapulte 
dont  l'aspect  imposait  aux  assiégés  ,  sans  que  la  machine 
pût  agir,  à  cause  de  la  maladresse  des  artilleurs.  Cette 

i5* 


SiS  MOEURS,    USAGES    ET    EELIGIOW 

élévation  est  comprise  aujourd'hui  dans  le  porche  de  la 
chapelle  de  San-Iago. 

La  digue  de  Moutézuma  Ier,  qui  a  plus  de  douze  milla 
toises  de  long  et  vingt  de  large,  en  partie  élevée  dans 
le  lac  de  Tezcuco  ,  consistait  en  un  mur  de  pierre  et 
d'argile,  fraisé  de  chaque  côté  d'une  rangée  de  palis- 
sades. On  en  voit  encore  les  restes  considérables  dans 
les  plaines  de  San-Laznro.  Cette  digue  fut  agrandie 
et  réparée  après  la  grande  inondation  de  l'année  1488, 
causée  par  l'imprudence  du  roi  Ahuitzotl,  qui  avait  fait 
conduire  les  sources  abondantes  de  Huitzilopochco  au 
lac  de  Tezcuco. 

Les  Aztèques  avaient  ainsi  construit  les  digues  de 
Tlahua  ,  de  JSlcxicaltzingo  ,  et  V Albaradon  qui  se  pro- 
longe depuis  Iztapalapan  à  Tapeyacac  ,  et  dont  les 
ruines,  dans  leur  état  actuel  ,  sont  encore  très-utiles  à. 
la  ville  de  Mexico.  Les  Espagnols  ont  continué  à  suivre 
le  système  et  le  modèle  des  digues  indiennes,  jusqu'au 
dix  septième  siècle  :  preuve  qu'ils  n'étaient  pas  aussi 
iguotans  que  l'a  supposé  le  véridique  M.  Paw. 

L'aqueduc  de  la  ville  de  Tezcuco  était  la  plus  grande 
et  la  plus  belle  construction  que  les  indigènes  eussent 
faite  en  ce  genre. 

En  général  ,  dit  M.  Humboldt  ,  comment  ne  pas 
admirer  l'industrie  et  l'activité  qu'ont  déployées  les  an- 
ciens Mexicains  et  Péruviens  dans  l'irrigation  des  terres 
arides  !  Dans  la  partie  maritime  du  Pérou  ?  j'ai  vu  des 
restes  de  murs  sur  lesquels  on  conduisait  Peau  par  un 
espace  de  plus  de  5  à  6  mille  mètres,  depuis  le  pied  de 
la  Cordillière  jusqu'aux  côtes.  Les  conquérans  du  sei- 
zième siècle  ont  détruit  ces  aqueducs  5  et  cette  partie  du 


DES    AMÉRICAINS.  2<SO, 

Pérou ,  comme  la  Perse  ?  est  redevenue  un  désert  im- 
mense, dénué  de  végétation.  Telle  est  la  civilisation  que 
les  Européens  ont  portée  chez  des  peuples  qu'ils  se  sont 
plus  à  nommer  barbares. 

Le  système  de  démolition  que  Cortez  ,  secondé  de 
5o,ooo  Indiens  ,  avait  adopté ,  est  cause  que  Ton  ne 
rencontre  pas  à  Mexico  ces  grands  restes  de  construction 
que  l'on  voit  au  Pérou  ,  dans  les  environs  de  Cuscoet  de 
Guamachuco  5  à  Pachacamac,  près  de  Lima,  ou  à 
Mansiche  ,  près  de  Truxilio  ;  dans  la  province  de  Quito, 
au  Cannar  et  au  Cayo  5  au  Mexique  ,  près  de  Mitla  et  de 
Cholula,  dans  les  intendances  d'Oaxaco  et  de  Puebla. 
(  Essai  pol.  sur  le  royaume  de  la  Nouvel  le- Espagne.*) 

On  peut  compter  parmi  les  faibles  restes  des  antiquités 
mexicaines  qui  intéressent  le  voyageur  instruit  ,  soit 
dans  l'enceinte  de  la  ville  de  Mexico,  soit  dans  ses  en- 
virons ,  les  ruines  des  digues  et  des  aqueducs  aztèques  j 
la  pierre  dite  des  sacrifices ,  ornée  d'un  relief  qui  repré- 
sente le  triomphe  d'un  roi  mexicain  5  le  grand  monu- 
ment calendaire  ,  exposé  avec  le  précédent,  à  la  Plaza- 
Mayor  5  la  statue  colossale  de  la  déesse  Téo.yaomiqui , 
couchée  sur  le  dos  dans  une  des  galeries  de  l'Université^ 
et  habituellement  couverte  de  3  ou  4  pouces  de  terre  5 
les  manuscrits  ou  tableaux  hiéroglyphiques  des  Aztèques, 
peints  sur  du  papier  d'agave,  sur  des  peaux  de  cerf  et 
des  toiles  de  coton  ,  collection  précieuse ,  attestant  dans 
chaque  figure  l'imagination  égarée  d'un  peuple  qui  se 
plaisait  à  voir  offrir  le  cœur  palpitant  des  victimes  hu- 
maines à  des  idoles  gigantesques  et  monstrueuses  :  les 
fondemens  du  palais  des  rois  d )  Alcohuacan  ,  à  T'ezcuco  y 
le  relief  colossal tracé  sur  la  face  occidentale  du  rocher 


2.DO  MOEURS,    USAGES    ET    R  Ê  L  I  G  I  O  Ht 

porphyritique  appelé  le  Penolde  /os  Banos  ,  et  plusieurs 
autres  objets. 

Les  seuls  monumens  anciens  qui ,  dans  la  vallée  mexi- 
caine ,  peuvent  imposer  par  leurgrandeur  et  leur  masse, 
aux  yeux  des  Européens,  sont  les  restes  des  deux  pyra- 
mides de  San- Juan  de  Téotihuacan  ,  situées  au  nord-est 
du  lac  de  Tezcuco,  consacrées  au  Soleil  et  à  la  Lune  , 
appelées  par  les  indigènes   Tonatiuh-ltzaqual  (Maison 
du  Soleil),  et  3Ieztli-Itzaqua/ (Maison  de  la  Lune).  La 
première  pyramide  ,  qui  est  la  plus  australe  ,  a  ,  dans 
son  état  actuel  ,  645  pieds  de  long,  et  171    pieds  d'élé- 
vation perpendiculaire  5  la  seconde  pyramide  ,  celle  de 
la  Lune,  est  de  3o  pieds  plus  basse,  et  sa  base  est  beau- 
coup  moins   grande.    Ces   monumens,  attribués   aux 
Toltèques  ,    d'après    le    récit  des  premiers  voyageurs  , 
et  d'après  la  forme  qu'ils  présentent  encore  ,  ont  servi 
Je  modèle  aux  Téocallis  Aztèques.  Un  escalier,  cons- 
truit en  grandes  pierres  de  taille,  conduisait  jadis  à  leur 
cime  ,   où  se  trouvaient  des  statues  couvertes  de  lames 
d'or  très-minces.  Chacune  des  quatre  assises  principales 
était  divisée  en  petits  gradins  d'un  mètre  de  haut,  dont 
on  distingue  encore  les  arêtes.  Ces  gradins  sont  couverts 
de  fragmens   d'obsidiennes,  qui  sans  doute  étaient  les 
instrumens  tranchans  avec  lesquels  ,   dans  leurs  sacri- 
fices barbares,  les   prêtres  Toltèques  et   Aztèques   ou- 
vraient la  poitrine  aux  victimes  humaines. 

Il  est  impossible  de  parler  avec  certitude  de  leur 
structure  intérieure  ,  puisque  ,  ni  les  pyramides  de 
Téotihuacan,  ni  celle  de  Cholula  ,  n'ont  pas  été  per- 
cées diamétralement.  Ce  qui  est  très-remarquable, 
c'est  que  tout  à  l'entour  des  maisons  du  soleil  et  de  la 


DES    AMÉRICAINS.  SOI 

lune ,  de  Teotihuacan  ,  on  trouve  un  groupe  ,  j'ose  dire 
un  système  de  pyramides  ,  qui  ont  à  peine  o.  à  10  mè- 
tres d'élévation.  Cesmonumens,  dont  il  y  a  plusieurs 
centaines  ,  sont  disposés  dans  des  rues  très-larges,  qui 
suivent  exactement  la  direction  des  parallèles  et  des 
méridiens,  et  qui  aboutissent  aux  quatre  faces  des  deux 
grandes  pyramides.  Les  petites  pyramides  sont  plus 
fréquentes  vers  le  côté  austral  de  la  lune  que  vers  le 
temple  du  soleil  :  aussi  étaient-elîes  ,  d'après  la  tradi- 
tion du  pays  ,  dédiées  aux  étoiles.  Il  paraît  assez  cer- 
tain qu'elles  servaient  de  sépulture  aux  chefs  des  tribus. 
Toute  cette  plaine  porta  jadis  ,  dans  les  langues  aztè- 
que et  Tchèque,  le  nom  de  Micoatl ,  ou  chemin  des 
morts. 

Un  autre  monument  ancien  ,  très-digne  de  l'atten- 
tion des  voyageurs  ,  c'est  le  retranchement  militaire  de 
Xcohicalco  ,  situé  au  sud  sud-ouest  de  la  ville  de  Cuer- 
navaca  j  près  de  Tetcôlama  ,  appartenant  à  la  paroisse 
de  Zochetepèque.  C'est  une  colline  isolée,  de  117  mè- 
tres d'élévation,  entourée  de  fossés,  et  divisée  à  main 
d'hommes  ,  en  cinq  assises  ou  terrasses  ,  qui  sont  revê- 
tues de  maçonnerie.  Le  tout  forme  une  pyramide  tron- 
quée ,  dont  les  quatre  faces  sont  exactement  orientées 
selon  les  quatre  points  cardinaux.  Les  pierres  de  por- 
phyre à  base  balsatique  sont  d'une  coupe  très  régulière, 
et  ornées  de  figures  hiéroglyphiques  ,  parmi  lesquelles 
on  distingue  des  crocodiles  jetant  de  l'eau  5  et  ce  qui 
est  très-curieux  ,  des  hommes  assis  les  jambes  croisées  , 
à  la  manière  asiatique.  La  plate-forme  de  ce  monument 
extraordinaire  a  près  de  neuf  mille  mètres  carrés,  et 
présente  les  ruines  d'un  petit  édifice  carré ,  qui  servît 
sans  doute  de  dernière  retraite  aux  assiégés. 


232  MOEURS,    USAGES    ET    REEIGIOîST 

Le*  palais  de  Montézuma  ressemblait  aune  ville  asia- 
tique environnée  de  murs.  Il  était  composé  d'un  grand 
nombre  de  maisons  spacieuses,  mais  très-peu  élevées  5 
elles  occupaient  tout  le  terrain  contenu  aujourd'hui 
entre  1' 'Empedradillo ,  la  grande  rue  de  Tacuha  et  le  cou- 
vent de  la  Ti\>fessa.  Lorsque  Cortez  fit  sa  première  en- 
trée dans  Tenochtitlan  ,  le  8  novembre  i5io,  ,  il  logea 
avec  7,000  hommes  dans  le  palais  du  roi  d'Axajacatl  , 
dont  la  vaste  enceinte  contenait  plusieurs  édifices. 
C'est  là  qu'il  soutint ,  avec  les  Tlascalans  ,  l'assaut  des 
Mexicains:  c'est  là  que  périt  le  malheureux  Montézuma, 
des  suites  d'une  blessure  qu'il  avait  reçue  en  haran- 
guant le  peuple. 

Dans  les  ruines  de  Mansiche  ,  au  Pérou,  chaque  ha- 
bitation d'un  seigneur  y  formait  un  quartier  séparé, 
dans  lequel  on  distinguait  des  cours  ,  des  rues  ,  des 
murailles  et  des  fossés.  Tel  était-alors  le  genre  de  cons- 
truction américaine ,  et  non  pas  les  huttes  que  M.  Paw 
a  ridiculement  imaginées. 

Un  petit  pont  près  de  Banavista  a  conservé  le  nom 
de  Saut  d'Alvaredo  ,  en  mémoire  du  saut  prodigieux 
que  fit  le  valeureux  Pedro  de  Alvaredo ,  lorsque,  dans 
la  fameuse  nuit  mélancolique  du  ier  juillet  i520,  la 
digue  de  Tlacopan  ayant  été  coupée  en  plusieurs  en- 
droits par  les  Mexicains  ,  les  Espagnols  se  retirèrent  de 
la  ville  sur  les  montagnes  de  Tepejacac. 

On  montre  aux  étrangers  le  pont  du  Clerigo  ,  près 
de  la  Plaza  Mayor  de  Tlatelolco  ,  comme  l'endroit 
mémorable  où  fut  pris  jadis  le  dernier  roi  aztèque 
Quauhtemozin ,  qu'on  a  depuis  nommé  Guatimozin , 
neveu  de  son  prédécesseur  Cuitlahuatzin  f  et  gendre  de 
MoutézumalL 


DES    AMERICAINS.  233 

Il  paraît  ,  d'après  les  recherches  de  M.  Humholdt , 
que  le  jeune  roi  tomba  ,  le  3i  août  1 52 1,  dans  un  grand 
bassin  d'eau  ,  où  il  fut  pris  par  Garci-Holguin. 

C'est  sur  la  colline  de  Tepeyacac,  au  pied  de  laquelle 
est  construit  le  riche  sanctuaire  dédié  à  la  Sainte-Vierge 
de  la  Guadeloupe  ,  que  se  trouvait  jadis  le  temple  de  la 
Cérès  mexicaine,  appelée  Tonantzini^  notre  mère),  on 
Centeotl  (  déesse  du  maïs  ),  ou  Tzinteotl  (  déesse  géné- 
ratrice. ) 

Parmi  les  ruines  d'édifices  aztèques  et  mexicains 
remarquables  par  leur  ordonnance  et  l'élégance  de 
leurs  ornemens  ,  on  admire  les  murs  du  palais  de 
'Mitla,  décorés  de  grecques  et  de  labyrinthes,  formés 
en  mosaïque  de  petites  pierres  porphyritiques.  On  y  re- 
connaît le  même  dessin  que  l'on  admire  sur  les  vases 
faussement  nommés  étrusques,  ou  dans  la  frise  du  vieux 
temple  du  .De/A?  redicolus  ,  près  delagrotte  de  la  nymphe 
Egéiïe,  à  Rome.  L'on  ne  peut  s'empêcher  d'être  frappé 
de  la  grande  analogie  qu'offrent  les  ornemens  du  pa- 
lais de  Mitla  avec  ceux  employés  par  les  Grecs  et  les 
Romains. 

Le  vdlage  de  JSlitla  s'appelait  jadis  Miguitlan  ,  mot 
qui  ,  en  langue  mexicaine,  désigne  un  lieu  sombre, 
un  lieu  de  tristesse.  En  effet  ,  le  palais  de  Mitla  ,  dont 
on  ignore  l'ancienneté  ,  était  ,  selon  la  tradition  des 
indigènes,  et  comme  le  manifeste  aussi  la  distribution 
de  toutes  ses  parties  ,  un  palais  construit  au-dessus  des 
tombeaux  des  rois.  C'était  un  édifice  dans  lequel  le 
souverain  se  retirait  pour  quelque  temps  ,  lors  de  la 
mort  d'un  fils  ,  d'une  épouse  ,  ou  d'une   mère. 

Le  palais ,  ou  plutôt  les  tombeaux  de  Mitla  ,  forment 
trois  édifices  ,   placés  symétriquement  dans  un  site  ex- 


a34  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGION 

trêmement  romantique,  L^édifice  principal  est  le  mieux 
conservé  5  il  a  près  de  4°  niètres  «le  long  5  un.  escalier 
pratiqué  dans  un  puits  conduit  à  un  appartement 
souterrain  ,  qui  a  27  mètres  de  long  et  8  de  large.  Cet 
appartement  lugubre  ,  destiné  aux  tombeaux  ,  est  cou- 
vert des  mêmes  grecques  que  ceux  qui  ornent  les  murs 
extérieurs  de  l'édifice. 

Ce  qui  distingue  les  ruines  de  Mitla  de  tous  les  autres 
restes  de  l'architecture  mexicaine  ,  ce  sont  six  colonnes 
de  porphyre  ,  placées  au  milieu  d'une  vaste  salle  ,  et 
soutenant  le  plafond.  Ces  colonnes ?  presque  les  seules 
trouvées  dans  le  nouveau  continent  ,  manifestent  l'en- 
fance de  l'art  :   elles  n'ont  ni  bases  ni  chapiteaux  5  011 
n'y  remarque  qu'un  simple  rétrécissement  à  la  partie  su- 
périeure. Leur  hauteur  totale  est  de  5  mètres  3  cependant 
le  fût  en  est  d'une  seule  pièce  de  porphyre  amphibohque  5 
des  décombres  amoncelés  pendant  des  siècles  cachent 
ces  colonnes  à   plus   d'un  tiers  de  leur  hauteur.  En  les 
découvrant,  M.  Martin  a  trouvé  que  cette  hauteur  est 
é«ale  à  6  diamètres  ou  à  12  modules.  Il   en  résulterait 
une  ordonnance   qui   serait  encore    moins   légère    que 
celle  de  l'ordre  toscan  ,  si  le  diamètre  inférieur  des    co- 
lonnes de  Mitla   n'était  pas  à  leur  diamètre  supérieur 
en  raison  de  3  à  2. 

La  distribution  des  appartemens  ,  dans  l'intérieur 
de  cet  édifice  singulier  ,  offre  des  rapports  frappans  avec 
celle  que  l'on  remarque  dans  les  monumens  de  la  haute 
Egypte  ,  figurés  par  M.  Denon  et  par  les  savans  qui 
composent  l'institut  du  Caire.  M.  de  Laguna  a  trouvé 
dans  les  ruines  de  Mitla  ,  des  peintures  curieuses,  re- 
présentant des  trophées  de  guerre  et  des  sacrifices. 
Le  plateau  de  la  Puebla  offre  des   vestiges  remar- 


DES    AMÉRICAINS.  235 

quables  delà  plus  ancienne  civilisation  mexicaine.  Les 
fortifications  de  Tlascala  sont  d'une  construction  pos- 
térieure à  celle  de  la  grande  pyramide  de  Cholula.  Ce 
monument  curieux  consiste   en   quatre  assises  5  il  n'a 
dans  son  état  actuel  que  170  pieds  d'élévation  perpen- 
diculaire, sur  1290 de  largeur  horizontale  à  sa  base.  Ses 
côtés  sont  très-exactement  orientés,  d'après  la  direction. 
des  méridiens  et  des  parallèles  5  et  il  est  construit,   d'a- 
près le  percement  fait ,  il  y  a  peu  d'années  ,  du  côté  du 
nord,  de  couches  de  briques  qui  alternent  avec  des  cou- 
ches d'argile.  La  plate-forme  delà  pyramide  tronquée  de 
Cholula  a  une  surface  de  i3,ooo  pieds  carrés.  Au  mi- 
lieu   s'élève    une   église    dédiée    à    JV Totre Uame-de-los- 
remedios  ,  qui  est  entourée  de  cyprès  ,  et  dans  laquelle 
la  messe  est  célébrée  tous  les  malins  par  un  ecclésias^ 
tique  de  race  indienne  ,  dont  le  séjour  habituel  est  sur 
la   cime  de   ce  monument.    C'est  de  cette   plate-forme 
que  l'on  jouit  d'une  vue  délicieuse  et  imposante  ,  sur  le 
■volcan  de    la   Puebla  ,    sur   le  pic  (TOrizaba  ,  et  sur  la 
petite  Coi  dil  hère  de  JSfîatlacuye  ,  qui  sépara  jadis  le  ter- 
ritoire des  Cholulains  ,  de  celui  des  républicains  Tlas- 
calans.  » 

La  pyramide  ou  le  téocalli  de  Cholula  a  exactement 
la  même  hauteur  que  le  Tonatiu/i  Itzaqual  deTheoiihua.- 
can.  Elle  est  de  10  pieds  plus  élevée  que  le  Mycerinus , 
ou  la  troisième  des  grandes  pyramides  égyptiennes  du 
groupe  de  Djyzeh.  Quant  à  la  longueur  apparente  de 
sa  base  ,  elle  excède  celle  de  tous  les  édifices  de  ce  genre 
que  les  voyageurs  ont  trouvés  dans  l'ancien  continent: 
cette  base  est  presque  double  de  celle  de  la  grande  py- 
ramide de  Chéops,  Pour  se  faire  une  idée  de  la  masse 
considérable  de  ce  monument  mexicain  .  par  la  com- 


236  MOEURSj    USAGES    ET    KEIICIÔK 

paraison  d'objets  plus  connus  ,  qu'on  s'imagine  un 
carré  quatre  fois  plus  grand  que  la  place  Vendôme  , 
couvert  d'un  monceau  de  briques  ,  qui  s'élève  à  la 
double  hauteur  du  Louvre. 

On  ignore  l'ancienne  hauteur  de  ce  monument  ex- 
traordinaire. Dans  son  état  actuel  ,  la  longueur  de  sa 
base  est  à  sa  hauteur  perpendiculaire  comme  8  à  1 , 
tandis  que  dans  les  trois  grandes  pyramides  de  Djyzeh, 
cette  proportion  se  trouve  comme  1  6/10  et  1  7/10  à  1 , 
à  peu-près  comme  8  à  5. 


PYRAMIDES    EN    PIERRES    DE    DJTZEH. 


Hauteur 

Longueur  de  la  base. 


CHEOPS. 

448  pieds. 
728  pieds. 


CEPHUEN. 

398  pieds. 
655  pieds. 


MTCERINCS, 

162  pieds. 
58o  pieds. 


PYRAMIDES    EN    BRIQUES. 


A  cinq  assises  en  Egypte, 
près  de  Sakbarra ...... 

Hauteur,  ï5o  pieds 

Long,  de  la  base  ,  210  pi. 


A  quatre  assises  an  Mexique. 


TEOTrHCACAN. 

17 1  pieds 

645  pieds 


CHOLULA. 

172  pieds. 
i355  p»eds. 


La  plus  grande  de  toutes  les  pyramides  égyptiennes  ? 
celle  HAsychis  ,  dont  la  base  a  800  pieds  de  longueur, 
n'est  pas  en  pierres  5  mais  en  briques.  La  cathédrale  àa 


DES    AMÉRICAINS.  23y 

Strasbourg  est  de  8  pieds  ;  la  croix  de  Saint-Pierre  de 
Rome  de  41  pieds  plus  basse  que  le  CAe'ops. 

Ces  édifices  qu'on  peut  encore  mesurer  de  nos  jours  , 
attestent  le  génie  des  Mexicains  ,  et  démontrent  avec 
quelle  impudence  M.  Paw  s'est  joué  de  la  crédulité  des 
Européens  qui  ont  eu  la  faiblesse  de  croire  aux  men- 
songes méprisables  qui  fourmillent  dans  son  ouvrage. 

Il  existe  au  Mexique  des  pyramides  à  plusieurs  étages 
dans  les  forêts  de  Papantla  ,  à  une  petite  élévation  au- 
dessus  du  niveau  de  l'Océan ,  sur  les  plateaux  de  Cho- 
lula  et  de  Théotihuacan  ,  à  des  hauteurs  qui  surpas- 
sent celles  des  passages  des  Alpes. 

On  découvre  encore  du  côté  occidental  ,  yis-à-vis  du 
Cerro  de  Tecaxete  et  de  Zapoteca  ,  deux  masses  par- 
faitement prismatiques.  L'une  de  ces  masses  porte  au- 
jourd'hui le  nom  N  Alcosac  ,  ou  d1 Istenenetl  :  l'autre 
celui  de  Cerro  de  la  Cruz  :  la  dernière  est  construite  en 
pisé  ,  et  n'est  élevée  que  de  5o  pieds. 

La  pyramide  de  Papantla  n'est  point  construite  en 
briques  ou  en  argile  mêlée  de  cailloux  ,  et  revêtue  d'un 
mur  d'amygdaloïde  ,  comme  les  pyramides  de  Cholula 
et  de  Teotihuacan  5  les  seuls  matériaux  qui  y  ont  été 
employés  sont  d'immenses  pierres  de  taille  porphyri- 
tiques  :  on  distingue  du  mortier  dans  les  joints.  L'édi- 
fice est  cependant  moins  remarquable  par  sa  grandeur 
que  par  son  ordonnance  ,  par  le  poli  des  pierres  et  par 
la  grande  régularité  de  leur  coupe.  La  base  de  la  pyra- 
mide est  exactement  carrée  de  chaque  côté  .  ayant 
80  pieds  de  long  ,  et  la  hauteur  perpendiculaire  70.  Ce 
monument,  comme  tous  les  téocallis  mexicains,  se 
compose  de  plusieurs  assises  :  on  en  distingue  encore 
six ,  et  l'on  croit  que  la  septième  est  cachée  par  la  yé- 


û38  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGIO* 

gétation  qui  couvre  tout  le  flanc  de  la  pyramide.   Urt 
grand  escalier  de  Sj  gradins  mène  à  la  cime  tronquée 
du   téocalli ,  à   l'endroit  où  se  faisait  le    sacrifice   des 
victimes  humaines  5  un   petit  escalier  se  trouve  à  côté 
du  grand.  Le  revêtement  des   assises  est  orné  d'hiéro- 
glyphes ,  dans  lesquels  on  reconnaît  des  serpens  et  des 
crocodiles  sculptés  en    relief.    Chaque  assise   offre   un 
grand  nombre  de   niches    carrées  et  symétriquement 
distribuées.  Dans  le  premier  étage  ,  on  en  compte   de 
chaque  coté  ,  i\  j   dans  le  second,    20;    dans   le   troi- 
sième ,    16  5  le  nombre  de  niches  est  de  366  ,  dans  le 
corps  de  la  pyramide  ,  et  de  12  dans  l'escalier  ,  que  l'on 
distingue  vers  l'est,  ce  qui  fait  3y8  niches  ,  que  l'on 
croit  faire  allusion  au    système  caîendaire  des  Mexi- 
cains ,  dont  l'année  commune  était  composée  de  dix- 
huit  mois  de  20  jours  chaque  :  il  en  résultait  36o  jours,, 
auxquels  ils  ajoutaient  les  5  jours  complémentaires  ap- 
pelés NérnontemL    L'intercalation  se  faisait  tous  les  5a 
ans  ,  ce  qui  donne  36o  +  5  +  1S  —  3^8,  signes  simples 
ou    composés  ,    des   jours    du    calendrier   civil  qu'on 
nomma  Compohualilhuitl ,  ou    Tonalpohualli  ,  pour  le 
distinguer  du    Comilhuit-la-P  ohuallittli  ,   ou  du  calen- 
drier usité  par  les  prêtres,  pour  indiquer  le  retour  des 
sacrifices. 

Au  nord  du  présidio  d1 Horcasitas  ,  de  l'intendance 
de  la  Sonora,  on  trouve ,  au  milieu  d'une  vaste  plaine  , 
à  une  lieue  de  distance  de  la  rive  méridionale  du  Rio 
Gila  ,  la  Casa  grande ,  édifice  élevé  par  les  Atzèques  , 
vers  la  fin  du  douzième  siècle  ,  et  dont  les  ruines  oc- 
cupent un  terrain  de  près  d'une  lieue  carrée.  La  grande 
maison  est  exactement  orientée  d'après  les  quatre  point» 
cardinaux  ,  ayant  du  nord  au  sud  i36  mètres  de  long  r 


dès  AMÙicAiss.'  a3p 

et  de  l'est  à   l'ouest  84  mètres  de  large.  Elle  est  cons- 
truite en  torchis  (tapia  ).  Les  piles  sont  d'une  grandeur 
inégale  ,  mais   symétriquement  placées  5  les  rnurs  ont 
12  décimètres  d'épaisseur.  On  reconnaît  que   cet   édi- 
fice avait  trois  étages  et  une  terrasse  5  "escalier  était  à 
l'extérieur  ,  et  probablement  de  bois.   Ce   même   genre 
de  construction  se  trouve  dans  tous  les  villages  des  In- 
diens indépendans  du  Moqui  ,.  à  Pouest  du  Nouveau- 
Mexique.    On    reconnaît    dans    la    Casa  grande    cinq 
pièces,  dont  chacune  a  8  mètres,  3  de  long  5  3  mètres, 
3  de  large  5  et  3  mètres  ,  5  de  haut.  Une   muraille  in- 
terrompue par  de   grosses  tours  ,   ceint   l'édifice   prin- 
cipal ,    et  paraît  lui   avoir    servi  de    défense.    On   voit 
encore  les  vestiges  du  canal  artificiel  qui  y  conduisait 
les  eaux  du  Rio  Gila.  Toute  la  plaine  environnante  est 
couverte  de  cruches  ,  de  pots  de  terre  cassés  ,  joliment 
peints  en  blanc  ,  en  ronge  et  en  bleu.  On  trouve  aussi 
parmi  ces  débris  de  faïence  mexicaine  ,  des  pièces  d'ob- 
sidienne (itztli),  phénomène  assez  curieux,  parce  qu'il 
prouve   que   les   Atzèques   avaient   passé  par  quelque 
contrée  septentrionale  inconnue,  qui  recèle  cette  sub- 
stance volcanique,    et   que   ce    n'est   pas  l'abondance 
d'obsidienne  que  renferme  la   Nouvelle-Espagne,  qui 
ait  fait  naître  l'idée  des  rasoirs  et  des  armes  d'Itztli. 

Il  ne  faut  pas  confondre  les  ruines  de  cette  ville  du 
Gila,  centre  d'une  ancienne  civilisation  des  peuples 
américains  ,  avec  les  Casas  grandes  de  la  Nouvelle-Bis- 
caye ,  situées  entre  le  présidio  de  Janos  et  celui  de  San 
Buenaventura.  Ces  dernières  sont  désignées  par  les  in- 
digènes ,  comme  la  troisième  demeure  des  Aztèques. 

Dans  le  pays  des  JMoquis ,  à  l'est  du  Nouveau- 
Mexique  ,  le  P.  Garées  trouva  ,  en  1773  ?  une  ville  in- 


2^0  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGÏOS 

dienne  avec  deux  grandes  places ,  des  maisons  à  plu- 
sieurs étages ,  et  des  rues  bien  alignées  et  parallèles  les 
unes  aux  autres.  Le  peuple  s'assemblait  tous  les  soirs 
sur  les  terrasses  qui  forment  le  toit  des  maisons.  La 
construction  des  édifices  du  Moqui  est  la  même  que 
celle  des  Casas  grandes  ,  au  bord  du  Rio  Gila. 

On  rencontre  le  long  de  TObio  ,  du  Mississipi  ,  et 
jusque  dans  le  Kentuck  ,  quantité  de  forteresses  et  de 
petites  pyramides  en  forme  de  mausolées. 

Dans  toutes  les  grandes  villes  ô?  Anahuac  ,  les  or- 
fèvres mexicains,  sur-tout  ceux  àiAzcapozalco  et  de 
Cholula  ,  fabriquaient  des  vases  d'or  avec  tant  d'habi- 
leté ,  que  les  Espagnols  ,  lors  de  leur  premier  séjour  à 
Tenochtitlan  ,  ne  pouvaient  se  lasser  de  les  admirer  , 
et  que  Cortez  ,  dans  sa  première  lettre  à  l'empereur 
Charles-Quint ,  dit  :  <c  Ou  me  présenta  des  ouvrages 
n  d'orfèvrerie  et  de  bijouterie  si  précieux  ,  que  ,  ne 
5>  voulant  pas  les  laisser  fondre  ,  j'en  séparai  pour  plus 
3>  de  cent  mille  ducats  pour  les  offrir  à  votre  Altesse 
yj  impériale.  Ces  objets  étaient  de  la  plus  grande  beauté, 
}>  et  je  doute  qu'aucun  autre  prince  de  la  terre  en  ait 
»  jamais  possédé  de  semblables.  Afin  que  votre  Altesse 
»  ne  puisse  croire  que  j'avance  des  choses  fabuleuses, 
»  j'ajoute  que  tout  ce  que  produisent  la  terre  et  l'océan, 
»  et  dontle  roi  Moutézuma  pouvait  avoir  connaissance, 
»  il  l'avait  fait  imiter  en  or  et  en  argent,  en  pierres 
5>  fines, -et  en  plumes  d'oiseaux,  et  le  tout  dans  une 
3)  perfection  si  grande  ,  que  l'on  croyait  voir  les  objets 


»  mêmes  ,  etc.  » 


Il  serait  difficile  d'accuser  d'exagération  le  général 
espagnol ,  quand  on  considère  que  l'empereur  Char- 
les   Y    pouvait    juger    par    ses    propres    yeux    de    la 


DES    AMERICAINS.*  Z^L 

perfection  ou  de  l'imperfection  des  objets  qui  lui  furent 
envoyés. 

C'est  depuis  un  petit  nombre  d'années  seulement  9 
dit  M.  Humboldt  ,  que  par  un  système  d'économie 
que  l'on  peut  appeler  barbare,  on  a  fondu  des  ouvrages 
précieux  de  l'ancienne  orfèvrerie  des  Muyscas^  dans  le 
royaume  de  la  Nouvelle-Grenade,  des  Péruviens  et  des 
habitans  de  Quito,  qui  prouvaient  que  plusieurs  peuples 
de  ce  continent  étaient  parvenus  à  un  degré  de  civilisa- 
tion bien  supérieur  à  celui  qu'on  leur  attribue. 

Les  peuples  Aztèques  tiraient,  avant  la  conquête,  le 
plomb  et  l'étain  ,  des  filons  de  Tascoy  au  nord  de  Chil- 
pasingo  et  d1 Izmiquilpan  ,•  le  cinabre,  l'ocre  jaune  qui 
servaient  de  couleur  aux  peintres,  leur  étaient  fournis  par 
les  mines  de  Chilapan.  Comme  le  vrai  fer  natif,  auquel 
on  ne  peut  pas  attribuer  une  origine  météorique  ,  et 
qui  est  constamment  mêlé  de  plomb  et  de  cuivre  ,  est 
infiniment  rare  dans  toutes  les  parties  du  globe  ,  il  ne 
faut  donc  pas  s'étonner,  comme  M.  Paw  ,  qu'au  com- 
mencement de  la  civilisation  les  Américains  ,  comme 
la  plupart  des  autres  peuples  ,  aient  construit  leurs  ar- 
mes ,  leurs  haches  ,  leurs  ciseaux  et  leurs  outils,  avec 
le  cuivre  tiré  des  montagnes  de  Zacatollan  et  de  Co- 
huixco)  puisqu'il  remplaçait  jusqu'à  un  certain  point 
le  fer  et  l'acier. 

Les  Indiens  de  la  Nouvelle-Espagne,  se  soulèvent 
de  temps  à  autre  :  les  émeutes  les  plus  considérables 
ont  éclaté  en  i5^6  ,  en  1601,  en  1609,  en  1624? 
en  1692. 

Dans  la  province  è?  Honduras  ,  les  Mosquitos ,  peuple 
composé  de  3o,ooo  hommes,  n'ont  jamais  été  soumis 
aux  Espagnols.  Us  ont  un  gouvernement  entièrement 
om.  2.  16 


342  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGION 

républicain  ,  et  ne  reconnaissent  de  chef  que  lors- 
qu'ils vont  à  la  guerre.  Ennemis  jurés  des  Espagnols  , 
ils  font  esclaves  ceux  de  cette  nation  que  quelque 
accident  jette  sur  leurs  côtes. 

Dans  la  province  de  Yucatan ,  quelques  tribus  in- 
diennes ont  conservé  leur  indépendance  dans  la  partie 
méridionale  de  ce  terrain  mon  tu  eux,  que  l'épaisseur 
des  forêts  et  la  force  de  la  végétation  rendent  presque 
inaccessible. 

Les  Indiens  nomades ,  connus  sous  le  nom  d?Àpa» 
c/ies ,  de  Dlescaleros  ,  de  Rlimbrenos ,  de  dimanches  , 
blutas  ,  de  Moruis  ,  de  Chichimèqucs ,  de  Taouaiazes  9 
&  A  codâmes  ^  de  Cocoyamcs  et  de  Faraones  ,  font  une 
guerre  perpétuelle  aux  habitans  espagnols  des  pro- 
vincias  internas  du  Nouveau-Mexique. 

Californiens.  —  Les  Indiens  libres  de  la  Californie 
se  divisent  en  peuplades  séparées  l'une  de  l'autre  5 
elles  ne  parlent  point  la  même  langue.  Certaines  d'entre 
elles  soignent  les  bestiaux  5  d'autres  pèchent  ou  sont 
errantes  ,  d'autres  sont  fixées  au  sol.  Ces  Indiens  ne 
sont  pas  féroces  de  caractère.  A  mesure  que  les  mis- 
sionnaires pénètrent  parmi  eux  ,  ils  en  convertissent 
une    certaine   quantité,  qu'ils  s'efforcent  de  civiliser. 

Les  indigènes  du  canal  de  Santa-Barbara  qu'on  dé- 
couvrit en  1760,  construisaient  de  grandes  maisons 
de  forme  pyramidale ,  et  rapprochées  les  unes  des 
autres.  Bons  et  hospitaliers  ?  ils  offraient  aux  Espagnols 
des  vases  artistement  tissés  de  tiges  de  joncs.  Le 
dedans  de  ces  paniers  était  enduit  d'une  couche  d'as- 
phalte, qui  les  rendait  impénétrables  à  l'eau  et  aux 
liqueurs  fermentées  qu'ils  pouvaient  contenir. 

Les  tribus  de  la  Nouvelle-Albion  marchent  souvent 


DES    AMERICAINS.1  2<|3 

armées  de  poignards ,  de  fusils  et  de  pistolets ,  qu'ils 
achètent  des  Européens  et  particulièrement  des  Russes 
leurs  voisins.  Quoiqu'ils  soient  d'un  naturel  assez 
doux,  ou  n'ose  pas  se  fier  à  eux,  parce  qu'ils  sont 
rusés  et  vindicatifs. 

Florides.  —  Les  peuplades  qui  habitent  la  Floride 
et  les  pays  voisins  >  sont  les  Mulcoguges  ,  les  Siminoles  y 
les  Tschirokois  ,  les  Tschikasaks ,  les  Creeks  ou  Kricks 
et  les  Hiesan.   Chacun   de   ces    peuples    peut   fournir 
5  à  6000  guerriers  5  ils  sont  justes  ,   bienfaisans  ,  mais 
ils    se  méfient  des  Européens ,  parce  que   ceux-ci  les 
trompent   quand  ils  le   peuvent.   Leur  vengeance  est 
terrible  quand  ils  se  croient  offensés  :  ils  ont  cependant 
adopté  plusieurs  de  leurs  usages.   Ainsi  que  les  autres 
peuples   de   la   Floride  ,  ils  sont  hospitaliers,  braves  • 
fiers,  courageux,  bien  faits.  La  couleur  de  leur  peau 
est  olivâtre  ,  tirant  sur  le  rouge  à  cause   du  vermillon 
et  de  l'huile   dont  ils  se   frottent  le  corps.   Les  deux 
sexes  se  peignent  le  visage ,  ornent  leurs  têtes  de  plumes  7 
et  portent  pour   vêtement  des   étoffes,   des    peaux   de 
chevreuil   tannées  ,   et   des    manteaux    recouverts    en 
plumes  de  diverses  couleurs.  Leur  joie  s'exprime  par  le 
chant  et  la  danse.  Ils  ont  pour  instrumens  des  tam- 
bours ,  des  crécelles  ,  des  flûtes  de  roseau  ,  et  des  courges 
arrangées  en  forme  de  guitare.  Leurs   fêtés  nationales 
sont  consacrées  à  la  chasse  et  à  l'agriculture.  La  prin- 
cipale se  célèbre  au  mois  d'août  après  la  moisson  :  la 
cérémonie  consiste  à  remercier  le  ciel  5  après  quoi  ,  ils 
brûlent  leurs  vieux  meubles  et  dansent  autour  du  feu. 
Le   rez-de-chaussée  de  leurs  maisons  sert  presque  en 
entier  de    magasin    pour  leurs  provisions.    Le  maître 
reçoit  et  régale  ses  convives  sur  le  toit,  qui  est  plat,  et 

16* 


244  MOEURS,    USAGES    ET    AELIGIOîC 

auquel  conduit  un  escalier  en  bois.  Des  deux  côtés  il 
y  a  des  chambres  où  ils  couchent  et  se  réfugient  dans 
le  mauvais  temps.  Dans  le  milieu  est  la  salle  du  con- 
seil. Chaque  village  a  des  champs,  qu'on  cultive  en 
commun.  A  la  moisson  ,  chacun  reçoit  une  étendue 
de  terrain  et  recueille  ce  qui  s'y  trouve.  Outre  cela  ,  il 
y  a  un  magasin  général  pour  les  besoins  de  ceux  dont 
les  provisions  sont  finies.  Les  hommes  vont  à  la  chasse 
et  à  la  pêche  5  les  femmes  soignent  le  ménage  et  s'oc- 
cupent de  fixer  et  de  préparer  les  étoffes.  Les  Micos,  ou 
chefs  de  paix ,  sont  les  premiers  magistrats  :  on  les 
choisit  parmi  ceux  qui  se  distinguent  par  leur  éloquence 
et  leur  sagesse.  Après  eux?  le  chef  de  l'armée  a  le  plus 
d'autorité. 

Les  Florides  adorent  en  général  le  soleil  et  la  lune. 
Ils  leur  sacrifient  des  fruits  et  quelques  parties  des 
animaux  qu'ils  tuent.  Ils  jettent  ces  offrandes  dans  le 
feu  ?  et  prononcent  en  même  temps  des  prières.  Ils 
avaient  autrefois  des  temples  ,  qu'ils  ont  laissé  tomber 
en  ruine  depuis  que  les  Européens  les  ont  profanés. 
Quelques-uns  d'entre  eux  ont  adopté  la  religion  chré- 
tienne :  les  autres  vont  faire  leurs  prières  et  leurs  of- 
frandes dans  les  cavernes  qui  se  trouvent  dans  les 
montagnes.  Ils  font  esclaves  les  prisonniers  qui  tom- 
bent entre  leurs  mains.  Ceux  qui  s'allient  à  la  nation  ? 
soit  par  le  mariage  ,  soit  par  l'adoption  ,  en  deviennent 
membres  ,  et  jouissent  des  mêmes  prérogatives  que  leurs 
vainqueurs.  Quand  un  de  leurs  chefs  meurt,  le  village 
pleure  sa  mort  et  jeûne  pendant  trois  jours  5  ses  femmes 
se  coupent  les  cheveux  et  les  répandent  sur  sa  tombe  7 
où  est  exposé  le  vase  dans  lequel  il  buvait.  On  brûle 
sa  cabane ,  ses  armes ,  ses  meubles  ?  et  tout  ce  dont  il 


DES    AMÉHICA1N3.  24^ 

s'est  servi.  Ils  inspirent  aux  jeunes  garçons  un  courage 
guerrier  ,  et  les  laissent  assister  aux  assemblées  pu- 
bliques quand  ils  sont  dans  l'adolescence. 

Louisianois.  —  Sur  la  côte  méridionale  du  Mississipi 
on  rencontre  les  Craques  ,  les  Akausiens ,  les  Naqui- 
toches.  En  pénétrant  dans  l'intérieur  de  la  Louisiane  , 
on  arrive  chez  les  Akansas ,  qui  ont  la  peau  blanche 
comme  celle  des  Européens.  Ils  s'occupent  particuliè- 
rement du  labourage  ,  et  élèvent  une  grande  partie  de 
bestiaux. 

Les  Natchèz  formaient  autrefois  un  peuple  redou- 
table ,  gouverné  par  un  chef  suprême  5  nommé  le  Grand 
Soleil^  ayant  sous  ses  ordres  des  nobles  appelés  Soleils. 
Dans  les  guerres  désastreuses  qu'ils  ont  eues  avec  les 
Français  ,  le  Grand  Soleil  avec  une  grande  quantité 
d'autres  soleils  ayant  été  pris  et  conduits  à  la  Loui- 
siane, cette  nation,  dont  le  territoire  s'étendait  à  douze 
journées  du  nord  au  sud ,  et  à  quinze  de  l'est  à  l'ouest, 
s'est  trouvée  réduite  au  point  de  ne  plus  donner  de 
grandes  inquiétudes  aux  Français.  Comme  leurs  usages 
ne  différaient  guère  de  ceux  des  autres  habitans  de  la 
Louisiane  ,  je  les  comprendrai  avec  ceux  des  Alliba- 
mons  y  des  Taskikis,  des  Outachepas  ,  des  Tonicas  ,  des 
JtCaouytaSy  des  Abekas^  des  Talapouches,  des  Conchakis , 
des  Pakanas. 

Ces  peuples  peuvent  mettre  sous  les  armes  de  2,5  à 
3o,ooo  guerriers.  Ce  sont  des  hommes  d'une  belle 
taille.  Ils  élèvent  durement  leurs  enfans ,  les  font  bai- 
gner et  nager  dans  l'hiver  dès  la  pointe  du  jour.  Us 
disent  aux  j.eunes  gens,  qu'ils  ne  doivent  jamais  avoir 
peur  de  l'eau  j  qu'on  n'est  pas  homme  ,  quand  on 
pleure  lorsqu'on  est  mis  au  cadre  ou  brûlé  vif.   Avant 


2-46  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGION 

de  les  admettre  au  nombre  des  guerriers  ,  ils  leur  font 
des  scarifications  aux  cuisses,  à  la  poitrine  ,  sur  le  dos  } 
les  frappent  à  grands  coups  de  collier  de  cuir  en  forme 
de  bretelle  :  s'ils  supportent  ces  épreuves  sans  le 
moindre  signe  de  faiblesse,  on  les  reçoit  parmi  les! 
guerriers. 

Les  Louisianois  sont  fort  affables  ainsi  que  leurs 
femmes,  dont  la  plupart  sont  très-belles.  Lorsqu'on 
arrive  chez  eux  y  ils  viennent  vous  recevoir  à  l'endroit 
du  débarquement,  en  vous  donnant  la  main,  et  en 
vous  présentant  le  calumet,  qui  est  une  longue  pipe 
ornée  de  sculpture  et  de  peinture.  Lorsque  vous  avez 
fumé,  ils  vous  demandent  le  sujet  de  votre  voyage  ,  et 
si  vous  comptez  rester  parmi  eux.  Si  vous  dites  qu'oui, 
ils  vous  offrent  pour  femme  une  jeune  fille  ,  afin  de 
vous  fortifier  davantage  dans  votre  résolution.  Après 
cela,  ils  vous  apportent  de  îa  sagamite ,  composée  de 
maïs  concassé  qui  a  bouilli  dans  l'eau  avec  delà  viande 
de  chevreuil,  du  pain  fait  avec  de  la  farine  de  maïs  cuit 
sous  la  cendre,  des  poulets  d'inde  rôtis,  des  grillades 
de  chevreuil  ,  d'ours  $  des  beignets  frits  dans  l'huile  de 
noix,  des  châtaigne?  cuites  dans  la  graisse  d'ours  ,  des 
langues  de  chevreuil,  des  œufs  de  poule  et  de    tortue. 

La  cérémonie  du  mariage  est  comme  suit  :  le  futur 
époux  apporte  des  présens  en  pelleteries  et  en  vivres 
à  la  cabane  du  père-de  sa  prétendue  5  les  présens  agréés  , 
les  époux  sont  unis  de  suite.  On  fait  un  festin  auquel 
le  village  est ''envié  5  après  le  repas,  on  danse,  on 
chante  les  exploits  de  guerre  des  ancêtres  du  marié  5  le 
lendemain ,  le  plus  ancien  présente  la  nouvelle  mariée 
aux  païens  de  son  mari. 

Les  femmes  adultères  sont   fustigées  avec  des  ba» 


DES    AMÉRICAINS.  ^4/ 

guettes,  etleuis  séducteurs  éprouvent  le  même  châti- 
ment. On  leur  coupe  les  cheveux  et  on  leur  dit  :  ce  Vous 
pouvez  vous  marier  ensemble,  si  cela  vous  convient.  :» 
Le  séducteur  est  obligé  de  changer  de  village.  Si  c'est 
une  femme  qui  débauche  le  mari  d'une  autre,  les 
femmes  vont  trouver  la  coupable,  la  battent  avec  des 
bâtons  longs  comme  le  bras  ,  et  finiraient  par  la  tuer  , 
si  les  jeunes  gens  n'arrachaient  pas  les  bâtons  des 
mains  de  ces  furieuses.  Quand  un  mari  quitte  sa  femme 
par  rapport  à  son  caractère,  elle  est  obligée  de  rester 
veuve  un  an,  avant  de  pouvoir  convoler  en  secondes 
noces. 

Pour  la  mort  d'un  grand  chef  de  la  nation  ,  le  deuil 

consiste  à  ne  point  se  peigner  ni  se  baigner.  Les  hommes 

se  barbouillent  tout  le  corps  avec  du  noir  de  fumée  , 

'  qu'ils  délaient  dans  de  l'huile  d'ours  ,  et  renoncent  à 

toutes  sortes  de  divertissemens. 

Lorsqu'une  femme  perd  son  mari ,  elle  est  obligée  de 
porter  le  deuil  un  an  ,  et  de  renoncer  à  toute  parure» 

Ils  enterrent  leurs  morts  assis  ,  parce  que,  disent-ils, 
l'homme  est  droit  et  a  la  tète  tournée  vers  le  ciel,  sa 
demeure.  Ils  lui  donnent  un  calumet  et  du  tabac  à 
fumer,  pour  qu'ils  fassent  leur  paix  avec  les  gens  de 
l'autre  monde.  Si  c'est  un  guerrier,  on  l'enterre  avec 
ses  armes  ,  qui  consistent  en  un  fusil,  de  la  poudre, 
des  balles,  un  carquois  garni  de  flèches,  un  arc,  un 
casse-tète  ,  soit  massue  ou  hache.  On  lui  donne  aussi 
un  miroir,  du  vermillon  ,  pour  faire  toilette  aux  pays 
des  âmes. 

Lorsqu'un  homme  se  détruit  par  désespoir  ou  dans 
une  maladie ,  il  est  privé  de  la  sépulture  ,  et  jeté  dans 
la  rivière .  parce  qu:il  passe  alors  pour  un  lâche» 


248  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGIO» 

Quand  un  Allibamon  est  pris ,  il  compose  ainsi  sa 
chanson  de  mort.  «  Je  ne  crains  ni  la  mort,  ni  le  feu  5 
3>  faites -moi  bien  souffrir,  parce  que  ma  mort  sera 
y>  bien  vengée  par  ma  nation.  » 

La  croyance  de  ces  peuples  est  que  ,  s'ils  n'ont  point 
pris  la  femme  d'autrui  (  ce  qui  est  un  crime  capital  à 
leurs  yeux  )  ,  s'ils  n'ont  volé  ni  tué  personne  pendant 
leur  vie  ,  ils  iront  après  leur  mort  dans  un  pays  extrê- 
mement fertile,  où  ils  ne  manqueront  ni  de  femmes  , 
ni  d'endroits  propres  à  la  chasse ,  où  tout  leur  deviendra 
facile;  que  si ,  au  contraire,  ils  ont  fait  les  fous,  s'ils  se 
sont  moqués  du  grand  esprit,  ils  iront  après  leur  mort 
dans  un  pays  ingrat,  rempli  d'épines  et  de  ronces  ? 
où  il  n'y  a  ni  chasse  ni  femmes. 

Ce  rapport  du  capitaine  Bossu  dément  encore  tout 
ce  que  M.  Paw  a  débité  sur  la  constitution  de  ces 
peuples  et  leur  indifférence  pour  les  femmes. 

Le  pays  des  Kaouytas  est  situé  entre  la  Caroline 
et  la  Floride  orientale,  à  l'est  de  la  rivière  Mobile.  Ils 
n'ont  jamais  été  conquis  par  les  Espagnols  ,  auxquels 
ils  ont  voué  une  haine  éternelle. 

Les  Collapissas  et  les  Ouanchas  habitent  au-dessus 
de  la  Nouvelle-Orléans  5  ils  tuent  les  crocodiles,  en 
enfonçant  leurs  bras  armés  d'un  morceau  de  bois  dur, 
ou  de  fer  pointu  par  les  deux  bouts,  dans  la  gueule 
béante  de  l'amphibie  ,  lorsqu'il  s'avance  pour  les  dé- 
vorer. Ces  peuples  sont  guerriers  et  entreprenans,  aussi 
leur  nation  a-t-elle  considérablement  souffert  de  leurs 
guerres. 

Les  Chactas  peuvent  mettre  sur  pied  5  à  6000  guer- 
riers. Les  Chactas  aiment  la  guerre ,  ils  se  battent 
avec  beaucoup  de  sang-froid.  Il  y  a  des  femmes  qui 


DES    AMÉRICAINS.  2.^$ 

portent  une  telle  amitié  à  leurs  maris,  qu'elles  les 
suivent  à  la  guerre.  Elles  se  tiennent  à  côté  d'eux  dans 
les  combats  ,  avec  un  carquois  garni  de  flèches  ,  et  les 
encouragent  en  leur  criant  continuellement  qu'ils  ne 
doivent  pas  redouter  les  ennemis,  qu'il  faut  mourir 
en  véritables  hommes. 

Lorsque  les  Chacias  vont  en  guerre  ,  ils  consultent 
leur  manitou ,  c'est  le  chef  qui  le  porte  j  ils  l'exposent 
toujours  du  côté  où  ils  doivent  marcher  à  l'ennemi  5 
des  guerriers  font  sentinelle  autour  :  ils  ont  tant  de 
vénération  pour  lui,  qu'ils  ne  mangent  point  que  le 
chef  ne  lui  ait  donné  la  première  part.  Tant  que  la 
guerre  dure  ,  le  chef  est  exactement  obéi  5  mais  dès  qu'ils 
sont  de  retour,  ils  n'ont  de  considération  pour  lui  , 
qu'autant  qu'il  est  libéral  de  ce  qu'il  possède.  C'est  un 
usage  établi  parmi  eux,  que  lorsque  le  chef  d'un  parti 
a  fait  du  butin  sur  l'ennemi ,  il  doit  les  distribuer  aux 
guerriers  et  aux  parens  de  ceux  qui  ont  été  tués  dans 
les  combats,  pour  essuyer ,  disent-ils  ,  leurs  larmes.  Le 
chef  ne  se  réserve  pour  lui  que  l'honneur  d'être  le 
vengeur  de  la  nation. 

Sous  leurs  toits  de  roseaux  ils  bravent  la  mollesse  ; 
Leur  arc  et  leur  carquois  sont  leur  seule  richesse. 

(Poème  de  Jumonville  par  M.  Thomas.) 

Si  le  chef  d'un  parti  de  Chactas  ne  réussit  pas  dans 
la  guerre  qu'il  a  entreprise ,  il  est  obligé  de  descendre 
au  rang  de  simple  guerrier.  Ce  peuple  compte  pour 
rien  la  victoire  ,  quand  elle  est  achetée  au  prix  du  sang 
de  leurs  parens  et  de  leurs  amis  :  aussi  les  chefs  de  par- 
tis n'attaquent-ils  l'ennemi  que  lorsqu'ils  sont  sûrs  de 
vaincre  ,  soit  par  le  nombre,  soit  par  l'avantage  et  la 
position  des  lieux 5  mais  comme  leurs  adversaires  ont 


a5o  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGION 

la  même  ruse  ,  et  qu'ils  savent  aussi  bien  qu'eux  éviter 
les  pièges  qu'on  peut  leur  tendre  ,  c'est  aux  plus  lins  à 
l'emporter.  Pour  cet  effet  ,  ils  ne  marchent  que  la  nuit; 
s'ils  ne  sont  pas  découverts  ,  ils  attaquent  au  point  du 
jour.  Celui  qui  marche  le  premier,  porte  quelquefois 
devant  lui  un  buisson  fort  touffu  ,  et  comme  ils  le  sui- 
vent tous  à  la  file ,  le  dernier  efface  les  traces  du  pre- 
mier, et  arrange  les  feuilles  ou  la  terre,  sur  laquelle 
ils  passent ,  de  manière  qu'il  ne  reste  aucun  vestige 
qui  puisse  les  déceler.  Les  principales  choses  qui  ser- 
vent à  les  faire  découvrir  de  leurs  ennemis  ,  sont  la  fu- 
mée de  leurs  feux  ,  qu'ils  sentent  de  ior^  loin  ,  et  leurs 
pistes  ,  qu'ils  distinguent  d'une  manière  presqu'in- 
croyable.  M.  le  Bossu  rapporte  qu'un  sauvage  lui  mon- 
tra ,  dans  un  endroit  où  il  n'avait  rien  aperçu  ,  l'em- 
preinte des  pieds  de  Français  ,  de  sauvages  et  de  nègres 
qui  avaient  passé  ,  et  le  temps  qu'il  y  avait,  ce  J'avoue  , 
s*  dit-il ,  que  cette  connaissance  me  parut  tenir  du  pro- 
33  dige.  On  peut  dire  que  les  sauvages  ,  lorsqu'ils  s'ap- 
3>  pliquenfc  à  une  seule  chose  ,  y  excellent.  L'art  de  la 
y>  guerre,  chez  eux  ,  consiste  dans  la  vigilance  ,  l'at^ 
d>  tention  à  éviter  les  surprises  ,  et  à  prendre  l'ennemi 
3)  au  dépourvu  ,  la  patience  et  la  force  pour  supporter 
»  la  faim  ,  la  soif,  l'intempérie  des  saisons  ,  les  travaux 
33  et  les  fatigues  inséparables  de  la  guerre.  3> 

Celui  qui  a  tué  un  ennemi  ,  porte  en  trophée  la  che- 
velure du  mort  y  s'en  fait  piquer  ou  calquer  la  marque 
sur  le  corps,  puis  en  prend  le  deuil,  qui  dure  une  lune  t 
pendant  ce  temps-là  il  ne  peut  se  peigner,  en  sorte  que 
si  la  tète  lui  démange ,  il  ne  lui  est  permis  de  se  gratter 
qu'avec  une  petite  baguette  ;  qu'il  s'attache  exprès  au» 
poignet. 


\ 

DES    AMÉRICAINS.  S5l 

Les  Chactas  n'ont  aucun  souci  pour  l'avenir  ,  quoi- 
qu'ils croient  à  l'immortalité  Je  l'âme.  Ils  ont  une 
grande  vénération  pour  leurs  morts  ,  et  ne  les  enter- 
rent pas.  Lorsqu'un  Chactas  est  expiré,  on  expose 
son  cadavre  dans  une  bière  faite  d'écorce  de  cyprès , 
et  posée  sur  quatre  fourches  d'environ  i5  pieds  de 
haut.  Quand  les  vers  ont  consumé  les  chairs  ,  toute 
la  famille  s'assemble  ;  le  désosseur  démembre  le  sque- 
lette :  il  en  arrache  les  muscles,  les  nerfs  et  les  tendons 
qui  peuvent  en  être  restés,  puis  il  les  enterre,  et  dépose 
les  os  dans  un  coffre  ,  après  en  avoir  vermillonné  la. 
tête.  Les  parens  pleurent  pendant  toute  la  cérémonie  , 
qui  est  suivie  d'un  repas  ,  qu'on  donne  aux  amis  qui 
sont  venus  faire  leurs  complimens  de  condoléance , 
ensuite  on  porte  les  reliques  du  défunt  au  cime- 
tière commun  ,  dans  l'endroit  où  sont  déposées  celles 
de  ses  ancêtres.  Pendant  qu'on  fait  ces  cérémonies  lu- 
gubres ,  on  observe  un  morne  silence  5  on  n'y  chante  , 
ni  ne  danse  5  chacun  se  retire  en  pleurant. 

Dans  îes  premiers  jours  de  novembre,  ils  célèbrent 
une  grande  fête ,  qu'ils  appellent  la  fête  des  morts  ou 
des  âmes.  Chaque  famille  alors  se  rassemble  au  cime- 
tière commun,  et  y  visite,  en  pleurant,  les  coffres  fu- 
nèbres de  ses  parens  5  et  quand  elles  sont  de  retour  , 
elles  font  un  grand  festin. 

Les  sauvages ,  en  général ,  ont  beaucoup  de  vénéra- 
tion pour  leurs  médecins  ou  devins.  Ces  médecins 
guérissent  parfaitement  la  morsure  des  serpens  à  son- 
nettes et  des  animaux  venimeux,  les  coups  de  feu  , 
les  blessures  de  flèches.  Ils  commencent  par  sucer  la 
plaie  du  malade  ,  et  en  crachent  le  sang ,  ce  qu'on  ap- 
pelle en  France  ,  guérir   du  secret.  Ils  ne  se  servent 


25a  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGION 

dans  leurs  pansemens  ,  ni  de  charpie,  ni  de  pluma- 
ceaux  ,  mais  de  la  poudre  d'une  racine  qu'ils  souf- 
flent dans  la  plaie ,  pour  la  faire  suppurer  ,  et  d'une 
autre  poudre  qui  la  fait  sécher  et  cicatriser.  Ils  garan- 
tissent les  plaies  de  la  gangrène,  en  les  bassinant  avec 
une  décoction  de  certaines  racines  qu'ils  connaissent. 

Lorsqu'au  retour  d'une  guerre  ou  d'une  chasse  ,  ils 
sont  excédés  de  fatigues,  ils  se  restaurent  en  se  faisant 
suer  dans  une  étuve,  ou  cabane  ronde  en  forme  de  four, 
située  au  milieu  du  village.  Ces  étuves  sont  entretenues 
par  un  alekxi  ,  ou  médecin  public.  Ils  font  bouillir 
pour  cet  effet,  dans  l'étuve,  toutes  sortes  d'herbes  mé- 
dicinales et  odoriférantes,  dont  les  esprits  et  les  sels, 
enlevés  avec  la  vapeur  de  l'eau  y  entrent  par  la  respi- 
ration et  les  pores  ,  dans  le  corps  du  malade  ,  qui  re- 
couvre ses  forces  abattues.  Ce  remède  est  excellent  pour 
calmer  et  dissiper  toutes  sortes  de  douleurs  5  aussi  ne 
Toit-on  chez  eux  ni  goutte  ,  ni  gravelle  et  autres  in- 
firmités auxquelles  on  est  sujet  en  Europe.  On  n'y  voit 
point  de  gros  ventres  ,  comme  en  Hollande  et  en  An- 
gleterre ,  ni  de  grosses  tumeurs  à  la  gorge  appelées 
goitres. 

Les  Chactas  sont  tiès-alertes  et  très-adroits.  Les 
hommes  et  les  femmes  jouent  à  un  jeu  semblable  à  la 
longue  paume.  Le  but  est  éloigné  de  60  pas,  et  désigné 
par  deux  grandes  perches  ,  entre  lesquelles  il  faut  faire 
passer  le  balle.  La  partie  est  ordinairement  en  seize  ^ 
ils  sont  40  contre  4.0  ,  de  difiérens  villages  ,  et  tiennent 
chacun  en  main  une  raquette  longue  de  2  pieds.  Elle 
est  à-peu-près  de  la  même  forme  que  celles  de  France, 
faite  de  bois  de  châtaignier,  et  garnie  de  peau  de  che- 
vreuil.  La  raquette  des  femmes   diffère  de  celle  des 


DES    AMÉRICAINS.'  â53 

hommes,  en  ce  qu'elle  est  recourbée  ;  un  vieillard  jetta 
en  l'air,  au  milieu  du  jeu  ,  la  balle  ou  ballon ,  fait  de 
peaux  de  chevreuil  roulées  les  unes  sur  les  autres.  Les 
joueurs  courent  pour  l'attraper  arec  leurs  raquettes  5  ils 
se  poussent,  se  culbutent  les  uns  sur  les  autres.  Celui 
qui  a  l'adresse  d'attraper  la  balle  ,  la  renvoie  à  ceux  de 
son  parti  ,  et  réciproquement  ceux  du  parti  opposé  : 
ils  y  mettent  tant  d'ardeur  ,  qu'il  y  a  quelquefois 
des  épaules  de  démises.  Ces  joueurs  ne  se  fâchent  ja- 
mais. Les  paris  sont  considérables  5  les  femmes  pa- 
rient contre  d'autres  femmes  ;  elles  courent  les  unes 
contre  les  autres,  avec  une  grande  vitesse,  et  se  colet- 
tent  comme  des  hommes  ,  étant  aussi  légèrement  vê- 
tues qu'eux  ,  à  l'exception  d'une  petite  ceinture  qu'elles 
portent  au  milieu  du  corps.  Elles  ne  se  mettent  du 
rouge  qu'aux  joues  seulement  ,  et  du  vermillon  sur  les 
cheveux,  au  lieu  de  poudre. 

Les  enfans  s'exercent  à  tirer  de  l'arc  :  on  les  prend 
par  les  sentimens ,  sans  les  battre.  Ils  tuent  de  petits 
oiseaux  ,  en  soufflant  d'une  sarbacane  de  7  pieds  de 
long,  une  petite  flèche  garnie  de  bourre  de  chardon. 

Presque  toutes  les  assemblées  des  Chactas  se  tiennent 
pendant  la  nuit.  Ils  traitent  avec  le  dernier  mépris 
celui  qui  leur  manque  de  parole.  Quand  les  femmes 
sont  enceintes,  leurs  maris  î>'abstiennent  de  sel  ,  et  ne 
mangent  point  de  cochon  ,  de  peur  de  faire  tort  à  leurs 
enfans  5  les  femmes  vont  accoucher  dans  les  bois,  sans 
recevoir  aucun  secours  de  personne.  Aussitôt  qu'elles 
sont  délivrées ,  elles  lavent  elles-mêmes  leurs  enfans  9 
leur  appliquent  sur  le  front  une  motte  de  terre  ,  pour 
leur  aplatir  le  front  ,  et  à  mesure  qu'ils  prennent  des 
forces  ,  elles  augmentent  la  charge.  C'est  une  beauté 


û54  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGIOïf 

parmi  ces  peuples  d'avoir  le  devant  de  la  tête  platJ 
Elles  n'emmaillottent  point  leurs  enfans  ,  et  ne  les  ga~ 
rottent  point  dans  des  linges  avec  des  bandes  ;  elles 
ne  les  sèvrent  que  lorsqu'ils  se  dégoûtent  du  sein  ma- 
ternel ,  et  elles  les  couchent  dans  des  berceaux,  de  ma- 
nière qu'ils  aient  la  tête  de  3  ou  4  doigts  plus  basse 
que  l'estomac  :  c'est  pour-  cette  raison  que  l'on  ne 
voit  jamais,  parmi  les  sauvages,  ni  tortus,  ni  bossus. 

Quand  les  sauvagesses  se  sont  bien  purifiées  ,  elles 
retournent  à  la  cabane.  Elles  n'ont  pas  la  liberté  de 
corriger  les  garçons  ,  elles  n'ont  d'autorité  que  sur  les 
filles.  Si  une  mère  s'avisait  de  frapper  un  garçon  ,  elle 
recevrait  de  vives  réprimandes  ,  et  serait  frappée  à  son 
tour;  mais  si  son  petit  garçon  lui  manque,  elle  le 
porte  à  un  vieillard ?  qui  lui  fait  une  mercuriale,  puis 
lui  jette  de  l'eau  sur  le  corps. 

Quand  une  femme  fait  plusieurs  infidélités  ,  on  la 
condamne  alors  à  passer  par  la  prairie  .  c'est-à-dire,  que 
tous  les  jeunes  gens,  et  quelquefois  les  vieillards,  satis- 
font sur  elle  leur  brutalité  tour  à  tour.  Celui  qui  est 
assez  méprisable,  après  cette  punition,  pour  la  prendre 
pour  sa  femme,  est  méprisé  comme  elle. 

Les  Tchikachas  ne  sont  pas  aussi  nombreux  que 
les  Chactas ,  mais  ils  sont  plus  intrépides  et  plus  re- 
doutables. Ils  ont  jusqu'à  six  mille  guerriers  en  cam- 
pagne. Toutes  les  nations  du  Nord  et  du  Sud,  et  même 
les  Français,  leur  ont  fait  la  guerre,  sans  avoir  ja- 
mais pu  les  chasser  de  leurs  terres ,  qui  sont  les  plus 
belles  et  les  plus  fertiles  du  continent.  Ces  peuples  sont 
grands,  bien  faits,  et  d'une  bravoure  sans  égale.  Les 
Tchikachas  montent  très-bien  à  cheval  ;  ils  laissent 
aux  femmes  le  soin  de    cultiver  et  d'ensemencer   les 


DES    AMÉRICAINS.  ^55 

terres.  Le  sexe  est  beau  et  très-propre.  Lorsqu'un  Tchi- 
kachas  a  tué  un  chevreuil  ,  il  plante  une  perche  pour 
faire  connaître  que  ce  gibier  a  un  maître;  de  retour  au 
lo^is ,  il  dit  à  sa  femme   l'endroit  où  il  est  :  elle  va  le 
chercher,  le  dépouille  et  le  sert  à  son  mari.  Les  femmes 
ne  mangent  point  avec  les  hommes  ;  ils  ont  l7air  de  n'y 
pas  faire  attention  ,  cependant  ils  les  aiment  plus  qua 
toute  autre   nation.  A  l'égard  de  l'adultère  ,  les  Tchi- 
kachas  se  connectent    de  fustiger  les  deux  coupables 
qui  ont  été  pris  en  flagrant  délit  ,  en  les  faisant  courir 
nus  au  milieu  d  i  village  j   après  quoi  le  mari  répudie 
sa  femme. 

Les  Cherokees  ,  les  Chactaws  ,  les  Shawanoes  ,  leâ- 
JDelawares  de  la  rive  orientale  du  Mississipi  j  les  CaddoSj 
les  Coshattees,  les  Tauka^'kes  et  les  Comanches ,  peuples 
guerriers,  à  demi  civilisés,  ont  marché  le  22  août  18 17, 
avec  six  pièces  de  canon  servies  par  des  Européens  et 
des  Indiens  qui  entendent  ce  service  ,  pour  réduire  les 
Osages  qui  leur  enlèvent  continuellement  leurs  chevaux, 
et  tuent  leurs  petites  troupes  de  chasseurs.  Les  Osages, 
accoutumés  à  tout  braver  ,  se  sont  construit  des  forts  , 
dans  lesquels  ils  se  proposent  de  se  retirer  après  la  ba- 
taille qui  a  dû  avoir  lieu  entre  les  rivières  d'Ouchitta  et 
d'Akansas  ,  dans  un  endroit  nommé  the  six  bulls  (  les 
six  taureaux),  proche  de  la  ligne  des  limites.  Ces  peuples 
peuvent  mettre  sur  pied  une  trentaine  de  mille  hommes, 
taut  cavalerie  qu'infanterie ,  armés  de  fusils  et  de  ca- 
nons. 

Les  Attal-apas  ,  ce  nom  parmi  les  peuples  de  l'Amé- 
rique signifie  mangeurs  d'hommes.  Quand  ils  prennent 
un  ennemi  auquel  ils  en  veulent ,  ils  font  entr'eux  un 
grand  régal  de  sa  chair.   Ils  vivent  ordinairement  de 


2-56  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGIOtf 

poisson  ,  et  boivent  de  la  cassine  ;  ils  parlent  aussi  par 
signes  ,  et  font  de  longues  conversations  pantomimes. 
Les  Attakapas  sont  armés  d'arcs  et  de  flèches  extrême- 
ment grandes  :  ils  cultivent  le  maïs  et  d'autres  végétaux 
comme  les  peuples  de  l'Amérique  Septentrionale.  Les 
Espagnols  du  Nouveau -Mexique  n'ont  jamais  pu  Jes 
soumettre.  Ils  ont  eu,  dans  des  circonstances  pressantes, 
jusqu'à  12  mille  combattans. 

M.  De  Belle-Isle  s'étant  égaré  dans  les  bois  avec  plu- 
sieurs autres  Français  qui  moururent  de  faim,  erra 
quelque  temps,  jusqu'à  ce  qu'enfin  il  rencontra  un 
parti  de  ces  sauvages  qui  faisaient  boucaner  de  la  chair 
humaine  et  du  poisson.  Ils  s'avancèrent  vers  cet  officier, 
qu'ils  prirent  pour  un  spectre ,  tant  il  avait  maigri.  Ils 
lui  présentèrent  de  la  chair  humaine  5  mais  il  préféra 
du  poisson.  Quand  il  l'eut  mangé,  ils  le  conduisirent 
à  leur  village,  où  il  eut  le  bonheur  d'être  l'esclave  d'une 
femme  veuve  déjà  sur  le  retour.  M.  De  Belle-Isle  étant 
parvenu  à  captiver  sa  patrone ,  elle  l'adopta.  Il  fut  dès 
ce  moment  mis  en  liberté  ,  et  réputé  homme  de  la  na- 
tion ,  où.  il  resta  environ  deux  ans  ,  que  des  députés 
d'une  nation  qui  apportait  le  calumet  de  paix  aux  At- 
takapas ,  le  ramenèrent  au  Biloxis ,  qui  était  alors  le 
chef-lieu  de  la  Louisiane.  M.  de  Bienville,  gouverneur 
de  cette  colonie ,  pour  reconnaître  le  bon  traitement 
que  les  Attakapas  avaient  fait  à  M.  de  Belle-Isle,  envoya 
un  présent  à  cette  nation,  et  en  adressa  un  autre 
à  la  veuve  qui  avait  adopté  et  protégé  M.  de  Belle- 
Isle. 

Ces  peuples,  qui  ne  s'attendaient  point  à  la  générosité 
du  gouverneur,  lui  envoyèrent  des  députés  pour  le  re- 
mercier  et  faire  alliance  avec  les  Français.  La  patrone 


i)ES    AM^RÎC  AIISTS.  '±5j 

de  M.  de  Belle-Isle  y  était  en  personne.  Le  chef  de  la 
députation  adressa  à  M.  de  Bienville  le  discours  sui- 
vant, dontM.  de  Belle-Lsle  fut  l'interprète.  ccMcm  pèrej 
<c  le  blanc  que  tu  vois  ici ,  est  ta  chair  et  ton  sang  3  il 
«  nous  avait  été  uni  par  adoption.  Ses  frères  sont  morts 
te  de  faitn  5  s'ils  eussent  été  rencontrés  plus  tût  par  nv. 
et  nation  ,  ils  vivraient  encore  ,  et  auraient  joui  des 
«  mêmes  prérogatives.  33 

L'hospitalité  que  les  Attakapas  exercèrent  envers 
M.  de  Belle-lsle  ,  fait  voir  ,  dit  M.  le  Bossu,  que  l'on 
rie  doit  regarder  leur  cruauté  que  comme  un  défaut 
d'éducation  ,  et  que  la  nature  les  a  rendus  susceptibles 
d'humanité. 

M.  de  Bienville  leur  fit  promettre  de  renoncer  à  leui: 
horrible  coutume.  Ils  le  lui  promirent ,  tinrent  parole^ 
et  depuis  Cette  époque  ils  ont  toujours  traité  humaine- 
tnent  les  Français; 

Les  grossiers  hanitans  de  ces  lointains  rivages, 
Formés  par  nos  leçons  ,  instruits  par  nos  usages  \ 
Dans  Véeole  des  arts  et  de  l'humanité  , 
De  leurs  sauvages  mœurs  corrigent  l'âprete. 


Leur  cœur  simple  et  naïf,  dans  sa  férocité, 
Respecte  des  Français  la  sage  autorité. 
Le  Français  bienfaisant  console  leur  misère  , 
Les  aime  en  citoyen  et  les  gouverne  en  père. 

(  Poème  de  Jumonvîlle.) 

Canadiens  et  autres  peuples  du  Nord.  —  Les  Indiens 
qui  habitent  le  sud  du  Canada  et  la  partie  de  l'ouest  1 
sont  les  Pouteouatemis y  les  Sakis  ,  les  Malhominys  ? 
les  Nadouesses  .  (Ies  Missouris  ,  les  Panis  ,  les  Ouëne- 
begons  ,   les   Puants  ?  les  Ouiagamis  y  les  Renards      les 


2.58  MOEURS,    USAGES    ET    HELIGIOÎT 

Maskoutechs  ,  les  JMlamis ,  les  Killabons  ,  les  Illinois  1 
les  Sioux  ,  les  Nadouags  ,  les  Ayoës  ,  etc. 

Les  Pouteouaternis  ,  les  Illinois,  les  Outagamis  , 
et  les  Miamis,  sont  doux,  affables,  caressans  ,  fidèles  ; 
ils  dédaignent  les  autres  Indiens.  Leur  taille  haute  et 
dégagée  ,  leur  esprit  et  leur  bon  sens,  les  font  générale- 
nient  respecter;  aussi  se  sont-ils  rendus  les  arbitres  de 
toutes  les  nations  qui  les  avoiainent. 

Les  Sakys ,  quoique  habitant  souvent  les  mêmes 
villages  que  les  Pouteouaternis  ,  ont  le  caractère  et  les» 
mœurs  bien  différens.  Ils  sont  mutins  ,  voleurs  ,  men- 
teurs j  mais  ils  aiment  le  travail,  et  sont  fort  bons  chas- 
seurs. 

Les  Malhominis  sont  bons  ,  braves  gens  et  grand» 
guerriers  ,  mais  avares  et  très-intéressés.  La  pêche  est 
leur  principale  occupation. 

Les  Illinois  habitent  à  l  orient  ,  près  du  Mississipi. 
Ils  sont  parfois  larrons  ,  mutins  ,  séditieux  ,  ce  qui  les 
rend  ennemis  de  presque  tous  leurs  voisins  ,  qui  ne  sa- 
vent comment  s'en  venger,  parce  qu'ils  sont  bons  sol- 
dats, guerriers  fins  et  rusés  j  ils  ne  connaissent  point 
le  danger.  Du  reste ,  ils  sont  humains,  actifs,  indus- 
trieux, et  vivent  de  l'agriculture. 

Un  peu  vers  le  nord,  on  trouve  les  Sioux  ,  peuple 
nomade,  très-nombreux  j  et  en  allant  vers  l'Occident, 
les  Missouris. 

Les  Puants  ,  aujourd'hui  les  Menomonies  ,  habitent 
les  bords  de  la  Baie-Verte.  Ils  sont  traîtres  ,  voleurs, 
parjures,  sans  mœurs.  Autrefois,  ils  ne  souffraient  point 
qu'un  étranger  pénétrât  chez  eux  ,  et  faisaient  bouillir 
dans  des  chaudières  ceux  qu'ils  attrapaient.  Aujouf- 


ÊfeS    AMERICAIN  Si  aS 

tThui  ,  ils  sont  en-ans  et  peu  nombreux,  parce  qu'ils 
sont  en  horreur  chez  toutes  les  nations 

Autour  du  lac  Huron  ,  habitent  les  Ilurons  ,  qui 
composent  cinq  nations  connues  sons  le  nom  de  Séné* 
céens  f  à' ]  Abanaqaiens  ,  à'Ottogames  ,  à*  ÀtaVees  ,  de 
Saquiens.  Vers  l'est  du  Canada,  sont  les  Cf/ippe-ways  , 
les  Nansovakatous  ,  les  Sauteurs  ,  les  Missi  -  Sakis  ,  les 
-Amikoucst.  Ces  différens  peuples,  qui  sont  les  pins  doux, 
1rs  plus  civilisés  du  Canada,  font  leur  séjour  ordinaire 
à  Michillimakinac  ,  fort  à  060  lieues  de  Québec  : 
c'est  là  que  se  rassemblent  les  Européens  qui  veulent 
faire  la  traite  avec  les  sauvages,  qui  s'y  rendent  de 
toutes  parts  pour  la  vente  de  leurs  pelleteries. 

Autour  du  lac  Népicing  ,  vivent  les  Népicîngs  ,  les 
gens  de  la  Loutre,  les  Cynagos  ,  les  Kikakoi:s  ,  les 
Algonkins,  les  Outaouaks.  Les  sauvages  sont  redevables 
«le  l'invention  des  canots  d'écorce  de  bouleau  ,  aux 
JSfépicings  ,  qui  ne  le  cèdent  en  rien  aux  Hurons,  aux 
Outaouaks  ,  pour  les  mœurs  et  le  caractère.  Ils  sont 
généreux  et  humains,  mais  fiers  et  bons  guerriers  ,  insi-< 
ïiuansetsagesdans  toutes  leurs  entreprises.  Comme  eux, 
ils  sont  subies  ,  prévoyans  ,  craignant  la  misère  ,  pen- 
sant toujours  à  l'avenir  et  à  leur  famille  ;  bien  différens 
en  cela  des  Missi  Sakis,  et  des  gens  de  la  Loutre,  qui, 
quoique  habitant  le  même  pays  ,  imitent  les  sauvages 
du  nord  ,  sans  toutefois  en  avoir  la  férocité. 

Les  Missi-Sakis  sont  les  moins  sociables  de  toutes 
les  nations:  ils  sont  dédaigneux,  fiers,  pleins  d'orgueil, 
msolens  et  moins  courageux  que  les  autres  peuplades. 

Les  gens  de  la  Loutre  sont  bruts  et  vrais  misan- 
thropes 5  ils  se  cachent  dans  le  creux  des  rochers  iuacces- 

17* 


2^0  MOEURS,    USAGES    ET    IlELfOÏOft' 

sibles.  Ils  ne  Tont  à  la  chasse  que  lorsque  la  faim  tes 
presse. 

Les  sauteurs  passent  pour  la  nation  la  plus  leste  £ 
ils  atteignent  les  cerfs  à  la  course  ;  ils  regardent  comme 
un  jeu  ,  de  se  précipiter  avec  un  petit  canot  d'éoorce  , 
dans  les  bouillons  des  cascades  les  plus  élevées  du  Nia- 
gara. 

Les  Iroquois  ,  appelés  aujourd'hui  les  Mokawks  du 
Canada,  habitent  les  bords  du  lac  Ontario.  Ils  forment 
cinq  nations  connues  sous  le  nom  &  Anatoques,  de  Tso- 
nontouans  ,  à^Onoyouts ,  tfAgniés ,  et  de  Coyogoans.  Ils 
n'ont  jamais  voulu  reconnaître  d'autre  souverain  que 
Dieu  seul.  Ils  passent  pour  les  plus  lins  et  les  plus  in- 
trépides guerriers.  Sans  cesse  en  course  sur  leurs  voisins^ 
leurs  succès  militaires  leur  ont  donné  une  grande 
supériorité  sur  toutes  les  autres  nations,  et  leur  font 
tenir  le  premier  rang  depuis  plusieurs  siècles. 

Les  montagues  et  les  rochers  du  nord  sont  occupés 
par  les  Monsonis  ,  les  Ahissiniboëls  5  les  Otanlabis  , 
les  Ivlichacondibis  ,  les  Chichigoueks  ,  etc.  :  ils  sont  er- 
rans  ,  grossiers,  sanguinaires  ,  vivent  de  chasse,  d& 
pêche,  souvent  même  d'herbes  et  d'écorce  d'arbres. 

Les  Chépéouans  habitent  le  pays  qui  s'étend  depuis 
la  source  de  la  rivière  de  la  Paix,  se  prolonge  jusqu'aux 
eaux  de  la  Columbia,  qu'elle  suit  jusqu'à  la  latitude  de 
5a  degrés  ,  2  min.  nord.  Là,  les  Chépéouans  sont  bor- 
nés par  le  territoire  des  Athnas  ou  Tchiens  ,  peuples 
très-peu  connus.  Les  Chépéouans  sont  errans  et  toujours 
en  guerre  avec  les  Eskimaux.  Ils  sont  jaloux  de  leurs 
femmes,  et  les  forcent  à  tirer  des  traîneaux  portant 
2-00  livres  pesant* 


T)ES    AMERICAINS. 


26l 


Il  y  a  aussi  d'antres  Indiens  nommés  les  Indiens- 
esclaves  ,  les  Indiens  Côte-dt-chien,  les  Indiens-lièvres  : 
on  ignore  leurs  mœurs  ,  lenr.s  usages  et  leur  religion. 

L,asKnds  ou  Christinaux  sont  d'une  stature  médiocre, 
bien  proportionnés,  d'une  extrême  agilité*,  ils  ont  les 
yeux  noirs,  perçans,  très-expressifs,  et  d'une  physio- 
nomie agréable  et  ouverte  }  ils  se  peignent  le  visage  de 
diverses  couleurs,  et  portent  des  habits  ornés,  avec 
goût  5  mais  pour  chasser,  ils  préfèrent  souvent,  malgré 
le  froid,  courir  presque  nus.  Leurs  femmes  sont  les 
plus  jolies  de  celles  de  l'Amérique  septentrionale:  leur 
taille  est  bien  proportionnée  ,  et  la  régularité  de  leurs 
traits  serait  louée  chez  les  peuples  de  l'Europe  les  plus 
délicats.  Ces  sauvages  sont  doux,  bienveillans,  probes , 
généreux  et  hospitaliers. 

Les  Eskimaux  et  les  Groënlandais  ,  peuples  chas- 
seurs et  pêcheurs,  sont  vindicatifs  quand  on  les  irrite, 
et  courageux  quand  011  les  attaque.  Paisibles  par  carac- 
tère, ils  s'occupent  plus  de  chercher  leur  existence  que 
les  moyens  de  quereller  leurs  voisins. 

ce  Les  sauvages  du  Canada  sont  en  général  d'une 
»  taille  haute  et  svelte  *  ils  sont  bien  faits,  bien  pro- 
3>  portionnés  ,  lestes  ,  adroits  ,  robustes  et  d'un  fort  tem- 
3>  pérament.  On  en  rencontre  rarement  de  difformes. 
r>  On  a  vu  des  sauvages  de  cent  douze  et  de  cent 
3>  vingt  ans  :  il  n'est  pas  rare  de  voir  chez  eux  des 
»  vieillards  de  cent  ans.?)  Lequel  croire  de  M.  le  che- 
valier Grasset  Saint- Sauveur,  ci-devant  vice -consul 
en  Hongrie,  qui  a  résidé  dix  ans  dans  l'Amérique 
septentrionale,  ou  de  M.  Paw  ,  qui  n'a  jamais  vu  ce 
pays  ni  aucun  de  ses  habitons? 

ce  Les     Canadiens    ont   les    dents    superbes,    le   ne? 


202  MOEURS,    USAGES    ET    RELIGION 

3)  aquilin  ,  les  yeux  grands,  beaux,  bien  fendus  et 
»  noirs  5  les  traits  de  leur  \isage  sont  larges  et  bien 
»  prononcés  j  leur  extérieur  annonce  ce  qu'on  doit  en 
»  attendre;  leur  port  est  majestueux,  et  leur  marche 
»  fière  et  imposante  :  leur  peau  blanche  estcomme  celle 
o)  des  Européens  5  mais  ils  la  rendent  basanée  par 
»  leur  nudité,  le  grand  air,  leurs  fatigues,  les  fric- 
:»  tions  d'huiles,  de  graisses,  de  sucs  d'herbes  et  de 
»  vermillon  ,  dont  ils  font  usage.  Ils  s'arrachent  la 
3)  barbe  et  toute  efiiorescence  de  poils  sur  foutes  les 
3>  parties  du  corps,  comme  messéantes,  et  ne  conse.^- 
»  vent  que  les  cheveux,  les  cils  et  les  sourcils.  *> 

Les  femmes  sont  bien  faites,  bien  proportionnées  et 
fort  jolies:  elles  ont  les  yeux  brillans  et  superbes,  les 
dents  très-blanches  et  la  bouche  fort  petite  5  leur  gorge 
est  saillante,  bien  placée  et  parfaitement  arrondie  5 
lenr  respiration  est  douce  et  suave,  etc.,  etc.  Les  far- 
deaux énormes  qu'elles  portent  parfois,  et  l'habitude 
qu'elles  ont  de  s'asseoir  sur  leurs  talons,  leur  font 
perdre  à  la  longue  l'élégance  des  formes,  et  leur  dou- 
aient un  air  voûté  et  déhanché,  (pag.  i5,  Tahleauoc 
Cosmographiques  de  P  Améritjue  j  par  M.  le  chevalier 
Grasset,  etc.) 

L'habillement. de  ces  diverses  nations  est,  à  peu  de 
chose  près,  comme  celui  des  autres  Indiens  dont  j'ai 
parlé.  Celles  qui  sont  voisines  des  Européens  ont 
adopté  plusieurs  de  leurs  coutumes,  de  leurs  vices,  et 
l'usage  pernicieux  des  liqueurs  fortes  qui  ont  porté 
une  altération  sensible  dans  leur  caractère.  Le  cœur 
de  ces  Indiens  est  encore  plein  des  cruautés  exercées 
envers  eux  et  leurs  voisins,  par  les  premiers  conqué- 
rant qui  sont  venus  envahir  leur  pays 5    ils  tournent 


T>ES    AMERICAINS.1  263 

constamment  contre  eux  tontes  les  ressources  de  leur 
politique;  et  par  une  suite  de  ce  principe,  ils  ne  font 
point  de  quartier  à  l'Européen  qu'ils  font  prisonnier. 
Mais  depuis  qu'ils  trafiquent  avec  les  Anglais,  les 
Américains  et  antres  peuples,  ils  vendent  leurs  pri- 
sonniers 5  ceux  qui  ne  le  sont  pas  deviennent  esclaves, 
à  l'exception  de  quelques-uns  ,  qui  sont  condamnés  à 
être  brûlés  vifs.  Ils  écorchent  les  ennemis  tués,  en 
conservent  les  peaux  comme  un  trophée. 

Leur  religion  (dit  le  professeur  Schaefer),  consiste 
dans  de  bons  et  de  mauvais  génies.  Ils  s'imaginent 
que  chajne  homme  qui  sait  manier  l'arc,  a  une 
divinité  tutelaire.  T  .s  sacrifient  aux  mauvais  génies  - 
des  plantes  et  des  animaux ,  pour  les  apaiser  et  se  les 
rendre  plus  favorables  5  ils  sont  persuadés  de  l'existence 
de  l'homme  après  sa  mort:  croient  aux  songes,  et  les 
regardent  comme  des  révélations.  Sans  avoir  de  culte 
public  ,  ils  ont  des  prêtres  qui  se  disent  inspirés  ,  et  qui 
leur  servent  de  médecins.  Plusieurs  Indiens  ont  été 
convertis  au  christianisme;  mais  ils  sont  loin  de  con- 
naître l'esprit  de  cette  religion:  ils  se  contentent  de 
réciter  quelques  prières  et  dlobserver  certaines  cérémo- 
nies. 

Dans  les  maladies  ,  qui  sont  très-rares  parmi  ces 
peuples,  à  cause  de  leur  vie  active  et  de  leur  sobriété 9 
ils  souffrent  avec  une  patience  incroyable 5  si  le  méde- 
cin abandonne  le  malade,  tout  le  monde  le  quitte  ,  et 
il  meurt  sans  secours*,  alors  il  fait  préparer  le  dernier 
repas,  et  prend  congé  de  sa  famille  et  de  ses  amis. 

Il  y  a  do,  peuplades  qui  tuent  leurs  malades  quand 
ils  sont  incurables  ,  pour  les  délivrer  de  leurs  douleurs, 
Chez  d'autres,  si  une  femme   meurt  en  couches,  on. 


a&4  MOEURS,    USAGES    ET    REUGïOS 

enterre  l'enfant  avec  elle  ,  parce  qu'ils  penseiit  qu'ayanf 
perdu  sa  nourrice  ,  il  ne  peut  pas  vivre. 

Ils  ont  un  grand  respect  pour  les  morts.  Ils  décorent 
le  cadavre  de  ses  plus  beaux  vêtemens  ,  et  le  déposent 
dans  son  tombeau  avec  beaucoup  de  cérémonies.  Dans 
ces  occasions  ,  la  famille  donne  un  grand  festin  auquel 
elle  n'assiste  pas  ;  elle  se  cache  au  fond  de  la  cabane  g 
se  coupe  les  cheveux  et  se  couvre  la  tête.  Les  hommes 
n  osent  point  pleurer  leurs  femmes  5  mais  celles-ci  por- 
tent ,  pendant  un  911,  le  deui!  de  leurs  maris. 

Si  la  vue  d'un  Européen  ou  d'un  ennemi  quelçon-; 
que  leur  inspire  la  méfiauce,  et  quelquefois  la  rage % 
il  n'en  est  pas  <\e  même  entr'enxj  ils  se  prêtent  mu- 
tuellement secours,  se  partagent  le  boire,  le  manger^ 
et  risquent  leur  vie  pour  leur  défense  réciproque,  Les 
pères  et  mères  élèvent  leurs  enfans  à  la  dure  ?  à  la  pv\% 
,vation  :,  mais  ils  ne  les  frappent  jamais. 

En  général,  le  caractère  et  les  mœurs  des  Indiens, 
4u  Canada  est  un  mélange  de  férocité  et  de  douceur» 
L'hospitalité  est  en  vénération  chez  eux*  quiconque 
oserait  violer  ce  lien  sacré,  serait  puni  du  dernier 
supplice.  Ils  ont  l'esprit  vif.  ingénieux,  la  répartie 
prompte  ,  et  font  leurs  discours  sans  s'y  être  préparés  ^ 
lascifs  sans  bornes ,  ils  ne  «ardent  aucune  mesure  dans 
le  commerce  des  femmes. 

La  danse  et  le  chant  sont  les  principaux  plaisirs  de 
leurs  fêtes  :  il  y  en  a  qui  durent  quatre  jours  et  quatre 
nuits  ,  pendant  lequel  temps  aucun  des  convives  n'ose 
se  livrer  au  sommeil  5  ils  aiment  aussi  passionnément 
le  jeu  d'osselets,  de  paume  ,  dont  nous  avons  parlé  ,  la 
course ,  la  lutte. 

Les  sauva  ses  du  Canada  ne  sont  asservis  à  au  eu  11$ 


s3 


^ 


^ 


^ 


n: 


DES    AMÉRICAINS.  2-65 

Subordination  civile  ou  militaire  ]  chaque  famille  se 
choisit  un  chef  particulier  qui  préside  en  son  nom  aux 
grandes  assemblées  5  le  coupable  trouve  un  tribunal 
çuns  sortir  de  la  maison  paternelle  5  ses  parens  le  li- 
vrent à  la  famille  de  ceux  qui  ont  reçu  l'injure  ,  et  qui  ,- 
pour  l'ordinaire,  lui  font  subir  la  peine  due  à  son 
crime.  Ces  sentences  domestiques  sont  confirmées; 
(l'avance  parle  grand  chef  civil  de  la  nation  (ou  juge- 
de-paix). 

Le  grand  chef  de  guerre,  qui  est  la  seconde  di- 
gnité, détermine  ordinairement  tout  ce  qui  a  trait 
aux  chasses 5  il  décide  de  la  guerre  et  de  la  paix.  Déjà 
fameux  par  ses  exploits  militaires,  il  marche  toujours 
à  la  tête  des  guerriers  5  il  leur  donne  l'exemple  d'un 
vrai  courage  et  d'une  intrépidité  sans  bornes.  Ces  deux 
chefs  ne  prononcent  jamais  en  souverains  5  ils  n'oiat 
que  le  droit  de  parler  Ces  premiers  dans  les  grandes 
assemblées,  et  de  proposer  leur  avis  de  cette  manière: 
ce  Je  pense  que  telle  chose  est  utile.  3)  Par  cette  mé-* 
thode  ,  ce  que  le  commandement  aurait  de  révoltant 
pour  des  esprits  aussi  indéperidans ,  est  remplacé  par 
une  sorte  d'autorité  persuasive  ,  qui^  à  peu  de  chose 
près,  a  l'eftet  d'un  ordre  absolu. 

Ils  ont  \me  mémoire  si  fidèle,  qu'ils  se  rappellent 
toute  leur  vie  un  chemin  où  ils  amont  passé,  \mtl 
lieu  qu'ils  auront  vu,  un  discours  qu'ils  auront  pro-? 
non  ce  dans  une  de  leuis  assemblées  publiques.  La 
mousse  des  arbres  ,  le  mouvement  du  soleil ,  des  étoiles,» 
les  dirigent  à  travers  les  forets  les  plus  épaisses.  Us 
connaissent  si  bien  leur  pays,  qu*ils  en  tracent,  avee 
la  plus  grande  exactitude,  la  carte  sur  le  sable  j  ils  se 
communiquent  leurs  idées  par  certaines  peintures  hiw-. 


2.66  MOEU3S,     USAGES     ET    REEIGIOTT 

roglyphiques  :  ainsi  ,  lorsqu'ils  sont  en  course  ,  ils  dé- 
pouillent de  leur  écorce  les  arbres  qui  se  trouvent  sur 
leur  chemin  ,  et  peignent  sur  le  tronc  certains  signes, 
pour  informer  leurs  partis  dispersés,  de  la  route  qu'ils 
doivent  prendre  pour  les  rejoindre. 

Lorsque  la  guerre  est  déclarée  ,  on  choisit  un  chefj 
il  est  obligé  de  jeûner  pendant  plusieurs  jours  sans 
proférer  une  parole  5  puis  ,  il  assemble  les  troupes  et 
les  harangue  5  après  quoi,  on  le  lave  ,  on  lui  peint  le 
corps  ,  on  l'habille  en  guerrier  avec  les  marques  dis— 
tmctives  de  sou  grade;  ensuite,  on  entonne  le  chant 
funèbre,  qui  est  suivi  d'un  festin  général}  une  hache 
teinte  de  sang  est  envoyée  à  l'ennemi,  et  tient  lieu  de 
manifeste. 

Parmi  leurs  armes,  on  remarque  le  Tomahawk , 
espèce  de  petite  hache,  qui  a  une  pointe  de  fer  de  6 
pouces  du  côté  opposé  à  la  hache  ;  le  manche  est 
creux,  et  sert  de  pipe  en  y  adaptant  un  foyer.  Ils  se 
couvrent  d'un  casque  de  bois,  de  brassards  ,  de  cuis- 
sards, et  portent  des  boucliers  de  cuirs,  des  fusils  et 
des  sabres:  une  écorce  d'arbre  sur  lequel  on  a  gravé 
les  armes  de  la  nation,  et  qu'on  attache  au  bout  d'un 
bâton  ,  forme  l'étendard  et  sert  de  ralliement. 

C'est  toujours  une  nation  neutre  qui  se  charge  des 
négociations  de  paix.  Dans  ce  cas  ,  les  députés  se  pré- 
sentent aux  deux  armées,  en  dansant  avec  le  calumet, 
ou  la  pipe  de  paix  ,  qui  est  orné  de  plumes  de  diverses 
couleurs.  Si  l'on  s'arrange  ,  on  enterre  la  hache  qui  a 
servi  de  déclaration  de  guerre.  Les  députés  présentent 
aux  chefs  le  -wampum  ,  ceinture  composée  de  plusieurs 
cordons  enfilés  dans  des  moules,  et  ils  fument  tour-à- 
tour  dans  le  calumet. 


DES    AMÉRICAINS.  Û&7 

La  course  Je  l'allumette  souffrée  est  la  manière 
dont  les  Iroquois  sollicitent  les  faveurs  d'une  femme. 
Pour  cet  effet  ,  ils  vont  avec  un  morceau  de  bois  souf- 
fre et  allumé,  trouver  leur  maîtresse  lorsqu'elle  est 
couchée-,  si  elle  souffle  le  tison  ,  l'amant  jette  son 
flambeau  et  se  précipite  dans  les  bras  de  celle  qu'il 
adore  5  si  elle  ne  souffle  point  la  lumière  ,  i'Iroquois  se 
retire  en  silence. 

La  cérémonie  du  mariage  se  fait  ainsi  :.  Les  deux 
futurs  se  placent  debout  sur  une  natte,  tenant  chacun 
le  bout  d'un  bâton  de  4  pieds  de  long  $  un  vieillard  , 
placé  entre  eux  deux,  leur  fait  un  discours  sur  les  de- 
voirs qu'ils  ont  à  remplir.  Aussitôt  qu'il  a  fini,  ils 
cassent  le  bâton:  les  parens  et  les  amis  dansent,  ensuite 
se  régalent,  et  le  nouveau  marié  emmène  sa  femme 
chez  lui. 

Leurs  principales  chasses  sont  contre  les  ours  et  les 
élans.  La  chasse  aux  ours  dure  depuis  le  mois  de  novem- 
bre jusqu'au  mois  d'avril.  Quand  un  chasseur  en  a  tué 
une  certaine  quantité,  il  est  mis  au  nombre  des  guer- 
riers renommés,  et  on  fait  en  son  honneur  un  festin  du 
plus  grand  ours.  Il  y  a  peu  de  tribus  qui  aient  exacte- 
ment le  même  îdiômej  ils  n'ont  pour  converser  et  trans- 
mettre leurs  idées,  qu'une  écriture  hiéroglyphique  y 
qui  est  très-difficile  à  deviner  pour  celui  qui  n'en  a  pas 
la  clé.  Toutes  ces  nations  occupent  un  vaste  pays; 
mais  elles  se  trouvent  resserrées  à  mesure  que  les  Amé- 
ricains s'étendent.  Un  jour  viendra,  sans  doute,  où 
elles  achèteront  la  civilisation  au  prix  de  leur  liberté* 


%>68  RESISTANCE  DES  PREMIERS  AMERICAIKS, 

CHAPITRE    III. 

Sur  la  résistance  des  premiers  Américains  ,  lors 
de  l  invasion  de  leur  pays. 

On  attribue  assez  généralement  la  première  décou» 
Terre  de  l'Amérique  à  Christophe  Colomb  5  mais 
comme  il  est  maintenant  universellement  reçu  que  le 
Groenland  fait  partie  de  ce  vaste  continent,  on  doit 
alors  en  faire  remonter  la  découverte  à  la  première 
visite  du  Groenland  par  les  Norwégiens.  La  notice 
de  la  mer  Baltique  nous  apprend  qu'un  prince  ou  roi 
îiorwégieu  ,  nommé  Eric  ,  s'était  établi  dans  le  Groen- 
land, vers  l'an  900  ,  et  que  son  troisième  fils  ,  nommé 
Tovftain  f  homme  très-courageux  ,  se  rendit  célèbre  par 
une  navigation  hardie  en  Vineland ,  pays  qui  long- 
temps après  resta  encore  inhabité,  et  qui.  suivant 
Torjeus  et  Pontopidan  y  n'est  autre  chose  que  Terre- 
jNeuve. 

Quoi  qu'il  eu  soit,  Colomb  ne  doit  pas  être  dépouille 
de  la  moindre  partie  de  sa  gloire,  puisque  Behaini  ,  le 
géographe  le  plus  instruit  de  son  temps ,  démontre 
qu'on  n'avait  pas  fait  de  découvertes  antérieures  sur  la 
route  suivie  par  ce  grand  homme. 

La  découverte  et  la  conquête  de  l'Amérique  sont 
deux  événeruens  extraordinaires,  qui  ont  été  le  résul- 
tat de  deux  causes  assez  communes,  ,  l'ignorance  et  la 
surprise.  Un  simple  roseau  d'une  espèce  étrangère  jeté 
gur  les  côies  occidentales  des  Açores,  avait  fait  con«* 
dure  à  Christophe  Colomb  qu'il  devait  exister  d'autres 


tOitS  T5E  L'itfVÀSiOtf   RË   LEUIt  PAYS.  20<J 

terres  à  l'occident.  Quoique  Colomb  se  fut  trompé  des 
deux  tiers  dans  son  calcul,  sur  la  distance  entre  l'Eu- 
rope et  l'Asie  par  l'ouest ,  puisqu'il  supposait  que  le 
continent  de  la  Chine  et  des  Indes  orientales  s'éten- 
dait à  travers  cet  océan,  jusqu'à  1660  lieues  2,/3  du 
continent  d'Europe,  et  que,  d'après  le  calcul  de  Maiïnj 
qui  avait  placé  la  Chine  i5  heures  E.  du  Portugal  ,  il 
avait  conclu  qu'il  ne  devait  pas  rester  plus  de  neui 
heures  entre  l'Europe  et  la  Chine,  en  faisant  voile  à 
l'est,  si  cet  espace  était  totalement  d'eau  ,  et  que  ce 
trajet  devait  être  fort  court.  Le  hasard  cependant  le  fie 
heureusement  rencontrer  juste  ,  relativement  au  conti- 
nent de  l'Amérique,  qui  lui  abrégea  les  deux  tiers  de 
sa  route,  et  lui  sauva  la  vie  et  celle  de  ses  équipages. 

Cependant  ,  la  douce  fraîcheur  de  l'air  du  soir  ,  la. 
pureté  éthérée  du  firmament,  les  émanations  balsa- 
miques des  fleurs  que  la  brise  de  terre  lui  apportait, 
prolongèrent  long -temps  son  erreur,  en  lui  faisant 
croire  que  ce  nouvel  Eden  était  la  prolongation  de  la 
côte  d'Asie.  UOrénoque  lui  parut  un  des  quatre  fleuves 
qui  sortaient  du  paradis  terrestre  pour  arroser  etparta* 
ger  cette  terre  nouvellement  décorée  de  fleurs. 

C'est  ainsi  qu'en  1600  ,  dans  son  voyage  aux  Indes- 
Orientales,  Cabrai,  amiral  portugais,  découvrit  le 
Brésil.  Cette  découverte,  faite  sans  dessein,  montre 
qu'indépendamment  de  la  sagacité  de  Colomb  ,  l'Amé- 
rique n'aurait  pu  rester  long-temps  inconnue.  Vingt- 
six  ans  s'étaient  à  peine  écoulés  depuis  le  premier 
voyage  de  Christophe  ,  qu'on  ne  soupçonnait  pas 
l'existence  des  empires  du  JSlexique  et  du  Pérou.  La 
conquête  du  premier  fut  entreprise  par  Corl-cz,  en  i5to? 
e!  terminée  en  1 52 1; celle  du  second  éfcaj:  fut  commencés 


Û7°  RÉSISTANCE    DES  PREMIERS    AMERICAINS, 

par  Pizarre,   en  i53o,  et   en  dix  années  il   fut  divisé 
entre  ceux  qui  l'avaient  accompagné. 

Corttz, après  avoir  débarqué  sur  le  continent  d'Amé- 
rique, alla  deux  fois  à  Mexico  :  la  première,  comme 
ambassadeur  de  Charles  V  5  la  seconde,  comme  ennemi. 
Après  deux  combats  sanglans  qu'il  livra  auxTlascalans, 
il  fit  la  paix  avec  eux,  et  parvint  à  se  concilier  l'amitié 
de  ces  républicains,  toujours  en  guerre  avec  Montezuma. 
Par  suite  de  cette  paix,  ils  lui  donnèrent  une  escorte 
de  6000  hommes,  avec  lesquels  il  chercha  à  se  soustraire 
de  la  dépendance  de  JDidasco  Velasco  ,  gouverneur  de 
Cube,  dont  il  avait  obtenu  le  caractère  de  conducteur 
et  de  commandant  dans  cette  entreprise.  Il  s'empressa 
en  conséquence  de  faire  allianceavec  les  caciques  de  Zam- 
poaa/a,  ceux  de  la  nation  des  Totonaches  ,  de  Chiachuit- 
zla  ,  tous  mécontens  de  Montezuma  ,  et  il  en  reçut  le 
serment  de  fidélité.  Peu  à  peu  il  sut  profiler  du  nombre 
infini  de  mécontens  qui  haïssaient  cet  empereur. 

Ce  fut  avec  ce  renfort  considérable  de  soldats  améri- 
cains, soutenus  de  5oo  fantassins  européens  bien  aimés, 
et  i5  cavaliers,  qu'il  entra  dans  les  provinces  de  Monte- 
zuma, ensuite  dans  le  Témistilian  ou  Ténochtitlan  , 
le  8  novembre  i5ip.  L'empereur  le  reçut  avec  les  plus 
grands  honneurs,  lui  fit  de  riches  présens,  le  logea  avec 
tout  son  cortège  ,  et  le  traita  splendidement. 

La  vue  de  tant  de  richesses  excita  la  cupidité  des  Es- 
pagnols 5  ils  occasionnèrent  quelques  mécontentemens. 
Qitaîpupoca  ,  général  mexicain,  pour  détourner  l'orage 
qui  menaçait  son  pays  ,  marcha  sur  la'Vera-Cruz,  que 
Cortez  venait  de  fonder.  Celui-ci  prit  ce  prétexte  pour 
faire  la  guerre  à  Montezuma.  L'empereur,  qui  ne  dédi- 
rait que  de  vivre  en  paix  avec  ces  étrangers  .  désavoua 


loïis  ïtfp.  l'invasion  de  leur  PAYS.  2/1 

îa  conduite  de  Qualpnpoca,  que  trop  de  zèle  avait  porté 
à  l'entreprise  sur  la  Vera  Cruz.  Cortez  exigea  pour  pré- 
liminaire de  paix  la  remise  du  général  mexicain.  Il  ne 
l'eut  pas  plulôt en*  son  pouvoir,  qu'il  le  lit  brûler  vif. 
Il  profita  ensuite  de  la  confiance  de  Montézuma  pour 
le  tenir  prisonnier  dans  son  palais. 

Cortez  se  voyant  obligé  de  marcher  contre  Isarvaez  , 
qui  s'avançait  sur  Mexico  ,  de  la  part  de  Velasco ,  avec 
800  fantassins  et  60  cavaliers  pour  l'arrêter  ,  il  laissa  l» 
commandement  de  la  ville  à  Alvaredo  ,  qui  forma  le 
dessein  de  massacrer  tout  le  peuple,  tandis  qu'il  était 
à  se  réjouir  paisiblement  un  des  jouis  solennels  dans  le 
grand  préau  du  temple.  Les  Mexicains,  furieux  d'une 
pareille  perfidie  ,  brûlèrent  les  barques  des  Espagnols  , 
et  les  assiégèrent  dans  leur  logement.  Montézuma  ayant 
été  tué  au  moment  qu'il  haranguait  le  peuple,  les 
Mexicains  nommèrent  Çhietlavacca  pour  son  successeur. 
Cortezj  après  avoir  vaincu  Narvaez,  apprenant  la  situa- 
tion critique  clans  laquelle  les  Espagnols  se  trouvaient, 
marcha  sur  Mexico  avec  1000  fantassins  esoagnoïs  • 
100  cavaliers  et  20,000  Tlascalans.  Après  plusieurs  en- 
gagemens,  il  se  vit  contraint  de  capituler.  Le  nouvel 
empereur  fut  assez  généreux  pour  le  laisser  partir  5  mais 
le  peuple  le  molesta  dans  sa  fuite.  Il  perdit  i5o  fantas- 
sins ,  46  cavaliers  ,  outre  les  Espagnols  de  sa  suite  ,  efc' 
plus  de  4000  Indiens  auxiliaires.  Cortez  en  avoue  plus 
de  2000,  parmi  lesquels  étaient  ceux  de  Cholula  ,  tous 
les  prisonniers  ,  les  esclaves  qui  étaient  dans  l'armée. 
Ce  général  perdit  aussi  une  partie  de  ses  trésors  et  de 
son  artillerie. 

Cortez  se  réfugia  chez  ses  alliés  de  Tlascala:  et  avec 
le  secours   de  i2o?ooo  Indiens  qu'il  parvint  à  rassem- 


&^2  RESISTANCE  t>ES   PREMIERS   AMÉRICAINS  j 

oler,  il  se  rendit  maître  de  Guacacula.  Pendant  ce 
temps  là  ,  il  envoya  demander  de  nouveaux  soldats  à 
Saint-Domingue  ,  fit  construire  12  briganthis  et  autres 
taâtimens  nécessaires  à  l'attaque  en  forme  qu'il  proje- 
tait contre  Mexico.  Le  8  décembre  delà  même  année, 
il  vit,  dans  la  revue  qu'il  fit  de  sa  troupe  ,  qu'il  avait 
encore  55o  fantassins,  140  cavaliers  ,  o  pièces  de  cam- 
pagne, outre  les  soldats  auxiliaires  auxquels  s'étaient 
joints  20,000  hommes  de  Te.rsaïco ,  et  4°>ooo  de  CalcOh 
II  fait  sur-tout  l'éloge  des  soldats  tiascalans  ,  qui  étaient 
au  nombre  de  plus  de  5o,ooo.  Il  dit  :  ce  Que  les  capi- 
y>  taines  Tlascatecal  avaient  de  valeureux  combattans$ 
r>  tous  propres  à  la  guerre,  que  leur  discipline  allait  de 
»  pair  avecrcelle  deï>  Espagnols,  m 

Toute  celte  grande  armée  ,    qui  s'accroissait  encore 
à  chaque  instant  par  la  réunion  des  peuples  voisins  ,  fut 
partagée  en  trois  divisions ,  outre  celle  que  commandait 
Cortez.  Il  donna  à  Pierre  d'x^lvaredo  3o  cavaliers,  18 
arbalétriers  et  fusiliers,  5o  fantassins  et  25, 000  Tiasca- 
lans pour  attaquer  Tlaconan  ,  et  s'avancer  delà  sur  Té- 
nochtitlan.  11  chargea  Christophe  d'Olid  d'attaquer  du 
coté  de  Cujocan  à  la  tète  de  sa  division  ,  qui  était  com- 
posée de   33  cavaliers,   de  18  arbalétriers  et  fusiliers  j 
160   fantassins  armés  d'épées,    de    rondaches  comme 
les  premiers,    et  de  25, 000   Indiens  5    enfin,    Gonzalve 
Sandoval ,  exécuteur  major,  fut  mis  à  la  tête  de  24  ca- 
valiers, 4  fusiliers ,    i3  arbalétriers   et   3o,ooo   Indiens 
pour  se  porter  du  côté  è.'îztapalapat  Cortez  avait  le  reste 
de  son  armée,    et  plus  de  80,000  Indiens  ,  auxquels  le 
seigneur    de   Tersaïco   joignit    un  de  ses  généraux  à  la 
tête  de  3o,ooo  soldats.    Ses  troupes  furent    suivies    de 
ao^ooo  hommes,    et,   dit    Cortez,    d'un  nombre  inhui 


LORS  DE  L'INVASION  DE  LEUR  PAYS.       273 

tPautres  j  tous  impatiens  de  détruire  les  ennemis  puis- 
sans  des  contrées  voisines. 

Corfez,  le  3i  mai  i5^i  ,  attaqua  y>av  le  lac  avec  i3 
origan  lins  armés  de  canons.  Un  vent  considérable  qui 
survint,  le  préserva,  de  son  aveu  même,  d'être  vaincu  , 
parce  qu'il  empêcha  la  flotte  des  canots  mexicains  de 
tenir  ferme.  Après  bien  des  efforts  il  pénétra  jusqu'à 
la  chaussée  qui  était  pavée  en  briques,  rompit  l'aque- 
duc qui  fournissait  l'eau  à  la  ville,  fit  assiéger  les  ponts 
par  terre  et  par  eau  avec  ses  brigantins  ,  dont  l'artillerie 
jouait  sans  cesse. 

Guatimozin  ,  qui  avait  succédé  à  l'empereur,  frère  et 
successeur  de  Montézuma,  mort  de  la  petite  vérole  ,  dé- 
ploya autant  de  génie  que  d'activité.  Les  Mexicains  , 
quoique  assiégés  de  quatre  côtés,  disputèrent  le  terrain 
pied  à  pied,  battirent  et  repoussèrent  à  plusieurs  re- 
prises Cortez  et  Alvaredo.  Enfin,  le  défaut  d'eau  ,  une 
partie  de  la  ville  qui  était  déjà  écroulée,  joints  aux 
ravages  que  la  mort  exerçait  partout  par  l'odeur  des 
cadavres  qui  remplissaient  les  canaux  ,  les  rues  et  les 
décombres,  déterminèrent  les  restes  de  cette  nation 
courageuse  à  se  sauver  dans  les  montagnes  à  la  faveur 
de  leurs  canots,  pour  se  soustraire  au  joug  des  vain- 
queurs. Ils  jetèrent  donc  dans  le  lac  ,  et  cachèrent  dans 
les  tombeaux,  les  trésors  qui  leur  restaient  encore.  Au 
milieu  de  cette  fuite,  Garci  Holguin,  capitaine  d'un  bri- 
gantiu,  attaqua  par  hasard  le  canot  où  se  trouvait  Tem- 
pereur.  Ce  prince  fntjpris^  et  la  guerre  finit  à  l'instant, 
le  i3  août  i5^i  ,  après  aii  siège  de  65  jours,  entrepris 
par  une  armée  d'environ  2-20,000  hommes.  Le  butin  ne 
fût  pas  aussi  considérable  que  les  Espagnols  Pavaient 
espéré,  parce  que  l'empereur  avait  fait  jeter  dans  le  lac 

TOM.     2.  xg 


2^4  RÉSISTANCE    DES   PREMIERS   AMERICAINS, 

la  majeure  partie  des  richesses  des  temples,  des  palais 
et  de  la  ville. 

Lorsqu'on  amena  Guatimozin  devant  Cortez ,  il  lui 
dit  :  ce  J'ai  rempli  les  devoirs  d'un  roi  5  j'ai  défendu  mon 
d)  peuple  jusqu'à  la  dernière  extrémité 5  il  ne  me  reste 
m  plus  qu'à  mourir.  :»  Alors  mettant  la  main  sur  le 
poignard  de  l'Espagnol  qui  l'avait  conduit  :  ce  Prends 
:»  cette  arme  ,  ajouta-t-il,  enfonce-la  dans  mon  cœur  5 
3)  délivre  moi  d'une  vie  qui  est  désormais  sans  utilité,. 
3)  et  qui  ne  pourrait  durer  sans  opprobre.  r>  Ce  trait, 
digue  du  plus  beau  temps  de  la  Grèce  et  de  Rome,  ne 
put  toucher  le  cœur  du  barbare  Cortez.  Il  insista  pour 
savoir  de  l'empereur  dans  quelle  partie  du  lac  il  avait 
fait  jeter  les  trésors  de  Mexico.  Guatimozin  lui  répondit 
que  ces  trésors  périraient  avec  lui.  Cortez  ,  ne  se  possé- 
dant plus,  ordonna  de  le  brûler  avec  son  favori.  Guati- 
mozin ,  grand  jusqu'au  dernier  moment,  voyant  que 
son  compagnon  de  souffrance  commençait  à  céder  à  la 
violence  de  la  douleur,  et  semblait  lui  demander  la 
permission  de  révéler  ce  qu'il  savait,  le  fixa  d'un  œil 
de  dédain  qui  le  fit  rougir  de  sa  faiblesse,  et  lui  dit  : 
ce  Et  moi,  suis-je  sur  un  lit  de  roses?»  Dans  tout  ce 
que  l'histoire  a  transmis  à  l'admiration  des  hommes  , 
existe-t-il  un  mot  comparable  à  celui  de  ce  neveu  du 
malheureux  Montézuma  ? 

Cortez,  maître  d'un  vaste  empire,  ne  s'en  tint  pas 
là  :  il  poussa  la  barbarie  jusqu'à  condamner  au  sup- 
plice soixante  princes,  cent  nobles  dans  la  seule  pro- 
vince de  Pannco.  (  Voyez  les  rapports  de  Gomara -,  de 
Dias  et  d'Herrera.  Las  Casas  prétend  qu'il  en  périt 
davantage.  ) 

Cortez  ,  loin  de  s'attribuer  le  mérite  d'une  si  grande 


lors  de  l'invasion  de  leur  pays.  275 

entreprise,    assure  que  ces  Indiens  ont  fait  des  actions 
de  valeur  qui  auraient  honoré  les  nations  les  plus  belli~ 
gueuses.  Il  dit  même  :  ce  Qu'ayant  été  blessé  dans  une 
»  défaite,  où  il  eut  bien  delà  peine  à  se  retirer,  l'armée 
33  d'Alvaredo  étant  aussi  battue   d'un  autre  coté,   un 
33  capitaine  tlascalan  ,  nommé  Cliichimetatccle f  voyant 
x>  Alvaredo  manquer  de  courage  ,   résolut  de  pénétrer 
33  seul   avec  sa  troupe  dans  la  ville,  et  de  donner  un 
33   assaut  5  il  laissa  sur  le  pont  4°o  de  ses  archers  pour 
33  le  soutenir  en   cas  qu'il  fût  repoussé  ,  et  s'avança  en 
33  combattant  avec  une  valeur  incroyable  5  mais  qu'é  tant 
33  obligé  de  céder  à  une  trop  forte  résistance,  il  se  replia 
3>  sur  sa  troupe  et  regagna  son  camp.  3> 

Cette  faible  ébauche  de  l'attaque  de  Mexico,  que  l'on 
trouve  plus  détaillée  dans  le  journal  de  Cortez  5  l'aveu 
de  ce  conquérant  qui  dit  positivement ,  ce  que  la  prise 
33  de  cette  grande  ville  réussit  moins  par  le  grand  nora- 
3)  bre  de  combattans,  parmi  lesquels  il  se  trouvait 
3)  aussi  des  sujets  de  l'empire  ,  que  par  la  hardiesse  et 
3)  l'intrépidité  inébranlable  que  montrèrent  les  Indiens 
3)  dans  ce  siège  mémorable  ,  33  prouvent  que  les  Amé- 
ricains n'étaient  pas  ces  hommes  vils,  lâches,  dégra- 
dés, rejetés  par  la  nature ,  comme  il  a  plu  à  M.  Paw 
de  les  peindre  dans  ses  prétendues  recherches  philoso- 
phiques. 

Lorsque  les  deux  frères ,  François  et  Ferdinand 
Pizarre,  arrivèrent  au  Pérou ,  ce  pays,  au  moment  de 
la  conquête,  s'étendait,  du  côté  de  la  mer  du  Sud,  de- 
puis le  fleuve  des  Emeraudes  jusqu'au  Chili,  et  du  côté 
de  la  terre  jusqu'au  Popayan  5  comprenant  la  fameuse 
chaîne  des  Cordillières  ,  qui  se  prolonge  depuis  les  terres 
magellaniques  jusqu'au  Mexique.   Manco-Capac  était 


276  RÉSISTANCE   DES  PREMIERS  AMERICAINS  , 

au  Pérou  ,  comme  Fohi  à  la  Chine  ,  le  premier  prince 
qui  avait  réuni  ces  peuples  en  société,  et  leur  avait 
donné  de  sa^es  lois.  Le  dernier  de  ses  successeurs  fut 
Atabahba  .  selon  les  Espagnols  :  mais  son  vrai  nom 
était  Inca  Aiahualpa ,  prince  fier  et  qui  n'avait  plus 
ce  caractère  bienfaisant  de  ses  ancêtres.  Il  était  fus 
d'Huaynan-Capac  ,  lequel  avait  parmi  ses  femmes 
l'unique  héritière  du  royaume  de  Quito  5  mais  il  avait 
en  outre  un  fils  de  sa  légitime  épouse,  nommé  Hucscar, 
Ce  fils  était  l'héritier  légitime,  parce  qu'il  était  né  de  la 
coya  ou  impératrice ,  sœur  de  l'empereur.  L'autre  ,  fils 
d'une  étrangère  ,  n'étant  pas  du  sang  des  Incas  ,  était  , 
par  cette  raison,  rangé  dans  la  classe  des  bâtards, 
comme  inhabile  à  succéder  au  tiôue.  Malgré  cela, 
Atahualpa  prétendit  au  royaume  de  Quito  ,  comme  hé- 
ritier du  royaume  de  sa  mère  ,  et  alla  en  prendre  pos- 
session,  se  prévalant  en  outre  des  dernières  dispositions 
de  son  père.  Huescar  opposa  les  lois  du  royaume  5  mais 
tout  arrangement  de  venant  in  utile,  on  cou  rut  aux  armes. 

Aussitôt  qu'Atahualpa  eut  levé  l'étendard  de  la  ré- 
volte, il  prit  droit  le  chemin  de  Cusco  avec  son  armée, 
dans  le  dessein  de  se  saisir  de  la  personne  de  l'empereur 
légitime,  son  frère.  Le  Pérou  se  divisa  aussitôt  en  deux 
partis.  Atahualpa  vainquit  son  frère  en  rase  campagne, 
et  le  fit  prisonnier.  Ce  fut  dans  ces  circonstances  que 
les  Pizarres  et  les  Espagnols  débarquèrent  à  Tumbès 
avec  35o  hommes  de  pied  ,  jo  arquebusiers  et  fusiliers^ 
80  cavaliers  et  de  l'artillerie.  Il  fut  accueilli  avec  bien- 
veillance, et  trouva  un  allié  dans  le  cacique. 

La  nouvelle  des  succès  de  Cortez  était  connue  dans 
ce  pays,  et  la  llenommée  avait  exagéré  la  valeur  de 
ces  étrangers.  Le  cacique  de  Caxas  se  déclara  pour  eux 


LORS   DE  L'INVASION   DE  LEUR  PATS.  Q.JJ 

l'an  i53i.  Il  fit  part  à  Pizarre  de  la  division  qui  régnait 
dans  le  Pérou.  Les  Indiens,  pour  se  lier  d'amitié  avec 
les  Espagnols ,  leur  apportèrent  des  vases  et  des  orne- 
rnens  d'or  et  d'argent.  Pizarre  envoya  la  majeure  partie 
de  ces  présens  en  Espagne  et  au  Mexique  ,  pour  enga- 
ger une  plus  grande  partie  de  ses  compatriotes  à  prendre 
part  à  l'expédition.  Pizarre  s'avança  dans  la  province 
de  Couque,  où  il  s'empara  de  Tangarara ,  appelé  depuis 
Saint- Michel.  Il  s'y  arrêta  pour  prendre  les  mesures 
nécessaires  à  ses  vues  ,  et  se  concerter  plus  sûrement 
avec  ses  nouveaux  alliés. 

Le  cacique  vovant  ces  étrangers  armés  de  fusils,  von- 
lut  en  savoir  Tubage.  Un  officier  espagnol,  pour  le  lui 
faire  mieux  comprendre  ,  ajusta  une  planche  ,  qu'il 
perça.  Le  bruit  et  l'effet  saisirent  les  Indiens  d'une 
telle  frayeur,  que  les  uns  se  laissèrent  tomber  par  terre, 
et  les  autres  poussèrent  de  grands  cris.  Le  chef,  plus 
résolu,  mais  gardant  un  silence  d'étonnement ,  fit 
amener  un  tigre  et  un  lion  ,  et  pria  l'Espagnol  de  tirer 
une  seconde  fois.  Le  coup  effraya  les  animaux  jusqu'à 
leur  ôter  leur  férocité.  Le  cacique  se  tournant  alors  vers 
l'officier ,  et  lui  présentant  une  liqueur  du  pays,  lui  dit 
d'un  air  d'admiration  :  ce  Bois,  puisque  tu  fais  un  bruit 
»  si  terrible  î  tu  ressembles  au  tonnerre  du  ciel.  j>  Après 
quoi  il  fit  alliance  avec  les  nouveaux  venus. 

Sur  ces  entrefaites  ,  il  arriva  8co  fantassins  espagnols 
et  2.00  cavaliers.  Pizarre  se  mit  eu  route,  et  s'avança 
sans  obstacle.  Il  rencontra  les  ambassadeurs  de  Huescar 
qui  venaient  lui  ofïnr  l'amitié  de  leur  maître.  Pizarre 
l'accepta  ,  et  parvint  à  lui  faire  rendre  la  liberté.  Il 
n'avait  fait  encore  que  peu  de  chemin  ,  lorsque  les  am- 
bassadeurs d'Âtalmalpa  vinrent  à  sa  rencontre  avec  de 


9.^3  RÉSISTANCE  DES  PREMIERS   AMERICAINS  , 

îiches  présens  ,  lui  offrir  l'alliance  de  leur  souverain  ? 
et  l'inviter  à  se  rendre  auprès  de  lui.  Pizarre  accepta 
leur  invitation  ,  et  s'avança  sans  crainte  ,  ne  trouvant 
de  toutes  parts  que  des  alliés.  On  lui  laissa  passer  tran- 
quillement des  défilés  et  des  montagnes,  où  un  petit 
nombre  d'hommes  aurait  pu  arrêter  une  armée  nom- 
breuse. La  bonne  foi  de  l'Inca  fut  telle ,  qu'il  lui  laissa 
prendre  possession  de  ces  passages  importans. 

Pizarre ,  à  son  arrivée  à  Caxamalca,  s'empara  d'une 
grande   place  environnée  d'un  rempart  de  terre  ,    éta- 
blit ses  troupes  dans  ce  poste  avantageux,   et   envoya 
son  frère  Ferdinand  saluer  l'Inca,  et  lui  offrir  de  l'aider 
contre  ses  adversaires  qui  étaient  en  grand  nombre.  Ce 
monarque  lui  fit  l'accueil  le  plus  flatteur  5  il  se  leva  de 
son   trône  d'or  pour  l'embrasser  ,    et   deux  princesses 
d'une  beauté  ravissante  lui  présentèrent,  ainsi  qu'à  sa 
suite  5   des  rafraîchissemens  et  des  liqueurs  parfumées. 
.Les  Indiens  ayant  remarqué  que  les  chevaux  espa- 
gnols mâchaient  leur  frein  ,  ils  leur  apportèrent  de  l'or 
en  abondance,  croyant  que  ces  animaux  se  nourrissaient 
de  métaux.  Les  Castillans  furent  éblouis  des  richesses 
qui   s'offraient   de  toutes   parts   à  leurs  yeux.  L'Inca  , 
après  avoir  fait  apporter,  pour  eux  et  pour  Pizarre,  des 
jprésens  aussi  rares  par  leur  valeur  que  par  leur  travail  ? 
chargea  Ferdinand  de  dire  à  son  frère  qu'il  irait  le  voir 
le  lendemain. 

Le  rapport  que  Ferdinand  fit  des  richesses  immenses , 
et  de  la  beauté  des  vierges  du  soleil  qu'il  avait  vues  , 
fit  concevoir  à  Pizarre  l'horrible  projet  de  se  saisir  de 
la  personne  d'Atahualpa.  La  nouvelle  de  l'arrivée  de 
nouveaux  renforts  d'Espagnols  hâta  sa  détermination, 
pn  conséquence  ,  il  partagea  sa  cavalerie  en  trois  petits, 


LORS  DE  L'iNVASION  DE   LEUR   PAYS.  279 

escadrons,  sous  le  commandement  des  trois  plus  témé- 
raires de  ses  officiers,  et  la  plaça  derrière  le  mur  des 
jardins  de  PInca;  il  réunit  son  infanterie  en  un  seul 
corps  ,  ayant  en  front  un  rang  de  chiens  ,  et  fit  braquer 
son  artillerie  et  ses  arquebusiers  vis-à-vis  du  chemin 
par  lequel  Pinça  devait  arrivera  Caxamalca. 

L'entrée   de  PInca  dans  la   ville  fut   des  plus  pom- 
peuses. Il  était  porté  sur  une  litière  découverte,  ornée 
d'or  et  d'argent ,  doublée  de  plumes.  Sa  tête  était  ceinte 
d'un  diadème  éclatant  de  pierreries.  Il  était  précédé  de 
400  hommes  magnifiquement  habillés.  Assis  lui-même 
sur  un   trône   d'or,  enrichi  de  diamans,  il  était  porté 
sur  les  épaules  de  quatre  de  ses   principaux    officiers. 
Plus  de  3o, 000  hommes  étaient  à  sa  suite,  et  couvraient 
la  plaine  par  laquelle  il  s'avançait.   Lorsque  Pinça  fut 
dans   la  place  ,   il  demanda  le  capitaine  espagnol,    et 
défendit    de  faire   aucun   mal    à   ces    étrangers,  parce 
qu'ils  étaient  envoyés  de  la  part  de  JJieiiy  candeur  éton-s 
nante,  qui  rendit  ce  prince  victime  de  ces  âmes  atroces  ; 
Alors  se  présenta  un  moine  dominicain  ,  nommé  Vin 3 
cent  de  Valverde.  Il  commença  à  prêcher  PLvanmle 
ces  gens,  qui  n'entendaient  rien  à  ses  discours.  Il  pré- 
senta un  bréviaire.  Atahualpa  prit  le  livre  dans  lequel  il 
11e  comprenait  rien,  le  regarda  et  le  jeta  par  terre.  Le 
moine  furieux,   donne  aussitôt  le  signal  du  massacre. 
Les  chrétiens  font  feu  à  l'instant  avec  leurs  arquebuses  5 
les  balles  sifflent  de  toutes  parts  5  l'artillerie  tonne  5  les 
piques  ,  les   hallebardes  ,    les   épées  ,  se  font    jour  dans 
les   corps  des  Péruviens  5  les  dogues  en  étran oient  une 
partie  }  les  chevaux  en  écrasent  une  autre  ;  la  terreur  se 
répand  avec  la  mort  dans  cette  nation  indienne  :  Aie 
prend  la  fuite  ,  abandonne  son  prince  qui  est  fait  Dri- 


280  RÉSISTANCE    DÈS   PREMIERS    AMERICAINS, 

sonnier.  C'est  ainsi  que  Pizarre  Couvrit  le  chemin  cîcr 
la  conquête  fin  Pérou.  Les  Péruviens,,  revenus  de  leur 
frayeur  ,  l'attaquèrent  avec  acharnement  le  long  de  sa 
route.  Cuzco  soutint  un  siège  vigoureux  5  cette  ville  fut 
prise  et  reprise  spar  les  Péruviens.  Enhn  ,  le  i5  no- 
vembre i53o  ,  elle  resta  au  pouvoir  des  Espagnols  ,  qui  , 
après  maintes  escarmouches  ,  plusieurs  batailles  san- 
glantes et  l'arrivée  de  nouveaux  renforts,  s'emparèrent 
de  ce  riche  pays. 

La  vue  de  ces  citadelles  flottantes  et  de  cette  artille- 
rie qui  vomissaient  la  foudre  et  les  éclairs;  le  costume 
étrange  des  Espagnols;  leur  longue  barbe,  objet  hi- 
deux y  mais  qui  était  alors  de  mude  en  Europe  ;  cette 
cavalerie  ,  dont  les  chevaux  el  les  cavaliers  leur  paru- 
rent des  centaures  formidables  ,  comme  jadis  aux 
Grecs  ,  la  première  fois  qu'ils  virent  des  hommes  à 
cheval  ;  ces  aimes  ,  enfin  ,  qui  s'enflammaient  à  vo- 
lonté entre  les  mains  de  ces  étrangers  ,  avec  une  déto- 
nation et  des  effets  semblables  à  ceux  du  tonnerre  ,  leur 
firent  prendre  les  Espagnols  ,  d'après  \\\\^-  ancienne 
prophétie  de  leur  pays  ,  pour  les  entans  t\u  Soleil 
qu'ils  adoraient,  descendus  pour  visiler  la  terre  ,  et 
commandant  aux  éclairs  et  à  la  foudre.  Telles  fuient 
les  causes  qui  occasionnèrent  la  surprise  ,  produisirent 
la  terreur  chez  les  Américains  ,  les  divisèrent  d'inté- 
rêts ,  et  rendirent  plus  facile  la  conquête  d\\  Mexique  , 
de  la  Terre-Ferme  ,  du  Pérou  ,  du  Chili  et  du  Para- 
auav,  qui  ne  fut  achevée  cependant  que  dans  l'espace 
de  dix-huit  à  vingt  ans  ,  à  pa!  tir  vie  i5io  ,  que  com- 
mencèrent les  expéditions  du  Mexique. 

Airîsi  les  Gaulois  jadis  ,  sous  la  conduite  de  Bren- 
îilîs,  au  moment  de  piller  le  temple  de  Delphes  ?  sai- 


lors  de  l'invasion  de  leur  pats,  2,81 

sis  de  teneur  à  la  lueur  d'un  éclair,  suivi  d'un  coup 
de  tonnerre  ,  se  sauvèrent  et  furent  taillés  en  pièces. 

Les  Américains  furent  frappés  d'étonnement  à  la 
vu©  de  ces  objets  extraordinaires  :  ils  n'avaient  aucune 
idée  de  ces  instrumens  de  mort  et  de  carnage,  et  leur 
premier  mouvement  peignit  à-la-fois  leur  surprise  et 
leur  admiration.  Ils  ne  se  défièrent  en  aucune  façon  des 
Espagnols  ,  qui  employèrent  tout  ce  que  la  dissimula- 
tion ,  la  fourberie  et  l'inhumanité  furent  capables  de 
leur  inspirer  contre  des  peuples  paisibles  ,  simples  , 
confîans  f  qui  ne  songèrent  à  se  défendre  que  lorsque 
la  trahison  de  quelques-unes  de  leurs  femmes  leur  eut 
fait  apercevoir  qu'il  ne  leur  restait  plus  d'autre  choix 
que  l'esclavage  ou  la  mort. 

Sans  Marina  ,    ou  selon  d'autres  Amazilli ,    Cortez 

eût-il  soumis  le  Mexique  ?  Sans  la  fille  du   cacique  de 

Cofaciqui  ,  Ferdinand  Soto  eût-il  dompté  la  Floride? 

Sans  quelques  femmes  américaines,  Vasco-Nunnèz  et 

son   année   n'auraient-ils  pas  péri  sous  les  coups  des 

naturels  du  Darien?  Sans  quelques  Lonisianoises  ,  les 

Français  n'auraient-ils  pas   trouvé  leur  tombeau  à   la 

Louisiane  ?  Sans  les  intrigues  de   Capillana  ,   sœur  de 

l'infortuné  Atahualpa,  Pizarre  eût-il  conquis  le  Pérou? 

Sans   une    fille  de  Haïti  ,  Christophe   et  son   armée  ne 

seraient-ils  pas  morts  de  faim  à  Saint-Domingue  ?  Sans 

les  naturels  de  la  Jamaïque,  n'auraient-ils  pas  éprouvé 

le  même   sort  dans  cette  île  ?  Sans  la  reine  de  Santo- 

Domingo  ,  Barthélemi  Colomb  eût-il  osé  entreprendre 

l'établissement  de  cette  ville  et  de  ses  dépendances?... 

comme  si  la  générosité  devait  toujours  être  la  vertu  du 

malheureux  î 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  était  écrit  que   ce  pays  devait 


2S2  RESISTA» CE  DES  PREMIERS   AMERICAINS  , 

tomber  sous  les  coups  et  la  perfidie  des  Espagnols  !  les 
fossés  et  les  redoutes  ne  l'auraient  pas  plus  garanti  que 
le  large  fossé  revêtu  d'une  forte  palissade,  que  Gode- 
froy  ,  chef  des  Scandinaves,  tira  en  806,  entre  l'O- 
céan et  la  mer  Baltique ,  aux  confins  du  Holstein 
(l'ancienne  Chersonèse  cimbrique  ),  pour  garantir  ses 
états  de  l'invasion  de  Charlemagne  5  que  le  retranche- 
ment que  les  empereurs  romains,  Adrien  et  Sévère ,  firent 
entre  l'Ecosse  et  l'Angleterre 5  faibles  imitations  de  la 
fameuse  muraille  de  la  Chine  ,  que  les  Tartares  fràn-« 
chissent  quand  ils  veulent. 

M.   Paw  peut-il  sans  honte  traiter  de  poltronerie  la 
défense  vigoureuse  et   bien   concertée  que  fit  à    la   Ja- 
maïque le  cacique ,  frère  de  Canaboa ,  que  les  Espagnols 
retenaient  prisonnier  5  celle  des  Yucatains ,  des  habitans 
de    Pontoncha  ,  des  Tlascalans*,  la  défense  des  Jllexi- 
cains  ,  au  milieu  d'une  ville  à  moitié  démolie  ,  qui  ne 
se  rendit  qu'après  un  siège  de  65  jours,  dont  presqu'au- 
cun  ne  s'était  passé  sans  des  combats  sanglans  :  la  fer- 
meté de  Guatimozin ,  lorsqu'on  l'amena  devant  Cortezj 
la  résistance  des  Péruviens ,  qui,  malgré  le  guet-à-pens 
de  Caxamalca,   livrèrent   plusieurs  batailles   avant  de 
laisser  enlever   Cnzco  ,   qu'ils   prirent   à    plusieurs    re- 
prises ;  les  difficultés  qu'ils  firent  éprouver  à  Pizarre  , 
pour  sa  rentrée  dans  le  Pérou  :  le  siège  de  Puna  ,  qui 
dura    six    mois  5    enfin  ,    la    résistance    des    Chilieiis  , 
pendant  dix    ans  ,   celle    des   Florides ,  des   Brésiliens  , 
et  de   quelques  autres  peuples  qui  ne  sont  pas  encore 
soumis  ? 

j  Pouvait-on  s'attendre  que  ces  Indiens ,  divisés  en- 
tr'eux ,  trahis  par  leurs  femmes  ,  eussent  pu  résister  à 
ces  Espagnols  >   qui  passaient  alors  pour  la  meilleur^ 


LORS   DE  L'iNVASION   DE  LEUR  PATS.  û83 

troupe  de  l'Europe  5  qui  étaient  armés  de  fer,  de  canons, 
qui  opérèrent  sur  ces  Indiens  le  même  effet  qu'ils  avaient 
opéré  jadis  sur  les  Français  à  la  bataille  de  Cressy  ?  De- 
vait-on présumer  que  ces  Indigènes  ,  entourés  de  dogues 
affamés  ,  qui  les  mordaient  de  toutes  paris  ,  tandis  qu'ils 
étaient  occupés  à  se  garantir  des  coups  de  leurs  enne- 
mis ,  et  à  se  dégager  de  dessous  les  pieds  de  leurs  che- 
vaux fougueux  ,  eussent  pu  repousser  des  attaques  aussi 
multipliées?  Non  .  sans  doute  :  aussi  leurs  efforts  furent- 
ils  aussi  infructueux    que  ceux  de  Mithridate ,    roi    de 
Pont,  que  Lucnllus  vainquit  deux  fois  dans  la  seconde 
guerre  qu'il  avait  entreprise  contre  les  Romains,  qui  lui 
tuèrent  100,000  hommes  dans  la  seconde  bataille,  et 
n'eurent  que  cinq  Romains  de  tués  5   que  les  efforts  de 
î 00,000  Perses,  que  10,000  Athéniens  défirent  à  Ma- 
rathon 5    que  ceux   de   Xercès ,   à  la  tête  de  i,5oo,ooo 
soldats  ,    sans    compter    2,07    galères    perses    et    120 
antres  auxiliaires ,  lorsqu'il  fut  arrêté  au  passage    des 
Thermopyles  par  3oo  Lacédémoniens,  sous  les  ordres 
cîe  Léonidas,  qui  lui  tuèrent  plus   de  20,000  hommes, 
et  dont  la  flotte ,  après  avoir  été   battue  à  Arminium, 
fut  heureuse  de  pouvoir  regagner  la  Perse  5  que  tonte  la 
tactique  de  Mardonius  ,  à  la  tête  de  000,000  hommes  , 
qui  ne  put  l'empêcher  d'être  défait  à  Platée   par  6000 
Athéniens  commandés  par  Pansanias  et  Aristide  5  que 
les  efforts    d'Artaxercès  ,    après  la  bataille  de  Cunaxa  , 
dans  laquelle  périt  le  jeune  Cyrus,  lorsque  10,000  Grecs, 
sous  Xénophon,  cernés  par  les  Perses  vainqueurs,  traver- 
sèrent leur  pavs,  ayant  à  se  défendre  sans  cesse  contre 
toute  la  puissance  de  la  Perse,  et  qui  pénétrèrent  enfin 
fie  la  Babylonie  jusqu'aux  murs  de  Trébizondej  que  les 
tentatives  de  cette  grande  puissance  contre  Cimon,,  qui 


2,84  RÉSISTANCE   DES  PREMIERS  AMERICAINS  , 

îa  vainquit  même  chez  elle  5  qu'Agésilas ,-  avec  une 
poignée  de  soldats  fit  trembler  dans  Suze  même  j 
qu'Alexandre,  avec  3o, 000  hommes  ,  peu  de  vivres, 
une  caisse  militaire  de  «70  taîens  ,  battit  d'abord  ,  sur 
le  Granique,  où  il  culbuta  100,000  de  ses  soldats  5  ren- 
dit tributaires  plusieurs  rois  d'Asie  ;  trancha  le  nœud 
gordien  5  soumit  la  Paphlagonie  ,  le  Cappadoce  5  défit 
l'armée  innombrable  de  Darius  ,  près  de  la  ville  d'Is- 
sus  5  le  fit  prisonnier  avec  toute  sa  famille  5  entra  dans 
la  Syrie,  la  Palestine  ;  passa  en  Egypte,  où  il  bâtit 
Alexandrie  5  s'avança  dans  la  Lybie  ,  prit  T)  r  ;  s'em- 
para de  toute  la  Perse  ,  de  Babylone,  d'Ecbatane  ,  par 
suite  de  la  bataille  d'Arbelles  5  entra  dans  l'Hircanie  ; 
dompta  les  Parthes  ,  les  Bactriens  ,  jusqu'au  Tanaïs  5 
assujétit  tous  les  peuples  jusqu'à  l'Indus  et  le  Gange, 
ce  qui  compose  actuellement  l'empire  dtiGrand-Mogol, 
et  une  étendue  de  pays  ,  depuis  la  Macédoine  ,  d'en- 
viron 4«o  mille  milles  (près  de  1 33, 000  lieues  un  tiers.) 
Quand  on  considère  toutes  ces  vastes  conquêtes  , 
qu'aucune  ville  ni  forteresse  de  la  Perse  ,  de  la  Medie 
et  des  autres  royaumes  conquis  par  Alexandre,  ne  lui 
opposèrent  jamais  l'ombre  de  cette  valeur  avec  laquelle 
les  Mexicains,  avec  des  armes  inégales  ,  se  défendu  eut 
contre  les  armes  et  les  foudres  des  Européens,  incon- 
nues aux  Perses  et  aux  Grecs  ,  dont  les  armes  étaient 
égales  ,  quel  estJ'homme  ,  hormis  M.  Paw,  assez  dé- 
pourvu de  sens  ,  assez  ignorant  dans  l'histoire  ,  pour 
dire  que  toutes  les  villes  conquises  par  Alexandre  n'é- 
taient que  des  cabanes  sans  population  ,  sans  défense  , 
et  que  les  Perses  et  les  Mèdes  étaient  des  peuples  iVanç 
nature  dégradée  ,  incultes  ,  barbares,  nus,  misérables» 
vils  enfin  ? 


LOHS    DE  L'INVASION   DE  LEUR  PATS.  2o5 

Voilà  cependant  comme  cet  auteur  présente  le  Mexique 
et  les  peuples  américains  que  nous  venons  de  voir  si 
courageux  ,  en  confondant  leurs  actions  avec  ce  qu'on 
a  rapporté  de  quelques  hordes  qui  existent  réellement 
dans  le  continent  de  L'Amérique  :  comme  si  à  la  vue 
des  Hottentots  ,  de  quelques  peuples  de  l'Asie  ?  et  des 
Lapons,  on  devait  conclure  que  tous  les  peuples  de 
l'Asie  ,  de  l'Afrique  et  de  l'Europe  ,  sont  semblables , 
sans  culture ,  sans  courage  ,  et  dans  le  même  état  d'i- 
gnorance et  de  barbarie  !  Avec  une  logique  semblable 
on  peut  nier  tout  ce  que  l'histoire  nous  a  transmis  sur 
les  Grecs  ,  les  Romains  ,  les  Egyptiens  ,  les  Mèdes  , 
qui  ont  joué,  comme  d'autres  nations,  le  plus  grand, 
rôle  sur  la  surface  du  «lobe. 

Il  ne  sait  pas  sans  doute  que  la  fureur  avide  des 
usurpateurs  du  Nouveau-Monde,  et  le  caractère  paci- 
fique de  ses  habitans,  sont  une  suite  de  la  loi  géné- 
rale des  contraires  qui  gouvernent  le  monde  ,  et  d'où 
résultent  toutes  les  harmonies  de  la  nature,  dont 
tous  les  ouvrages  ont  les  besoins  de  l'homme  pour  fin  9 
comme  tous  les  sentimens  de  l'homme  ont  la  Divinité 
pour  principe.  C^est  l'instinct  de  la  Divinité  (comme 
l'observe  M.  Bernardin  de  Saint-Pierre)  qui  a  rendu 
rhomme  supérieur  aux  lois  de  la  nature,  et  qui,  diver- 
sement modifié  par  les  passions  ,  porte  les  peuples  de 
la  liussie  a  se  baigner  dans  les  places  de  la  Neva  au 
plus  fort  de  l'hiver,  ainsi  que  les  peuples  du  Bengale 
dans  les  eaux  du  Gange:  qui  a  rendît ,  sous  les  mêmes 
latitudes  ,  les  femmes  enclaves  aux  Philippines,  et  des- 
potiques à  l'ile  de  Formose;  les  hommes  efféminés  aux 
Moluques  et  intrépides  au  Macassar:  et  qui  forme  dans 


a86  RESISTANCE  DES  PREMIERS  AMERICAINS, 

les  habitans  d'une  même  ville  des  tyrans,  des  citoyens 
et  des  esclaves. 

Mais  s'il  était  vrai ,  comme  M.  Paw  le  dit,  page  i^6 
du  second  volume  ,  qu'à  l'exception  du  combat  de  Caxa- 
malca  ,  les  Indiens  par-tout  ailleurs  ne  se  présentèrent 
que  par  détacbemens  et  par  pelotons ,  qu'on  défit  en 
détail ,  quel  mérite  ont  donc  eu  ces  vieilles  bandes  es- 
pagnoles à  vaincre,  à  nombre  égal  et  avec  des  cuirasses 
et  des  armes  en  fer,  une  poignée  d'Américains  nus, 
infirmes,  inexpérimentés,  munis  d'armes  eu  bois, 
n'ayant  ni  artillerie  ,  ni  cavalerie  ,  obligés  de  se  dé- 
fendre en  outre  contre  des  animaux  carnassiers ,  aux- 
quels la  cour  d'Bspagne  payait  deux  réaux  par  mois 
pour  les  bons  services  qu'ils  rendaient  à  la  couronne  , 
en  dévorant  ces  malheureux  Indiens  qui  aimaient 
mieux  leur  tendre  la  gorge  que  de  se  soumettre  à  leurs 
barbares  usurpateurs? 

A  vaincre  sans  péril,  on  triomphe  sans  gloire. 

(  Le  Cid ,  tragédie  de  Corneille.  ) 

Convaincus  de  l'inutilité  de  leur  résistance  contre  des 
êtres  qu'ils  regardaient  comme  des  centaures  entourés 
d'éclairs  ,  qui  lançaient  le  tonnerre  à  volonté  ,  et  à  qui 
la  barbe  et  les  moustaches  ajoutaient  un  nouveau  degré 
de  férocité  ,  les  Américains  abandonnèrent  en  grande 
partie  leurs  champs  aux  vainqueurs ,  et  se  retirèrent 
dans  les  montagnes  et  dans  les  bois ,  où,  depuis 
trois  cents  ans,  ils  ne  cessent  de  faire  la  guerre  aux 
nations  européennes  qui  se  sont  établies  dans  leur 
pays.  La  conduite  féroce  qu'ont  tenue  à  leur  égard  cer- 
tains de  ces  peuples  soi-disant  civilisés,  a  été  suffisante 


LORS  DE   L'iNYASiOîr  DE  LEITE.   PATS.  à8^ 

pour   les   rendre    à    jamais    ennemis  des   arts  et   des 
sciences  de  l'Europe. 

Les  faibles  détachemens  qu'ils  emploient  aujour- 
d'hui à  combattre  les  armées  européennes,  triples  en 
nombre-,  prouvent  qu'à  cette  époque  ce  fut  les  armes  à 
feu  ,  la  trahison  des  femmes  et  la  perfidie  des  Espa- 
gnols ,  plus  que  la  bravoure  ,  qui  avaient  vaincu  leurs 
ancêtres,  et  que  la  nature ,  quoi  qu'en  dise  M.  Paw  , 
n 'a  pas  place  en  Amérique  que  des  enfans  dont  on  n'a 
encore  pu  faire  des  hommes. 

Les  Anglais  ,  dans  la  guerre  du  Canada  ,  en  iy.56  , 
firent  la  triste  expérience  du  contraire  dans  leur  fort 
Edouard,  où  ils  ne  purent  résister  à  l'assaut  qu'y  don- 
nèrent les  Iroquois  ,  très-inférieurs  en  nombre  à  eux  3 
et  malgré  la  conquête  du  Canada  parles  Anglais, 
ceux-ci  n'osent  pas  tirer  un  coup  de  fusil  hors  de  leurs 
limites  ,  dans  la  crainte  d'encourir  la  vengeance  de  ces 
sauvages. 

Les  Anglo-Américains  éprouvent  journellement  qu'il 
est  plus  terrible  de  se  défendre  contre  de  pareils  enfans  , 
que  de  combattre  contre  des  hommes,  fussent-ils  même 
aussi  braves  et  aussi  vigoureux  que  M.  Paw. 

Les  Français  et  les  Hollandais  s'en  sont  convaincus 
dans  la  Louisiane  et  dans  la  Guyane.  Les  Portugais 
ne  sont  pas  plus  tranquilles  dans  leur  Brésil  ,  et  les 
Espagnols  eux-mêmes  ont  souvent  été  vaincus  par  les 
Américains  du  Mexique  ,  du  Pérou  et  du  Chili  ,  qu"i!s 
n'ont  pas  encore  pu  subjuger. 

.  Eu  1780,  Tupac  Amara,  ayant  été  proclamé  inca 
par  les  Péruviens,  il  défendit  ostensiblement  sa  dignité 
pendant  deux  ans  ,  à  la  fiu  desquels  lui  et  ses  adhérens 
furent  vaincus  et  mis  à  mort. 


2o3  RÉSISTANCE  DES  PREMIERS  AMERICAINS  , 

Une  insurrection  semblable  eut  lieu  en  Grenade  5 
elle  fut  apaisée  à  la  suite  eies  négociations  ouvertes 
entre  liis  agens  du  gouvernement  et  les  insurgés.  Un 
plan  de  révolution  avait  été  organisé  aux  Caraccas  en 
17975  mais  il  fut  découvert  au  moment  où  il  allait 
éclater.  Don  Espana,  un  des  chefs,  fut  pendu  deux 
ans  après  à  la  Guira  ,  où  il  avait  eu  Timprudence  de 
retourner.  Les  Indiens  de  la  Nouvelle  Espagne  sont 
fréquemment  en  état  de  révolte:  les  émeutes  les  plus 
considérables  ont  eu  lieu  en  i5c;6  ,  en  1601  ,  en  1609  , 
en  \6"z\  ,  en  1692  ,  et  finalement  pendant  la  révolu- 
tion française. 

Ces  différens  peuples  européens,  plus  sincères  que 
l'auteur  des  Mémoires  sur  les  Américains ,  déposeront 
coutre  la  relation  du  colonel  Bouquet  ,  qui  prétend  , 
suivant  lui,  que  les  Indiens  occidentaux  n' attaquent  leurs 
ennemis  que  lorsqu'ils  sont  hors  d'état  de  se  défendre , 
et  qii1  ils  ont  mis  bas  les  armes. 

Je  me  contenterai ,  pour  toute  réponse  ,  de  lui  citer, 
à  cet  égard,  ce  qui  arriva  dans  l'île  de  Saint-Vincent,  à 
un  Fiançais  qui  voulait  montrer  à  un  Caraïbe  hoir 
un  contrat  d'acquisition  passé  avec  un  Caraïbe  rouge. 
:»  Je  ne  sais  point,  lui  répliqua  le  Caraïbe  noir  ,  ce 
y>  que  dit  ton  papier*,  mais  lis  ce  qui  est  écrit  sur  ma 
5)  flèche.  Tu  dois  y  voir  en  caractères  qui  ne  mentent 
»  pas,  que  si  tu  ne  me  donnes  pas  ce  que  je  te  demande^ 
»  j'irai  ce  soir  brûler  ton  habitation.  :» 

On  ne  peut  s'empêcher  de  hausser  les  épaules,  en 
lisant,  page  n3  du  second  volume  de  l'ouvrage  de 
M.  Paw,  ce  que  lorsqu'on  amena  les  premiers  Américains 
n  en  France,  sous  la  minorité  de  Charles  IX,  on  ob- 
»  serva  très -bien  qu'Us  ne  firent  aucun  cas  de  la  per- 


LORS  DE  L'iNVASIÛK  DE  LEUR  PATS.  28©, 

Spnne  du  roi ,  qu'ils  prirent  pour  un  Indien  ,  parce 
3)  qu'il  n'avait  pas  de  barbe  ;  pendant  qu'ils  trem- 
a>  blaient  devant  les  cent-suisses,  pourvus  d'énormes 
x>  moustaches  j  »  parce  que  Ton  voit  que  la  préven- 
tion nationale  ne  lui  permet  pas  de  laisser  ignorer  plus 
long-temps  le  pays  auquel  il  appartient. 

Il  faut  être    bien   peu   sincère  ,    pour   dire ,   comme 
M.  Paw,  page  177  du  troisième  volume  ,  ce  qui  voudrait 
3>  se  mettre  en  devoir  d'aller  subjuguer  les  sauvages  , 
5)  qui  ont  à  peine  des  cabanes  ,  et  qui  ne  paieraient  pas 
3)  les  frais   qu'il    faudrait    faire  pour  les  battre  ?  leur 
3)  misère  profonde  les    met   à   l'abri  de    la    servitude  7 
■>■>  dont  leur  bravoure  ne  saurait  les  garantir  5  d'ailleurs? 
3>  les  Européens  ont   tant  de  terrein    dans    ce   pays  , 
»  que  ,  loin  d'en  désirer  aujourd'hui  davantage  ,  ils  ne 
:»  sauraient  faire  valoir  la  millième  partie  de  ce  qu'ils 
»  occupent.  » 

Si  cet  écrivain  avait  mieux  connu  le  cœur  humain  y 
et  sur-tout  les  dispositions  des  Européens  et  des  Anglo- 
Américains  ,  il  serait  convaincu  de  son  erreur  ,  puis- 
qu'il ne  se  passe  pas  une  année  ,  qu'on  n'achète  ou  qu'on, 
n'envahisse  les  terres  de  ces  mêmes  Indiens. 

N'était-ce  pas  ce  même  désir,  qui  poussa  Lopez  d'A~ 
guirre  à  faire  assassiner  par  les  700  Espagnols  partis 
de  Cuzco  ,  en  i56o,  leur  commandant  Pedro  d?Orsnay 
parce  qu'il  voulait  les  empêcher  de  commettre  sans 
raison  de  nouveaux  forfaits  sur  les  Indigènes  :  aussi 
le  ciel  ne  laissa  point  leur  crime  impuni.  Arrivés  près 
du  fleuve  des  Amazones,  ils  furent  tous  massacrés  par 
les  naturels  du  pays  ,  qu'ils  avaient  pillés.  Sans  doute 
il  eut  réussi ,  s'il  avait  eu  avec  lui  des  Paw  garnis  de 
moustaches. 

TOM.     2..  IO 


2.CJO  RESISTANCE   DES   PREMIERS  AMERICAINS, 

L'auteur  des  Recherches  sur  les  Américains  peut  -  il 
appeler  lâcheté  la  ruse  et  la  surprise  qu'ils  emploient 
dans  leurs  guerres  ;  le  change  qu'ils  donnent  à  leurs 
ennemis  ,  par  des  marches  ,  des  coulre-marches  et  àes 
manœuvres  quelquefois  très-savantes  ?  Ignore-t-il  que 
les  Européens  se  font  gloire  de  surprendre  leurs  enne- 
mis ?  Quand  on  est  si  supérieur  à  des  marmousets  . 
doit-on  craindre  leur  vengeance?  Cependant,  ces  mêmes 
eufans  dont  on  n'a  encore  pu  faire  des  hommes  ,  ont 
souvent  fait  pâlir  et  reculer  d'effroi  les  troupes  anglaises 
et  autres  ,  dans  les  bois. 

Que  M.  Paw  soit  effrayé  de  voir  un  corps  qui  a 
perdu  sa  chevelure  et  la  peau  de  son  crâne  ,  cela  est 
excusable,  s'il  n'est  pas  militaire  ;  mais  qu'il  prétende, 
pa°e  173  du  troisième  volume,  ce  que  des  soldats  Eu- 
»  ropéens,  accoutumés  à  voir  sur  Je  champ  de  bataille 
s)  des  milliers  dé  corps  mutilés  de  mille  manières  hor- 
d>  ribles,  ne  se  sauvent  que  par  la  crainte  qu'ils  ont  de 
»  rencontrer  un  corps  ,  que  les  Indiens  auront  mutilé 
?)  etdécouoéavec  leurs  scalpels  et  leurs  couteaux  à  ba- 
3)  lafres ,  après  en  avoir  enlevé  toute  la  chevelure  avec 
»  la  peau  du  crâne,  »  cela  n'est  pas  probable  :  la  vé- 
ritable raison  est  que  la  guerre  que  l'on  fait  avec  les 
Américains,  est  une  guerre  d'extermination,  et  que  le 
soldat  le  plus  intrépide  redoute,  avec  raison,  d'attaquer 
des  hommes  qui  ne  demandent  jamais  quartier  5  qui 
n'en  font  point;  qui  bravent  avec  le  plus  grand  calme 
possible  les  supplices  les  plus  horribles  ,  la  mort  la  plus 
douloureuse  et  la  plus  longue*,  qui  regardent  comme 
le  plus  grand  des  outrages  de  s'entendre  dire  ,  tu  as  fui; 
et  leurs  femmes,  tu  as  crié  quand  tu  étais  en  couche. 

Malgré  tous  les- efforts  des  Européens,  pour  sou- 


LORS  DE  L'iNVASION  DE  LEUR  1»AYS.  20,1 

mettre  les  indigènes  de  l'Amérique,  la  presque  totalité 
des  peuples  que  j'ai  nommés,  sans  compter  un  nombre 
plus  considérable  encore,  qui  ne  sont  pas  assez  connus 
pour  en  donner  des  détails  ,  ont  maintenu  leur  liberté, 
en  dépit  des  combats  ,  des  moyens  de  séduction  ,  de 
religion,  ou  autres,  qu'on  a  employés  pour  les  diviser 
ou  les  réduire  plus  sûrement. 

Si  les  indigènes  n'ont  pas  reconquis  leur  pays  ,  c'est 
qu'ils  manquent  de  ressources  j  c'est  parce  qu'ils  sont 
trop  divisés  d'intérêts  j  que  leurs  guerres  continuelles 
ont  éteint  une  partie  considérable  de  leur  popula- 
tion, et  que  la  religion,  après  les  avoir  désunis  entre 
eux  ,  est  parvenue  à  ranger  un  grand  nombre  de 
ces  peuples  sous  le  gouvernement  européen.  Aussi 
long-temps  que  la  population  de  l'Amérique  sera  faible, 
ou  plutôt  tant  qu'ils  seront  divisés,  ce  pays  restera  dans 
la  dépendance  de  l'Europe,  à  moins  qu'une  révolution 
qui  doit  nécessairement  avoir  son  cours,  ne  vienne  l'af- 
franchir de  son  joug,  et  lui  rendre  son  rang  parmi  les 
nations.  Le  moment  n'est  pas  éloigné,  où  l'Indien  hu- 
milié marchera  de  pair  avec  son  oppresseur. 

A  quoi  servit  l'intrépidité  des  Caraïbes  contre  la  dis- 
cipline et  l'armure  des  Espagnols  ,  contre  les  efforts 
combinés  des  Français  et  des  Anglais  ,  sinon  à  les  faire 
anéantir,  sans  pouvoir  sauver  leur  pays  ?  à  quoi  servit 
la  résolution  héroïque  des  insulaires  de  Saint-Domingue, 
qui,  pour  se  soustraire  au  travail  forcé  auquel  les  Espa- 
gnols voulaient  les  assujélir  ,  se  réunissaient  en  i5oo, 
par  troupe  de  5o,  pour  avaler  ensemble  le  jus  vénéneux 
de  la  racine  du  manioc?  enfin  ,  la  fumigation  du  bois 
d'à  h  or/ai  que  ces  mêmes  insulaires  firent  en  i5io,  pour 
empoisonner  l'atmosphère  sous  le  vent  ?  et  se  délivrer 


1  9* 


2^2  RÉSISTANCE  DES  PREMIERS   AMERICAINS  j 

ainsi  du  joug  de  leurs  cruels  vainqueurs  j  à  quoi,  dis-je, 
servirent  ces  moyens  ?  à  rien  autre,  qu'à  prouver  qu'a- 
près avoir  combattu  inutilement  un  ennemi  qu'ils  re- 
gardaient comme  invincible  ,  ils  tentèrent  toute  espèce 
d'expédiens  pour  s'en  débarrasser  5   à  prouver  encore 
qu'ils  se  montrèrent  plus  perse vérans  que  les  juifs  de 
l'Hircanie ,  qui ,  s'étant  révoltés  avec  beaucoup  d'éclat 
pour  délivrer  leur  messie  Sabatai  Zevi,  qu'on  avait  mis 
aux   petites  maisons   à  Constantinople,    se  laissèrent 
calmer  par  une  trentaine  de   dragons  envoyés  par  \& 
gouverneur  de  cette  province  pour  punir  ces  fanatiques, 
qui    payèrent  7000  tomans  d'amende  5   et  que  les  juif* 
d'Allemagne  qui  laissèrent  enlever  et  mourir  en  prison  , 
à  Vienne  ,  leur  nouveau  messie  Langalerie  5  à  prouver 
finalement  que  les  efforts  d'un  peuple  paisible  efc  na- 
geant dans  l'or  ne  sauraient   pas   plus  résister  à  des 
pbalanges  couvertes  de  fer,  que  le  firent  jadis  les  Perses 
contre   une  poignée  de  Macédoniens  5  que  les  100,000 
Husses   indisciplinés,    conduits    par   Pierre-le -Grand , 
czar  de   Moscovie  ,  pour  faire  le  siège   de  jNferva  ,  que 
Charles  X.II  força  dans  leurs  retranchemens  avec  oooo 
Suédois  bien    disciplinés,    qui  tuèrent  ou  firent   noyer 
00.000  d'entr'eux  ,  contraignirent  20,000  autres  à  de- 
mander quartier,  et  le  reste  à  se.  rendre  prisonniers  ou 
à  se  disperser. 

Parce  que  Jllanlius  défendit  lui  seul  le  Capitule 
contre  les  ôanlois  qui  étaient  venus  la  nuit  pour  le 
surprendre  :  parce  que  Horatius  Codes  empêcha  lui 
seul  l'armée  des  Clusiens  de  passer  le  pont  qui  était 
sur  le  Tibre  5  parce  que  la  famille  des  Fabiens  ,  com- 
posée de  000  hommes,  défit  en  plusieurs  rencontres 
les  habitans  de  la  Toscane,  qui  étaient  en  guerre  contre 


LORS  DE  L'INVASION  DE  LEUR  PATS.  2Q,3 

Rome  5  parce  que  L.   Cœditius ,  ou  suivant  d'autres  , 
Laberius  ou  Calpurmius  Flamma  ,  fit  marcher  l\oo  sol- 
dats romains  à  travers  l'armée   Carthaginoise  ,    pour 
s'emparer  d'une  hauteur  5  parce  que  lechevalier  Boyard, 
dans  le  royaume  de  Naples  ,  soutint  seul ,  sur  )e  petit 
pont  de  bois  qui  se  trouvait  sur  la  rivière  de  Garilan  ., 
le  choc  de  200  cavaliers   Espagnols  5  parce  que  le  ma- 
réchal  Suchet  ,  auquel  il  restait  à  peine  5ooo  hommes  ? 
défendit  le  pont  du  Var,  résista  aux  attaques  pressantes 
et  réitérées  de  20,000  hommes  ,   l'élite  de  l'armée  Au- 
trichienne ,   et  que    Guillaume  le  conquérant,  bien  des 
siècles  avant  lui,  avait,  avec  6o>ooo  Français,  conquis 
dans  une  seule  bataille  l'Angleterre,  que  les  Romains, 
les  Saxons  et  les  Danois  avaient  disciplinée,  et  qui  con- 
tenait 140  fois  plus  d'individus  que  l'armée  française; 
conclurai-je  pour  cela,  comme  M.  P.tw  ,  que  les  Gau- 
lois ,  les   Toscans  ,  les  Carthaginois ,    les  Espagnols,  les 
Autrichiens  et  les  Anglais  étaient  des  lâches  ? 

Peut -il  regarder  comme  une  faiblesse  et  une  pusil- 
lanimité cette  résolution  vraiment  héroïque  que  prirent 
les  malheureux  habitans   de  l'Amérique  ,    sans   chef, 
sans  ressources ,  d'affamer   leurs   tyrans  aux  dépens 
même   de   leur   vie  ,   de   suspendre    toute  culture ,   ds 
ravager  leurs  champs  ,  de  détruire  les  provisions  ,  de 
se  retirer  dans  les  montagnes  ,   où  la  faim  les  enleva 
par  milliers  (sort  que  les  Espagnols  auraient  éprouvé^ 
sans    les    vivres  qui  leur  arrivèrent  d'Europe)  ;  de   s-e 
laisser  égorger   par   ces  nouveaux  venus,  dévorer   par 
leurs  chiens  ,  brûler  par  l'inquisition  ,  submerger  à  la 
pêche  àes  perles  ,  écraser  sons  le  poids  énorme  des  far- 
deaux, enfouir  vivaus  dans  les  mines;  de  se  pendre,  de 
s' empoisonner  •  de  s'immoler  sur  les  tombeaux  de  leurs 


294  RÉSISTANCE  DES   PREMIERS  AMÉRICAINS, 

souverains,  qu'ils  ne  pouvaient  plus  défendre;  en  un  mot, 
^'essuyer  des  tourmens  horribles,  sans  en  être  ébran- 
lés ,  sans  laisser  échapper  un  soupir,  ni  répandre  une 
larme,  plutôt  que  de  se  convertir  à  la  religion  d'un 
François  de  la  Valleviridi,  qui,  au  lieu  de  leur  annon- 
cer les  maximes  d'un  Dieu  de  paix  ,  leur  avait  présenté 
d'une  main  la  Bible  soutenue  d'un  poignard,  et  éclai- 
rée de  l'autre  avec  une  torche  :  de  ce  moine ,  qui  avait 
menacé  Atabaliba  ,  leur  inca  ,  de  mettre  ses  états  à  feu 
et  à  sang  y  s'il  n'embrassait  pas  une  doctrine  que  ni 
lui,  ni  ce  prince  ne  comprenaient  ;  qui  l'avait  fait  bap- 
tiser de  vive  force  ,  et  fait  étrangler  au  poteau  où  il 
était  déjà  attaché  pour  être  brûlé  ,  après  avoir  fait  as- 
sassiner ses  sujets  dans  la  plaine  de  Caxamalca  ;  plu- 
tôt enfin  que  de  vivre  avec  des  monstres  ,  qui  ne  mar- 
chaient que  sur  les  cadavres  de  leurs  pères,  qui  s'étaient 
fait  des  cœurs  de  tigres,  et  dont  les  mains  avides  dé- 
gouttaient du  sang  de  leurs  compatriotes,  de  celui  de 
leurs  pareils,  de  leurs  frères,  de  leurs  enfans  et  de  leurs 
femmes. 

Auri  sacra  James  ,  quid  non  mortalia  peclora  cogis  ? 

{  Enéide  de  Virgile.) 

La  soumission  passive  d'une  partie  des  Indigènes  à 
la  volonté  arbitraire  des  Espagnols  est  une  suite  natu- 
relle des  procédés  outrés  que  ces  Européens  ont  employés 
pour  détrniie  les  armées  américaines  ;  de  la  surprise  et 
de  la  terreur  que  leur  avaient  occasionnées  des  hommes 
qu'ils  croyaient  surnaturels  et  chargés  de  la  vengeance 
céleste  5  qui  ne  se  faisaient  pas  scrupule  d'arracher  du 
sein  des  Indiennes  des  enfans  à  la  mamelle,  et  de  les 
jeter  à  leurs  dogues  pour  les  repaître  ;  elle  est  le  résultat 
des  cruautés  qui   ont  accompagné  l'asservissement  e 


LORS  DE   L'iNVASIOK    DE   LEUR  PATS.  2C;5 

la  dissolution  des  empires  du  Mexique  et  du  Pérou  5 
des  travaux  insupportables  que  les  conquérans  ont  exi- 
gés de  leurs  nouveaux  sujets,  qui  dans  ce  moment  four- 
nissent 4°î°o°  hommes  annuellement  pour  les  mines 
de  chacun  des  deux  empires  5  de  l'introduction  de  la  pe- 
tite vérole  et  d'antres  maladies  inconnues  en  Amérique 
avant  l'arrivée  des  Européens  ,  qui  ont  tellement  ré- 
duit la  population  ,  que  ,  peu  d'années  après  leur  con- 
quête, ce  qu'on  racontait  de  leur  ancien  état  paraissait 
absolument  incroyable.  Non-seulement  ils  se  ressen- 
tent encore  de  cette  dépopulation  ,  mais  l'oppression  et 
l'esclavage  ont  entièrement  changé  le  caractère  de  ces 
deux  nations.  Les  Mexicains,  excepté  ceux  qui  ont  cher- 
ché un  refuge  dans  des  endroits  inaccessibles  où  ils  ont 
conservé  une  partie  de  leur  religion  et  de  leurs  mœurs  , 
vivent  parmi  les  Espagnols  ,  exercent  l'agriculture  et 
tous  les  arts  de  l'Europe,  sont  chrétiens,  mais  détestent 
encore  au  fond  de  l'âme  une  nation  qui  a  ravi  la  li- 
berté à  leurs  ancêtres  et  les  a  traités  avec*  tant  de  bar- 
barie. 

Quant  aux  Péruviens  ,ils  étaient  autrefois  ("dit  le  pro- 
fesseur Shaeffer)  le  peuple  le  plus  civilisé,  le  plus  cultivé 
de  l'Amérique.  Ils  aimaient  les  arts  et  possédaient  les  ver- 
tus sociales  ;  aujourd'hui  ils  sont  ignorans,  grossiers  , 
sauvages,  pusillanimes  et  paresseux.  S'ils  montrent 
quelquefois  de  la  sagacité  et  une  méchanceté  réfléchie  , 
ce  n'est  que  lorsqu'il  s'agit  de  tromper  leurs  oppresseurs. 
Tout  ce  qui  intéresse  vivement  les  Européens,  honneurs, 
l richesses  ,  bien-être  ,  leur  est  entièrement  indifférent. 
La  nourriture  la  plus  simple  leur  suffit.  Leur  plus 
grand  plaisir  est  de  boire  du  vin  ou  des  liqueurs  fortes; 
niais  il  n'y  a  que  les  pères  de  [famille  qui  osent  se  la 


2^6  RÉSISTANCE   DES   PREMIERS  AMERICAINS  , 

permettre.  Us  sont  tous  catholiques,  mais  en  même 
temps  extrêmement  superstitieux.  Us  sont  forcés  d'al- 
ler à  la  messe  certains  jours  de  la  semaine  5  on  les  pu- 
nit s'ils  y  manquent.  Le  gouvernement  et  les  moines 
sont  les  deux  tyrans  de  ces  malheureux.  Quand  ces 
derniers  vont  faire  la 'quête,  ils  entrent  dans  les  caba- 
nes sans  la  permission  du  maître,  et  prennent  ce  qui 
leur  convient.  Us  sont  obligés  de  travailler  sans  rece- 
voir  de  salaire,  et  de  fournir  au  gouvernement  certains 
objets,  comme  les  mulets  ,  qui  servent  à  l'exploitation 
des  mines.  Les  nègres  même  traitent  les  Péruviens 
avec  mépris  5  ceux-ci  sont  obligés  d'endurer  ce  dernier 
affront.  (Voyez  Cosmographie). 

Quelle  foule  de  réflexions  ne  fait  pas  naître  l'histoire 
de  cette  malheureuse  partie  du  monde  !  Ne  craignons 
pas  de  le  dire  ,  les  nations  civilisées  sont  plus  barbares 
encore  que  celles  que  nous  appelons  sauvages.  La  phi- 
losophie vers  la  fin  du  18e.    siècle  fit  entendre  sa  voix 
en  Europe  ,  renversa  le  trône  de  la  superstition  et  éleva 
le  sien  sur  ses  débris.  Les  mots  d'humanité  et  de  liberté 
étaient  dans  toutes  les  bouches  5  la  liberté  des  opinions 
sur-tout    fut     solennellement    proclamée.    Pouvait- on 
craindre  encore  que  l'intolérance  fît  répandre  le  sang  ?... 
Malheureusement  les  excès  les  plus   contraires  se  res- 
semblent dans  leurs  effets.  Au  16e.  siècle  les  Européens, 
au  nom  de   la   religion  égorgeaient  leurs    semblables 
dans  le  Nouveau-Monde  5  au  18e.  siècle  ,  ils  se  massa- 
crèrent dans   l'Ancien-Monde  au  nom  de  la  philoso- 
phie. Puisque  Perreur semble  devoir  être  la  partage  des 
hommes,  tant  qu'ils  donneront  dans  les  excès  ,  préser- 
vons-nous  donc  de   l'exagération    des  principes,   quels 
311'iU  soient  5  et   que  l'intolérance  philosophique  }  ton* 


LORS   DE  L'INVASION  DE  LEUR   PAYS.  297 

aussi  bien  que  l'intolérance  religieuse  ,  soient  à  jamais 
regardées  comme  le  fléau  de  la  société.  La  soumission 
passive  des  Américains  au  joug  de  leurs  oppresseurs 
se  conçoit  d'autant  plus  facilement  ,  que  nous  en  avions 
une  preuve  frappante  dans  les  colonies  ,  où  des  milliers 
de  nègres ,  avant  la  révolution  française  ,  tremblaient  à 
la  vue  d'un  blanc  ,  et ,  sur  son  ordre  ,  se  seraient  préci- 
pités, avec  l'empressement  d'un  troupeau  de  moutons, 
dans  le  précipice  le  plus  affreux. 

M.  Paw  niera- t-il  que  les  Africains  soient  un  peuple 
fort ,  robuste  ,  guerrier  et  entreprenant?  On  n'a  jamais 
pu  ,  avec  les  armes  à  feu  ,  exécuter  la  conquête  de  l'in- 
térieur de  l'Afrique,  quoique  les  Européens  l'aient  tentée 
tant  de  fois  et  avec  tant  d'acharnement.   Hé  bien  !   ce 
même  peuple,  secondé,  il  est  vrai,  par  un  soleil  brûlant, 
que  les  sables  qui  composent  son  territoire  rendent  en- 
core plus  ardent ,  qui  a  pu  déjouer  dans  son  pays  tous 
les  efforts  des  Européens  ,  a  cependant  eu  la  lâcheté  de 
se  vendre  ,    et  depuis   trois   cents  ans   il   est  dans   les 
Antilles  sous  l'esclavage  d'une  poignée  de  créoles  blancs! 
Ces  Américains,  si  mous,   si  faibles-,    si  pusillanimes 
et  si  lâches ,  ne  se  sont  jamais  vendus  \  ils  vivent  libres 
dans  les  forêts  ,    à   l'exception  de  ceux  qui ,  séduits  par 
les  promesses  de  bonheur  qu'on  leur  annonçait  au  nom 
de  l'Evangile ,   ont  consenti  à  partager  les  travaux  d% 
ceux  qui  les  ont  trompés. 

M.  Paw, sur  l'autorité  de  l'espagnol  Zarate,  prétend, 
page  171  du  3e  volume,  <c  Que  les  Américains  étaient: 
:»  si  peu  résolus  à  recevoir  les  Espagnols,  que  la  plu- 
»  part  des  officiers  de  l'armée  de  l'empereur  du  Pérou 
»  assurèrent  qu'ils  feraient  les  Espagnols  prisonniers 


2^8  RÉSISTANCE  DES  PREMIERS  AMÉRICAINS,' 

3)  de  guerre  ,  et  que  ,  s'ils  ne  voulaient  pas  se  rendre ,  ou 
»  les  exterminerait.  » 

Comment  l'auteur  des  Recherclies  sur  les  Américains 
n'a-t-il  pas  eu  le  bon  sens  de  consulter  tous  les  Mémoires 
sur  la  découverte  et  la  conquête  de  l'Amérique?  Sou 
génie  pénétrant  eût  alors  découvert  que  ces  prétendus 
propos  avaient  été  fabriqués  pour  donner  plus  de  relief 
aux  exploits  des  conquérans.  Au  reste ,  pour  faire  sentir 
Ja  fausseté  de  cet  Espagnol ,  je  vais  donner  un  extrait 
de  chaque  découverte  ou  conquête  dans  le  Nouveau- 
Monde. 

Si  nous  suivons  Colomb  dans  ses  découvertes  ,  nous 
voyons  lui  et  ses  gens  accueillis  avec  bonté  dans  1  île 
de  Guartahani ?  qu'il  nomma  San-Salvador ,  parce  que 
]a  découverte  de  cette  île  le  préserva  des  excès  de  son 
équipage.  Ces  peuples  lui  apportaient  toutes  les  pro- 
ductions de  leur  île  5  ils  prenaient  les  Espagnols  sur 
leurs  épaules  ,  pour  les  aider  à  descendre  à  terre  5  s'ils 
s'enfonçaient  dans  l'intérieur  du  pays,  ils  étaient  fêtés 
et  reconduits  ,  chargés  de  présens  ,  à  leurs  bâtimens. 

A  Cuba  et  à  Hispaniola,  que  les  Indiens  appelaient 
Haïti,  et  qu'on  a  depuis  nommée  Saint-Domingue,  les 
Espagnols  furent  reçus  avec  affabilité.  Les  Indigènes 
qui  portaient  des  ornemens  en  or  en  donnèrent  à  leurs 
nouveaux  hôtes;  ils  échangèrent  contre  des  grains  de 
verre  et  des  grelots  ce  métal  précieux  ,  auquel  ils  met- 
taient peu  de  prix.  Les  vivres  leur  furent  prodigués. 

Ils  fuient  traités  avec  la  même  bonté  à  la  Jamaïque  : 
ils  furent  nourris  par  les  naturels,  sur  les  côtes  des- 
quels leurs  bâtimens  étaient  échoués,  sans  l'espoir  de 
pouvoir  les  relever  et  s'en  retourner  en  Europe.  En 


LORS  DE  l'iSVASION  DE  LEUR.  PATS.  299 

retour,  les  Espagnols  voulurent  les  forcer,  après  dix 
mois,  à  leur  en  donner  davantage.  Ils  cessèrent  de 
leur  en  apporter  pendant  quelques  jours,  puis  ils  leur 
en  fournirent  de  nouveau. 

Balboa,  gouverneur  de  la  petite  colonie  de  Santa- 
Maria,  au  Darien,  ayant  appris  d'un  jeune  cacique 
de  ce  pays  ,  qu'il  y  avait  une  contrée  où  tous  les  usten- 
siles étaient  d'or,  et  qui  était  à  six  journées  de  marche, 
il  fit  ses  dispositions  pour  s'y  rendre.  Sur  ces  entre- 
faites, il  lui  arriva  de  Saint-Domingue  un  renfort  de 
190  vétérans  robustes,  acclimatés  au  climat  de  l'Amé- 
rique. Balboa  se  mit  en  route  le  ier  septembre  i5i3, 
suivi  de  1000  Indiens  qui  portaient  ses  provisions,  et 
d'un  certain  nombre  de  ces  chiens  féroces.  Après  avoir 
passé  vingt-sept  jours  pour  traverser  l'isthme  ,  il  arriva 
sur  le  bord  de  l'Océan,  où  Balboa  s'avança  jusqu'au 
milieu  des  eaux  de  la  mer  avec  son  bouclier  et  son  épée, 
et  prit  possession  de  cet  Océan  au  nom  du  roi  d'Espa- 
gne. Les  Indiens  ayant  appris  que  ces  étrangers  cher- 
chaientde  l'or,  ils  lui  en  apportèrent.  Quelques  caciques 
ajoutèrent  à  ces  dons  précieux  une  quantité  considé- 
rable de  perles.  Balboa  ,  dont  la  soif  augmentait  avec  la 
richesse,  força  à  main  armée  plusieurs  petits  princes 
voisins  à  lui  donner  de  l'or.  Les  Indiens  des  côtes  de 
la  mer  du  Sud  lui  assurèrent  qu'il  y  avait ,  à  une  dis-- 
tance  assez  considérable  vers  l'eut ,  un  riche  et  puissant 
royaume ,  dont  les  habitans  avaient  des  animaux  ap- 
privoisés pour  porter  leurs  fardeaux  5  et  ils  tracèrent  sur 
le  sable  la  figure  des  Lamas  du  Pérou.  Lajalousie  de 
ses  chefs  l'empêcha  d'y  aller. 

Hermandex    de    Cordova    étant   débarqué    avec   ses 
troupes,  le  i5  février  i5iy,  sur  la  pointe  orientale  de 


«300  RESISTANCE   DES  PREMIERS   AMERICAINS  , 

cette  péninsule,  qu'on  appelle  Yucatan  ,  les  Américains, 
qui  étaient  vêtus  d'étoffes  de  coton  à  la  manière  des 
nations  civilisées  ,  vinrent  les  recevoir,  et  les  invitèrent 
a  aller  voir  leurs  habitations,  où  ils  furent  reçus  avec 
de  grands  témoignages  d'amitié.  L'indiscrétion  des  Es- 
pagnols ayant  occasionné  une  rixe,  Cordova  s'éloigna 
de  cette  côte,  et  se  rendit  à  Campêche,  où  il  fut  reçu 
avec  beaucoup  d'hospitalité.  Les  Indigènes  lui  firent 
des  présens  en  or.  Les  Espagnols  ayant  remarqué  que 
cet  or  était  artistement  travaillé  ,  ils  eurent  recours  à  ia 
force  pour  s'en  procurer  d'autre.  Les  Indiens,  indignés 
d'un  pareil  procédé,  les  attaquèrent  vigoureusement, 
leur  tuèrent  47  hommes,  et  les  forcèrent  de  s'en  retour- 
ner à  Cuba. 

Velasquez ,   après  avoir  équipé  deux  bâtimens ,    fit 
voile  pour  les  Florides.  Les  habitans  ,  qui  n'avaient  pas 
encore  vu  de  navires ,  se  présentèrent  en  foule  au  bord 
de  la  mer  :  les  plus  hardis  d'entre  eux  entrèrent  dans 
leurs  vaisseaux  ,  engagèrent  les  Espagnols  à  venir  visi- 
ter leurs  cabanes,  et  leur  offrirent  tout  ce  qu'ils  avaient 
de  rare  dans  leur  pays.  Velasquez  accepta  leurs  offres  5 
et,  pour  inspirer  plus  de  confiance  aux  naturels,  il  les 
invita  tous  à  venir  le  lendemain  se  régaler  à  son  bord. 
Ils  y  arrivèrent  en  plus  grand  nombre  que  le  jour 
précédent.  On  leur  servit  beaucoup  à  manger ,  et  sur- 
tout force  rasades,  qui  les  enivrèrent  bientôt.  Quand 
les  Floridiens  eurent  perdu  la  raison  ,    la   force  et  la 
connaissance ,  les  Espagnols  les  enchaînèrent  tous  ,  les 
descendirent  à  fond  de  cale,  et  avant  de  lever  l'ancre  , 
ils   déchargèrent   leurs  canons    sur   les   femmes  et  le3 
enfans  ,  qui  attendaient  sur  le  rivage  le  retour  de  leurs 
pères  et   de  leurs  époux  que   les  Espagnols   jetèrent 


«.ORS  DE  L'iNVASiOK  DE  LE¥R  PATS.  3oL 

dans  les  mines,  et  condamnèrent  à  la  plus  dure  ser- 
vitude. 

Le  cruel  Velasquez  étant  retourné  dans  la  Floride,' 
les  Sauvages  le  reconnurent ,  se  jetèrent  sur  sa  troupe  ,' 
dont  ils  massacrèrent  200  soldats  et  dispersèrent  le  reste. 
Le  ciel  dans  sa  justice  permit  que  la  mer  engloutît  une 
partie  de  son  escadre,  et  que  Velasquez  ne  revînt  dans 
sa  patrie  que  pour  y  vivre  pauvre,  détesté  de  ses  con- 
citoyens ,  dévoré  de  remords .  et  mourir  dans  la  plus  af- 
freuse misère. 

Quand  Ferdinand  Soto  débarqua  dans  la   Floride, 
le  chef  des  Floridiens  lui  envoya  en  ambassade  un  Es- 
pagnol prisonnier,  chargé  d'offres  de  paix ,  et  accom- 
pagné des  premiers  de  la  ville.  Bientôt  après  ,  la  souve- 
raine  de  ce  pays  ,  suivie  de  six  femmes  ,  vint  trouver 
Soto,  lui  fit  présent  d'un  collier  de  perles,  mit  à  sa  dis- 
position un  magasin  de  farine  de  maïs,  fit  transporter 
son  armée  dans  la  capitale  de  ses  Etats ,  et  lui  donna 
plusieurs  naturels  pour  lui  servir  de  guides.  Le  désir  de 
se  rendre  maître   d'un  aussi  beau  pays  s'empara  de 
Soto  :  il  ne   mit  plus  de  bornes  à  son  ambition.  S\to 
avait  dans  son  armée  un  lévrier  de  la  grande  espèce, 
nommé  Brutus  :  ce  mâtin,  après  avoir  fait  de  terribles 
ravages,  fut  enfin  tué  à  coups  de  flèches  parles  In- 
diens, et  Soto  mourut  sans  avoir  trouvé  les  trésors  qa'il 
cherchait. 

Grijalva,  jeune  homme  d'un  grand  mérite,  partit, 
le  18  avril  i5i8,  à  la  tête  d'une  seconde  expédition  , 
pour  venger  Hernandez  de  Cordova.  Les  Espagnols  en 
arrivant  attaquèrent  subitement  les  Indiens.  Ils  les 
vainquirent}  maisla  résistance  vigoureuse  qu'ils  éprou- 
vèrent,   les  convainquit  que  les  habitans  de  ce  pavs 


I 

O02  RÉSISTANCE  DES  PREMIERS  AMERICAINS  . 

ne  seraient  pas  faciles  à  soumettre.  Les  Espagnols 
s'étant  rembarques  ,  ils  longèrent  les  côtes,  et  furent  si 
frappée  de  la  fertilité  des  terres  et  de  la  beauté  des  villes 
et  des  villages,  où  il  avait  remarqué  des  tours  et  des 
clochers,  que  Grijalva  prit  possession  d'avance  d'une 
région  qui  était  loin  d'être  en  son  pouvoir,  et  l'appela 
Nouvelle- Espagne ,  nom  qu'elle  a  conservé  depuis. 

Les  Espagnols  mirent  à  terre  près  d'une  rivière  ap- 
pelée par  les  naturels  Tabasco,  et  de  là  se  rendirent 
dans  la  province  de  Guaxaca ,  où  ils  furent  reçus  avec 
les  marques  du  plus  grand  respect.  On  btûlait  de  l'en- 
cens devant  eux.  Les  Indiens  échangèrent  des  bijoux 
d'or  d'une  grande  valeur  pour  quelques  bagatelles.  Ils 
apprirent  aux  Espagnols  qu'ils  étaient  les  sujets  d'un 
monarque  puissant  3  appelé  Montézuma. 

Grijalva  s'étant  rendu  à  Cuba,  fit  un  récit  si  pom- 
peux de  ce  qu'il  avait  vu ,  que  Cortez  mit  à  la  voile  de 
Sant-Yago  de  Cuba,  le  3o  novembre  i5  18.  Après  avoir 
reconnu  l'île  de  Cozumel  et  la  rivière  de  Tabasco,  il 
débarqua  à  Chalchialicuocan  ,  qu'il  nomma  Saint-Jean 
eCUlloa,  où  il  reçut  des  députés  ,  qui  lui  offrirent ,  de  la 
part  du  gouverneur,  tous  les  secours  dont  il  aurait 
besoin.  Cortez  ayant  fait  solliciter  la  permission  de  se 
rendre  au  près  de  l'empereur  Montézuma,  ce  prince,  pour 
adoucir  le  refus  qu'il  fit  de  le  recevoir,  eut  l'imprudence 
de  lui  envoyer,  avec  l'ordre  de  quitter  ses  Etats,  une 
quantité  prodigieuse  d'or  et  de  pierreries.  Ces  trésors 
déterminèrent  Cortez  à  fonder  une  ville,  qu'il  nomma 
Vera-Cruz.  Il  se  mit  ensuite  en  route  pour  aller  attaquer 
l'empereur,  dont  les  ennemis  étaient  considérables. 

Peu  de  jours  avant  son  départ,  il  reçut  dans  son 
carnp  les  envoyés  cViui  cacique  mécontent ,  qui  vint  lui 


lors  de  l'invasion  de  leur  pats.  3oj 

offrir  son  alliance ,  et  lui  demander  sa  protection  contre 
Montézuma.  A  l'aide  de  cet  allié,  il  gagna  plusieurs 
autres  caciques  ,  qui  lui  fournirent  5ooo  Indiens,  avec 
lesquels  il  marcha  sur  Tlascala.  Après  quelques  com- 
bats, les  Tlascalans,  informés  que  ces  étrangers  ne  ve- 
naient que  pour  faire  la  guerre  à  l'ennemi  commun  , 
firent  la  paix,  et  lui  fournirent  6000  soldats,  avec  les- 
quels il  se  rendit  à  Cliolula ,  où  il  fut  très-bien  accueilli. 
Il  se  rendit  ensuite  devant  Mexico  pour  en  faire  le 
siège  avec  l'armée   formidable  dont  nous  avons  parlé. 

Pizarre  partit  de  l'Estramadure  en  i53o  j  il  débarqua 
à  Tumbez,  où  les  Indigènes  l'accueillirent  avec  bonté. 
Tout  le  long  de  sa  route  jusqu'à  Caxarualca,  il  reçut 
des  offres  d'amitié  de  divers  caciques.  Les  deux  com- 
pétiteurs au  trône,  Huescar  et  Atahualpa,  envoyèrent 
des  ambassadeurs  lui  demander  son  alliance.  Nous 
avons  vu  de  quelle  manière  il  paya  tant  de  confiance  et 
tant  d'hospitalité.  Plus  de  4000  Péruviens  furent  vic- 
times de  la  crédulité  de  leur  empereur,  qui  croyait  , 
comme  son  peuple  ,  n'avoir  rien  à  craindre  d'un  chré- 
tien, encore  moins  d'un  prêtre,  qui  lui  annonçait  la 
paix  et  le  bonheur,  dans  le  moment  qu'au  nom  de  ce 
Dieu  de  paix  il  méditait  sa  mort.  On  trouve  encore 
dans  l'ancien  état  militaire  de  ce  temps,  que  le  doge 
Berccillo  gagnait  deux  réaux  par  mois  pour  des  services 
rendus  à  la  couronne. 

C'est  cependant  cette  affaire,  honteuse  et  crimiuelle  , 
que  M.  Paw  appelle  complaisamment  la  célèbre  bataille 
de  Caxarualca ,  qui  fut  la  bataille  d'Arbelles  pour  l'em- 
pire du  Pérou.  L'on  peut  juger,  d'après  ces  divers  rap- 
ports, puisés  dans  les  historiens  contemporains  espa- 
gnols, le  cas  que  l'on  doit  faire  de  l'écrit  de  ce  Zarate* 


3û4  RÉSISTANCE  DES  PREMIERS  AMERICAINS  y 

intitulé  :  Histoire  de  la  conquête  du  Pérou ,  et  sur-tout 
de  l'ouvrage  de  M.  Paw,  qui  dit,  p.  71  du  1e1'  volume  , 
que  les  Pizarres  n'avaient  que  70  fantassins  et  3o  ca- 
valiers ,  avec  lesquels  ils  égorgèrent  les  troupes  innom- 
brables de  l'Inca  ;  que  les  fuyards  firent  tant  d'efforts 
pour  se  sauver ,  qu'ils  renversèrent  à  plat  une  immense 
muraille  qui  s'opposait  à  leur  déroute  ,  et  qu'il  leur  en 
eut  coûté  bien  moins  pour  culbuter  l'ennemi. 

Quand  on  réfléchit  sur  les  maux  que  les  Espagnols 
avaient  faits  aux  Américains,  et  dont  les  plaies  étaient 
encore  saignantes  lors  de  l'arrivée  des  Quakers  en  Penn- 
sylvanie ,  doit-on  être  étonné  que  les  Indigènes  aient 
préféré  céder  à  Guillaume  Penn  des  terres  qu'ils  ne 
pouvaient  plus  espérer  de  cultiver  paisiblement,  plutôt 
que  de  s'exposer  à  les  voir  envahir  par  de  nouveaux 
Européens,  qui  eussent  été,  peut-être,  plus  cruels  et 
plus  féroces  que  les  premiers  usurpateurs  de  l'Amérique. 
Cet  auteur,  cependant,  blâme  cette  conduite,  toute  sage 
qu'elle  est.  Quoiqu'il  en  puisse  dire  ,  ils  tiennent  ,  plus 
qu'il  ne  le  pense  ,  à  leur  pays,  et  on  ne  les  verra  point 
le  quitter  pour  en  aller  établir  un  autre,  fût-il  meilleur. 
L'attachement  des  Américains  pour  leur  terre  natale, 
pour  leur  liberté  et  leurs  coutumes,  est  si  grand  ,  que 
les  jouissances  de  la  France  n'ont  pu  décider  des  Esqui- 
maux, des  Canadiens,  ni  des  Huions  à  s'y  fixer. 
Ils  n'avaient  qu'un  désir,  celui  de  retourner  dans  leur 
patrie. 

Les  Anglais  avaient  amené  un  Esquimaux  en  Angle- 
terre :  il  commençait  déjà  à  s'accoutumer  à  leurs 
usages,  lorsque  le  hasard  lui  ayant  fait  voir  de  l'huile 
de  baleine  ,  il  demanda  à  en  boire.  On  lui  en  donna  :  il 
l'avala  avec  délices  ,  et  pria  avec  instance  de  le  ramener 


LOlfS  DE  L'INVASION  DE  LEUR  PATS.  3û5 

dans  sa  patrie,  où  il  pourrait  se  délecter  à  son  aise  d'une 
boisson  aussi  délicate.  Depuis  ce  moment  il  ne  cessa 
de  solliciter  son  retour,  et  toujours  les  larmes  aux 
yeux. 

Onamena,  dans  le  17e  siècle,  quelques  Groëulandais 
à  la  cour  de  Copenhague  :  on  les  y  combla  de  bienfaits. 
Toutes  ces  attentions  furent  inutiles  5  en  peu  de  temps 
ils  y  moururent  de  chagrin.  Plusieurs  d'entre  eux  se 
noyèrent  en  voulant  retourner  en  chaloupe  dans  leur 
pays.  Les  autres  avaient  vu  de  sang-froid  toutes  les 
magnificences  de  la  cour  de  Danemarck.  Il  y  en  avait 
un  qui  pleurait  toutes  les  fois  qu'il  apercevait  une 
femme  portant  un  enfant  dans  ses  bras.  On  conjectura 
que  cet  infortuné  était  père  5  mais  on  ne  s'empressa 
point  de  la  rendre  à  sa  famille. 

En  1769  j  on  amena  à  cette  même  cour  un  homme 
et  une  femme  du  Groenland.  Ils  témoignèrent  tant  de 
chagrin  qu'on  fut  obligé  de  les  renvoyer. 

Cet  amour  est  si  fort  chez  les  peuples  de  l'Amérique, 
qu'on  n'a  jamais  pu  déterminer  les  sauvages  qui 
viennent  en  mission  à  Philadelphie,  à  renoncer  à  leurs 
déserts  ,  pour  se  fixer  dans  cette  capitale  des  Etats-Unis. 
Le  jeune  Corn  Planteur,  âgé  de  vingt-quatre  ans,  fils 
de  ce  fameux  Corn-Planteur,  chef  suprême  des  nations 
sauvages  coalisées  contre  les  Etats-Unis,  que  le  Con- 
grès avait  fait  élever  à  ses  frais  dès  sa  plus  tendre  en- 
fance, dont  il  payait  toutes  les  dépenses,  tontes  les 
fantaisies,  airna  mieux,  en  1796,  renoncer  à  tous  les 
plaisirs  et  au  luxe  de  Philadelphie  ,  pour  retourner  dans 
les  bois  avec  les  Sauvages  qui  étaient  venus  en  dépura- 
tion dans  cette  ville. 

M.  Paw  accuse  le  climat  du  Nouveau -Monde   de 

Tùfil.     2.  20 


3û6  RESISTANCE  DES  PREMIERS  AMERICAINS  ,' 

dégrader  les  naturels  et  même  l'Européen  ci  ni  se  fixe 
dans  ce  pays  5  que  n'a-t-il  été  témoin  de  ce  qu'ont  fait 
les  États-Unis  dans  leur  querelle  avec  l'Angleterre  5 
il  eût  changé  d'opinion.  Ils  ont  su,  avec  des  forces 
inférieures,  battre  les  Anglais  sur  mer,  capturer 
leurs  frégates  ,  les  expulser  de  leur  pays  ,  et  se  débar- 
rasser des  fabriques  de  Manchester  et  de  Birmingham. 
Les  femmes  ont  préféré  les  étoffes  grossières  fabriquées 
par  des  mains  novices,  aux  élégans  tissus  des  manu- 
factures anglaises.  Le  thé  était  devenu  pour  ces  peu- 
ples un  véritable  besoin  ;  hé  bien,  ils  ont  mieux  aimé 
le  jeter  à  la  mer,  que  de  le  recevoir  d'une  main  enne- 
mie. Pour  ne  pas  laisser  les  Anglais  jouir  de  la 
ville  de  New  -  York ,  ils  ont  mis  eux-mêmes  le  feu  à 
leurs  maisons  j  les  femmes  couraient  avec  des  torches 
allumées  porter  la  flamme  dans  les  magasins ,  dans 
les  chantiers  publics,  elles  s'applaudissaient  de  leurs 
funestes  effets  :  on  les  entendait  crier  :  ce  J'ai  vu  brû- 
»  1er  nos  maisons  ,  les  tyrans  ne  les  auront  pas  !  3)  Une 
d'elles  fut  désarmée  par  un  officier  anglais ,  au  moment 
où  elle  allait  se  poignarder  pour  se  soustraire  à  la  loi 
du  vainqueur.  La  belle  et  jeune  Cadwell ,  malgré  les 
instances  de  son  mari  pour  l'engager  à  se  soustraire 
au  danger,  attendit  au  contraire  les  Anglais  ,  entourée 
de  ses  fils  en  bas  âge,  et  ayant  près  d'elle  une  jeune 
fille  qui  tenait  dans  ses  bras  son  dernier  né.  Les  sol- 
dats se  présentent ,  Cadwell  s'oppose  à  leur  entrée  dans 
sa  maison.  Les  soldats,  fatigués  de  tant  de  résistance, 
font  feu  5  une  balle  perce  le  sein  de  cette  héroïne ,  sou 
sang  rejaillit  sur  ses  enfansj  elle  expire  en  leur  repro- 
chant leur  lâcheté  barbare. 

Les  femmes  de  la  Caroline  ,  plutôt  que  de  se  rendre, 


LORS  DE  L'INVASION  DE  LEUR  PAYS.  3o^ 

d'après  les  invitations  des  Anglais,  aux  assemblées  et 
aux  fêtes  qu'ils  donnaient ,  couraient  à  bord  des  vais- 
seaux qui  renfermaient  des  prisonniers  américains  , 
descendaient  dans  les  cachots  ,  parcouraient  les  pri- 
sons en  disant  à  leurs  époux,  à  leurs  fils ,  à  leurs 
frères,  à  leurs  amis  :  «Américains,  pour  qui  la  fureur 
»  des  tyrans  n'est  rien  et  la  patrie  est  tout,  sachez 
5>  préférer  la  prison  à  l'infamie  ,  la  mort  à  la  servitude  I 
3)  L'Amérique    a    les  yeux    fixés    sur   ses    défenseurs 

»  chéris  , martyrs  d'une  cause  agréable  à  Dieu  et 

»  sacrée  pour  les  hommes,  vous  recueillerez  le  fruit  de 
2)  vos  maux...  la  liberté  !...  l'objet  de  tous  nos  vœux.  » 

Celles  qui  étaient  nées  dans  l'opulence  aimèrent 
mieux  abandonner  leur  terre  natale,  aller  dans  un© 
autre  province  occupée  par  les  Américains,  mendier: 
du  pain  pour  elles  et  leurs  enfans ,  plutôt  que  de  s© 
montrer  aux  fêtes,  aux  bals  que  donnèrent  les  vain- 
queurs. 

Les  dames  de  Philadelphie  formèrent  une  associa- 
tion à  laquelle  présidait  madame  ^Washington  j  elles 
vendirent  leurs  bijoux,  firent  de  grands  sacrifices  eu 
argent,  et  les  répandirent  dans  les  maisons  des  mal- 
heureux. Les  citoyens  aisés  imitèrent  avec  empresse- 
ment un  si  bel  exemple  ;  ils  remirent  de  fortes  sommes 
à  ces  dames,  qui  les  versèrent  dans  le  trésor  public 
pour  récompenser  les  soldats. 

A  Baltimore,  les  négocians  fournirent  au  marquis 
de  la  Fayette  l'argent  nécessaire  pour  habiller  ses 
troupes.  Le  soir  de  son  arrivée,  on  donna  un  bal  au- 
quel assista  ce  jeune  commandant  ;  il  eut  à  peine  lait 
connaître  aux  dames  les  besoins  de  sa  troupe  ,  qu'elles 
se  chargèrent  à  l'instant  de  fournir  la  toile  nécessaire , 


24 


* 


3o8  RÉSISTANCE    DES  PREMIERS   AMÉRICAINS, 

et  de  faire  elles-mêmes  les  chemises  pour  l'approvision- 
nement de  l'hôpital. 

Depuis  que  M.  Paw  a  fait  imprimer  ses  diatribes 
contre  le  nouvel  hémisphère,  l7 Amérique  Méridional© 
a  imité  l'exemple  de  la  partie  du  nord  de  ce  pays. 
Cette  conduite  des  habitans  du  nord  et  du  sud  n'an- 
nonce pas  que  l'air  de  ces  contrées  en  fait  dégénérer 
les  habitans. 

L'Europe  a  admiré  le  courage  avec  lequel  les  mar- 
tyrs de  la  foi  ont  supporté  les  souffrances  qu'on  leur 
faisait  endurer;  peuvent-ils  entrer  en  parallèle  avec  la 
fermeté  inébranlable  de  l'empereur  Guatîmosin  ,  à 
rester  tranquillement  étendu  sur  des  charbons  ardens , 
plutôt  que  de  découvrir  à  Cortez  la  partie  du  lac  où 
il  avait  jeté  ses  trésors?  Comparera- 1- on  les  per- 
sécutions des  martyrs  de  la  foi  avec  les  tourmens 
effroyables  que  les  sauvages  de  l'Amérique-Nord  fout 
essuyer  à  leurs  prisonniers  ,  tourmens  dont  le  récit 
seul  fait  dresser  les  cheveux?  Le  courage  de  ces  chré- 
tiens approchj-t-il  de  ce  calme  étonnant,  et  de  l'indif- 
férence sans  exemple  avec  laquelle  ces  Américains  en- 
visagent sans  effroi,  sans  inquiétude,  l'ombre  de  la 
mort,  la  mort  même  j  non  contcns  à'en  mépriser  les 
approches  effroyables  ,  ils  provoquent  leurs  bourreaux 
pour  en  augmenter  les  horreurs  ,  et  les  narguent  sur 
ce  qu'ils  ne  peuvent  réussir  à  leur  arracher  la  plus 
petite  souffrance. 

Ce  mépris  pour  les  maux  provient  de  la  vie  dure 
qu'ils  mènent,  et  des  lois  qu'ils  se  sont  faites,  de 
n'avoir  pour  guerriers,  et  sur-tout  pour  chefs,  que 
des  -hommes  capables  de  marcher  les  premiers  devant- 
dès  hommes 5   de  montrer  plus  de  vigueur,  d'intrépi- 


LORS  DE  ^INVASION  DE  LEUR  PAYS.        3o£ 

dite,    de  lumières    qu'aucun   d'eux 5    qui   connaissent 
d'avance  tous  les  lieux  propres  à  la  chasse  ,  à  la  pêche, 
tontes  les  fontaines  5  qui  soient  en  état  de  soutenir  des 
jeûnes  longs  et   vigoureux  pendant    plusieurs  jours  5 
de  se  mesurer    avec    des  bêtes    féroces  ;   de   porter  des 
fardeaux  d'une  pesanteur  énorme  5  de  passer  la  plupart 
des  nuits  en  sentinelle  à  l'entrée  du  carbet  5  de  rester 
pendant  un  temps  considérable  enterrés  jusqu'à  la  cein- 
ture, dans  une  fourmillière,  exposés  à  des  piqûres  vives 
et  sanglantes  5    d'attendre    patiemment    sous    d'épai-j 
feuillages,  qu'il  plaise  à  la  nation  de  venir  les  chercher 
dans  cette  retraite  obscure  pour   les   rendre  au  poste 
qu'ils  fuient,  avant  de  voir  leurs  compatriotes  poser  à 
leurs  pieds  tons  les  arcs,  toutes  les  flèches,  et  obéir  à 
leurs  lois  5   enfin,  de  souffrir  patiemment  que  chacun 
des  assistans  leur  mette  le  pied  sur  la  têle  ,  pour  leur 
faire  connaître  qu'étant  tirés  de  la  poussière  par  leurs 
égaux,  ils  peuvent  les  y  faire  rentrer  ,  s'ils  oublient  les 
devoirs  de  leur  place:  en'un  mot,  un  homme  capable 
de  déployer  une  force  de  corps  et  d'âme  supérieure  aux 
dangers,  aux  peines,  aux  privations,  aux  souffrances 
de  ce  monde  j  une  frugalité    plus  grande  que    celle  de 
Curius  ,  géuéral  et  collègue  de  Falricius  ,  auquel  Pyr- 
rhus envoya  des  députés  avec  des  présens  pour  le  cor- 
rompre, et  qui  leur  répondit,  en  leur  présentant  les 
légumes  qu'il  venait  d'apprêter  :  Qu'un  Romain    qui 
vit  de  cette  sorte  ,  ne  se  soucie  pas  d'avoir  de  l'or,  mais 
bien  de   commander  à    ceux  qui  en  ont:  qui  puissent 
montrer,    non  comme  Alanlius   Torquatus ,    le   collier 
d'un  ennemi  vaincu  ,  mais  le  plus  grand  nombre   dé 
chevelures  de  leurs  ennemis.  Voilà   d'où  leur  vient  ce 
mépris  de  la  vie,  et  non  pas  des  paradoxes  de  M.  Par? 


310  RESISTANCE  DES  PREMIERS  AMERICAINS, 

soutenus  par  des  suppositions  invraisemblables ,  inad- 
missibles et  contre  nature. 

On  ne  cite  qu'un  seul  chevalier  romain  ,  nommé  Cur- 
tius ,  qui,  pour  rendre  l'empire  éternel,  se  précipita 
dans  un  gouffre  qu'un  tremblement  de  terre  avait  fait 
dans  la  place  publique  de  Rome.  L'Amérique  supé- 
rieure, jusque  dans  les  plus  petits  détails,  offre  un 
peuple  entier.  Les  naturels  de  la  Grenade  ont  prouvé 
qu'ils  possédaient  tous  un  dévouement  aussi  noble  , 
puisque ,  pour  ne  pas  survivre  à  l'asservissement  de 
leur  pays  par  les  Français ,  ils  aimèrent  mieux  ,  en 
2.65 1 ,  se  précipiter  tout  vivans  du  sommet  d'une  roche 
escarpée  dans  la  mer,  plutôt  que  de  vivre  avec  leurs 
usurpateurs.  Les  Français  ont  nommé  ce  roc  le  Morne 
des  sauteurs  ,  nom  qu'il  conserve  encore. 

Philippe  ,  dans  une  occasion  à-peu-près  semblable  , 
ayant  trouvé,  après  la  bataille  de  Chéronée^  le  bataillon 
de  héros  thébains,  appelé  la  lande  sacrée ,  couchés  tous 
sur  la  même  ligne,  l'estomac  percé  de  plusieurs  coups 
de  piques,  et  le  visage  tourné  vers  l'ennemi,  ne  put 
s'empêcher  de  verser  quelques  larmes  sur  leur  sort. 

Le  climat  de  l'Amérique  ,  loin  de  faire  dégénérer  les 
naturels  et  ceux  qui  s'y  établissent,  donne  au  contraire 
un  nouvel  essor  à  leur  imagination. 

Pour  prouver  à  M.  Paw  à  quel  point  est  portée  Par- 
deur  militaire  chez  les  Américains,  qu'il  parcoure  l'his- 
toire de  leurs  faits  d'armes  avec  l'Angleterre-,- et  il  verra 
qu'ils  se  sont  mesurés  contre  eux  avec  succès  sur  mer, 
quoiqu'inférieurs  en  force  5  que,  dans  la  guerre  de  leur 
indépendance,  la  compagnie  des  Vieillards  ,  composée 
de  00  Allemands  établis  depuis  nombre  d'années  dan* 


LORS  DE  L'iNVASiON  DE  LEUR  PAYS.  3ll 

le  Nouveau-Monde  ,  et  qui  avaient  servi  leur  patrie  dans 
d'autres  royaumes  de  l'Europe ,  était  commandée  par 
mi  capitaine  centenaire  qui  avait  4°  ans  de  service  , 
et  s'était  trouvé  dans  17  batailles  ,  et  dont  le  tambour 
était  un  vieillard,  de  84  ans.  Au  lieu  de  cocarde,  ils 
portaient  un  crêpe  noir,  pour  témoigner  leur  douleur 
de  ce  que,  dans  un  âge  si  avancé  ,  il  leur  était  impossi- 
ble de  défendre  comme  ils  le  désiraient,  un  pays  qui 
leur  avait  donné  un  asile  contre  l'oppression  :  ce  Cessez 
»  de  vous  opposer  à  ma  résolution,  disait  un  vieillard 
»  de  84  ans!  je  veux  me  placer  devant  un  plus  jeune 
*>  que  moi  5  je  lui  sauverai  la  vie  en  recevant  le  coup 
:»  dont  il  pourrait  être  atteint ,  et  qui  ravirait  à  nia 
3>  patrie  un  défenseur  plus  vigoureux.  :» 

Une  Américaine  ,  dans  une  des  expéditions  qui 
commencèrent  la  guerre,  se  trouvait  à  bord  d'un 
bateau  plat ,  lorsqu'un  boulet  emporta  la  tête  d'un  sol- 
dat qui  était  à  ses  côtés.  Le  sang  jaillit  sur  elle ,  et 
couvrit  le  visage  de  l'enfant  qu'elle  tenait  dans  ses 
bras.  La  nouvelle  lacédémonienne ,  dans  un  excès 
d'héroïsme,  élevant  son  enfant  le  plus  haut  qu'il  fut 
possible  ,  s'écria  :  ce  Te  voilà  dignement  initié  au  ser- 
:»  vice  de  ton  pays ,  c'est  ton  engagement  que  tu  viens 
»  de  signer 5  puis,  se  tournant  vers  son  mari ,  elle  lui 
3>  dit  avec  vivacité  :  Mets  le  feu  au  canon ,  venge  la 
5)  mort  de  ton  camarade.  » 

Deux  jeunes  soldats  .américains,  après  avoir  déserté 
de  l'armée  ,  s'en  retournèrent  à  la  maison  paternelle  : 
leur  père ,  indigné  de  cette  action ,  les  chargea  de 
fers  et  les  conduisit  au  général.  Celui-ci  ayant  été  assez 
généreux  pour  leur  faire  grâce  ,  le  père  parut  si  étonné 
«Tune  telle  indulgence  ,  qu'il  s'approcha  du  général ,  e& 


Q12  RÉSISTANCE  DES  PREMIERS    AMERICAINS, 

lui  dit  les  larmes  aux  yeux  :  ce  C'est  plus  que  je  n'avais 
osé  espérer.  » 

Plus  modeste  que  le  roi  de  Syracuse,  qui  se  fit  maître 
d'école  à  Corinthe  ,  et  le  roi  de  JMacédoine  ,  greffier  à 
Rome  j  AtaJiualpa  et  Montézuma  écoutèrent  avec  em- 
pressement les  vérités  que  les  Espagnols  avaient  voulu 
leur  apprendre,  ils  aimèrent  mieux  céder  au  sort,  que 
d'imiter  le  malheureux  Tarquin  ,  qui  ne  savait  que 
devenir  s'il  ne  régnait  pas  ,  ou  ce  Venone^  fils  de  Pliraa* 
te ,  roi  des  Parthes  ,  qui  errait  de  cour  en  cour  ,  cher- 
chant par-tout  des  secours,  et  trouvant  par-tout  des 
affronts,  faute  de  savoir  triompher  delà  fortune. 

C'est  en  vain  que  M.  Paw  épuise  son  esprit  pour 
flétrir  un  peuple  malheureux,  digne  d'un  meilleur  sort: 
les  Gnatimozin  et  nombre  d'autres  héros  américains 
ont  prouvé  qu'il  n'y  avait  pas  cfe  malheurs  insurmon- 
tables 5  ils  ont  triomphé  du  feu  ,  comme  Mucius  Scévola; 
du  supplice  de  la  croix  ,  comme  P^égulus ;  du  poison  , 
comme  Socrate$  du  sacrifice deleurs  personnes,  comme 
les  deux  Décius ;  de  l'exil ,  comme  Rutilius  5  de  la  mort 
volontaire  ,  comme  Caton. 

Il  ignore  ou  cherche  à  se  cacher,  que  l'amour 
et  l'ambition  sont  les  deux  passions  qui  meuvent  le 
cœur  des  Américains  ;  qu'elles  ont  formé  parmi  eux, 
comme  Platon  dans  sa  république,  ou  Pélopidas  à 
Thèbes  ,  des  bataillons  d'amis  ,  toujours  prêts  à  se  dé- 
vouer pour  la  patrie  5  qui  savent  mourir,  et  non 
gémir,  comme  un  JVLisène  (  liv.  de  VÉne'ide),  de 
mourir  sans  gloire  ,  et  de  n'avoir  pas  l'espoir  d'obtenir 
les  honneurs  de  la  sépulture  5  qui  ne  savent  pas  ce  que 
c'est  que  de  faire  des  prières,  comme  un  Palinure,  pour 
îe  même   objet  5  ni  imiter  ce  jeune  prisonnier  de  Co- 


£0£S   DE  l/lNVASlOV  J3E  LEUR.  PATS.  Si» 

rinthe,  qui,  pour  plaire  an  consul  Mummius ,  qui  avait 
ordonné  à  tous  les  pr'sonniers  de  cette  ville  d'écrire 
chacun  un  vers  grec,  s'empressa  d'écrire  ce  vers  d'Ho-  , 
mère  ,  Tpts  pctx.cepis  Aavaoi,  qui  lui  valut  la  liberté  ,  eelle  de 
ses  païens  et  de  ses  arnis.  Jl.es  Américains,  dans  de  pa- 
reils cas  ,  meurent  et  ne  supplient  jamais  pour  la  vie. 

Tous  ceux  qui  ont  lu  les  diverses  relations  que  les 
historiens  nous  ont  laissées  sur  la  résistance  opiniâtre 
que  les  Brésiliens  ,  les  Chiliens  ,  les  Yucatains  et  autres 
peuples  de  l'Amérique  ont  faite  pour  s'opposer  à  l'en- 
vahissement de  leur  pays,  qu'ils  ont  défendu  pied  à  pied, 
conviendront  qu'il  ne  peut  y  avoir  que  M.  Paw  qui 
puisse  s'oublier  jusqu'au  point  de  dire  (pag-  17^  du 
?)e  volume)  ce  que  la  barbe  seule  eût  suffi  pour  faciliter 
»  la  conquête  de  l'Amérique  5  qu'on  a  été  quarante  ans 
»  au  Pérou  sans  pouvoir,  ni  par  menace,  ni  par  pro- 
»  messes  ,  engager  les  Péruviens  à  ferrer  les  chevaux  ? 
»  qu'ils  avaient  d'abord  pris  pour  des  moutons  5  qu'ils 
:»  n'osaient  les  approcher  de  cinquante  pas,  et  que  plu- 
:»  sieurs  tombaient  en  faiblesse  en  les  voyant  de  loin.  » 

Parmi  les  cinq  causes  que  Garcilasso  assigne  comme 
ayant  facilité  la  conquête  du  Pérou  .  il  y  en  a  trois  que 
je  ne  saurais  admettre  5  les  voici  : 

i°.  Q\\Huyna-Capac  avait  prédit  qu'il  arriverait  un 
jour  des  hommes  barbus,  dont  la  religion  vaudrait 
mieux  que  celle  des  Péruviens.    - 

Cette  prédiction  eût  été  impolitique  de  la  part  de 
l'empereur.  En  supposant  qu'elle  lui  eût  été  inspirée  en 
rêve  ou  autrement ,  des  raisons  d'état  devaient  la  lui 
faire  taire.  Quelle  idée,  en  outre,  ce  nouveau  Cassandre 
pouvait-il  avoir  d'hommes  barbus,  si  son  pays  n'en 
produisait  pas,  à  moins  que  Ton  suppose  qu'il  ait  fait 


3l4  RÉSISTANCE  DES   PREMIERS   AMERICAINS^ 

exterminer  des  missionnaires  européens ,  débarqués  ou 
naufragés  sur  les  côtes  de  son  empire  ,  pour  s'être  per- 
mis de  prêcher  une.  doctrine  plus  épurée  que  la  sienne  ! 
C  est  une  fable  que  les  padres  espagnols  ont  imaginée, 
pour  sanctionner  aux  yeux  du  crédule  vulgaire  l'usur- 
pation de  leurs  concitoyens. 

Ainsi  jadis,  quand  Tarif  vint  conquérir  l'Espagne  ? 
les  habita ns  de  ce  pays  lui  assurèrent  qu'ils  avaient 
prédit  sa  venue  5  on  en  dit  autant  à  Gengis  ?  à  Ta- 
merlan  et  à  Mahomet  II. 

20.  La  ressemblance  que  les  Péruviens  remarquèrent 
entre  les  Espagnols  et  leur  dieu   Viracocha. 

C'est  une  chimère  qui  mérite  le  plus  souverain  mé- 
pris :  c'est  vouloir  suggérer  que  les  Péruviens  imitèrent 
tous  les  faibles ,  qui  flattent  les  puissans  5  qu'ils  firent 
comme  les  juifs  ?  qui  supposèrent  des  prédictions  en 
faveur  d'un  barbare  qu'on  s'obstine  à  nommer  Cyrus  , 
quoique  son  véritable  nom  soit  Kozrou;  en  prétendant , 
comme  Isaïe  (  chap.  XLV)  ,  que  le  Seigneur  gratifie 
du  nom  de  son  Christ,  un  profane  de  la  religion  d» 
Zoroastre. 

3°.  Les  armes  à  feu  3 

4°.  Les  chevaux. 

Voilà  les  seules  raisons  réelles  et  positives  qu'on 
aurait  pu  et  dû  citer,  ainsi  que  les  dissensions  de  ce 
pays. 

5°.   Les  cruautés  d' ]  Atabaliba* 

Ce  prétexte  est  sans  fondement.  On  n'a  jamais  cité 
une  province  ,  un  cacique  >  pas  même  un  seul  Indien, 
qui  s'en  soit  plaint.  Les  Espagnols  ont  inventé  et  débité 
ces  faussetés,  pour  rendre  odieuse  la  mémoire  d'un 
prince  qu'ils  ont  traité  avec  tant  d'inhumanité. 


XORS   DE  L'iNVASiON   DE  LEUR  PAYS.  3l5 

Si  l'on  admet  que  les  Péruviens  -avaient  en  à  se 
plaindre  de  leurs  empereurs,  l'on  peut  supposer  aussi 
qu'ils  se  sont  laissé  Vaincre  pour  se  venger  d'eux, 
comme  jadis  les  Romains  se  laissèrent  battre  par  les 
Volsques  pour  se  venger  de  la  discipline  sévère  du 
consul  Appius  Claudius ,  et  de  son  opposition  à  la  pro- 
mulgation delà  loi  agraire. 

L'Amérique  n'a  jamais  offert  à  l'observateur  réflé- 
chi autant  de  détrônernens  ,  de  mortalités  de  rois  ,  de 
chutes  d'états,  et  de  guerres,  que  l'Europe  dans  ces 
quatre-vingt-deux  ans. 

Victor- Amédée  ,  roi  de  Sardaigne  ,  emprisonné  par 
son  fils  en  1702.  —  Mort. 

Joseph  II,  Pierre-Lpopold,  empereurs  de  Germanie. 
—  Morts. 

Catherine  II ,  impératrice  de  Russie.  —  Morte. 

Pierre  III  ,  Jean  VI  ,  Paul  Ier ,  empereur  de  Puissie. 
~— Massacrés. 

Sélim  III ,  Mustapha  IV ,  sultans  de  Constantin 
nople.  — -  Etranglés. 

Louis  XVI  ,  Louis  XVII ,  rois^de  France ,  empri- 
sonnés. —  Mis  cl  mort. 

Joseph,  roi  de  Portugal.  —  Idem. 

Gustave  III,  roi  de  Suède.  Idem. 

Caroline  Matilde  }  reine  de  Danemarck.  —  Exilée 
et  morte. 

Frédéric-Guillaume  ,  roi  de  Prusse.  —  Mort. 

Christian  VII  ,  roi  de  Danemarck.  —  Mort. 

Pie  VI  ,  pape.  —  Mort  prisonnier  en  France. 

Emmanuel  IV,  roi  de  Sardaigne.  —  Abdiqué. 

Guillaume  V:  Stathouder  de  Hollande.  —  Déposé. 


Si  6  RESISTANCE  BES  PREMIERS  AMERICAINS  , 

Stanislas  Poniatowsky  ,  roi  de  Pologne.  —  Détr&né. 

Ferdinand  IV  ,  roi  de  Napîes.  —  Idem. 

Charles  IV,  Ferdinand  VII,  rois  d'Espagne.  —  Id. 

Gustave  IV  ,  roi  de  Suède.  —  Idem. 

Marie  de  Portugal.. —  Expatriée. 

Ferdinand  IV,  roi  de  ]Sraples.  —  Emprisonné  en 
Sicile  par  les  Anglais. 

La  reine,  son  épouse  ,  obligée  de  se  sauver  de  cette 
île  ,  de  se  cacher  à  Ténédos  ,  de  se  réfugier  à  Vienne , 
où  elle  y  est  morte. 

Napoléon  Bonaparte  ,  déposé  et  relégué  dans  Pile 
d'Elbe  en  1814. 

Un  grand  royaume  (la  France)  ,  après  vingt-quatre 
ans  de  révolution  ,  rendu  à  ses  anciens  souverains. 

Napoléon  Bonaparte  ,  remonté  sur  le  trône  de 
France  en  juin  1815  ,  forcé  d'abdiquer  le  20  du  même 
mois  ,  et  relégué  à  Pile  Sainte-Hélène. 

Louis  X VTII  replacé  sur  le  trône  de  France  pour  la 
seconde  fois. 

Le  royaume  de  Pologne  ,  effacé  de  îa  carte  d'Europe  ? 
rétabli  en  partie  par  Bonaparte,  confirmé  en  i8i5  par 
Alexandre  ,  empereur  de  Russie» 

Cinq  républiques  anéanties  ,  Venise^  Gênes^  Lucques^ 
la  Hollande  et  la  Suède  ;  les  deux  dernières  rétablies  en 
royaumes. 

La  république  des  Etats-Unis  affranchie  du  joug  de 
l'Angleterre. 

François  II,  empereur  d'Allemagne,  forcé  d'abdi- 
quer la  couronne  impériale  des  Césars. 

Création  de  huit  rois  5  savoir  :  èHEtrurie  ,  à? Italie  ,  de 
Naples  j  de  VFestphalie  j  de  Saxe  ,  de  Bavière  5  de  Hol~ 


Z.ORS  DE  L'iKrVASION-  DE  LEUR  PATS.  3  1  ^7 

lande  ,  Je  TVirtetnberg^  les  quatre  premiers  détrônés  , 
et  le  cinquième  réduit  à  la  moitié  de  ses  Etats. 

Guerre  de  sept  ans  ,  guerres  d'Amérique,  guerre  de 
révolutions  dans  la  majeure  partie  de  l'Europe  5  etc.,  etc. 

La  conquête  de  l'Amérique  est  ui\e  suite  naturelle 
des  révolutions  auxquelles  notre  globe  et  ses  habitans 
sont  sujets  ,  et  dont  les  causes  sont  inconnues  aux 
faibles  humains.  Comme  il  est  métapbysiquement  im- 
possible de  voir  clairement  l'avenir  5  qu'il  y  a  une  con- 
tradiction formelle  à  voir  ce  qui  n'est  point  5  que  le 
futur  n'existe  pas  ,  par  conséquent  ne  peut  être  vu  ,  011 
ne  doit  pas  non  plus  s'arrêter  à  la  prétendue  prédiction 
iï Huyna-Capac  ,  qu'à  celle  de  Joseph  Flavien  ,  qui  fait 
aller  Alexandre  rendre  ses  respects  à  Jérusalem  ,  et 
adorer  un  pontife  juif  nommé  Jaddus  ,  lequel  lui  avais 
autrefois  prédit  en  songe  la  conquête  de  la  Perse. 

Ceux  qui,  dans  la  fable  de  X1  Atlantis  ,  croient  recon- 
naître des  relations  obscures  d'un  grand  pays  situé  à 
l'ouest ,  ou  de  l'Amérique,  verront  avec  plaisir  c» 
passage  tiré  du  troisième  livre  de  Diodore  de  Sicile  , 
page  i3o ,  édition  de  Vvresseling  :  a  Les  Atlantes  n'ont 
3>  pas  connu  les  fruits  de  Cérès  ,  parce  qu'ils  se  sont 
55  séparés  des  autres  hommes  avant  que  ces  fruits 
35  eussent  été  montrés  aux  mortels.  5) 

Quoi  qu'il  en  soit ,  s'il  y  a  jamais  eu  une  prédiction 

formelle  ,  c'est  la  découverte  de  l'Amérique  dans  Séuèque 

le  tragique. 

Penient  annis. 

Sœcula  seris  ,  quibus  Océan  us 
î^Ln  cal  a  rerurn  laxet  ,  et  in  gens 
Paieat  Tellus elc. 

S'exalter -sur  une  conquête  semblable,   c'est  sanc- 


3l8  RÉSISTANCE   DES  PREMIERS  AMERICAINS  ? 

îionner  l'injustice,  c'est  légitimer  la  conduite  d'Enée  j 
lorsqu'il  vient  avec  ses  dieux  fugitifs  détrôner  Turnus  , 
ravir  Lavinie  pour  s'établir  en  Italie  5  c'est  approuver 
la  conduite  de  Romulus  envers  les  villages  qui  bor- 
daient le  Tibre  ;  c'est  justifier  l'enlèvement  des  Sabinesj 
c'est  enfin  trouver  naturelle  la  barbarie  de  Moïse  en- 
vers les  habitans  des  cantons  H  A  mon  et  de  Jaboc. 

Quoi  qu'en  dise  M.  Paw  ,  la  conquête  de  l'Amérique 
est  moins  étonnante  que  celles  de  la  Chine  et  de  V l?ide 
par  une  borde  de  Tartarcs  ,•  que  celles  de  V Asie  et  de 
i  Egypte  par  les  Jllace'do /tiens  f  dont  le  pays  n'est  guèr© 
plus  étendu  qu'une  des  provinces  de  l'Espagne  5  que  la 
conquête  de  Y  Asie ,  de  Y  Afrique  et  de  Y  Europe  ^  par  la 
viile  de  Kome;  enfin  que  les  ebangemens  fiéquens  qui 
ont  eu  lieu  dans  les  dynasties  de  l'Europe  en  dépit  des 
lumières  de  ses  habitans.  Bref,  la  conquête  de  l'Amé- 
rique prouve  que  les  Américains  étaient  moins  versés 
dans  Part  sanguinaire  de  dévaster  un  pays  et  d'eu 
assassiner  systématiquement  les  habitans  $  conséquem- 
înent,  que  cette  conquête  est  moins  honorable  pour 
l'Europe  que  cet  écrivain  le  suppose  ,  et  que  cette  intré- 
pidité qu'il  loue  avec  tant  d'emphase  n'est  qu'un  reste 
de  cette  férocité  qui  distinguait  les  Huns  ,  les  Goths  et 
les  Vandales.  Aussi  fut  il  aisé  aux  conquérais  espa- 
gnols, dont  la  soif  de  l'or  semblait  allumer  la  soif  du 
sang  ,  d'accabler  des  nations  entières  qui  n'avaient 
que  leur  courage  et  la  justice  à  leur  opposer.  Ils  firent 
partout  de  vastes  déserts. 

Que  l'auteur  des  P^echerches  sur  les  Américains  réflé- 
chisse sur  les  révolutions  des  empires >  et  il  cessera 
d'être  étonné  de  la  conquête  de  l'Amérique.  Que  sont 
aujourd'hui  les  Perses,  les    Grecs,  les  Rémarins  et  les 


EOES  DE  I.'iNVASIOsr  DE  EEUE  PATS.'  310 

Egyptiens ,  ce  peuple  grave  et  instruit ,  qui ,  sous  Sésos- 
tris,  avait  acquis  toute  la  terre  pour  son  plaisir?  Ils 
sont  aujourd'hui  le  peuple  le  plus  mou  ?  le  plus  frivole 
€t  le  plus  lâche. 


»*^**IV%**»*  v***** 


LIVRE  SIXIÈME. 


CHAPITRE    PREMIER. 

Sur  la  Langue  des  TPèruviens. 


n 


JLN  'est-il  pas  singulier  d'entendre  M.  Paw  déclamer 
contre  une  langue  qu'il  ne  connaît  pas  _,  et  pronon- 
cer avec  une  assurance  peu  commune ,  que  les  Algon- 
kins ,  les  Brésiliens  ,  les  Péruviens ,  les  Mexicains  , 
n'avaient  pas  une  quantité  de  termes  propres  à  énoncer 
les  notions  générales  ;  quoique  l'on  sache  que  la  langue 
des  Caraïbes,  celle  des  Péruviens,  des  Mexicains  et 
de  plusieurs  autres  nations  ,  sont  riches  en  expres- 
sions qui  désignent  les  objets  sensibles,  et  que  les 
voyageurs  et  les  écrivains  se  sont  accordés  à  les  re- 
présenter telles. 

Il  ne  s'était  jamais  douté  que  le  nombre  des 
langues  que  l'on  parle  encore  dans  le  royaume  du 
Mexique,  est  au-delà  de  vingt,  dont  quatorze  ont 
déjà  des  grammaires  et  des  dictionnaires  assez  com- 
plets. D'après  les  vocabulaires  des  sept  langues  de  la 
Nouvelle-Espagne,  que  M.  Humboldt  possède,  ce 
savant  a  été  à  même  de  se  convaincre  que  la  plu- 
part de  ces  langues  sont  loin  d'être  des  dialectes  d'une 
seule ,  comme  quelques  auteurs  l'ont  faussement 
avancé-,  elles  sont  au  moins  aussi  différentes  les  unes 


SUR  LA   LANGUE   DES    PERUVIENS.  321 

des  autres,   que    l'est  le   grec    de  l'allemand,   ou  lé 
français  du  polonais. 

«  On  peut,  sans  exagération  ,  dit  M.  Huinboldt, 
»  porter  à  plusieurs  centaines,  la  variété  d'idiomes  que 
»  parlent  les  peuples  du  nouveau  continent  ,  pheno- 
»  mène  bien  frappant ,  sur- tout  si  ou  le  compare  au 
a   peu  de  langues  qu'offrent  l'Asie  et  l'Europe.  » 

La  langue   mexicaine,   celle   des   Aztèques,  est  la 
plus  répandue.  Elle  s'étend  aujourd'hui  depuis  le  3^« 
degré,  jusqu'au  lac  de   Nicaragua,  sur  une  longueur 
de  4oo  lieues  ;  cette  langue  est  moins   sonore,   niais 
presque  aussi  répandue  que  celle  des  Incas.  Les  Mexi- 
cains ,  pour  dire  à    un  curé  ,  «  Prêtre  vénérable  que 
je  chéris  comme  mon  père,  expriment   cette  phrase 
dans    le    seul    mot   de    nollazomahuizteopixcaLalzin, 
composé  de  27  lettres.  Après  la  langue  mexicaine,  ou 
aztèque,  dont  il  existe  onze   grammaires  imprimées, 
la  langue  la  plus  générale,  dans  la  Nouvelle-Espagne  y 
est  celle  des  Otlomites.  Le  lecteur  qui  veut  se  former 
une   idée   de  ces   diverses  langues  ,  peut   se  satisfaire 
dans  le  Voyage  de  M.  Humboldt  à  la  Nouvelle-Espagne. 
J'observerai  à  M.  Paw,  avec  M.  Bernardin  de-St.- 
Pierre,  qu'aux  difficultés  que  la  nature  oppose  à  ces 
peuples ,    comme    aux    européens  ,    on   doit    ajouter 
celles  que  les   Européens   y  apportèrent   eux-mêmes. 
«  Je  ne  parle  pas  ,   dit   M.  Bernardin  ,    ni  des  méta- 
physiciens qui  s'expliquent  avec  des  idées  abstraites  ; 
ni  des  algébristes  avec  des  formules  ;  ni  des  géomètres 
avec  leurs  compas;  ni  des  chimistes  avec  leurs   sels; 
ni   des  révolutions  que  leurs  opinions,   quoique  très- 
intolérantes  ,    éprouvent   dans   chaque  siècle  -,  tenons- 
nous-en   aux  notions   les  plus   constantes  et  les  plus 
v  Y 

TOME    2,  1\ 


3^2         SUR    LA    LANGUE    DES    PERUVIENS. 

accréditées.  Les  Européens  ,  en  donnant  les  noms  qui 
leur  plaisent  aux  pays  dont  ils  s'emparent  et  à  ceux 
où  ils  s'établissent,  défigurent  par  des  noms  sans  aucun 
sens ,  ceux  que  les  premiers  habitans  de  chaque  con- 
trée leur  avaient  donnés,  et  qui  en  exprimaient  si  bien 
la  nature.  » 

Les  géographes  appellent ,  par  exemple,  Ville  des 
Anges,  une  ville  près  de  celle  du  Mexique,   où  les 
Espagnols  ont  souvent  répandu  le  sang  des  hommes, 
mais  que  les  Mexicains  nommaient  Cuet-lcuc-coupan  , 
c'est-à-dire  ,  Couleuvre  dans  l'eau,  parce  que,  de  deux 
fontaines  qui  s'y  trouvent  ,  il  y  en  a  une  qui  est  ve- 
nimeuse ;  Mississipi  ,  ce   grand  fleuve   de  l'Amérique 
septentrionale  ,  que   les   Sauvages  appèlent  Mechas- 
sipi ,  le  Père  des  Eaux-,  Cordillères ,  ces  hautes  mon- 
tagnes toujours   couvertes   de    glaces  ,   qui  bordent  la 
mer  du   sud ,  et  que  les   Péruviens   appelaient ,  dan& 
la  langue  royale  des  Incas,  rilisuyu  ,  écharpe  de  neige, 
ainsi  que  d'une  infinité  d'autres. 

Ils  ont  nommé  Yucalan \y  cette  presqu'île  qui  a  80 
lieues  de  long  ,  sur  3o  de  large ,  et  qui  est  au  nord- 
est  de  Guatimala ,  parce  que  Ferdinand  en  ayant  de- 
mandé le  nom  aux  Indiens,  un  d'eux,  après  lui  avoir 
répondu  jucataji ,  qui  veut  mre  :  qui  êtes-vous?  ajouta 
lectei.au,  qui  signifie  ,  je  ne  vous  entends  pa s  ;  Fer- 
dinand la  nomma  Yucatan. 

C'est  pour  n'avoir  pas  compris  les  naturels  de  Chai- 
cliiuhc  Liée  an  ,  auxquels  Juan  de  Grijalva  ,  en  i5i87 
reprochait  d'immoler  des  victimes  humaines  ,  qu'il  nom- 
ma UluaYùe  où  est  bàiie  la  Vera-Crux,  parce  que 
les  indigènes  lui  avaient  répondu  que  c'était  par  l'or- 
dre des  rois  d'Alcolhua  (Mexique  ).  Paria  ,  le  Pérou 


SUR    LA    LANGUE    DES    PERUVIENS.  32$ 

et  les  Péruviens  ne  doivent  leurs  noms  qu'à  des  mé- 
prises   semhlables. 

La  dénomination  de  Quayqueries  ,  doit  son  origine  , 
comme  l'observe  M.  Huinboldt,  à  un  simple  mal-en- 
tendu. Les  compagnons  de  Christophe  Colomb,  en  lon- 
geant l'Ile  de  la  Marguerite ,  où  réside  encore,  sur  la 
côte  septentrionale ,  la  portion  la  plus  noble  de  la 
nation  Quayquerie ,  rencontrèrent  quelques  indigènes 
qui  harponnaient  des  poissons,  en  lançant  un  bâton 
attaché  à  une  corde  et  terminé  par  une  pointe  ex- 
trêmement aiguë  ;  ils  leur  demandèrent ,  en  langue 
d'Haïti ,  quel  était  leur  nom.  Les  Indiens,  croyant  que 
la  question  des  étrangers  avait  rapport  aux  harpons 
formés  du  bois  dur  et  pesant  du  palmier  macana7 
répondirent  Guaike,  Guaike,  qui  signifie  bdtonpointu. 
Les  Espagnols  ont  formé  de  ce  mot  celui  de  Guay- 
queries.  Il  existe  encore  aujourd'hui  une  différence 
frappante  entre  les  Guayqueries ,  tribu  de  pêcheurs 
habiles  et  civilisés,  et  ces  Guaraouns ,  sauvages  de 
l'Orénoque ,  qui  suspendent  leurs  habitations  aux 
troncs  du  palmier  moriche. 

Les  Espagnols  expriment ,  par  le  mot  paramos , 
le  mot  péruvien  pima  ,  qui  signifie  un  endroit  mon- 
tueux,  couvert  d'arbres  rabougris,  exposé  aux  vents  , 
et  dans  lequel  règne  perpétuellement  un  froid  hu- 
mide. Sous  la  zone  torride ,  les  paramos  ont  généra- 
lement de  1,600  à  2,200  toises  de  hauteur.  Il  y  tombe 
souvent  de  la  neige  qui  ne  reste  que  quelques  heures. 
Il  ne  faut  pas,  dit  M.  Humboldt  ,  confondre  ,  comme 
les  géographes  ont  fait  souvent ,  les  mots  de  paramos 
et  de  puna  avec  celui  de  nevado,  en  péruvien,  rit- 
ticapa ,  montagne  qui  entre  dans  les  limites  des  neigea 

ai.. 


3i4  SUR    LA    LANGUE    DES    PERUVIENS. 

perpétuelles.  Ces  notions  ont  un  grand  intérêt  pour 
ïa  géologie  et  la  géographie  des  végétaux,  parce  que, 
dans  ces  contrées  où  aucune  cime  n'a  été  mesurée, 
on  ne  peut  se  former  une  idée  exacte  de  la  moindre 
hauteur  à  laquelle  s'élèvent  les  Cordillières  }  en  cher- 
chant sur  les  cartes  les  mots  de  paramos  et  nevados 
(  P  oy.  son  Voyage  aux  Régi.  Equin.  du  Nouv.  Cont.). 

J'ajouterai  à  l'appui  de  ces  observations,  la  remar- 
que de  M.  Bernardin-de-St. -Pierre.  Les  géographes, 
dit  cet  écrivain ,  ont  ôté  aux  ouvrages  de  la  nature , 
leur  caractère,  et  aux  nations  leurs  nionumens.  En  li- 
sant ces  anciens  noms  et  leur  explication  dans  Gar- 
cilasso  de  la  Pega ,  dans  Thomas  Gage ,  et  dans  les 
premiers  voyageurs,  on  s'imprime  dans  l'esprit ,  avec 
quelques  noms  simples  ,  le  paysage  et  l'histoire  de 
chaque  pays  ,  sans  comptée  le  respect  attaché  à  leur 
antiquité  ,  qui  rend  les  lieux  dont  ils  parlent  encore 
plus  vénérables. 

Les  botanistes  ont  imaginé,  pour  reconnaître  les 
plantes ,  des  caractères  très-compliqués  qui  les  trom- 
pent souvent,  quoique  tirés  de  toutes  les  parties 
du  règne  végétal ,  ce  qui  les  a  empêchés  d'exprimer 
celui  de  leur  ensemble ,  de  leurs  qualités  nuisibles  ou  sa- 
lutaires. C'est  en  examinant  la  capsule  qui  conserve 
les  graines,  les  aigrettes  qui  les  ressèment ,  la  branche 
élastique  qui  les  élance  au  loin,  et  non  une  suite  de 
graines  nues  de  toutes  formes  3  renfermées  dans  des 
bocaux,  qu'on  peut  avoir  une  idée  des  variétés  de  la 
germination.  Ce  n'est  pas  non  plus  en  voyant  une 
fleur  sèche,  décolorée  et  étendue  dans  un  herbier, 
qu'on  peut  en  reconnaître  le  caractère  ;  c'est  sur  le 
bord  d'un  ruisseau ,  et  au  milieu  des  herbes ,  qu'on 


SUR    LA   LANGUE    DES    PERUVIENS.  325 

admire  la  lige  auguste  du  lys  j  le  roi  des  vallées,  réflé- 
chissant sur  le  borfl  d'un  ruisseau  ,  sa  corolle  pluripé- 
tale,  plus  blanche  que  l'ivoire;  c'est  lorsque  le  zépliir 
balance  la  rose  sur  sa  lige  hérissée  d'épines,  et  que 
l'aurore  a  recouverte  de  ses  perles  humides  cette  reine 
des  fleurs,  qu'elle  appelle  ,  par  son  éclat,  et  par  ses  par- 
fums ,  la  main  des  amans. 

Les  naturalistes  nous  éloignent  encore  bien  davan- 
tage de  la  nature,  quand  ils  veulent  nous  expliquer, 
par  des  lois  uniformes  et  par  la  simple  action  de  l'air, 
de  l'eau  et  de  la  chaleur,  le  développement  de  tant  de 
plantes  qui  naissent  sur  le  même  fumier;  de  formes, 
de  saveurs,  et  de  parfums  si  différens.  Veulent-ils 
en  décomposer  les  principes?  Le  poison  et  l'aliment 
présentent,  dans  leurs  fourneaux.,  les  mêmes  résultats, 
sans  parier  de  la  multitude  de  végétaux  qui  sont  restés 
inutiles  dans  de  savans  laboratoires. 

Quoique  l'art  des  Daubentons  rende  aux  ani- 
maux une  apparence  de  vie;  malgré  toute  l'indus- 
trie qu'on  emploie  dans  nos  cabinets  pour  conserver 
leurs  formes;  leur  attitude  roide  et  immobile,  leurs 
yeux  fixes  et  mornes  ,  leurs  poils  hérissés ,  nous  disent 
que  la  mort  les  a  frappés.  Nos  livres  sur  la  nature , 
n'en  sont  que  le  roman,  et  nos  cabinets  que  le  tombeau  ; 
nos  traités  d'agriculture  ne  nous  montrent  plus  dans 
les  champs  de  Cérès  que  des  sacs  de  blé;  dans  les 
prairies  aimées  des  Nymphes ,  que  des  bottes  de  foin  ; 
dans  les  majestueuses  forêts ,  que  des  cordes  de  bois 
et  des  fagots.  L'orgueil  et  l'avarice  ont  dégradé  les 
collines  charmantes  et  les  fleuves  majestueux.  L'his- 
toire des  hommes  ,  si  l'un  en  excepte  l'intérêt  que  la 
religion  ou  l'humanité  ont  inspiré   en  leur   faveur  à 


S26         SÛR   LA    LANGUE   DES    PÉRUVIENS. 

quelques  hommes  de  bien,  a  été  écrite  d'après  mille 
passions.  La  politique  les  représente  divisés  en  nobles 
ou  en  vilains;  en  papistes  ou  en  huguenots;  en  soldats 
ou  en  esclaves-,  le  moraliste  en  avares,  en  hypocrites, 
en  débauchés,  en  orgueilleux;  le  poète  tragique  en 
tyrans  ou  opprimés;  le  comique  en  bouffons  et  en  ri- 
dicules; le  médecin  en  pituiteux ,  en  flegmatiques, 
e*n  bilieux:  par-tout  des  sujets  de  dégoût ,  de  haine  ou 
d>  mépris;  par-tout  on  a  disséqué  l'homme,  étonne 
ïiousm  »iïtrë  plus  que  son  cadavre.  Ainsi,  le  plus  digne 
objet  de  la  création  a  été  dégradé  par  notre  savoir 
faire  ,  comme  le  reste  de  la  nature. 

Quoique  M.  Paw  mérite  d'être  blâmé,  pour  avoir 
hvancé  aussi  inconsidérément  son  assertion  contre  les 
langues  des  peuples  de  l'Amérique;  cependanton  pour- 
nit,  jusqu'à  un  certain  point,  l'excuser  de  n'avoir  pas 
compris  la  langue  de  ces  peuples  ;  puisque  les  Français 
n'entendent  plus  ia  langue  àes  Gaulois  ;  et  qu'un  jour 
leurs  de  -cendans,  peut-être,  n'entendront  plus  la  leur. 
Mais,  malgré  toute  l'indulgence  qu'on  pourrait  em- 
ployer pour  chercher  à  excuser  la  présomption  dé- 
placée de  cet  auteur,  on  trouvera  toujours  déraisonnable 
de  blâmer  ce  qu'on  ne  connaît  pas,  et  plus  déplacé 
encore  ,  si  l'on  avançait  que  les  langues  éprouvent  les 
influences  des  climats,  puisque  lalanguedes  Romains 
a  été  d'abord  barbare,  et  est  devenue  à  la  fin  molle  et 
efféminée  ;  que  celle  des  liasses ,  dans  le  nord  de  l'Eu- 
rope ,  est  fort  douce  ,  étant  un  dialecte  du  grec  ,  et 
que  le  jargon  d<  s  provinces  méridionales  de  la  France 
est  dur  et  grossier;  ([ue  les  Lapons  qui  habitent  les 
Lords  de  la  mer  glaciale,  ont  un  langage  qui  flatte  l'o- 
reille ,  tandis   que  les  Hoîtentots ,  qui  habitent  le  cli- 


SUR  LA  LANGUI  DES  PERUVIENS.    3^ 

mat  très-tempéré  du  cap  de  Bonne-Espérance  ,  glous- 
sent comme  des  coqs  d'iude-,  enfin  que  la  langue  du 
Pérou  est  pleine  de  fortes  aspirations  ,  et  de  conson- 
nans  qui  se  choquent. 

D'après   toutes  les   preuves  ci-dessus,  que  doit-on, 
penser  d'un    écrivain    qui  affirme    au  public   que   les 
langues  de  l'Amérique  sont  si  bornées  ,  si  destituées  de 
mots,  qu'il  est  impossible  de  rendre,  par  leur  moyen  , 
un   sens  métaphysique  ?  Dire  à.  cet  écrivain  ,  de   par- 
courir   les  Mémoires   du     lieutenant   Henri    Timber- 
îake ,  imprimés   à    Londres    en   1766;    de    lire   dans 
les  Mémoires  du  baron  de  la  Hontan,  le  dialogue  entre 
lui  et  un  naturel  du  Canada,  sur  des  matières  de  con- 
troverse :  il  trancherait  la  diincuL'é  comme  à  son  ordi- 
naire ,  en  répondant  ce  que  c'est  une  pièce  supposée-,  » 
lui    proposer   d'examiner    ce  que  Frezier  dit  de  ces 
peuples  que  nous  nommons  sauvages ,  ne  serait  nulle- 
ment de  son  goût ,  puisque  cela  contredirait  ses  para- 
doxes. Ouoi  qu'il  en  soit  ,  je  vais  soumettre  à  la  déci- 
sion du  lecteur,  la  réponse  c^Allck.xi-Mingo y  caci- 
ique  Allibamon  ,  fit  à  M.  le  Bossu  ,  capitaine  des  troupes 
de  marine  aux  Indes-Orientales.   Cet  officier  lui  ayant 
dit  que  s'il  persistait  à  vouloir  faire  la  guerre  aux  Es- 
pagnols de  la  Floride  ,  il  n'avait  qu'à  commencer  par 
lui  casser  la  tète  :  «  Ton  sang,  lui  répondit  le  Cacique, 
»   m'est  aussi  cherque  le  mien-  d'ailleurs,  jamais  les 
»   Français  ne  m'ont  fait  de  mal,  je   suis  même  prêt  à 
»   me  sacrifier  pour  eux  \  tu  peux  en  assurer  notre  oère 
a    (  c'est  ainsi  qu'il   appelait   le  Roi  de  France  )  ;  que 
»   n'ai-je  ,  comme  toi,  l'étoffe  parlante    (   le  papier) 
»  pour  faire  parvenir  ma  parole  ?  mais  non  ,  je  voudrais 
:»  plutôt  que  mon  cœur  eut  cent  bouches  cru'il  put  en- 


828  SUR    LA    LANGUE    DES    PERUVIENS. 

»  tendre  (  Nouv.  Voy.  aux  Ind.  occid. ,  pag.  3a  ).  » 
S'il  se  trouve  parmi  eux,  dit  le  même  capitaine, 
quelque  tapageur  ou  perturbateur  du  repos  public, 
les  vieillards  lui  parlent  ainsi  :  <r  Tu  peux  partir, 
»  mais  souviens-toi  que  si  tu  es  tué,  tu  seras  désavoué 
»  par  la  nation  ;  que  nous  ne  te  pleurerons  point,  et 
«  que  nous  ne  tirerons  point  vengeance  de  ta  mort.  » 
Voici  une  harangue  que  le  capitaine  Bossu  a  en- 
tendu faire  au  chef  des  Ailiba nions  :  «  Jeunes  guer- 
h  riers ,  ne  vous  moquez  point  du  maître  de  la  vie  ; 
»  le  ciel  est  bleu,  le  soleil  sans  tache,  le  temps  est 
*  serein  ,  la  terre  est  blanche  (  pour  dire  que  leur  pays 
»  est  celui  de  la  paix  )  ,  tout  est  tranquille  sur  sa  face, 
»  le  sang  humain  ne  doit  point  y  être  répandu.  Il  faut 
»  prier  l'esprit  de  paix  de  la  conserver  pure  et  sans 
■»  tache  entre  les  nations  qui  nous  entourent  ;  nous  ne 
»  devons  nous  occuper  maintenant  qu'à  faire  la  guerre 
»  aux  tigres,  aux  ours  et  aux  chevreuils  pour  avoir 
»  leurs  peaux,  afin  de  commercer  avec  les  Européens 
,»  qui  nous  apporteront  nos  besoins  pour  entretenir  nos 
»  femmes  et  nos  en  fan  s.  » 

Bencdiet  Arnold,  général  américain,  dans  la  guerre 
de  l'indépendance  des  Etats-Unis  ,  après  avoir  hésité 
long-temps  entre  l'honneur  et  l'opprobre  de  trahir  son 
pays,  après  avoir  essayé,  pour  se  dérober  au  malheur  de 
violer  ses  sermens,  de  demander  as  vie  à  une  peuplade 
de  sauvages, où  le  sachem  d'une  tribu  illinoise  se  trou- 
vait par  hasard,  et  à  cet  Indien,  si  la  bourgade  dont 
il  était  le  chef,  recevait  des  esclaves.  Il  en  reçut  cette 
réponse  :  «  Tous  les  hommes  qui  habitent  nos  forêts  , 
:»  tous  ceux  qui  pèchent  dans  nos  lacs,  sont  libres  ;  et 
»  dès  qu'un  étranger  est  admis   parmi    nous,   il   est 


SUR  LA  LANGUE  DES  PERUVIENS.  3^9 
»  compté  an  rang  de  nos  guerriers.  Un  guerrier  ne 
r  peut  pas  être  esclave,  je  ne  le  suis  pas  moi-même, 
»  quoique  je  sois  leur  chef,  et  le  moins  libre  de 
»  tous.  » 

Cet  Illinois  n'aurait  pas  compris  le  despotisme 
militaire  -,  mais  avouez  qu'il  ne  définissait  pas  mal 
l'autorité  des  bons  rois  chez  les  peuples  bien  gou- 
vernés. 

Des  Quakers  et  d'autres  sectaires,  ayant  à  leur  tête 
le  docteur  Williams  ,  rencontrèrent ,  dans  Rhode-Is- 
land  ,  un  parti  d'Indiens  conduits  par  un  vieux  et  res- 
pectable chef  nommé  Thiema-Derha;  Williams  lui 
raconta  comment  lui  et  ses  gens  avaient  été  chassés 
de  leurs  foyers.  «  Tu  n'as  donc  plus  ni  logement,  ni 
»  feu,  ui  peau  d'ours,  lui  demanda  le  vieux  chef: 
»  Non  ,  répondit  le  pasteur,  il  ne  nous  reste  plus 
jd  que  Dieu  et  l'espérance.  Eh  bien  ,  mon  frère  ,  repar- 
»  tit  Tierna  ,  viens  avec  nous,  je  t'offre  le  pain,  et 
»  de  la  terre  où  toi  et  les  tiens  pourrez  vous  reposer.  » 
Peu  de  temps  après,  les  sauvages  lui  concédèrent, 
vers  le  fond  de  la  baye  de  l'ile ,  quatre  milles  en  lon- 
gueur et  quatre  mille  en  largeur,  que  le  digne  pasteur 
partagea  en  parties,   égales   avec  tous  ses  compagnons. 

On  peut  dire  avec  M.  le  comte  François   de  Neuf- 
château  : 

Il  est  des  orateurs  jusques  chez  les  Sauvages  ; 
Allons  du  Saint-Laurent  visiter  les  rivages  9 
Du  grand  Meschacebé  suivons  le  vaste  cours  ; 
Là  ,  d'un  fils  du  désert  écoutons  les  discours  I 
Cita  que  mot  nous  étonne  -y  il  charge  sa  peinture 
D'images  qu'il  dérobe  à  toute  la  nature  , 
Et  qui  vont  émouvoir  au  fond  do  leurs  roseaux  , 
Ces  fleuves  qui ,  pour  lui  ,  sont  le  pore  des  eaux. 


330  SUR   LA    LANGUE    DES    PERUVIENS. 

Un  jeune  cacique  de  Darien,  voyant  que  les  EsnagfWs 
de  la  petite   colonie    de  Santa-Maria,  qui  avaient  re- 
cueilli beaucoup  d'or  dans  leurs  excursions,  étaient  prêts 
à  en  veniraux  mains  pour  le  partage  d'une  petite  quantité 
de  ce  métal,  se  tourna  vers  eux  et  leur  dit  :   «  Pour- 
»  quoi  vous  quereller  pour  si  peu  de  chose?  Si  c'est 
»  l'amour  de  l'or  qui  vous  fait  abandonner  votre  pa- 
»  trie,  pour  venir  troubler  la  tranquillité  des  peuples 
»  qui  sont  si  loin  de  vous,  je  vous  conduirai  dans  un 
»  pays  où  ce  métal,  qui  parait  être  le  grand  objet  de 
»  vos    désirs,    est  si   commun    que   les    plus   vils  us- 
»  tensiles  en   sont    faits.  »   Balboa,  gouverneur  de  la 
colonie,    et    ses   compagnons    d'armes,    demandèrent 
avec  empressement  où  était   cette   heureuse  contrée. 
Le  cacique  leur  donna  des  informations  qui  se   trouvè- 
rent conformes  à  ce    qui  concernait  le  Pérou. 

M.  de  Belle-Isle,  dit  le  capitaine  Bossu  ,  page  i4, 
ayant  demandé  à  manger  à  un  sauvage  qui  avait  fait 
boucaner  de  la  chair  humaine  et  du  chevreuil  pour  la 
provision  du  voyage  -,  il  lui  donna  de  la  chair  humaine 
en  disant  que  c'était  du  chevreuil.  Quand  M.  de  Belle- 
Isle  l'eût  mangée ,  l'Attakapas  lui  dit  :  «  Tu  faisais 
a  autrefois  le  difficile  ,  mais  présentement  tu  manges 
»   de  l'homme  comme  nous.  » 

Un  missionnaire  ayant,  promis  le  Paradis  à  un  Ca- 
cique, s'il  voulait  se  faire  Chrétien.  «  Mon  père,  lui 
«  demanda  l'Indien,  y  a-t-il  des  Espagnols  j  mon 
»  fils  ,  lui  répliqua  le  missionnaire,  il  ny  a  que  ceux 
»  qui  sont  bons  et  vertueux  j  en  ce  cas  là,  j'y  renonce, 
»  dit  l'Indien  ,  car  le  meilleur  n'en  vaut  rien,  » 

A  ces  citations,  je  joindrai  un  passage  de  l'Histoire 
naturelle  et  morale  des  îles  Antilles. 


SUR   LA    LANGUE   DES    PERUVIENS.  33f 

»  Quand  ils  montrent  aux  Chrétiens  une  pièce 
»  d'or ,  ils  disent  voilà  le  dieu  des  Chrétiens  :  Pour 
»  ceci ,  ils  quittent  leur  pays  ;  pour  ceci,  ils  viennent 
»  nous  persécuter,  nous  chasser  de  nos  habitations; 
»  pour  ceci  ,  ils  sont  toujours  dans  l'inquiétude  et  les 
«  soucis.  » 

Quand  ils  voyent  un  Européen  triste  et  pensif,  ils 
lui  en  font  doucement  la  guerre,  et  lui  disent  :  «  Com- 
«  père  (  terme  d'amitié  )  ,  tu  es  bien  misérable  d'ex- 
»  poser  ta  personne  à  de  pénibles  voyages ,  de  te  lais- 
«  ser  ronger  à  tant  de  soucis.  La  passion  des  richesses 
»  te  fait  endurer  toutes  ces  peines.  Tu  appréhendes 
»  continuellement  que  quelqu'un  ne  te  vole  en  ton 
j>  pays  ou  dans  celui-ci ,  ou  que  tes  marchandises  ne 
»  soient  englouties  par  la  mer  ;  ainsi ,  tu  vieillis  en  peu 
»  de  temps  ;  tes  cheveux  blanchissent-,  ton  iront  se 
»  ride  ;  mille  incommodités  te  tourmentent,  et ,  au  lieu 
»  d'être  gai  et  content,  ton  cœur,  rongé  par  le  cha- 
j)  grin,  te  fait  courir  à  grande  hâte  au  tombeau.  Tu 
»  viens  nous  chasser  de  notre  pays,  et  tu  nous  oie- 
»  naces  sans  cesse  de  nous  ôter  le  peu  qui  nous  reste; 
»  que  veux-tu  donc  que  devienne  le  pauvre  Caraïbe? 
>*  Faudra-t-il  qu'il  aille  habiter  les  mers  avec  les  pois- 
»  sons?  Ta  terre  est  donc  bien  mauvaise  _,  puisque 
»  tu  la  quittes  pour  venir  prendre  la  mienne  ,ou  tu  os 
»  bien  de  la  malice  de  venir  ainsi,  de  gaieté  de  cœur  , 
»  me  persécuter.  » 

A  cela,  M.  Paw  répondra,  comme  il  a  fait  envers 
dom  Prenetty  :  «   Le  critique  est  bien  éloigné  d'avoir 
»  approfondi  les  choses-,  »  (on  pourrai:  ,  a  plus 
raison  ,  lui  appliquer  le  même  reproche.  )  Il 
aucun  auteur7  et,  tandis  qu'il  pouvait  con»uJ 


332    SUR  LA  LANGUE  DES  PERUVIENS. 

cot 7  Laet  et  tant  d'autres  historiens   respectables,   î* 
ne  fait  que  compiler  César  Rochefort,  le  plus  inexact 
et  le  moins  estimé  de  tous  les  voyageurs  qui  ont  écrit 
au  siècle  passé  (  1660). 

A  vant  de  se  permettre  de  reprocher  à  dom  Pre- 
netty  d'avoir  compilé  Cé.sar  Rochefort ,  ce  qu'il  a  été- 
obligé  de  faire  jbfjur  lui  fournir  des  preuves  tirées  d'au- 
teurs connus,  il  aurait  dû  se  rappeler  que  les  deux 
tiers  de  son  ouvrage  sont  une  compilation  contradic- 
toire. J'ajouterai  de  plus,  que  M.  Paw,  sachant  qu'on  peut 
lui  objecter  qu'on  avait  inséré  dans  les  premières  édi- 
tions de  Moréri  un  extrait  de  ce  même  Rochefort,  il 
a  pris  les  devants  en  disant  «  qu'on  l'a  fait  avec  plus  de 
»  ménagement  et  moins  de  crédulité  que  dom  Pre~ 
«  nelty;  que,  d'ailleurs  ,  Rochefort  ne  savait  ni  latin, 
u  ni  grec;  conséquemment ,  qu'il  ne  pouvait  pas  pu- 
;»  blier  des  relations  sur  les  Apalachîtes  (  peuple  de 
y>  l'Amérique  du  nord  ). 

On  ne  peut  plus  rien  répliquer  à  de  pareils  argu- 
tnens  ,  encore  inoins  aux  assertions  de  ce  Laet ,  q  ui  n'a 
jamais  été  en  Amérique-,  de  ce  Laet  qui.  n'a  jamais 
rêvé,  pas  même  lorsqu'il  nous  di!;,  dans  son  Histoire 
des  Indes  Occidentales  ,  «•  qu'il  y  a  des  espiifcs  qui  ap- 
5)  paraissent  aux  Brésiliens  ;  mais,  ajoute-t-il ,  ils  ne  se 
»  montrent  pas  aussi  souvent  que  quelques  relations 
»  le  donnent  à  entendre.  » 

jyiunusculis  juxta  positis  illos  spiritus  placare  ni- 
tuntur  :  rarius  autem  hi  spiritus  inîer  illos  apparent , 
licet  multi  aliter  tradiderint. 

J'avoue  que  dom  Prenetty  est  grandement  blâ- 
mable de  n'avoir  pas  y  comme  M.  Paw,  placé  une  con- 
fiance aveugle  dans  les  écrits  d'un  historien  aussi  res- 


SUR    LA    LANGUE    DES    PERUVIENS.  333 

pectable  que  Laët ,  parce  que  la  bienséance  ne  permet 
pas  de  regarder  comme  des  puérilités  une  assertion 
semblable,  venant  sur-tout  d'une  autorité  aussi  recom- 
mandable;  encore  moins  de  supposer  que  ce  Laët  avait 
la  lièvre  quand  il  nous  assure  qu'il  y  a  des  esprits  au 
Brésil ,  et  qu'il  avait  encore  la  fièvre  quand  il  a  cru 
et  voulu  persuader  à  ses  lecteurs  que  ces  êtres  se  lais- 
saient plutôt  voir  aux  sauvages  de  l'Amérique  qu'aux 
philosophes  de  l'Europe. 

Ce  même  Laët  et  d'autres  chroniqueurs ,  observe 
M.  Humboldt,  en  parlant  delà  fondation  delà  Nouvelle- 
Cadix,  ne  font  mention  que  de  la  grande  abondance  de 
lapins,  et  nullement  du  P enado  de  CubagDa,  qui  ap- 
partient à  une  de  ces  nombreuses  espèces  de  petits 
cerfs  américains  que  les  zoologistes  ont  confondues 
pendant  long-temps  sous  le  nom  vague  de  cervus 
mexicanus.  M.  Humboldt  ne  le  trouve  pas  identique 
avec  la  biche  des  savannes  de  Cayenne ,  ou  le  Gua- 
zulti  du  Paraguay ,  qui  vit  également  en  troupeau  ; 
sa  couleur  est  brunâtre  sur  le  dos ,  et  blanche  sous  le 
ventre  ;  il  est  moucheté  comme  l'axis.  Dans  les  plaines 
du  Cari ,  on  trouve  une  variété  toute  blanche  :  c'est 
une  femelle  de  la  grandeur  du  chevreuil  d'Europe,  et 
d'une  forme  extrêmement  élégante.  Les  variétés  albines 
se  trouvent,  dans  le  nouveau  Continent,  jusques  par- 
mi les  tigres.  M.  à^Azara  a  vu  un  jaguar  dont  la  robe 
toute  blanche  n'offrait,  pour  ainsi  dire  ,  que  l'ombre 
de  quelques  taches  annulaires. 

Quant  à  Linscot ,  il  ne  pouvait  pas  manquer  de  con- 
venir à  M.  Paw  ,  puisqu'il  appelle  les  Apalachites ,  des 
barbares  sans  mœurs  comme  sans  religion,  quoiqu'il 
fussent  réunis  en  société,  qu'ils  eussent  un  gouverne- 


334  SUR   LA    LANGUE    DES    PERUVIENS. 

ment,  des  lois .,  et  des  prêtres  nommés  indistinctement 
juvas ,  jonas  etjoannas. 

En  approuvant  cette  erreur  de  Linscot,  il  ignore, 
sans  doute,  qu'avancer  que  certains  peuples  n'ont 
aucun  sentiment  de  la  divinité ,  c'est  la  plus  grande 
des  calomnies  dont  on  puisse  flétrir  une  nation , 
parce  qu'elle  détruit  nécessairement,  chez  elle,  l'exis- 
tence de  toute  vertu;  et  si  celte  nation  en  montre 
quelques  apparences,  ce  ne  peut  être  que  par  le  plus 
grand  des  vices ,  qui  est  l'hypocrisie  ;  car  il  ne  peut 
y  avoir  de  vertu  sans  religion.  D'ailleurs ,  il  n'y  a  pas 
un  de  ces  écrivains  inconsidérés  qui  ne  fournisse  lui- 
même  de  quoi  détruire  son  imputation;  car  les  uns 
avouent  que  ces  mêmes  peuples  athées  rendent,  dans 
certains  jours,  hommage  à  la  lune,  ou  qu'ils  se  retirent 
dans  les  bois  pour  y  remplir  des  cérémonies  dont  ils 
dérobent  la  connaissance  aux  étrangers.  Le  père  Gobiei/, 
entr'autres,  dans  son  Histoire  des  îles  Mariannes, 
après  avoir  affirmé  que  leurs  insulaires  ne  reconnais- 
sent aucune  divinité ,  et  qu'ils  n'ont  pas  la  moindre 
idée  de  la  religion,  nous  dit  immédiatement  après  , 
qu'ils  invoquent  leurs  morts  qu'ils  appellent  Anilisy 
dont  ils  gardent  les  crânes  dans  leurs  maisons,  et  aux« 
quels  ils  attribuent  le  pouvoir  de  commander  aux  élé- 
mens,  de  changer  les  saisons,  et  de  rendre  la  santé  ; 
qu'ils  sont  persuadés  de  l'immortalité  de  l'ame,  et 
qu'ils  reconnaissent  un  Paradis  et  un  Enfer.  Certai- 
nement ,  ces  opinions  prouvent  qu'ils  ont  des  idées  de 
la  divinité. 

Christophe  Colomb  ayant  voulu  faire  des  représen- 
tations à  un  vieux  Cacique  de  Saint-Domingue  ,  l'in- 
sulaire lui  repondit  :  «  Tu  nous  a  -effrayés  par  ta  haï- 


SUR   LA    LANGUE   DES    PERUVIENS.  335 

»  diesse,  mais  souviens-toi  que  nos  âmes  ont  deux 
*)  routes  après  la  sortie  du  corps  :  Tune  est  obscure , 
m  ténébreuse,  c'est  celle  que  prennent  lésâmes  de  ceux 
»  qui  ont  molesté  les  autres  hommes;  l'autre  est  claire, 
»  brillante ,  et  destinée  aux  âmes  de  ceux  qui  ont 
»  donné  la  paix  et  le  repos  (  vojr.  le  Sommaire  de 
y   Pierre  Martyre  ).  » 

Si  je  citais  l'aventure  du  père  Feuillêe  avec  cette 
vieillelndienneà  laquelle  ilavaitdit:  «  Pauvre  femme,  » 
en  lui  offrant  une  piastre  ;  la  réponse  que  cette  Indienne 
des  bords  de  l'Orénoque,  qui  venaitd'embrasserle  Chris- 
tianisme ,  fit  au  jésuite  Gumilla  ,  qui  lui  reprochait 
d'avoir  tué  sa  fêle  en  lui  coupant  l'ombilic  trop  près  du 
corps  -,  les  entretiens  de  Montézuma  et  de  ses  officiers; 
ceux  des  prêtres  de  Mexico  avec  les  Espagnols,  qui  ne 
sont,  certes,  pas  d'un  peuple  hébété  et  stupide; 
M.  Paw,  ne  sachant  que  répondre  ,  dirait,  pour  toute 
excuse  :  «  La  raison  nous  avertit  de  n'ajouter  aucune 
foi  aux  hyperboles  des  écrivains  Espagnols,  excepté 
à  l'Histoire  de  la  conquête  du  Pérou ,  par  un  certain 
Zarate  qui  exerça  ,  en  1 544 ,  la  charge  de  trésorier- 
général  au  Pérou  ,  où  il  était  arrivé  treize  ans  après 
qu'on  l'eut   envahi  au  nom   du  roi  d'Espagne. 

Il  est  vrai  que  les  pièces  que  cet  administrateur 
ordonnançait,  qu'il  enregistrait;  l'argent  qu'il  perce- 
vait, celui  qu'il  payait  aux  divers  employés  de  l'admi- 
nistration civile  et  militaire,  et  les  autres  occupations 
de  sa  place ,  ne  lui  enlevaient  pas  assez  de  temps  pour 
l'empêcher,  de  son  bureau,  d'être  aussi  à  portée  que 
personne  de  s'instruire  dans  l'ancien  état  de  cette  par- 
tie de  l'Amérique.  Or  je  demande  si  M.  Paw  n'a  pas 
eu  parfaitement  raison  de  s'en  rapporter  au  témoignage 


336         SUR   LA    LANGUE   DES    PERUVIENS. 

de  ce  Zarate,  qui  n'est  jamais  sorti  de  la  ville  où  son 
bureau  était,  plutôt  qu'à  celui  de  Garcilasso  de  la 
Vega ,  de  la  famille  des  Incas ,  né  huit  ans  après  la 
conquête  ,  instruit  à  l'académie  de  Cusco ,  qui,  tout 
en  écrivant  l'histoire  de  son  pays  ,  faisait  ses  relevés 
sur  les  lieux  qu'il  citait;  vérifiait, par  ce  moyen,  l'exac- 
titude de  la  traduction  indienne ,  et  avait  tiré  ,  en 
outre,  des  instructions  particulières  et  fort  détaillées  , 
d'un  de  ses  oncles  maternels,  américain  d'extraction  , 
et  qui  savait  l'espagnol. 

En  s'efforçant  de  jeter  du  ridicule  sur  les  langues 
des  Américains ,  on  était  loin  de  s'imaginer  que 
M.  Marcel,  directeur  de  l'imprimerie  impériale,  pré- 
senterait au  Pape  le  Pater  dans  diverses  langues  de 
sauvages  de  l'Amérique,  dont  il  possède  un  manuscrit 
en  langue  illinoise ,  composé  par  un  seul  missionnaire, 
et  qui  comprend  la  Genèse ,  les  évangiles  et  les  hymnes 
d*e  toute  l'année;  un  catéchisme,  une  grammaire  et  un 
dictionnaire  aussi  complet  que  celui  de  l'Académie 
française  (Voy.  pag.  333  du  Mercure  de  France,  plu- 
viôse an  XIII.) 

é 

Quand  M.  Paw  assurait  au  puhlic  que  les  Améri- 
cains manquaient  de  jugement,  de  raisonnement  ;  qu'ils 
ne  savaient  pas  émettre  leurs  pensées  d'une  manière 
uohle  et  distinguée  -,  enfin  que  leur  langue  était  trop 
bornée  pour  rendre  aucun  sens  métaphysique,  il  avait 
sans  doute  oublié  les  paroles  de  Guatimozin,  lorsqu'on 
l'amena  prisonnier  devant  Cortez;  celles  qu'il  adressa  , 
de  son  brasier,  à  son  favori;  les  harangues  des  diverses 
nations,  qui  se  trouvent  rapportées  dans  les  relations 
qu'on  nous  a  données  de  l'Amérique  ;  enfin ,  le  dis- 
cours qu'Atabaliba  ,  le  dernier  Jnca  du  Pérou ,  avait 


SUR   LA    LANGUE    D  É  S    P  É  R  U  V  I  EN  S.         337 

tenu  au  moine  fiançais  de  la  P  allée- Viridi.  La  findece 
prince  est  trop  touchante  pour  ne  pas  la  rapporter  ici. 

Dès  que  ce  monarque  fut  près  du  quartier  des  Es- 
pagnols ,  l'aumônier  de  l'expédition,  François  de  la 
Vallée- Viridi ,  d'autres  disent  Vincent  de  Valverde, 
s'avança  vers  lui,  un  crucifix  dans  une  main  ,  un  bré- 
viaire dans  l'autre  ,  et  demanda  à  lui  parler  au  nom  de 
son  souverain.  Là,  après  lui  avoir  fait  exposer  par  son 
interprète  les  principaux  dogmes  de  la  religion  chré- 
tienne, le  droit  qu'avait  le  Pape  de  disposer  des  cou- 
ronnes, il  lui  dit  que  les  successeurs  de  l'apôtre  Pierre, 
par  l'organe  d'Alexandre  VI  ,  souverain  pontife  à 
Rome  ;  avait  partagé  tous  les  pays  du  monde  aux  rois 
chrétiens  ,  à  la  charge  par  eux  d'en  conquérir  une  por- 
tion. Il  somma  Atahualpa  de  reconnaître  son  autorité 
et  d'embrasser  la  religion  de  Jésus-Christ,  en  lui  assu- 
rant que  s'il  s'y  soumettait ,  le  roi  d'Espagne  dom  Car- 
los lui  permettrait  de  continuer  à  régner.  Atahualpa 
ne  répondit  à  tant  d'insolence  que  par  ces  mots  :  «  Qu'il 
»  ne  comprenait  pas  comment  cePierre  ou  ses  descendans 
j>  avaient  pu  donner  ce  qui  ne  leur  avait  jamais  ap- 
»  parteilu;  qu'un  pareil  partage  était  plutôt  un  partage 
»  de  brigands  ,  qu'un  ordre  du  Dieu  juste  et  puissant 
a  qui  éclaire  l'univers  ;  que  le  Pérou  appartenait  aux 
m  Péruviens-,  qu'il  tenait  sa  couronne  de  ses  pères,  et 
»  qu'il  n'y  renoncerait  pas  plus  qu'à  sa  religion.  » 
François  de  la  Vallée-  Viridi  signifia  à  l'Inca,  que  s'il 
persistait  à  vivre  dans  l'idolâtrie  ,  il  ferait  mettre  ses 
états  à  feu  et  à  sang.  «  Sont-ce  là  ,  dit  l'Inca,  les  bien- 
»  laits  de  cette  religion  dont  tu  me  vantais  la  dou- 
»  ceur  -,  et  l'amour  qu'un  chrétien  porte  à  son  pro- 
»  chain  ?  »  Obéis  et  tais-tei ,  répliqua  le  moine.  Ata- 

TOME  2.  2$ 


338  SUR  LA  LANGUE  DES  PERUVIENS, 
liualpa  perdant  alors  patience,  lui  dit:  «  Cesse  ,  odieux 
»  brigand,  de  me  prêcher  un  dieu  né  et  mort....  Celui 
»  que  j'adore  est  immortel  ,  et  le  vain  pouvoir  des  hu- 
»  mains  ne  saurait  s'étendre  jusqu'à  lui  :  tu  le  vois, 
»  mon  dieu  est  bien  supérieur  au  tien,  que  tu  dis  avoir 
»  été  égorgé  par  les  hommes.  D'ailleurs ,  comment 
»  pourrais-tu  me  convaincre  que  tu  ne  m'en  imposes  pas 
»  en  me  contant  tant  d'ineffables  mystères ,  dont  ni 
»  moi ,  ni  personne  de  mon  pays  ,  n'a  jamais  eu  la 
»  moindre  connaissance?  Où  as-tu  pris  toutes  les  choses 
à   extraordinaires  que  tu  viens  de  me  dire?  » 

Dans  ce  livre  ,  répondit  la  Vallée,  en  lui  montrant 
son  Bréviaire.  «  Il  contient  la  vérité;  la  parole  de  Dieu 
»  y  est  gravée,  et  tout  ce  que  je  t'ai  annoncé  y  est 
»  écrit.  C'est  à  toi  de  croire  ,  et  non  de  douter.  » 

L'Inca  prit  le  livre  ,  l'examina  attentivement ,  en 
tourna  Quelques  feuillets,  l'approcha  de  son  oreille,  et 
dit  au  moine  :  «  J'ai  regardé  Quipos  (c'est  ainsi  qu'il 
>>  appela  le  Bréviaire)  ,  et  je  n'y  ai  rien  pu  voir-,  je  l'ai 
»  approché  de  mes  oreilles,  et  je  n'y  ai  rien  pu  en- 
»  tendre-,  si  la  vérité  y  était  écrite,  pourquoi  Dieu  ne 
»  me  ferait-il  pas  plutôt  la  grâce  d'y  pouvoir  lire  qu'à 
»  toi,  qui  n'est  qu'un  scélérat  obscur _,  venu  de  loin 
»  pour  massacrer  mon  peuple  et  me  ravir  mes  états  ? 
»  Vas ,  chétif  imposteur ,  je  crois  bien  te  valoir ,  ajouta 
»  le  monarque,  en  jetant  le  livre  avec  mépris.  » 

L'événement  justifia  la  prédiction  de  ce  malheureux 
prince-,  le  moine,  furieux  de  ne  pouvoir  rétorquer  les 
argumens  de  ce  prince  américain,  cria  de  toutes  ses 
»  forces  :  «  Aux  armes,  Chrétiens,  la  parole  de  Dieu 
»  vient  d'être  profanée-,  frappez,  exterminez  ces  hé- 
»  rétiejues.  »  Moyen  étrange  d'annoncer  les  maximes 


SUR   LA    LANGUE   DES    PERUVIENS.  339 

d'un    Dieu   de  paix ,   qui    pardonne   les    offenses  !   Le 
déprédateur  Pizarre  ,    à   ce  signal,  donna    l'ordre    du 
massacre.  L'explosion  de  l'artillerie  pétrifia  les  Péru- 
viens 5  ils  restèrent  un   moment  consternés  et  immo- 
biles. Les  Espagnols  n'eurent  la  peine  que  de  frapper. 
Ils  exterminèrent  tout  ce  qu'ils  rencontrèrent  :  plus  de 
quatre  mille  Péruviens  furent  égorgés  de   cette   ma- 
nière. Pizarre,  qui  s'était  entouré  d'une  troupe  d'élite, 
marcha  droit  à  l'Inca.  Il  enfonça  la  foule  des  courtisans 
qui  l'entouraient ,  saisit  le   monarque  par  le  bras  ,  et 
l'amena  dans  son  quartier,  où  il  le  retint  prisonnier. 

Pizarre  et  ses  officiers,  après  avoir  violé  les  vierges 
du  soleil,  parentes  d'Atahualpa ,  et  livré  les  autres 
femmes  américaines  à  la  brutalité  de  leurs  soldats,  se 
mirent  le  lendemain  à  piller  de  concert  le  camp  impé- 
rial. Ils  y  trouvèrent  une  quantité  surprenante  de  vais- 
seaux d'or ,  d'argent ,  enrichis  de  pierreries  artistement 
travaillées  ;  des  tentes  fort  riches ,  des  habits  et  de* 
meubles  d'un  prix  inestimable. 

Le  malheureux  prince  n'eût  pas  passé  quelques  jours 
parmi  ceux  qui  l'avaient  fait  prisonnier  ,  qu'il  s'aperçut 
que  l'or  était  le  seul  dieu  de  ces  étrangers.  Il  se  flatta 
dès-lors ,  de  pouvoir  recouvrer  sa  liberté  au  moyen, 
d'une  énorme  rançon.  Il  promit  à  Pizarre,  s'il  voulait 
hii  rendre  la  liberté  et  évacuer  ses  états ,  de  lui  donnée 
plus  d'or  qu'il  n'aurait  jamais  osé  en  espérer,  en  vases, 
en- lingots,  en  plaques,  Pizarre  accepta  la  proposition. 
En  conséquence  ,  l'inca  fit  remplir  jusqu'à  la  hauteur 
d'un  homme  ,  en  vases  et  autres  effets  d'or ,  la  chambre 
où  il  était  détenu-,  qui  avait  11  pieds  de  long  sur  16  de 
large. 

De*  que  les  Espagnols  surent  d'où  venait  cet  or ,  ils; 


U2. 


34o         SUR   LA    LANGUE    DÏS    PERUVIENS. 

allèrent  le  piller  dans  les  temples  et  les  sépulcres  qui  le 
renfermaient,  et  ils  oublièrent  la  promesse  qu'ils  avaient 
fai.e  à  l'Inca.  Pour  mettre  le  sceau  à  leur  bonne-foi , 
ils  jurèrent  la  mort  d'un  prince  qu'ils  avaient  prétendu 
chîistianiser.  Le  ciel  cependant  a  vengé  en  partie  ces 
malheureux  Indiens-,  car  tous  les  conquéraus  du  Pérou 
ont  fait  une  fin  malheureuse  et  digne  de  leurs  exploits. 

Ferdinand  que  Pizarre  ,  son  frère  ,  avait  choisi  pour 
porter  à  Charles  V  ce  qui  lui  appartenait  de  ces  trésors, 
étant  allé  prendre  congé  de  l'Inca  :  ce  prince  qui  l'ai- 
»  mait,luidit:»  Vous  vous  réjouissez  de  retourner  dans 
»  votre  patrie,  et  moi,  je  vois,  au  contraire,  votre  départ 
»  avec  beaucoup  de  peine,  puisqu'il  ne  me  restera  plus 
»  d'ami  parmi  les  Espagnols!  Disons- nous  donc  un 
»  éternel  adieu;  car  ce  peuple  cruel  ne  me  laissera  pas 
»  vivre  assez  long-temps  pour  me  réjouir  de  votre  re- 
»  tour.   »    Hélas  !  il  ne  prédit  que  trop  vrai. 

Les  richesses  considérables  que  les  Castillans  avaient 
aperçues  de  toutes  parts  ,  irritèrent  tellement  leur  cu- 
pidité ,  que  cène  fut  qu'un  cri  unanime,  pour  se  dé- 
faire d'un  Monarque  dont  la  mort  devait  faire,  des  sol-< 
dats  autant  de  Princes.  Le  hasard  servit  leur  avarice 
Almagro  venait  d'arriver  avec  des  renforts  considérables. 
Les  Espagnols  se  voyant  alors  en  état  de  conquérir  le 
royaume  d'Atahualpa.,  sa  mort  fut  irrévocablement  ré- 
solue. On  établit  un  conseil  :  les  accusations  les  plus 
absurdes  furent  portées  contre  l'infortuné  monarque , 
il  fut  condamné   à  être  brûlé  vif. 

Quand  on  lui  annonça  sa  sentence  de  mort ,  Ata- 
Iiualpa  versa  quelques  larmes,  se  plaignit  de  la  trahi- 
son de  ces  perfides  étrangers  qu'il  avait  toujours  traités 
4yec  tant  d'égards  ,  et  s'adressant  k  Pizarre  9  il  lui  dit  : 


SUR   LÀ    LANGUE    DES    PERUVIENS.         34l 

»  Seigneur  ,  ne  m'aviez-vous  pas  promis,  qu'en  payant 
»  la  rançon  à  laquelle  je  m'étais  engagé ,  vous  me  reu- 
»  driez  non-seulement  la  liberté  ,  mais  que  vous  sor- 
»  tiriez  de  mes  états  ?  Devais-je  m'attendre  qu'une 
m  promesse  si  positive  diit  être  suivie  d'un  arrêt  aussi 
»  cruel.  J'en  appelle  au  roi  d'Espagne  ,  votre  maître  , 
»  que  dans  cette  occasion  je  veux  bien  prendre  pour 
»  mon  juge  !  Je  porterai  ma  cause  au  pied  de  son  trône , 
»  son  arrêt  décidera  de  ma  destinée.   » 

Malheureusement  pour  Atahuaïpa,  la  pitié  était  un 
sentiment  inconnu  au  cruel  Pizarre  et  à  ses  barbares 
compagnons.  Il  ordonna  que  Inexécution  fut  faite  sur  le 
champ.  Le  monarque  s'adressa  envahi  à  l'aumônier  :  il 
ne  put  obtenir  que  l'assurance  d'un  adoucissement  à 
son  supplice,  s'il  embrassait  la  religion  chrétienne.  Cet 
espoir,  et  peut-être  celui  d'un  changement  à  son  sort, 
lui  arracha  la  demande  du  baptême.  La  cérémonie  fut 
faite  ,  et  Atahualpa,  au  lieu  d'être  brûlé  vif,  fut  étran- 
glé au  poteau  ou  il  était  déjà  attaché. 

Ainsi  périt  le  dernier  monarque  de  la  plus  opulente 
contrée  de  l'univers  ,  que  sa  douceur,  sa  bonté  et  les 
charmes  de  Capillana  ,  dont  le  farouche  Pizarre  était 
épris  ,   ne  purent  soustraire  à  la  mort. 

«   On  s'altendrit,  dit  M.  Paw,  en  lisant  la  fin  tra- 
»   gique  de  ce  prince  infortuné,  que  les  richesses  qur- 
:»   sauvent  si  souvent  le  coupable,  ne  purent  sauver, 
»  malgré   son   innocence  ;  il    avait     malheureusement 
»   affaire  à  des  soldats  ,  et  à  des  moines.  » 

Cette  sensibilité  eut  été  plus  honorable  pour  cet  écri- 
vain, s'il  eut  mis  de  côté  son  injuste  prévention,  et  qu'il 
eût  eu  la  générosité  et  la  justice  de  reconnaître  que 
ce  discours  de    l'Inca,  dont  un  Européen  instruit  se 


I 

34a  SUR  LA  LANGUE   DES    PERUVIENS* 

ferait  honneur ,  loin  d'annoncer,  comme  il  l'a  dit  : 
«  Que  les  Péruviens  passaient  leur  vie  sans  penser, 
»  qu'ils  vieillissaient  sans  sortir  de  l'enfance  dont  ijs 
:»  conservaient  les  défauts,  »  caractérise,  au  con- 
traire ,  comme  l'observe  très-bien  dorn  frenelty  «  un 
:»  esprit  sain,  instruit,  éclairé,  et  guidé  par  une  pbi- 
»  losopliie  vraiment  naturelle  et  non  subordonnée  , 
»  comme  celle  des  Européens  ,  aux  préjugés  del'édu- 
»  cation;  une  âme  noble,  courageuse.,  un  cœur  géné- 
3j  reux,  enfin  tout  ce  qu'il  faut  pour  être  véritablement 
»  homme.  » 

Pour  dernière  observation  ,  j'ajouterai  que  cette  re- 
lation des  derniers  momens  d'Atahualpa  ,  démontre 
combien  M.  Paw  a  été  peu  exact  dans  la  sienne  ,  et  le 
cas  que  l'on  doit  faire  de  ses  rapports  lorsqu'ils  concer- 
nent l'Amérique. 

Les  discours  (VAtahualpa  ,  la  réponse  du  cacique 
Allibamon  Allekxi  IVIingo  au  capitaine  Bossu  ;  la 
harangue  du  chef  de  cette  nation  à  ses  jeunes  compa- 
triotes ,  le  discours  du  chef  des  Atakapas  à  M.  de  Bien- 
ville  ,  le  passage  que  j'ai  cité  de  l'Histoire  naturelle  et 
morale  des  îles  Antilles  ,  toutes  les  réponses  rapportées 
par  les  écrivains  divers  de  l'Europe  ;  enfin  la  tradition 
verbale  des  Cayamos  ,  n'annoncent  pas  que  Gatcilasso 
en  ail  imposé  (  comme  le  prétend  M.  Paw  )  ,  lorsqu'il 
rapporte  qu'il  y  avait  ui^e  académie  a  L'uzco  ,  où  les 
professeurs  connus  sous  le  nom  & Amantas  ,  se  ser- 
vaient dans  leurs  leçons,  delà  langue  sacrée-,  ni  que 
l'idiome  vulgaire  fut  si  stérile  et  si  pauvre  de  mots, 
qu'il  eut  été  impossible  de  traduire  le  jargon  savant 
par  le  jargon  populaire  -,  puisque  les  historiens  con- 
viennent que  les  Péruviens  faisaient  des  ouvrages  en 


SUR  LA  RELIGION  DES  ANCIENS  EUROPEENS  ,  elc.    34^ 

rers  et  en  prose  ,  et  que  Ton  a  conservé  les  hymnes 
touchantes  qu'ils  chaulaient  à  la  fête  du  soleil.  Qu'ont 
accorde  si  l'on  peut  ces  faits  avec  les  contradictions 
palpables  de  M.  Paw,  qui  se  heurtent  de  front-  quant 
il  moi  ,  je  reconnais  mon  insuuisan.ee. 

CHAPITRE     IL 

Sur  La  Kelhnon  des  anciens  Européens  ,   Péru- 
viens y  Mexicains  ,  etc. 

Passons  maintenant  à  l'examen  de  la  religion  des, 
continents  d'Europe  et  d'Amérique.  Les  nations  no-^ 
mades  qui  erraient  dans  les  vastes  plaines  qui  sont  au 
nord  de  l'Europe  et  de  l'Asie  ,  avaient  (  suivant  Héro- 
dote ,  Meipom.  C.  54.  )  pour  principale  divinité,  la 
Terre  1  dont  ils  tiraient  leur  substance  pour  eux  et  leurs 
troupeaux.  Ils  lui  donnaient  pour  époux  Jupiter  ou  le 
ciel ,  qui  verse  dans  son  sein  les  pluies  qui  la  fécon- 
dent. Dans  toute  la  partie  intérieure  du  nord  de 
l'Europe  et  dans  sa  partie  occidentale,  les  peuples 
connus  sous  le  nom  générique  de  Celtes ,  étaient  des 
barbares  vivant  de  glands  ,  de  fruits  sauvages  et  de 
laitage,  sans  demeures  fixes  ,  sans  lois,  sans  arts,  tou- 
jours en  guerre  les  uns  contre  les  autres  ,  ne  connais- 
sant que  le  pillage  et  les  incursions  ,  obéissant  aux 
chefs  qu'ils  choisissaient  pour  les  mener  au  combat  et 
partager  le  butin;  pratiquant  le  prétendu  droit  d'es- 
clavage, dominés  par  des  Druides  ,  piètres  sanguinaires 
imbus  d'absurdes  superstitions  ;  rendant  (  comme  l'ob- 
serve très-bien  Peloutier,  tom.  5 ,  pag.  53  )  un  culte 
religieux  au  Jeu,  à  Veau,  à  Yair,  à  la  terre ,  au  soleil. 


344      SUR  LA  RELIGION  DES  ANCIENS  EUROPEENS, 

a  la  lune  ,  aux  astres  ,  à  la  voûte  des  cieux,  aux 
arbres  et  aux  fontaines  ;  immolant  des  victimes  hu- 
maines, mangeant  leurs  prisonniers;  rachetant  par  des 
amendes  la  plupart  des  délits  et  le  meurtre  même;  en 
un  mot,  sans  lettres  et  sans  commerce. 

Daniel  Cornid  rapporte  que  les  Hongrois  profes- 
saient une  religion  assez  semblable  à  celle  des  Perses  , 
qu'ils  n'avaient  ni  temples,  ni  images;  mais  qu'ils  ado- 
raient \efeu  comme  Dieu,  et  lui  sacrifiaient  des  hommes. 

L'histoire  du  Bas-Empire,  tom.  4  ,  pag.  323,  nous 
apprend  que  les  Huns  adoraient  le  ciel  et  la  terre  ; 
que  leur  chef  prenait  le  titre  de  Tan  fou,  (fils  du  ciel.  ). 
Les  Francs  qui  passèrent  en  Italie,  sous  la  conduite 
du  roi  Theudibert ,  immolaient  (  suivant  Procope , 
liv.  2,  chap.  25.)  les  femmes  et  les  enfans  des  Goths , 
et  en  jetaient  les  corps  dans  le  fleuve  le  Pô  ,  auquel 
ils  en  faisaient  offrande  ,  comme  des  prémices  de  la 
guerre.  Quoiqu'ils  eussent  adopté  la  nouvelle  forme  du 
culte  solaire ,  ou  le  christianisme  ,  ils  avaient  encore 
garderies  superstitions  de  l'ancien  culte. 

Les  Illyriens  ,  les  Thessaliens  ,  les  peuples  de  Vis- 
lande  adoraient  l'eau  et  les  fleuves  ,  et  leur  offraient 
des  victimes. 

Agathias  rapporte  ,  que  les  Allemands  rendaient 
un  culte  aux  arbres  ,  aux  bois  sacrés  ,  aux  collines  et 
aux  fleuves,  et  leur  immolaient  des  chevaux. 

Suivant  Procope  ,  les  habitans  de  Thule  et  tousdes 
Scandinaves  plaçaient  leurs  divinités  dans  le  firma- 
ment ,  dans  la  terre  ,  dans  la  mer  ,  dans  les  fontaines  , 
dans  les  eaux  courantes.  L' Angleterre  ajoutait  à  ce 
culte  celui  des  forêts,  des  pierres  et  des  idoles.  On  y- 
entretenait  le  feu  sacré  dans  le  temple    de  Minerve, 


PÉRUVIENS,  MEXICAINS,   etc.  345 

et  l'on  immolait  des  victimes  humaines,  comme  dans 
les  Gaules  :  ces  deux  pays  étant  malheureusement  di- 
rigés par  des  druides  barbares. 

Lors  de  la  découverte  du  Nouveau-Monde,  les  Amé- 
ricains ,  sans  jamais  avoir  eu  de  communication  avec  le 
reste  du  globe,  avaient  une  teinture  des  arts  et  des 
sciences  ;  ils  les  cultivaient  plus  par  goût  que  par 
besoin.  Leurs  bourgades  ,  leurs  villes  et  leurs  planta- 
tions attestaient  les  progrès  qu'ils  avaient  faits  dans 
les  arts  ,  dans  les  sciences  et  dans  la  civilisation.  Leurs 
lumières  étaient  le  fruit  de  leur  génie  naturel-,  et  ils 
n'étaient  pas  redevables,  comme  les  Européens,  de 
leurs  connaissances  et  de  leur  civilisation ,  aux  lumières 
des  Romains  et  des  Grecs  ,  qui  les  avaient  eux-mêmes 
empruntées  de  l'Ethiopie  ,  de  l'Egypte  ,  de  la  Chal- 
dée,  de  la  Phénicie  ,  de  l'Inde  et  de  la  Tartarie. 

Les  Américains  ,  frappés  du  spectacle  des  cieux , 
et  des  mouvemens  réguliers  des  astres  ,  trompés  pafrle 
témoignage  de  leurs  sens  ,1e  seul  auquel  ils  crussent  , 
avaient  le  sentiment  de  l'existence  de  Dieu,  non  pas 
en  s'élevant  à  la  manière  des  Newtons  et  des  Socrates  , 
par  l'harmonie  générale  de  ses  ouvrages,  mais  en  s'ar- 
rêtant  à  ceux  de  ses  bienfaits  qui  les  intéressaient 
le  plus.  Ainsi  que  Y  Indien  du  Bengale -,  qui  adore  le 
Gange  qui  fertilise  ses  campagnes;  le  noir  Iolof\ 
l'Océan  qui  rafraîchit  ses  rivages  ;  le  Samoïède  du 
Nord,  la  Renne  qui  le  nourrit;  les  îroquois  et  les 
autres  peuples  du  nord  de  l'Amérique  ,  demandaient 
aux  esprits  des  lacs  et  des  forêts  ,  des  pêches  et  des 
chasses  abondantes;  ceux  du  midi  ,  comme  les  Péru- 
viens, adoraient  l'être  suprême  sous  la  forme  du  soleil, 
dont  les  Iucas  se  disaient  fils  ,  parce  que  cet  astre  vivi- 


346  SUR  LA  RELIGION  DES  ANCIENS  EUROPEENS  , 
fiait  et  fructifiait  la  nature  entière  ,  et  que  le  cief  et 
la  terre  ne  leur  offraient  pas  d'emblème  plus  éclatant 
et  plus  digne  de  représenter  la  divinité.  Cependant  les 
plus  éclairés  de  la  nation  admettaient ,  comme  je  l'ai 
déjà  dit,  uu  être  suprême  créateur  de  toutes  choses. 
Les  sauvages  du  nord  de  l'Amérique  ,  répandus  dans 
les  forêts,  levaient  leurs  mains  vers  le  ciel  ,  vers  le 
soleil  et  la  lune,  tandis  qu'au  Pérou  ,  on  avait  consacré 
les  images  de  ces  astres  dans  de  magnifiques  temples  , 
où  l'or  brillait  de  toutes  paris  ,  et  qu'on  avait  donné  au 
culte  tout  l'appareil  du  cérémonial  le  plus.pompeux. 

La  lune  était  aussi  dans  la  plus  grande  vénération 
chez  les  Péruviens,  qui  lui  donnaient  le  nom  de  Mère 
universeilejils  la  reconnaissaient  pourla  mère  des  Inca?, 
comme  étant  la  femme  et  la  sœur  du  soleil,  leur  père,; 
ils  adoraient  aussi  la  belle  planète  de  Vénus,  l'astre  le 
plus  brillant  après  le  soleil  et  la  lune.  Les  météores, 
les  éclairs,  le  tonnerre,  qu'ils  regardaient  comme  les 
exécuteurs  de  la  justice  du  ciel,  avaient  aussi  leurs 
autels.  L'arc- en-ciel  qui ,  par  ses  couleurs  brillantes  , 
subjugua  l'admiration  de  tous  les  peuples,  Iris,  apr 
pellée,  chez  les  Giecs,  la  fille  de  l'admiration,  y  avait 
aussi  sa  chapelle.  Des  vierges  du  sang  royal,  espèces  de 
vestales  consacrées  au  culte  du  soleil,  et  renfermées 
dans  des  cloîtres  où  les  hommes  ne  pouvaient  entrer, 
fêtaient  au  nombre  de  plus  de  mille  dans  la  seule  ville 
de  Cusco;  elles  habitaient  un  vaste  monastère  près 
du    temple   de  TAstre-du-Jour. 

Ce    culte   était  certainement  plus   nob!e   et   moins 
ïidicule  que  celui  des  Celtes  qui  adoraient  des  imagés 
et  des  statues  grossières  ,  ouvrages  de  leurs  mains  ; 
Que  le  culte  du  Koriac,  qui  dit  à  son  fétiche  ?  en  lui 


PERUVIENS,    MEXICAINS,  etc.  347 

immolant  des  chiens  et  des  rennes  :  «  Reçois  nos  dons-, 
»  mais  envoie-nous  ce  que  nous  attendons  de  toi  ; 

Que  celui  de  l'Ostiaque,  qui  ,  avant  de  frapper  sa 
victime,  convient,  avec  son  staorick,  des  conditions 
du  sacrifice,  et  qui,  s'il  est  malheureux  dans  sa  chasse, 
frappe  sa  fétiche  de  verges,  puis  se  réconcilie  avec 
elle  ; 

Que  le  culte  des  Nègres,  qui  vendent,  brûlent 
ou  noyent   les  leurs  quand  ils  en  sont  mécontens; 

Que  celui  des  habitans  du  Congo,  qui  livrent  aux 
flammes  toutes  leurs  fétiches,  lorsqu'elles  ne  les  ga~ 
rautissent  pas  de   la  peste; 

Que  le  culte  du  £,apon  qui  brûle  le  sien  lorsque  se$ 
rennes  meurent; 

Que  celui  des  îles  Sandwich  dont  les  habitans  sup- 
priment les  fêtes  religieuses  lorsque  leurs  divinités 
laissent   mourir  leur   roi  ; 

Enfin  que  celui  des  Napolitains  qui,  en  1793, 
mirent  eu  jugement  Saint-Janvier  parce  qu'il  n'avait 
pas  repoussé  l'aimée  française. 

On  ne  reproche  qu'aux  habitans  de  la  baye  d'Hud- 
son  ,  de  tirer  des  coups  de  fu^il  à  leurs  fétiches,  lors- 
qu'ils croient  avoir  à  s'en  plaindre. 

Ne  pourrait-on  pas  faire  des  reproches  non  moins 
fondés  à  certains  peuples  civilisés. 

Les  Mexicains  contemplaient  le  ciel,  et  lui  don- 
naient le  nom  de  Créateur  et  d'Admirable;  ils  adc^- 
raient  le  soleil,  la  lune,  l'étoile  du  matin,  la  tvrrre, 
la  mer,  le  tonnerre,  les  éclairs  et  tous  les  météores; 
ils  avaient  des  temples  ,  des  prêtres,  des  statues  hyé- 
rogliphiques  appuyées  sur  le  serpent,  assez  semblable 
au  Sérapis  égyptien;  des  fêtes,  des  sacrifices }  et  tout 


348  SUR  LA  RELIGION  DES  ANCIENS  EUROPEENS  , 
l'appareil  le  plus  pompeux  du  culte.  Ils  pensaient  que 
les  gens  de  bien,  ceux  qui  mouraient  dans  les  ba- 
tailles, et  ceux  qui,  étant  faits  prisonniers,  étaient 
sacrifiés  par  les  ennemis  ,  passaient  dans  le  Soleil,  ou 
dans  un  lieu  qu'ils  appelaient  Maison  du  Soleil. 

Les  Florides  adoraient   cet  astre    dans    une  vaste 
grotte   du   mont  Olamj  que  la  nature  semblait  avoir 
décoré  tout  exprès  de  concrétions  diverses,  agréable- 
ment disposées. 

Les  babitans  de  l'isthme  de  Panama  n'avaient  ni 
temple  ,  ni  marques  extérieures  de  culte;  ils  adoraient 
le  soleil  et  la  lune.  Il  en  était  de  même  des  peuples 
de  la  Terre-Ferme ,du  Brésil ,  des  Caraïbes ,  qui  recon- 
naissaient deux  esprits  ,  le  bon  qui  demeure  au  Ciel , 
et  le  méchant   qui    est   répandu  dans  l'air. 

Les  naturels  de  Saint-Domingue  faisaient  des  pè- 
lerinages à  une  certaine  grotte  sacrée  d'où  ils  faisaient 
naître  le  soleil  et  la  lune.  Nous  avons  vu ,  par  la 
réponse  d'un  vieux  Cacique  de  cette  île  à  Chris- 
tophe Colomb ,  qu'ils  avaient  quelques  idées  de  la 
vie  à  venir. 

A  l'instar  des  Troyens  et  des  anciens  Grecs ,  les 
prêtres  mexicains  immolaient  par  fois  des  victimes 
humaines  ,  et  se  repaissaient  de  leur  chair  plus  rare- 
ment encore,  croyant,  par  une  vengeance  aussi  dé- 
placée ,  appaiser  les  mânes  de  leurs  guerriers  qui 
avaient  péri  dans  les  combats  ,  et  se  concilier ,  par 
cet  absurde  sacrifice,  les  mauvais  esprits  dont  ils 
avaient  tout  à  craindre. 

L'usage  des  Mexicains,  d'engraisser,  comme  les 
Hébreux, -un  prisonnier  dans  le  temple ,  pour  en  ser- 
vir   annuellement  les  membres   sauglans  aux  plus  ar- 


PÉRUVIENS,    MEXICAINS,   etc.  34p 

dens  d'entre  leurs  dévots,  était  plutôt,  comme- l'ob- 
serve M.  Paw,  «  une  expiation  légale  dictée  par  le 
»  fanatisme  le  plus  outré  ,  qu'un  moyen  adopté  pour 
»  sustenter  la  vie  de  ces  enthousiastes.  »  L'opinion 
commune  est  que  l'on  brûlait  d'abord  le  cœur,  en- 
suite le  corps  de  la  victime  ;  qu'on  en  gardait  le»  cen- 
dres à  part,  pour  attester  qu'on  avait  rempli  les  devoirs 
de  la  religion. 

Il  y  a  peu  de  nations  auxquelles  on  ne  puisse  repro- 
cher d'avoir  mangé  des  victimes  humaines  ,  et  il  n'en 
n'existe  pas  une  qui  n'ait  arrosé  les  autels  de  la  divi- 
nité du  sang  de  ses  semblables.  Les  Scythes ,  les  Egyp- 
tiens ,  les  Chinois  ^  les  Indiens ?  les  Juifs  >  les  Phéni- 
ciens,  \es  Perses ,  les  Grecs  y  les  Carthaginois ,  les 
Romains  _,  les  arabes ,  les  JSègres ,  les  Espagnols  3 
les  Gaulois ,  les  Bretons  ?  les  Germains ,  les  Suédois  , 
et  tous  les  babitans  du  nord  de  l'Europe  ,  ont  immolé 
des  hommes  avec  profusion.  Quand  ces  peuples  ont 
cessé  de  manger  leurs  prisonniers,  ils  les  ont  offerts  à 
leurs  dieux.  C'est  à  cette  occasion  que  les  Latins  ont 
imaginé  les  mots  ^hostie  ,  hoste  ,  (  hostie  ,  hoste  ou 
ennemi)  victus  oryinctus ,  (  victime  ,  vaincu ,  enchaîné, 
lié.). 

De  nos  jours,  les  Bhaltes ,  qui  habitent  la  côte  oc- 
cidentale de  Sumatra,  lient  à  un  poteau  et  étendent  en 
forme  de  croix  de  Saint-André  ,  les  criminels  et  les 
prisonniers  ;  ils  se  précipitent  sur  eux  en  poussant  des 
cris  affreux  ,  et  les  expédient  sur  le  champ  à  coups  de 
haches  et  de  coufeaux  •  puis  ils  arrachent  avec  fureur 
des  lambeaux  de  chair  des  corps  des  patiens  ,  les  dé- 
vorent sur  la  place  après  les  avoir  plongés  dans  un  mé- 
lange de  jus  de  cit,ron  et  d'autres  fruits.    (  Cette  atro- 


350       SUR  LA  RELIGION  DES  ANCIENS  EUROPEENS  } 

cité  s'est  faite  en  1816  en  présence  de  lord  Moira, 
gouverneur  des  Grandes-Indes.  ) 

L'abbé  Renaudot  rapporte  quJau  9e.  siècle  il  y  avait 
encore  des  antropophages  dans  l'empire  de  la  Chine  r 
et  que  les  Arabes  s'accordent  à  dire  que  les  babitans 
des  provinces  de  Xandu  et  de  (Joncha ,  mangeaient 
leurs  prisonniers  -,  les  Chinois  agiraient  certainement 
d'une  manière  plus  digne  de  l'humanité  ,  s'ils  en- 
voyaient le  surplus  de  leur  population  établir  des  co- 
lonies plutôt  que  d'étouffer  chaque  année  7  dans  des 
bassins  d'eau  chaude  ,  plus  de  trente  mille  enfans 
nouveaux-nés  ,  pour  ne  pas  les  nourrir. 

C'est  par  un  sentiment  de  charité  aussi  déplorable , 
que  les  Onontagues  au  Darien  ,  enterrent  le  jour  même 
qu'une  mère  vient  d'expirer  ,  les  orphelins  et  orphe- 
lines à  la  mamelle  avec  le  corps  de  la  mère  ,  pour  ? 
disent-ils ,  les  empêcher  de  mourir  de  faim  et  de 
misère. 

Si  depuis  l'amende  de  200  sols  à  laquelle  les  lois 
saliques  sous  Charlemagne  ,  condamnaient  les  sorciers 
qui  mangeaient  de  la  chair  humaine  ,  les  Européens 
ont  cessé  de  manger  des  hommes  ,  ils  ont  conservé  la 
coutume  de  prier  le  ciel  de  les  préserver  des  démons  ? 
et  de  payer  les  prêtres  pour  les  endormir  par  leurs 
prières. 

Les  Aiakcrpas  de  la  Lou:siane  ayant  promis  dans 
leur  traité  avec  les  Français  de  ne  plus  goûter  de  chair 
humaine,  ont  mieux  tenu  leur  parole  que  ne  firent 
jadis  les  Carthaginois ,  qui  au  mépris  de  l'engagement 
solennel  qu'ils  avaient  signé ,  de  ne  plus  sacrifier  des 
enfans  à  Saturne  ,  s'abandonnèrent  de  rechef  à  cette 
épouvantable  superstition» 


PERUVIENS,   MEXICAINS,   etc.  35l 

Combien  d'Etats  chrétiens  en  Europe ,  pourra- 
t-on  citer  ,  qui  puissent  se  flatter  d'avoir  observé 
leurs  traités  aussi  religieusement  que  les  Atakapas  , 
que  les  Guayqueries  de  la  bande  du  Nord?  Ces  der- 
niers, dit  M.  Humboldt,  montrent  avec  orgueil  aux 
Européens  la  pointe  de  la  galère  ,  à  cause  du  vaisseau 
de  Colomb  qui  était  mouillé  dans  ces  parages  ;  et  le 
port  de  Mançanillo  ,  où  ils  jurèrent  aux  blancs  ,  pour 
la  première  fois  en  1^98,  cette  amitié  qu'ils  n'ont  ja- 
mais trahie  et  qui  leur  a  fait  donner  en  stjle  du  palais 
le  titre  de  Fièles  (  Fidèles  ).  (Voy.  Aux.  Reg.  Equhu 
du  Nouv.  Contin.) 

Il  y  avait  moins  d'antropophages  au  Nouveau- 
Monde  que  bien  des  personnes  se  l'imaginent.  On  n'y 
a  jamais  connu  que  les  Atakapas  dont  nous  avons  déjà 
parlé  ,  qu'une  tribu  parmi  les  Patagons  du  Midi  - 
dans  le  Brésil  ;  les  Barbares  ,  les  Oragnates  et  les 
Typayes  ;  dans  la  Guyane,  les  Gallibis  et  quelques 
familles  Caraïbes  expulsées  de  leurs  îles  natales  par 
les  Espagnols,  et  réfugiées  à  la  côte  du  Continent, 
entre  l'Orénoque  et  le  fleuve  des  Amazones.  Ils  t&- 
gardent  les  Missionnaires  comme  des  ennemis  dange- 
reux et  opiniâtres,  et  les  Espagnols  comme  les  plus 
cruels. 

Antoine  Biet ,  supérieur  des  prêtres  Missionnaires 
qui  passèrent  en  i652    à  Cayenne,  a  fait  un  rapport 
plus  avantageux  de  leurs  mœurs  et  de  leurs  manières 
de  vivre.  (  Voy.  son  Voy.  de  la  Terre  équin. ,  liv.  3 
pag.  39o.  ) 

Les  Américains  avaient  encore  de  commun  avec 
presque  tous  les  peuples  de  l'Univers  ,  l'usage  sangui- 
naire   et  insensé    d'ensevelir  des  personnes  vivantes 


352       SUR  LA  RELIGION  DES  ANCIENS  EUROPEENS  , 

avec  les  corps  de  leurs  caciques  ou  chefs  de  famille  f 
avec  cette  différence  cependant  qu'on  ne  contraignait 
pas  ces  infortunés  ,  qu'ils  venaient  au  contraire  se  pré- 
senter d'eux-mêmes,  pour  l'honneur  d'être  enterrés 
vivans  ,  puisqu'on  était  souvent  obligé  de  renvoyer 
ceux  qui  excédaient  le  nombre  prescrit  par  l'étiquette 
de  la  cour  pour  les  funérailles  de  Sa  Majesté.  (  Voyez 
l'Histoire  des  lncas  par  Garcilasso ,  imprimée  à  Paris 
en  i^44.  ) 

L'usage  inhumain  d'ensevelir  des  personnes  vivantes 
avec  les  morts  ,  existait  en  Europe  et  dans  tous  les 
pays  où  les  Ases  ou  Scythes  asiatiques  se  sont  fixés. 
L'Europe  n'a  été  exempte  de  cette  barbarie  qu'au  temps 
de  Jules-César. 

Cet  usage  subsiste  encore  à  la  côte  de  Guinée  et 
dans  quelques  cantons  de  Y  Asie  méridionale  ;  à  la 
côte  de  Coromandel  7  on  enterre  les  femmes  vivantes, 
et  chaque  assistant  croit  exercer  un  acte  d'humanité  en 
jetant  sur  elles  quelques  paniers  de  sable. 

Quant  à  la  bizarrerie  qui  a  rapport  au  deuil  7  et  qui 
consiste  (chez  les  Tcharos  du  Paraguay;  les  Guaranos 
et  les  Sauvages  qui  habitent  à  l'Occident  de  Parama- 
ribo, que  les  Hollandais  nomment  Boken)  à  se  couper 
une  phalange  des  doigts  lorsqu'on  perd  son  mari  ,  sa 
femme  ou  quelqu'un  de  ses  proches;  on  la  retrouve 
parmi  les  CaJ/'res  7  chez  ce  peuple  qui  erre  à  la  pointe 
méridionale  de  l'Afrique  ,  et  que  l'on  nomme  Hotten- 
tots ,  si  connu  et  si  fameux  par  leurs  mœurs  et  leurs 
habitudes  bizarres. 

L'usage  ridicule  ,  mais  moins  sanguinaire  des  Bré- 
siliens et  de  quelques  peuples  du  Nord  de  l'Amérique, 
où  la  femme  ,  dès  qu'elle  est  accouchée ,  n'a  rien  de 


PÉRUVIENS,    MEXICAINS,    etc.  353 

plus  pressée ,  que  d'aller  servir  son  époux  qui  garde 
alors  le  lit  pendant  plusieurs  jours  ,  est  encore  en  vo- 
gue en  France  même  -,  c'est  ce  qu'on  appelle  dans  le 
Béarn  ,  faire  la  couvade.  Il  est  vraisemblable  que  les 
anciens  Véaarniens  ,  ou  les  Béarnais  ,  ont  puisé  cette 
étiquette  en  Espagne,  où  elle  régnait  principalement 
du  temps  de  Strabon.  (  Mulieres  ,  cum  paperunt ,  suo 
loco  viros  decumbere  jubent7  eisque  ministrant ,  liv. 
III ,  p.  iy4.  )  Il  Ta  remarquée  chez  les  Celtibériens; 
3Iéla  et  Pline  chez  les  Tibaréniens  en  Cappadoce  •  et 
Diodore  chez  les  Corses. 

Aucun  des  peuples  de  l'Amérique  n'a  jamais  in- 
sulté les  morts.  L'Europe  moderne  nen  peut  pas 
dire  autant  ;  encore  moins  les  anciens  Romains ,  qui 
laissèrent  pendant  trois  jours  aux  Gémonies  (  lieu  qui 
répond  à  la  voirie)  ,  le  corps  de  Séjan  ,  ministre  et 
favori  de  Tibère  ,  exposé  aux  insuites  du  peuple 
(Dion  Cassius  ,  in  Tib.7  lib.  58  ,  édit.  Reimar.  ) 

Etienne  VII  arracha  de  la  terre  le  pape  Formose , 
son  prédécesseur,  lui  trancha  la  tête,  et  fit  jeter  son 
corps  dans  le  Tibre.  Un  Concile  fit  exhumer  le  ca- 
davre de  WicklefT  pour  le  maudire  à  la  face  de  Dieu. 
Araound  Haschild  fit  ouvrir  les  pyramides  d'Egypte 
pour  s'approprier  les  trésors  qu'il  supposait  qu'on  y 
avait  enfouis.  Le  révolutionnaire  3Iarat7  en  179^, 
passa  du  Capitole  aux  Génomies  ;  du  Panthéon  de 
Paris  à  l'égoût  Montmartre. 

On  n'accusera  pas  non  plus  les  Américains,  comme 
les  anciens  Mèdes  ,  d'avoir  jeté  à  un  certain  nombre 
de  forts  dogues,  les  cadavres  de  leurs  amis,  de  leurs 
pères  et  de  leurs  parens  ;  de  les  avoir  même  fait  dévo- 
rer à  l'article  de  la  mort ,  sous  prétexte  de  les  soustraire 
tome  2.  23 


B 54      SUR  LA  RELIGION  DES  ANCIENS  EUROPEENS , 

an  déshonneur  de  mourir  dans  leur  lit ,  ou  à  celui  d'être 
enseveli ,  parce  qu'il  est  connu  de  tout  le  monde  que  les 
habitans  de  l'Amérique, après  avoir  soigné  les  person- 
nes qui  leur  sont  chères,  pendant  leur  maladie,  arrosent 
leur  tombeaux  de  leurs  larmes  ;  que  les  femmes  de  ces 
mêmes  Indiens,  après  leur  avoir  rendu,  ainsi  qu'à  leurs 
en  fans  ,  les  honneurs  delà  sépulture,  viennent  tous  les 
jours,  pendant  plusieurs  semaines  ,  porter  des  alimens, 
verser  de  leur  sein  quelques  gouttes  de  lait  sur  leurs 
tombeaux  (Charievoix.  Voy.  d'Amérique  ). 

Les  naturels  du  Nouveau-Monde  ont  tant  de  res- 
pect pour  les  tombeaux  de  leurs  ancêtres ,  qu'ils  re- 
gardent ces  monumens  comme  les  titres  de  possession 
de  la  terre  qu'ils  habitent.  «  Ce  pays  est  à  nous ,  di- 
»  sent-ils ,  les  os  de  nos  pères  y  reposent,  »  Quand 
ils  sont  forcés  d'en  sortir  ,  ils  les  déterrent  en  pleu- 
rant ,  et  les.  emportent  avec  le  plus  grand  respect 
(  Histoire  des  Antilles  ). 

Les  Américains  n'ont  jamais  pratiqué  la  coutume 
barbare  d'offrir,  sur  un  bûcher,  des  victimes  humaines 
en  holocauste.  Dans  Y  Inde  1  on  place  sur  un  bûcher, 
les  veuves  qui  n'ont  point  eu  d'enfans,  -et  on  les  y 
brûle  avec  le  corps  de  leur  mari  défunt.  Les  druides  , 
chez  les  Gaulois,  les  Bretons  ,  et  dans  le  nord  de 
l'Allemagne,  brûlaient  les  victimes  humaines  dans  des 
paniers  d'osier.  Les  prêtres  modernes,  dans  certains 
pays  d'Europe ,  en  ont  fait  des  auto-dafés ,  et  les 
ont  brûlés  en  grande  pompe  dans  les  places  publiques. 

Les  liabitans  du  Nouveau-Monde,  n'ont  jamais  eu 
pour  passe-temps,  des  combats  de  gladiateurs,  de  tau- 
reaux de  titres,  d'ours  ou  autres  bêtes  féroces  contre 
des  humir.es.  Ils  n'ont  jamais  imité  X.  Scilla  (jui,  le 


PERUVIENS,    MEXICAINS,    étC.  355 

premier,    fit  combattre  dans  le   cirque ,  des  lions  eu 
liberté  (tandis  qu'auparavant  ils  étaient  attachés),  et 
coutre  lesquels  le   roi  Bocchus    envoya   des  chasseurs 
instruits  dans  l'art  de  les  percera  coups  de  traits.  On 
ne  leur  reprochera  pas  non  plus,  lorsqu'un  gladiateur 
portait  la  main  sur  la  blessure  qu'il  avait  reçue  ,  quoi- 
qu'en    se    tenant    ferme ,    tandis    que   son   adversaire 
tournail  les  yeux  vers  les  spectateurs  pour  savoir  s'il 
devait  continuer  à  combattre  •  d'avoir  fait  signe,  comme 
le  peuple  romain,  que   ce  n'était  rien,  et  crié  qu'ils 
ne  voulaient  pas  qu'on  intercédât  pour  le  blessé  (  *5e- 
jièque,   sur  la  Constance  ). 

Les  Américains  les  plus  distingués  Bar  leur  rang, 
auraient   cru   se   déshonorer ,  s'ils    étaient   descendus 
dans  l'arène ,  comme  les   sénateurs  romains ,  pour  y* 
combattre    en  vils    gladiateurs.    Leurs    femmes  n'ont 
jamais  brigué,    comme    les   dames   romaines,    l'infa- 
mie de  prendre  part  à  ces  combats  cruels.  Les  Péru- 
viens étaient  incapables  de  forcer  leurs  prisonniers  à 
faire  le  métier  de    gladiateurs  ,    comme  ceux  de  ces 
odieux  vainqueurs  du  monde,  désignés  sous  les  noms 
de  Scutores  y  Thraces  ,  JMyrmillones  ,   Hyplomachi , 
Samnites ,  JEssedarii,  qui  combattaient  dans  des  chars; 
jtietîarii ,  avec  des  filets;  Laqueariij  avec  des  lacets  ; 
Andebales ,   gladiateurs    qui    combattaient  les   yeux 
fermés-,  Dimacchares ,  avec  deux  poignards  ou  épées; 
Catervares ,  prisonniers  ou   esclaves  qui   se  battaient 
en  troupe. 

Le  peuple  péruvien  ou  mexicain  n'était  pas  assez 
perverti  (lorsqu'il  s'agissait  de  décider  de  la  vie  d'un 
gladiateur  qui  avait  montré  de  la  faiblesse  ou  de  la 
timidité)  ,  pour  renverser  le  pouce  (conyerso  pollicé)^ 

a3.. 


356       SUR  LA  RELIGION  DES  ANCIENS  EUROPEENS  , 

et  crier,  (recipe  ferrum) ,  reçois  le  fer.  Plus  humain 
que  le  peuple  de  Rome,  il  eût  fait  périr  celui  qui  eût 
proposé  des  jeux  aussi  atroces;  il  n'eût  point  joui, 
comme  la  multitude  romaine,  à  la  vue  des  victimes 
immolées  à  ses  plaisirs-,  il  n'eut  point  demandé  à  voir 
leurs  cadavres,  pour  s'assurer  qu'ils  étaient  véritable- 
ment égorgés.  Il  n'eût  pas  ,  comme  elle,  porté  la  main 
dans  leurs  blessures,  bu  de  leur  sang,  sous  prétexte 
que  c'était  un  remède  pour  certaines  maladies.  (  Justi 
Lipsii  ,  Saturncdia,  lib.  n.) 

Les  empereurs  du  Pérou  et  du  Mexique  savaient 
mieux  que  ceux  de  Rome,  se  choisir  des  amusemens 
plus  dignes  d'eux  et  de  l'humanité.  Ils  eussent  rougi 
d'entretenir  des  gladiateurs  nommés  Fiscales  et  Pos- 
tularii ,  qu'on  ne  faisait  paraître,  à  la  prière  du  peuple, 
que  par  une  faveur  particulière  (Upton,  JSotes  sur 
Arvien,  pag.  97 .  )  Jamais  on  ne  leur  reprochera ,  comme 
à  Constantin,  d'avoir  donné  l'odieux  spectacle  de  prin- 
ces vaincus  ,  forcés  de  combattre  dans  le  Cirque,  contre 
des  animaux  féroces. 

Les  Péruviens  et  les  Mexicains  n'auraient  jamais 
imaginé,  comme  les  Romains,  de  réserver  une  portion 
de  l'amphithéâtre  ou  de  l'arène,  appelée  spoliare ,  où. 
les  gladiateurs  s'habillaient  et  se  déshabillaient,  et  où 
Ton  achevait  ceux  qui,  ayant  été  grièvement  blessés, 
étaient  jugés  incapables  de  servir  aux  plaisirs  cruels 
de  ce  peuple.  (SenÈque.  ) 

D'après  ce  que  l'on  connaît  de  la  religion  des  anciens 
Péruviens ,  on  peut  avancer  que  leur  culte  admettait 
le  polythéisme,  et  n'était  pas  exempt  de  superstitions, 
puisqu'indépendamment  de  ce  dieu  immortel ,  qu'ils 
appelaient  Pachacamac ,  et  qu'ils  adoraient  sous  l'em- 


PÉRUVIENS  ,     MEXICAINS  ,     etc.  35^ 

blême  radieux  du  Soleil  ;  ils  rendaient  leurs  hommages 
à  des  divinités  subalternes ,  qui  n'étaient  vraisembla- 
blement que  des  Saints  dans  le  genre  de  .ceux  des  ca- 
tholiques romains.  Ils  avaient,  dit-on,  un  grand  res- 
pect pour  des  statues  représentant  des  diables  si  con- 
formes à  ceux  de  l'ancien  continent,  qu'on  s'y  serait 
mépris.  Quoi  qu'il  en  soit ,  leur  religion  renfermait , 
peut-être _,  moins  de  contradictions  et  d'absurdités,  que 
celle  de  la  plupart  des  autres  peuples. 

En  adorant  dans  le  Soleil,  à  l'instar  des  Perses, 
l'image  de  cet  être  incompréhensible,  la  source  de  la 
végétation  et  de  l'existence  des  êtres  de  notre  pla- 
nète ,  ils  étaient  plus  raisonnables  que  les  Scan- 
dinaves,  qui  s'étaient  créé  un  dieu  dans  Odin  ;  que 
les  Celles  et  les  Gaulois ,  qui  sanctifiaient  le  gui,  et 
sacrifiaient  au  bruit  des  tambours,  des  petites  filles  et 
des  petits  garçons,  aux  pieds  à'IIésus  et  de  Tentâtes  , 
leur  Jupiter,  et  à'  Ogiiicus ,  leur  Hercule;  que  les  an- 
ciens Germains  qui  adoraient  un  Jtrmînius ,  un  Irmin- 
suls  j  Frida  ,  déifiaient  V  elléda  ,  Lablira  ,  Jelia  , 
Gauna,  lietlo ,  Siba  y  TTonda,  Fréja  ,  Aurinia ,  et 
tant  d'autres  femmes  et  filles-,  que  les  Allemands  mo- 
dernes, nommés  Sioniles ,  qui  révèrent  une  femme 
ou  fille  ,  qu'ils  honorent  du  titre  de  Mère  de  Sion  ; 
que  les  Africains  qui  se  prosternent  devant  dés"  cro- 
codiles ,  des  serpens ,  des  fétiches,  objets  de  leur 
caprice  ,  de  leur  crainte  et  de  leur  espérance  ;  des 
dieux  enfin  ,  qu'on  n'ose  nommer;  que  les  Égyptiens 
qui  déifiaient  des  oiseaux,  des  vaches ,  des  crocodiles, 
des  serpens  des  rats,  des  insectes,  des  oignons  ,  qu'ils 
écrasaient  tous  les  jours  sous  leurs  pieds  ;  que  les  In- 
diens orientaux,  qui  rendent  hommage  aux  éléphans  ? 


358  SUR  LÀ  RELIGION  DES  ANCIENS  EUROPEENS  , 
et  leur  grimpent  sur  le  dos,  que  les  autres  Indous ,  qui 
n'ont  de  respect  que  pour  la  vache 3  dont  ils  ont  sanc- 
tifié la  race,  et  qui  permettent  aux  Européens  d'ache- 
ter et  de  manger  leur  dieu  ;  que  les  habit  an  s  du 
Gange,  qui  se  laissent  dévotement  dévorer  parleurs 
crocodiles:  que  les  Turcs,  qui  mettraient  en  pièces 
celui  qui  aurait  le  malheur  de  regarder  en  leur  pré- 
sence, comme  un  conte  ridicule,  qu'Adam  ayant  été 
créé  dans  ie  Paradis,  il  toussa,  et  que  la  salive  qui 
sortit  de  sa  bouche,  fut,  par  ordre  de  Dieu,  recueillie 
par  l'ange  Gabriel,  qui  la  versa  dans  le  sein  de  la 
sainte  Vierge,  où  elle  devint  la  vertu  génératrice  dont 
J.  C.  fut  conçu  5  enfin  ,  que  les  Grecs ,  les  Carthagi- 
nois ,  les  Koniains  et  d'autres  peuples,  qui  ne  voyaient 
dans  leurs  dieux,  que  les  ennemis  du  repos,  de  la 
vertu  et  du  bonheur  de  l'espèce  humaine  ,  et  qui 
crevaient  que  les  dieux  ne  se  mêlaient  jamais  des 
hommes,  sinon  pour  les  châtier. 

«  JXoii  esse  curœ  deis  securilatem  nostram ,  esse 
ultionem.  (Tacite.) 

Le  Péruvien  ,  en  attribuant  la  révélation  à  Manco- 
Capac ,  avait  cette  croyance,  de  commun  avec  l'In- 
dien, qui  prétend  que  Brama  est  venu  lui  révéler  le 
culte  qui  lui  plaisait;  avec  le  Scandinave ,  qui  en  disait 
autant  du  redoutable  Odiu  ,•  avec  le  Chrétien,  qui 
croit  que  sa  religion  lui  a  été  révélée  par  Dieu  même. 

Les  AÎUhamons ,  comme  les  Chrétiens,  ont  leurs 
Jxogations.  ils  font  à  ce  sujet  une  très-grande  fête  au 
mois  de  juillet,  temps  de  leur  récolte.  Dans  ce  jour 
solennel  qu'ils  passent  sans  manger,  ijs  allument  pour 
la  médecine  ou  jonglerie,  le  feu  nouveau-,  après  quoi, 
ils  se  purgent ;  et  offrent  à  leur  Manitou  les  prémices 


PÉRUVIENS,    MEXICAINS,    etc.  35c> 

de  leurs  fruits.  Ils  achèvent  la  journée  eu  danses  de 
religipn. 

A  l'équinoxe  de  mars,  le  prêtre  péruvien  ,  à  l'aide 
d'un  miroir  ardent,  allumait  tous  les  ans  le  feu  sacré 
avec  les  rayons  du  soleil,  comme  les  vestales  jadis  le 
rallumaient  à  Rome,  le  même  joui",  les  Catholiques 
ont  adopté  la  même  époque  pour  renouveler  le  feu  des 
lampes  de  leurs  églises.  L'on  y  célébrait  anciennement 
aussi  la  fête  des  Eaux  à  l'équinoxe  de  mars;  l'église 
romaine  en  a  consacré  la  mémoire,  par  l'usage  de  l'eau 
bénite  qui  se  fait  à  la  même  époque.  La  fête  des  tor- 
ches s'est  perpétuée  dans  le  cierge  pascal. 

Quelles  réflexions  n'inspirent  pas  la  femme  au  ser- 
pent, l'Eve  des  Aztèques,  le  Dieu  de  la  guerre,  la 
Déesse  de  la  volupté,  le  Soleil  qui,  sous  le  nom  de 
Tonattuh,  est  tantôt  l'objet  d'un  culte,  tantôt  l'em- 
blème du  temps?  A  quelles  conjectures  ne  donne 
pas  lieu  cet  oiseau  qui  rapporte  à  Coxcox  (ou  iSoe)  le 
rameau  vert,  signe  du  départ  des  eaux-,  celte  colombe 
qui  distribue  des  langues  aux  hommes  nés  après  la 
grande  inondation  j  cette  pvramide  ,  autre  tour  de 
Babel,  qui  demeure  imparfaite  et  dont  les  audacieux 
architectes,  nouveaux  Titans,  sont  foudroyés  parles 
dieux;  le  monument  de  Cliolula,  le  baptême  des  e;,~ 
fans  nouveaux-nés,  et  plus  encore  que  tout  cela,  cette 
régénération  attendue  par  les  Mexicains  sur  la  pro- 
messe d'un  deleurs  législateurs,  qui  devait,  après  de 
longues  années,  leur  donner  de  nouvelles  lois. 

La  Pâques  des  Mexicains ,  qui  consistait  à  manger 
un  morceau  de  gâteau  de  mais,  représentant  la  staiue 
en  grand  du  dieu  Vitziliputzi ,  qu'on  avait  promenée 
et  encensée  en  procession,  était  moins  ridicule  que  la 


36o       SUR  LA  RELIGION  DES  ANCIENS  EUROPEENS  , 

Pâques  des  anciens  Gaulois  qui ,  après  avoir  chanté 
dans  une  forêt  de  la Beauce,  aux  environs  de  Chartres: 
«  Au  gui,  au  gui,  Tan  neuf  planté,  planté,  »  ava- 
laient avec  dévotion ,  après  plusieurs  cérémonies  reli- 
gieuses, un  morceau  de  pâte  pétrie  en  forme  de  pain, 
et  une  gorgée  d'eau  lustrale. 

Cette  procession  des  Mexicains  valait  Lien  celle  des 
Druides,  qui  allaient,  en  grande  cérémonie,  ramasser 
le  gui  avec  beaucoup  de  respect.  Elle  prêtait  bien 
moins  à  rire,  que  de  voir  un  Druide  à  longue  barbe, 
babillé  en  blanc,  grimper  sur  un  chêne ?  sauter  de 
branche  en  branche,  avec  sa  faucille  d'or,  pour  couper 
le  gui ,  que  ses  confrères  recevaient  dans  un  sac  blanc, 
avec  beaucoup  de  vénération. 

La  grande  fête  du  Kamy  _,  que  les  Péruviens  , 
après  le  solstice  d'été  ,  célébraient  au  mois  de  juin, 
d'abord  par  un  jeûne  de  trois  jours,  et  ensuite  par  toutes 
sortes  de  dévotions  et  de  sacrifices,  après  avoir  obtenu, 
à  l'aide  d'un  miroir  eoncave,  de  la  grosseur  de  la  moi- 
tié d'un  orange,  extrêmement  luisant  et  poli,  le  feu 
■nouveau  du  soleil,  avec  lequel  le  grand  sacrificateur 
allumait  un  peu  de  charpie  faite  de  coton  qui  servait 
à  brûler  les  victimes  et  à  rôtir  les  chèvres  qui  devaient 
se  manger  ce  jour-là^  et  dont  le  principal  acte  de  cette 
solennité  consistait  sur-tout  à  manger  le  pain  sacré  ap- 
pelé CancUy  l'apprêt  duquel  exigeait  beaucoup  d'ob- 
servances rigoureuses  ,  puisque  ce  pain  ne  pouvait 
être  pétri,  cuit  et  préservé  de  toute  espèce  de  souil- 
lure ,  que  par  des  vierges  dévouées  au  culte  de  Pacha- 
camac,  chargées  de  préparer  aussi  les  liqueurs  desti- 
nées à  l'usage  des  ïncas ,  après  l'offrande  qui  en  aurait 
été  laite  sur  l'autel,  et  que  les  prêtres ,  après  avoir 


PÉRUVIENS,    MEXICAINS,   etc.  36l 

légèrement  rougi  ce  pain  de  quelques  gouttes  de  sang, 
qu'ils  tiraient,  dit-on,  du  front  et  du  nez  des  en  fans 
au-dessus  de  5  ans ,  distribuaient  à  tous  les  assistans  , 
qui  le  mangeaient  en  présence  des  idoles ,  des  prêtres 
et  des  Incas  qui  présidaient  à  cette  solemnité,  était 
pour  les  Péruviens  une  communion  sous  les  deux  es-- 
pèces,  comme  chez  les  Chrétiens,  celle  du  pain  et  du 
vin. 

Cette  cérémonie  était  jdus  raisonnable  que  celle  des 
peuples  du  Gévaudau  ,  qui  s'assemblaient  tous  les 
ans  ,  pour  célébrer,  pendant  trois  jours ,  la  fête  du  mont 
Helanus ,  dans  les  eaux  duquel  ils  jetaient  leurs  of- 
frandes, qui  consistaient  en  pain,  cire,  étoffes,  etc. 

Les  Mexicains  et  les  Péruviens  avaient  quelques  no- 
tions de  la  spiritualité  de  l'ame;  ils  croyaient  à  la 
résurrection  des  corps ,  mais  ils  ne  prétendaient  pas , 
comme  les  Chrétiens  des  premiers  siècles  ,  que  les 
dents  des  morts  étaient  des  substances  incorruptibles, 
que  Dieu  se  réservait,  comme  une  espèce  de  graine 
ou  semence ,  pour  faire  régénérer  les  corps  décompo- 
sés par  la  putréfaction. 

«  Constat  dentés  incorruptos  perenare ,  qui  ut  se^ 
»  mina  relinentur ,  Jiuctificantur  corporis  in  resur- 
»  rectione.  »  (Tertullien.  ) 

Ils  n'avaient  pas  adopté  cet  absurde  préjugé  du 
paganisme  ,  qui  était  cause  que  les  Romains  ne  brû- 
laient pas  le  corps  des  enfans  morts  avant  la  pousse 
des  deuts ,  et  qu'ils  appelaient  pour  cela  «  Minores 
«   igné  rogi.  » 

Plus  sages  que  les  Chrétiens  pour  la  confession ,  les 
Péruviens  avaient  laissé  aux  femmes  la  faculté  de  se 
confesser  à  une  personne  de  leur  sexe.  Les  hommes 


362       SUR  LA  RELIGION  DES  ANCIENS  EUROPEENS  , 

allaient  volontairement  et  publiquement  devant  le  juge 
déclarer  les  fautes  qu'ils  avaient  commises,  et  dont 
personne  n'avait  connaissance  ;  mais  ils  ne  se  confes- 
saient pas,  comme  le  prétend  le  père  Acosta,  à  des 
prêtres  nommés  Ischusyres ,  tenant  en  main  une  petite 
corde ,  et  qui ,  pour  accorder  l'absolution  au  pénitent , 
prononçaient  ces  paroles  :  «  Dieu  m'a  donné  le  pou- 
»  voir  de  rompre  la  cbaine  de  tes  péchés,  comme  je 
i>  romps  celte  corde,  »  qu'ils  cassaient  au  même  ins- 
tant par  le  milieu ,  ce  qui  absolvait  le  confessé.  Ces 
prêtres,  pour  les  cas  graves,  ne  référaient  pas  non 
plus  leurs  pénitens  à  des  Ischusvres  plus  élevés  en 
dignité. 

Quant  aux  Incas ,  ils  s'étaient  soustraits  d'un  asser- 
vissement semblable,  en  prétendant  qu'en  qualité  de 
rois,  ils  n'avaient  de  juge  compétent  que  Dieu,  et 
qu'ils  ne  pouvaient  se  confesser  qu'au  Soleil-,  aussi  le 
grand-pontife  de  Cuzco  absolvait-il  toujours  d'avance 
l'empereur  et  la  famille  impériale ,  lorsqu'ils  avaient 
envie  de  faire  leur  confession  au  ciel.  Quand  l'Inca 
avait  rempli  cette  formalité,  il  se  baignait  dans  une 
eau  courante,  et  sitôt  qu'il  en  sortait,  il  disait  au 
fleuve  :  «  Reçois  les  pécbés  que.  j'ai  confessés  au  Soleil, 
»   et  porte-les  dans  la  mer.  a 

Comme  les  Chrétiens,  les  Péruviens  célébraient  un 
grand  jubilé  à  la  fin  de  chaque  siècle;  et  à  l'instar  des 
Juifs,  certains  peuples  de  l'Amérique  pratiquaient  la 
circoncision-,  mais  ils  ne  s'étaient  pas  occupés,  comme 
les  Hébreux,  à  mettre  des  herbes  consacrées  dans  le 
nez  des  démoniaques,  pour  en  chasser  les  démons. 

S'ils  furent  coupables,  comme  les  autres  peuples  de 
l'ancien  continent  ;  d'avoir  immolé,  des  hommes  à  la 


péruviens,  mexicains,  etc.  363 

dédicace  de  leurs  temples,  on  ne  leur  reprochera  pas 
du  moins  d'avoir  imité  le  premier  citoyen  de  Rome  , 
qui  crut  donner  un  spectacle  mémorable,  en  inven- 
tant une  nouvelle  manière  de  faire  périr  les  hommes. 
Ce  n'étoit  pas  assez  qu'ils  combattissent  les  uns  contre 
les  autres,  qu'ils  se  taillassent  en  pièces,  il  fallait  qu'ils 
fussent  écrasés  sous  l'énorme  poids  des  éléphans.  C'est 
ainsi  que  Pompée  fit  la  dédicace  du  temple  de  Vénus 
Victorieuse  ,•  qu'il  la  consacra  par  le  spectacle  d'un 
combat  de  20 ,  ou  selon  d'autres  ,  de  1 7  éléphans  , 
contre  des  Gélules,  qui  leur  lançaient  de  loin  des  jave- 
lots. 

ce  Pompeii  quoque  altéra  consulalu ,  dedicatione 
a  Veneris  Viclricis }  pugnavêre  in  circo  viginii  7  aut , 
3)  ut  quidain^radunt ,  xvn,  Gœtulis  ex  adverso  ja- 
»  culaniibus.Si  (Pli*.,  Natur.  Hist. ,  lib.  8,  cap.  7, 
édit.  Hardouin.  ) 

Les  Péruviens  avaient  leurs  vestales  ,  comme  jadis 
les  Gaulois,  les  Bretons,  les  Suédois,  les  anciens  Ba- 
taves,  les  Germains,  les  Romains  et  les  Européens 
modernes,  avec  cette  différence,  que  les  vestales  amé- 
ricaines étaient  des  prêtresses  ou  des  religieuses  d'une 
autre  espèce  que  celles  d'Europe,  et  qu'elles  vivaient 
dans  le  célibat  le  plus  strict.  Elles  jouissaient  d'une  si 
grande  réputation,  que  les  Indiens  les  consultaient 
comme  des  oracles  -,  qu'ils  labouraient  gratuitement 
leurs  champs  ,  les  plantaient  et  les  récoltaient  pour 
elles. 

Cet  excès  de  dévotion  annonce  une  certaine  socia- 
bilité, une  galanterie  raffinée.  Elle  ne  s'accorde  pas 
avec  la  paresse  que  M.  Paw  suppose  à  ces  Indiens  ; 
avec  les  outrages  qu'il  dit  k  que  ces  indigènes  faisaient 


364      SUR  LA  RELIGION  DES  ANCIENS  EUROPEENS  , 

»  à  leurs  épouses,  au  point  de  les  forcer  à  se  séparer 
»  de  leurs  maris  ,  pour  habiter  des  lieux  déserts,  et 
»  s'y  sustenter  de  fruits  sauvages  et  de  gibier.  » 

Cette  république  femelle  ne  contredit  pas  non  plus 
l'existence  des  Amazones  américaines,  dont  parle  la 
tradition  des  Indiens,  le  jésuite  A  u?na ,  le  conqué- 
rant Orellana y  ni  celle  des  autres  peuples,  certifiée 
par  Hérodote ,  Diodore  de  Sicile ,  Arien  9  Justin  et 
Çuint-Curce. 

L'instinct  moral  repoussait  du  cœur  des  Américains, 
le  vice  armé  d'une  autorité  sacrée  et  descendant  du 
séjour  éternel.  Ils  admiraient  la  continence  de  leurs 
vestales  ,  mais  ils  se  seraient  bien  gardés  de  célébrer  , 
comme  les  Romains  et  les  Grecs  ,  les  débauclies  d'un 
Jupiter;  d'adorer  i'impudicité  d'une  jéânus;  d'invo- 
quer le  dieu  qui  mutilait  leurs  pè.  es.  La  sainte  voix  de 
la  nature  l'emportait  cbez  eux  sur  cène  de  pareils 
dieux,  et  il  leur  eût  répugné  de  reléguer  dans  le  ciel 
le  crime  ave-;  \es  •  oupables. 

Les  quipos  coloriés  des  Péruviens  étaient  plus  ingé- 
nieusement imaginés  que  les  hiéroglyphes  monstrueux 
des  Egyptiens  ,  qu'on  a  peine  à  concevoir ,  malgré 
toutes  les  interprétations  qu'on  veut  leur  ^donner.  La 
langue  sacrée  du  Pérou,  le  respect  qu'ils  avaient  pour 
la  vertu  ,  puisqu'ils  n'épousaient  que  des  filles  vierges  y 
et  qu'ils  châtiaient  avec  la  dernière  rigueur  celles  qui 
>e  prostituaient:  enfin  le  penchant  secret  et  invincible 
que  les  débris  de  ce  peuple  conservent  ,  comme  les 
Hébreux  au  fond  du  cœur  ,  pour  les  institutions  reli- 
gieuses de  leurs  ancêtres  ,  démontrent  que  les  Péru- 
viens ne  passaient  pas  leur  vie  sans  penser,  comme 
on    l'a   dit,,    et   que  leur    cuite,  à  quelques  supers- 


PÉRUVIENS,    MEXICAINS;     etc.  365 

titions  près  ,  n'était  pas  aussi  monstrueux  qu'on  a  bien 
voulu  le  dépeindre.  » 

Au  reste  ,  ils  avaient  de  commun  avec  tous  les  peu- 
ples du  monde  d'avoir  personnifié  de  la  même  façon, 
sous  lés  mêmes  emblèmes ,  des  météores,  et  des  catas- 
trophes physiques  ,  et  comme  les  Egyptiens ,  les  In- 
dous  y  les  Japonais ,  les  Grecs  ,  les  IVorvégiens  et  les 
Bretons  ,  cl  avoir  métamorphosé  en  géans  les  phéno- 
mènes terrestres  et  aériens,  si  toutefois  l'abbé Pluche , 
que  M.  Paw  cite  page  3i4  du  1er.  volume,  ne  s'est 
pas  trompé  ,  lorsqu'il  prétend  que  Briarée  ,  mot  grec 
qui  veut  dire  rohuste ,  doit  signifier  le  déluge  ,  parce 
qu'en  hébreu ,  il  signifie  la  perte  de  la  sérénité  / 
qu'othus ,  mot  grec  qui  n'a  aucune  signification  parti- 
culière ,  doit  signifier  le  dérangement  des  saisons y 
parce  qu'il  a  cette  signification  en  hébreu  ;  que  por- 
phyrion  ,  autre  mot  grec  qui  veut  dire  porphyre ,  doit 
signifier  tremblement  de  terre  ,  parce  qu'il  a  ce  sens 
en  hébreu  ;  que  le  mot  grec  mimas  ,  qui  signifie  en 
grec  imitateur ,  comédien  ,  doit  par  suite  du  même 
raisonnement,  signifier  grande  pluie  ,*  qu'encelade  7 
mot  grec  qui  exprime  le  bruit,  signifie  selon  Pluche, 
la  fontaine  du  temps  ;  qu'ephialtes  ,  mot  grec  qui  si' 
gnifie  sauteur  ,  oppresseur ,  incube  ,  ne  doit  exprimer 
qu'un  grand  amas  de  nuées  ,  et  que  deucalion  signifie 
X abaissement  du  soleil  ^  ce  qui,  dit  Voltaire,  est  aussi 
bien  prouvé  que  les  autres  acceptions. 

Malgré  tout ,  l'on  est  forcé  d'avouer  que  la  religion 
des  Amantas  et  des  Ischusyres  ,  n'était  point  surchar- 
gée de  superstitions,  de  légendes  absurdes ,  de  ces 
dogmes  qui  insultent  à  la  raison  et  à  la  nature  ,  et 
qu'on  ne  saurait  comprendre.  Ils  se  s'ont  contentés  d'à- 


366  iTAT   DES    ARTS 

dorer  un  dieu  avec  tous  les  sages  de  la  terre  ,  tandî* 
qu'en  Europe  on  se  partage  entre  Thomas  et  Bona- 
venlure ,  entre  Calvin  et  Luther  ,  entre  Jansênius  et 
Mo  lin  a. 

Que  de  maux  les  Européens  n'ont-ils  pas  faits  au 
nom  de  ce  même  Dieu,  que  l'évangile  annonce!  c'est 
lui  que  chaque  nation  particulière  invoque  pour  ex- 
terminer ses  ernemis  -,  remercie  à  chaque  bataille,  et 
c'est  en  son  nom  enfin  ,  qu'on  a  détruit  les  paisibles 
Américains. 

CHAPITRE    III. 

JLtat  des  arts  chez  les  Péruviens  et  les  Mexi- 
cains y  lors  de  la  découverte  de  V Amérique. 

Que  les  Européens  ,  à  qui  leur  pays  ingrat  ne  four- 
nissait aucune  de  ces  productions  riches  et  précieuses 
qu'offrent  l'Asie  et  l'Amérique,  aient  été  poussés  par 
la  cupidité  à  faire  des  tentatives  pour  se  les  procurer  ; 
que  par  suite  de  la  découverte  du   Nouveau-Monde  , 
ils  se  soient  emparés  de  la  moitié  Je  notre  planète  ;  cela 
n'est  pas  étonnant ,  quoi  qu'en  dise  M.  Paw  ,  puidqr.9 
nous  avons  vu  les  Assyriens  ,  les  Verses ,  les  Grecs ,  les 
Tartares  du  nord ,  les  Romains  f  les  Sarrasins  j  les 
Goths  ,  les  Vandales ,  etc*   leur  donner  cet  exemple  ; 
mais  que  l'intérêt  et   la  curiosité  n'aient    pu  engager 
les  Japonais  ,  les  Chinois ,  les  Persans  et  les  Turcs  à 
voyager  en  Amérique,   cela  n'est  nullement  surpre- 
nant ,  puisque   ces  peuples  possèdent  une  partie   des 
trésors  du  nouvel  hémisphère,  avec  un  climat  à-peu- 
près  semblable. 


CHE2  LES  PERUVIENS  ET  LES  MEXICAINS,  etc.    0*67 

"  M.  Paw  ignore  sans  doute  que  c'est  à  la  misère,  à 
la  gêne,  que  les  Européens  sont  redevables  de  leur 
industrie  et  de  leur  esprit;  que  l'Espagne  est  le  pays 
de  l'Europe  où  l'on  trouve  le  plus  de  mendians  et  de 
vagabonds;  qu'il  émigré  annuellement  de  la  Galice  7 
60  ou  80,000  individus  qui  vont  à  Gênes  ,  à  Lisbonne  ; 
et  sous  le  nom  de  Gallegos ,  sont .  dans  ce  pays  ,  ce 
que  sont  les  Savoyards  à  Paris.  Cependant  y  a-t-il 
rien  de  plus  méprisable  que  d'entendre  un  mendiant 
espagnol  ou  portugais  ,  en  guenilles ,  mourant  de  faim 
et  couvert  de  vermine ,  demander  à  un  autre  gueux 
comme  lui,  si  sa  seigneurie  a  pris  son  chocolat?  Sans 
l'orgueil ,  la  vanité  et  la  prévention,  que  l'on  pourrait 
mieux  alors   apprécier  les  clioses  ! 

Parce  que,  sans  le  fer  et  le  cuivre  ,  on  ne  peut  guè- 
res  dans  les  pays  du  nord  de  l'Europe  cultiver  les  ter- 
res, et  que  les  habitans  de  cette  partie  seraient  alors 
contraints  de  brouter  l'herbe  ,  et  de  se  repaître  de 
glands  ,  doit-on  en  conclure  que  cette  règle  est  sans 
exception ,  même  pour  la  terre  de  l'Amérique  ,  à  la- 
quelle le  voisinage  de  la  ligne  donne  une  si  grande 
fertilité  ? 

Parce  que  les  Chinois  ,  connaissant  déjà  la  castine 
et  le  fer,  du  temps  d' Yao,  étaient  dans  leur  âge  de  fer, 
lorsque  certains  peuples  d'occident  n'étaient  peut-être 
encore  que  dans  leur  siècle  d'or,  c'est-à-dire  ,  vivant 
de  glands  de  chêne  ,  de  mûres  de  ronces  ,  de  noisettes 
de  coudrier  ,  de  cornouilles  ,  d'arbouses  ,  de  prunelles 
acides  ,  de  petites  poires  sèches ,  et  de  quelques 
misérables  daucus ,  n'ayant  pour  tout  vêtement 
qu'une  peau  de  bête  fauve  attachée  sur  l'épaule 
avec  une  épine  ;  dira-t-on  pour  cela  ?  parce  que  les 


368  ÉTAT    DES    ARTS 

Péruviens  ne  connaissaient  pas  alors  l'art  de  for- 
ger le  fer,  comme  les  Européens  du  i5.«  siècle, 
«  qu'ils  étaient  dénués  d'esprit,  d'intelligence;  qu'ils 
»  n'avaient  aucune  idée  des  arts  et  des  sciences  ;  qu'ils 
»  manquaient  de  mots  nécessaires  pour  exprimer  les 
»  notions  morales  et  métaphysiques  ,  et  que  le  défaut 
»  de  la  monnaie  attestait  leur  peu  de  progrès  dans  la 
»  législation  et  la  police  ,  m  lorsque  tant  d'écrivains 
ont  prôné  leur  industrie  ,  leurs  arts  7  leur  génie  ,  leur 
police,  leurs  lois,  leur  gouvernement  et  leur  bonheur  ? 
lorsqu'il  est  avéré  que  les  Espagnols  ont  brûlé  et  détruit 
les  ouvrages  de  ce  peuple  malheureux,  croyant  par  là 
justifier  leur  barbarie-,  et  que  Sumarica  ,  le  premier 
évêque  de  Mexico,  a  fait  jeter  au  feu  tous  les  tableaux 
historiques  qu'on  avait  pu  déterrer  dans  le  Mexique  * 
et  parce  qu'on  a  eu  peine  à  déchiffrer  le  seul  exem- 
plaire qui  était  échappé  des  mains  de  ce  prêtre  fana- 
tique ,  et  qui  renfermait  l'histoire  de  tous  les  rois  du 
Mexique,  dont  le  premier  n'avait  commencé  à  régner, 
dit-on,  que  vers  l'an  i3c»i  ,  de  notre  ère  vulgaire  ,  doit- 
on  en  conclure  que  les  Mexicains  étaient  des  sauvages 
complètement  grossiers  et  ignorans  ? 

Ainsi  les  Tartares  jadis  détruisirent  à  plusieurs  fois, 
pendant  leurs  guerres,  les  bibliothèques  formées  par 
les  savans  du  Thibet  ;  ainsi  un  malheureux  empereur 
de  la  Chine  ordonna  à  ses  sujets  ,  sous  peine  de  la  vie  , 
de  brûler  tous  les  livres  et  tous  les  manuscrits  qui 
pouvaient  servir  à  éclaircir  l'histoire  de  notre  globe.  Ce 
fut  cette  même  frénésie  qui  occasionna,  sous  Jules- 
César  ,  l'incendie  de  la  bibliothèque  d'Alexandrie. 
Ce  fut  l'intolérance  ;  du  pape  Grégoire  ,  qui  priva  la 
chrétienneté  d'une  partie  désoeuvrés  de  Cicéron ,  fLe 


CHEZ  LES  PERUVIENS  ET  LES  MEXICAINS,  etc.    36g 

Tite-Live ,  de  Corneille-Tacite.  Ces  persécutions 
contre  l'esprit  humain  ,  nous  ont  enlevé  les  poésies  de 
JMénandre ,  de  Bion  ,  NApollodore,  d'Alcée,  de 
Philemon  et  de  Sapho ,  dont  les  fragmens  attestent 
la  perte  inesiimable  <jue  nous  avons  faite  ;  c'est  en- 
core à  l'obéissance  aveugle  des  Missionnaires  de  la 
Propagande  ,  aux  ordres  de  la  cour  de  Rome  ,  que 
le  monde  littéraire  peut  s'en  prendre ,  pour  la  des- 
truction d'un  grand  nombre  de  livres  trouvés  an 
Malabar.  Il  n'y  a  pas  ,  jusqu'aux  Juifs  dont  on 
n'ait  détruit  les  livres,  et  brûlé  le  dernier  exemplair© 
de  l'ouvrage  hébreu  ,  intitulé  :  Toldos  Jescut. 

Quel  est  le  peuple  qui  peut  se  flatter  d'avoir  une 
chronologie  vraie  et  ancienne?  Les  Chinois  ne  com- 
mencent leur  cycle  sexagénaire  qu'à  l'empereur  Iao  y 
2357  ans  avant  notre  ère  vulgaire  :  tout  le  temps  qui 
précède  cette  époque,  est  d'une. obscurité  profonde. 
JNous n'avons  rien  des  Indiens  ni  des  Perses-,  presque 
rien  des  Egyptiens.  Les  hommes  se  sont  toujours  conten- 
tés de  l'à-peu-près  en  tout  genre;  tous  nos  systèmes 
inventés  sur  l'histoire  de  ces  peuplés  ,  se  contredisent 
autant  que  nos  systèmes  métaphysiques.  Les  olym- 
piades des  Grecs  ne  commencent  que  728  ans  avant 
notre  manière  de  compter.  Tite-Live  s'est  bien  gardé 
de  dire  en  quelle  année  Romulus  commença  son  pré- 
tendu règne.  Il  est  prouvé  que  les  a4o  ans  qu'on 
attribue  au  sept  premiers  rois  de  Rome  ,  sont  le  cal- 
cul le  plus  faux,  et  que  les  quatre  premiers  siècles 
de  Rome  sont  absolument  dénués  de  chronologie;  enfin 
des  80  systèmes  de  chronologie  qui  subsistent,  il  n'y 
en  a  pas  un  de  vrai,  comme  l'a  démontré  l'abbé  de 
Condillac.   Cela   n'empêche    pas   nos    chronologistes. 

TOME  a.  a4 


370  état  des  aIits 

modernes  de  fixer  hardiment  l'époque  de  l'origine  de 
toutes  les  nations,  comme  s'ils  avaient  lu  tous  les  livres 
et  tous  les  manuscrits  détruits  à  la  Chine ,  au  Mala-* 
har ,  au  Thibet,  en  Egypte  et  à  Rome. 
'  Quand  on  observe  que  les  Péruviens  avaient  com- 
mencé par  employer  l'or,  que  de  l'or  ils  étaient  par- 
venu à  fondre  l'argent;  après  ce  métal,  le  cuivre; 
et  que  du  cuivre ,  auquel  ils  donnaient  une  dureté 
égale  à  celle  de  l'acier  le  mieux  trempé,  ils  étaient 
parvenu  à  connaître  le  fer ,  sans  pouvoir  cependant  le 
forger  comme  les  Européens  modernes  ;  ces  décou- 
vertes ,  dis-je,  annoncent  qu'ils  avaient  fait  des  pro- 
grès dans  les  arts,  qu'ils  étaient  inférieurs  dans  la 
science  de  la  métallurgie ,  pour  le  fer  seulement , 
aux  nations  policées  de  l'Europe;  niais  qu'ils  leur 
étaient  supérieurs  pour  l'or,  l'argent  et  la  trempe  du 
cuivre,  puisque  l'Europe  savante  n'a  pli ,  jusqu'à  ce 
jour,  deviner  le  secret  de  donner  au  cuivre  une  trempe 
pareille  à   celle    que  reçoit  l'acier. 

Parce  qu'ils  n'avaient  pas  de  monnaie ,  et  ne 
connaissaient  pas  l'usage  du  fer,  M.  Paw  lès  traite 
de  sauvages.  D'après  cette  manière  de  raisonner ,  les 
Spartiates  auraient  été  aussi  des  barbares  ;  lés  Ro- 
mains, pendant  4^4  ans ,  auraient  été  tels  que  les 
sauvages  d'Amérique;  il  en  aurait  été  de  même  des 
Numides,  jusqu'au  temps  de  Massinissa  ;  des  Mos- 
covites, jusqu'en  i44o. 

Si  M.  Paw  avait  joui  de  la  vue  des  Cordillières  et 
de  celle  des  monumens  des  peuples  indigènes  du  Nou- 
veau-Continent ,  il  eut  connu ,  comme  M.  Humboldf , 
quelques-unes  de  ces  grandes  scènes  que  présente  la 
nature  dans  les  hautes  chaînes  des  Andes;  il  se  fut 


CHEZ  LES  PÉRUVIENS  ET  LES  MEXICAINS  ,  etc.    $M,; 

éclairé  sur  l'ancienne  civilisation  des  Américains ,  par 
l'étude  de  leurs  monumens  d'architecture,  de  leurs 
hiéroglyphes,  de  leur  culte  religieux  et  de  leurs  rê- 
veries astrologiques.  Les  rives  de  fleuves  américains 
lui  eussent  parlé  le  même  langage  que  celles  de  Y  Eu- 
phrate ,  du  Nil  et  du  Tibre  ,•  plus  d'une  fois,  il  eût 
retrouvé,  dans  Je  Pérou , dans  le  Mexique,  quelques 
traits  de  Y  Inde,  de  l' Egypte  ,  de  YEtrurie  ;  parmi 
les  montagnes  américaines,  il  eût  rencontré  des  mo- 
numens remarquables  qui  portent  l'empreinte  de  la, 
nature  sauvage  des  Cordillières.  M.  Paw  eût  trouvé, 
comme  ce  savant ,  l'occasion  d'admirer  et  de  décrire  la 
construction  des  Téocallis  ou  pyramides  mexicaines  , 
comparées  à  celles  du  temple  àc.Belus;  les  A rabesques 
qui  couvrent  les  ruines  de  3Iitla,  des  idoles  en  ba- 
saltes ornées  de  la  Calant  ica  ,  des  têtes  d'Isis  ,  et  un 
nombre  considérable  de  peintures  symboliques  repré- 
sentant la  Femme  au  Serpent ,  qui  est  Y  Eve  mexi- 
caine ,  le  déluge  de  Coxn.ox ,  et  les  preniières  mi- 
grations des  peuples  de  race  aztèque.  Il  n'eût  pas 
manqué  de  démontrer  les  analogies  frappantes  qu'offre 
le  calendrier  des  Toltèques,  et  les  catastérismes  de 
leur  zodiaque  ,  avec  les  divisions  du  temps  des  peuples 
Tartares  ou  Thibétains  ,  de  même  que  les  tradition* 
mexicaines  sur  les  quatre  régénérations  du  globe, 
avec  les  Pralajas  des  Indous,  et  les  quatre  âges 
d'Hésiode;  de  parler  des  peintures  hiéroglyphiques 
que  M.  Humboldt ,  depuis,  a  rapportées  en  Europe; 
.  des  fragmens  de  tous  les  <manuscrits  aztèques  qui  se 
trouvent  à  Rome,  à  Vellétri,  à  Vienne  et  à  Dresde  : 
,1e  dernier  rappelle,  par    des  symboles  linéaires,  les 


3; 2  ITAT    'DES     ARTS 

kouas   des    Ch  in  ois    (  voy.  Voyage  de  M.  HumL.  aux 
rég.  équin:  du  Nouv.    Cent.  ) 

TA' religion  des  Américains  ,  l'existence  delà  ville 
.  de  31ejcico  ,  qui  contient  encore,  de  nos  jours ,  i4o,ooo 
,  amés,  les  palais  éîégans  de  Montez u ma  ,  les  temples 
que  les  Mexicains  y  avaient  éiigés,  le  pont  qui  unit 
cette  ville  à  la  terre  ferme,  et  qr.i  a  plusieurs  lieues 
de  long:  l'existence  de  Cuzco ,  ancienne  capitale  de 
"l'empire  péruvien,  qui  offre  encore  une  population 
de  4o,ooo  âmes;  les  monumens  des  anciens  In  cas  , 
formés  de  grandes  pierres  irrégulières  qui  se  joignent 
parfaitement,  et  non  pas  à  petites  assises,  comme 
les  édifices  européens;  les  ruines  du  palais  des  Incas 
et  de  plusieurs  édifices  publics-,  celles  du  Temple 
du  Soleil ,  à  la  place  duquel  l'on  a  bâti  un  très- 
beau  cloître;  la  vaste  masse  du  pays  du  Tihuanacu  y 
ancienne  pyramide  faite  de  mains  d'hommes  et  de 
pierres  les  plus  grosses,  partagées  en  différons  étages; 
les  statues  colossales  de  deux  énormes  géans,  faites 
en  pierres,  couvertes  d'une  draperie  qui  tombe  jus- 
qu'à terre  ,  et  dont  la  tête  porte  un  espèce  de  bonnet 
que  le  temps  a  fort  endommagé  ;  une  longue  muraille 
de  pierres  énormes;  plusieurs  restes  d'édifices  extraor- 
dinaires, comme  de  vastes  portes,  des  statues  d'hommes 
"  d'une  taille  ordinaire,  les  unes  ayant  un  vase  en  main,, 
d'autres  assises  ou  debout,  d'autres  ayant  un  enfant  à 
la  mamelle  ,  ou  le  tenant  par  la  main  ,  que  la  tra- 
dition du  pays  dit  avoir  été  changées  en  pierres  pour 
leurs  péchés  ,  et  le  plus  étonnant  de  tous  ,  une  mai- 
son creusée  dans  une  seule  roche  que  les  habitans  pré- 
tendent avoir  été  faite  par  des  sorciers,  ainsi  que 
d'autres  édifices;  à  ceux-là,  j'ajouterai  les  pyramides 


CHEZ  LES  PÉRUVIENS  ET  LES  MEXICAINS,  etc      373 

du  Mexique  ,  celles  d'Yucatan;  les  murs  surprenans  que 
dom   Ulîoa  et  quelques  autres  voyageurs  ont  trouvés 
dans  le  Pérou  ;  les  ruines  à'Autun-Cannar,  de  Callo? 
du  palais  de  Cajambe ,  construits  en  pierres  consid.  - 
râbles  superposées  sans  aucun  mortier  ni  ciment;  celles 
de    Traguanaco  ,  où  le   père  Acosta  a    mesuré  une 
pierre   de    38    pieds  de   long,    sur-    18    de    large    et 
6  d'épaisseur-,  les  vestiges  de  plusieurs  autres  villes  et 
bourgades;  les  cartes  des  côtes  de  l'empire  du  Mexi- 
que ,    dessinées  par   le;    Mexicains  ,  et  dont   Montc- 
zuma    fît    présent    aux  Espagnols-,   le   plan    très-c;  - 
rieux-  des    environs    de  Mexico,    que    M.    Humboldt 
a   remarqué    parmi  les   manuscrits  de  Boturini  ,  con- 
servés   au    palais    du    vice-roi    du    Mexique  ;   les   ta- 
bleaux élégans   que   les  Mexicains  variaient   si  artis- 
tement   avec  des  plumes  d'oiseaux,   et,  qu'à  leur  ins- 
tar, les  Européens  se  sont  efforcés  d'imiter-,  leurs  roues 
séculaires  ,  moins  imparfaites  que  les  almanachs  dont 
on  se  servait  en  Europe  du  temps  des  Gotlis  ,  et  qu'on 
imprime  encore  aujourd'hui  dans  quelques  provinces , 
à  l'usage  de  ceux  qui  ne  savent  ni  lire,  ni  écrire  :  les 
jours  de  travail  y  étant  désignés  par  des  points  noirs, 
les  'dimanches    et  les   fêtes    par    des    points    rouge.;, 
et    les  rêves   des   astrologues  par   des  emblèmes.  Le 
grand    Jubilé,   que   les    Péruviens   célébraient    à   la 
fin  de  chaque  siècle  -,   leurs  haches  de  pierre  à'agathe 
pure  et  de  cuivre  péruvien,  égales   au  moins  à  celles 
des  anciens  Grecs  et  Romains,  l'élégance  de  leurs  sta- 
tues, de  leurs  vases  ,    de  leurs  gobelets  pour  boire  la 
chic  a  ;  Y  art  avec  lequel  ils  exploitaient  les  mines  d'or, 
fondaient  ce  métal ,  perçaient  les  éméraudes;  enchâs- 
saient les  saphirs  3  les  formes  curieuses  qu'ils    don- 


37^  ETAT     DES     ARTS 

naient  aux  métaux  ,  à  leurs  vases  façonnés,  sculptés 
en  relief;  les  broderies  riches  et  rares  qu'ils  Faisaient; 
les  étoffes  tissues  en  coton  et  en  laine  de  Lamas  et  de 
Vigognes,  dont  ils  fabriquaient  des  vêtemens  couverts 
de  petits  grains  d'or,  plus  fins  que   la   semence  des' 
perles  ,  dont  le  travail  surpassait  l'imagination  des  or- 
fèvres de  Séville  ;  les  étoffes  qu'ils  faisaient  avec  des 
fîlamens  qu'ils  tiraient  de  l'écorce  de  certains  arbres  ; 
la  pierre  des  Incas  ,  et  la  pierre  de  Gallinace  ,  qu'ils 
savaient  convertir  en  miroirs  ;  V adresse  avec  laquelle 
ils  détachaient    de   grands  éclats  de  rochers ,   dont  ils 
employaient  dans  leurs  édifices  des  morceaux  qui  pe- 
saient jusqu'à  trente  milliers ,  comme  on  en  a  vu  dans 
la  forteresse  de  Cuzco  ;  leur  talent   à   creuser  des  ca- 
naux courbes  et  réguliers  dans  l'épaisseur  d'un  granit  ; 
les  routes  percées  à  travers  5oo  lieues  de  montagnes 
coupées  par  des  rochers  ,  des  vallées  et  des  précipices  ; 
leurs  pcnls  en  cordes  et  en  liane  -,  la  médecine  ,   qu'ils 
pratiquaient  comme  lesTSuropéëns;  l'astronomie ,  dont 
leurs  amantas  avaient   quelques  idées  -,  la  préparatioiL 
nutritive   du  chocolat  pur   ou  à   la  vanille ,  dont  les 
Mexicains  sont  les  premiers  inventeurs,  et  qu'ils  fouet- 
taient avec  une   cuillère  d'or  pour   le  faire  mousser  ; 
'V industrie  des  femmes    Illinoises    a    filer    le   poil  de 
bœuf  en  fil  si  fin  ,  qu'on  le  prend  pour  de  la  soie  ;  à  en 
faire  des  étoiles  teintes  en  rouge,  en  jaune,  en  noir, 
et  dont  elles  font  des  habits  cousus  avec  des  nerfs   de 
chevreuil  ou  d'autres  animaux;  les  téocallis ,  les  cos- 
tumes des  Floridiens  *,  Yexpédient  extraordinaire  dont 
parle Champlaiu,  des  sauvages  du  Canada,  qui  n'ayant 
"pas  de  marmites  en  fer  avant 'l'arrivée  des  Européens  y 
faisaient  bouillir  des  bœufs  entiers  dans  des  marmites 


CHEZ  LES  PÉRUVIENS  ET  LES  MEXICAINS  ,  etc.  3" 5 

de  bois,  qui  contenaient  souvent  plusieurs  muids  d'eau  -7 
la  fabrication  de  la  poterie  ,  par  les  Indiennes  de  Ma- 
niquarez  ,  qui  suivent  encore  la  méthode  employée 
avant  la  conquête-,  Y  art  avec  laquelle  ces  femmes 
façonnaient  des  vases  de  deux  et  trois  pieds  de  diamè- 
tre, et  dont  la  courbure  est  très -régulière.  A  défaut  de 
fours  ,  elles  placent  des  broussailles  de  desmantbus,  de 
cassia  et  de  capparis,  autour  des  pots  ,  et  leur  donnent 
la  cuite  à  l'air;  les  débris  de  fayence  aztèque,  qu'on 
trouve  dans  les  provinces  internes  du  nouveau  Mexique  ; 
enfin  l 'hospitalité  que  les  Américains  exerçaient  et 
exercent  encore  sans  aucune  rétribution  ;  tous  ces  faits 
prouvent  que  ces  peuples  étaient  plus  policés  que 
M.  Paw  les  a  représentés. 

Quand  il  est  avéré  que  les  Mexicains  s'amusaient  à 
faire  des  tableaux  et  des  manteaux  ingénieux  avec 
des  plumes  d'oiseaux:  de  diverses  couleurs;  que  les 
Chiliens  brodaient  des  étoiles  avec  goût;  que  les  Pé- 
ruviens, en  tissaient  d'étonnantes  en  coton,  en  laine,  en 
filamens  d'arbres,  et  les  Illinoises ,  en  poils  de  bœuf 
qui  imitaient  la  soie;  que  les  Caraïbes  faisaient  de 
jolis  paniers  en  jonc  de  plusieurs  nuances;  qu'ils  ti- 
raient adroitement  la  pulpe  des  courges,  pour  s'en 
servir  en  guise  de  bouteilles  ;  que  les  Florides  se  fai- 
saient des  canots  de  troncs  d'arbres,  qui  portaient  jus- 
qu'à 3o  hommes,  avec  lesquels  ils  allaient  aux  îles  de 
Cube  et  de  Bahame  ;  que  les  sauvages  du  Canada  se 
servaient  de  marmites  en  bois,  et  que  les  Péruviens 
faisaient  des  vases  et  des  statues,  que  les  curieux 
d'Europe  ont  jugé  dignes  d'orner  leurs  cabinets;  doit- 
on  conclure,  comme  M-  PaAV  :  «  Que  les  Américains 
m   n'étaient  que  des  sauvages  et  des  ignorans,  a  par<«? 


3^6  ÉTAT     DES     ARTS 

que  les  tableaux  des  Mexicains  n'égalaient  pas  ceux 
du  Titien,  de  Rubens ,  ou  tout  au  moins  de  Paul 
"P eronè se ,  parce  que  les  broderies  des  Chiliens  n'é- 
taient pas,  suivant  le  même  auteur,  comparables  à 
celles  du  célèbre  Frumeau ,  et  que  les  ouvrages  des 
Caraïbes  ,  ceux  des  autres  peuples  de  l'Amérique ,  et 
les  sculptures  des  Péruviens  n'égalaient  pas  les  ou- 
vrages des  artistes  les  plus  babiles  de  France  et  d'Italie  ? 

N'est-il  pas  étrange  qu'on  mette  en  parallèle  des 
tableaux  qui  n'ont  aucun  rapport  entreux,  puisque 
ceux  des  Mexicains  sont  en  hiéroglyphes ,  ou  en  plu- 
mes représentant  des  paysages,  des  oiseaux,  des  fleurs; 
quelques-uns  peut-être  ayant  trait  à  l'histoire  de  leur 
pays,  et  que  les  tableaux  des  peintres  italiens  sont  a 
l'huile ,  représentant  des  modèles  de  religion  et  des 
traits  historiques  de  divers  pays?  Si  M.  Paw  conclut 
que  les  Mexicains ,  les  Péruviens  et  les  Chiliens  sont 
des  bêtes  brutes  ,  parce  que  leurs  ouvrages  n'appro- 
chent pas  de  ceux  des  premiers  artistes  fiançais  et 
italiens,  ne  pourrait-on  pas  conclure  par  la  même  rai- 
son, que  les  Allemands,  les  Prussiens ,  les  Danois, 
les  Suédois  ,  les  Polonais ,  les  Russes ,  les  Espagnols , 
les  Portugais  et  les  Turcs ,  ne  sont  que  des  sauvages 
et  des  ignorans,  parce  que  leurs  peintures  et  leurs 
broderies  n'égalent  pas  celles  des  Italiens  et  des  Fran- 
çais; et  que  les  Orientaux,  les  Chinois ,  les  Japonais 
sont  aussi  des  sauvages ,  parce  qu'ils  ne  savent  pas 
encore  dessiner  correctement  ? 

Il  me  semble  que  M.  Paw,  pour  rendre  sa  compa- 
raison plus  juste,  aurait  dû  commencer  par  nous  mon- 
trer les  ouvrages  des  babitans  de  l'Europe  avant  leur 
Civilisation ;  ensuite  les  progrès  qu'ils  ont  faits,  pour 


CHEZ  LES  PÉRUVIENS  ET  LES  MEXICAINS ,  ete.     $77 
nous  convaincre  qu'ils  étaient  purement  le   fruit   de 
leur  génie  naturel ,  et  non  pas  se  prévaloir  de  quelques 
exceptions,  pour  généraliser  et  en  conclure  que  1  Eu- 
rope en  cela  remporte  sur  le  Nouveau-Monde.  Car, 
enfin,  si  les  sauvages  du  nord  de  l'Amérique  ,  sans  avoir 
jamais  communiqué  avec  aucun  peuple  policé  de  l'an- 
cien hémisphère,  savaient  graver  sur  des  écorces  d'ar- 
bres ,  des  figures  de  castors ,  de  tortues,  de  renards  et 
autres  bêtes ,  comme  autant  d'emblèmes  qui  servaient 
à  distinguer  les  hordes,  et  que  des  Européens  instruits 
aient  été  très-étonnés  de  voir  que  les  Améiicains  du 
nord  eussent  de  ces  espèces  d'armoiries  ;  cela   prouve 
que  les  peuples  du  nord  de  l'Amérique  étaient  moins 
barbares  dans  cette  partie,  que  les  Gaulois  qui  prirent 
pour  des  crapauds,  les  abeilles  queles  premiers  Francs  , 
lors  de  leur  invasion  en  Grèce,  portaient  sur  eux  en 
forme  d'armoiries,  ou  que  les  premiers  Francs  ,  si  leurs 
abeilles  avaient  des  formes  si  baroques,  que  les  Gau- 
lois les  prirent  pour  des  crapauds.  C'est  cependant  de 
de   cette   grossière  allusion,   qu'est  venu  l'usage   des 
armoiries  en  Europe  ! 

Quoi  qu'on  en  dise,  les  Mexicains  ,  à  l'aide  de 
leurs  hiéroglyphes,  avaient  leur  histoire  exactement 
tracée  depuis  leur  enirée  dans  le  Mexique,  jusqu'au 
temps  où  les  Européens  vinrent  en  faire  la  conquête  ; 
et  cette  histoire  renfermait  leurs  lois,  les  réglemens 
de  leur  police,  les  d.éîails  de  leur  gouvernement. 

Comment  M.  Paw,  qui  sait  qu'au  commencement 
de  la  conquête  ,  \m>  moines  ont  brûle  les  peintures  hlé~ 
rogtyphiques  ,  par  lesquelles  les  connaissances  de  tout 
genre  se  transmettaient  oe  génération  en  génération; 
que  les  Espagnols  ont  fait  périr  les  Indiens  les  pl'is 


3*8  ÉTAT   DITS    ARTS 

éclairés,  et  surtout  les  Tèopixqui ,  ou  ministres  delà 
Divinité;  tous  ceux  qui  habitaient  les  téocallis ,  ou  les 
maisons  de  Dieu,  et  que  l'on  pouvait  considérer  comme 
dépositaires  des  connaissances  historiques,  mytholo- 
giques et  astronomiques  du  pays  ,  car  c'étaient  les 
prêtres  qui  observaient  l'ombre  méridienne  aux  Gno~ 
nions ,  et  qui  réglaient  les  intercallations  j  comment 
M.  Paw,  qui  savait  que,  privé  de  ces  moyens  d'ins- 
truction ,  le  peuple  était  retombé  dans  une  ignorance 
d'autant  plus  profonde,  que  les  missionnaires  peu  ver- 
sés dans  les  langues  mexicaines ,  substituaient  peij. 
d'idées  nouvelles  aux  idées  anciennes  ;  que  le  mépris 
dont  les  Espagnols  accablaient  les  Indiens,  était  tel, 
qu'ils  les  avaient  réduits  à  servir  comme  de  bêtes  de 
Somme  -,  que  cette  foule  de  mendians  qui  remplissaient 
déjà,  du  temps  deCortez  ,  les  rues  de  toutes  les  gran- 
des villes  de  l'empire  mexicain,  attestaient  l'imper- 
fection des  institutions  sociales  et  le  joug  de  la  féoda- 
lité-, comment  cet  écrivain  ,  dis- je  ,  n'a-t-il  pas  rougi 
de  juger  d'après  ces  restes  misérables,  d'un  peuple 
puissant,  et  du  degré  de  culture  auquel  il  s'était  élevé 
depuis  le  i2.e  jusqu'au  i6.'e  siècle  et  du  développe- 
ment intellectuel  dont  il  est  susceptible? 

Si,  après  un  système  de  gouvernement  semblable  à 
celui  ci-dessus ,  il  ne  restait  un  jour  de  la  nation  fran- 
çaise ou  allemande  que  les  pauvres  agriculteurs,  lirait^ 
en  sur  leurs  traits  qu'ils  appartenaient  à  des  peuples 
qui  ont  produit  les  Descartes,  les  Clairaut,  les  Kepler 
et  les  Leibnitz  ? 

L'Amérique  méridionale ,  outre  les  traces  de  culture 
<et  de  civilisation  du  gouvernement  des  Tohèques , 
a'oiïre-t-elle  pas  des  formes  de  gouvememens  théocra- 


CHEZ  LES  PÉRUVIENS  ET  LES  MEXICAINS  ,  etc.    879 

tiques  ,  tels  que  ceux  de  Zaque  j  qui  embrassaient  le 
royaume  de  la  Nouvelle-Grenade,  fondé  par  Idacan~ 
zas  oti  Bochica ,  personnage  mystérieux,  qui,  d'après 
les  traditions  de  Mozcas ,  vécut  dans  le  temple  du 
Soleil  à  Sogamozo  pendant  deux  mille  ans  ;  le  gou- 
vernement théocratique  de  Bogota  (l'ancienne  Cun* 
dinamarca)  et  celui  de  Tinca  du  Pérou,  deux  empire  j 
étendus ,  dans  lesquels  le  despotisme  se  cachait  sous  les 
apparences  d'un  régime  doux  et  patriarchal?  Tandis 
qu'au  Mexique  de  petites  peuplades  ,  lassées  de  la 
tyrannie  ,  s'étaient  donné  des  constitutions  républi- 
caines. L 'existence  des  républiques,  n'indique  pas  une 
civilisation  très-récente. 

Quand  on  réfléchit  sur  le  soin  avec  lequel  les  livres 
hiéroglyphiques  furent  composés  sur  les  manuscrits 
aztèques,  qui  sont  écrits  ou  sur  du  papier  agave,  ou 
sur  des  peaux  de  cerfs ,  qui  ont  souvent  60  à  70  pieds 
de  long,  dont  chaque  page  a  cent  à  cent  cinquante 
pouces  carrés  •,  qui  sont  plies  çà  et  là ,  en  losange,  avec 
des  planches  de  bois  très-mince,  attachées  aux  extré- 
mités, qui  en  forment  la  reliure  et  leur  donnent  de  kr 
ressemblance  avec  nos  livres  in-'k.o  ,  indépendamment 
des  autres  livres  de  peintures  aztèques ,  composés 
avec  les  mômes  signes,  mais  en  forme  de  tapisserie  de 
60  pieds  carrés,  tels  que  M.  Humboldt  en  a  vus  dans 
les  archives  de  la  vice-royauté  à  Mexico-,  quand  011 
se  rappelle  qu'un  Indien,  citoyen  de  Tlascala,  au 
milieu  du  bruit  des  armes ,  profita  de  la  facilité  que 
lui  offrait  l'alphabet  romain  ,  pour  écrire  dans  sa  langue 
cinq  gros  volumes  sur  l'histoire  d'une  patrie  dont  41 
déplorait  l'asservissement-,  peut-on  douter  qu'une  par- 
tie de  la  nation  mexicaine  ne  fût  parvenue  à  un  certain 


38o  ETAT     DES     ARTS 

degré  de  culture  et  de  civilisation?  Cortez  ne  sut-il  pas 
profiter  adroitement  d'une  tradition  populaire  d'après 
laquelle  les  Espagnols  n'étaient  que  les  descendans 
du  roi  Qaetzalcoatl ,  qui  avait  passé  du  Mexique  à 
'  des  pays  situés  à  l'est,  pour  y  porter-la- culture  et  les 
lois?  Les  livres  rituels,  que  les  Indiens  composèrent 
en  caractères  hiéroglyphiques,  au  commencement  de 
la  conquête,  ne  démontrent-ils  pas  évidemment  qu'à 
cette  époque  le  christianisme  se  confondait  avec  la 
mythologie  mexicaine;  le  Saint-Esprit  s'identifiait  avec 
l'aigle  sacré  des  Aztèques  ? 

Six  grandes  routes  traversaient  la  Cordillière  ,  qui 
borne  la  vallée  de  Mexico,  ou  de  Tenochtitlan,  située 
au  centre  de  la  Cordillière  d'Anachuac ,  sur  le  dos  des 
montagnes  porphyritiques  et  d'amygdaloïde  basalti- 
que qui  se  prolongent  au  .sud-est,  au  nord-ouest.  Celte 
vallée,  d'une  forme  ovale,  a  244  lieues  et  demie 
carrées,  dont  les  lacs  n'occupent  que  11  lieues  carrées, 
.ce  qui  n'est  pas  tout-à-fait  un  dixième  de  toute  sa  sur- 
face. Sa  hauteur  moyenne  est  de  3ooo  mètres  au-des- 
sus du  niveau  de  l'Océan.  Ces  routes  s'étendaient  de 
l'Atlantiaue  à  la   mer  du  Sud,  à  travers  un  nombre 

x.  7 

infini  de  petits  royaumes.    (Humb.,  Essai  polit,  sur  la 
?\ouv.-Espag.  ) 

Quand  M.  Paw,  pages  1 1  8  et  1 19  du  second  vol.  de 
ses  Recherches  sur  les  Américains,  avance  que  le  cli- 
x  mat  de  l'Amérique  fait  dégénérer  la  nature  humai- 
ne, au  peint  qu'on  a  aperçu,  quelque  dérangement 
»  dans  les  créoles  nés  dans  ce  pays,  de  parens  originai- 
»  res  d'Europe  ;  que  les  créoles  de  la  4.e  et  5.e  géné- 
»  râlions,  ont  moins  de  génie,  moins  de  capacité  pour 


CHEZ  LES  PÉRUVIENS  ET  LES  MEXICÀ INS  ,  etc.     38 1 

*  les  sciences,  que  les  vrais  Européens  ;  »  et  page  1 36 
du  second  volume,  «  que  les  Européens  qui  vont  s'é- 
»  tablir  dans  ce  pays,  y  dégénèrent  aussi.  »  Je  me 
contenterai  pour  toute  réponse,  de  faire  observer  à  ce 
judicieux  écrivain  : 

Que  c'est  aux  Etats-Unis  de  l'Amérique  du  nord 
que  l'Europe  doit  le  planétaire  ,  le  fourneau  ,  et  l'ins- 
trument pour  prendre  le  niveau  de  Rittenhouse  ,  le 
conducteur  électrique  /la  cheminée  _,  et  la  machine 
électrique,  négative  et  positive,  de  Franklin,  le  cadran. 
de  Godfiej }  connu  sous  le  nom  de  cadran  de  Hadlej  ; 
le  bateau  qui ,  sans  rame  ni  voile,  fait  5  ,  6  et  7  milles 
par  heure,  contre  le  vent ,  le  courant  et  la  marée  , 
dont  Ramsey  et  Ficht  se  disputent  l'invention,  que 
Fulton  a  perfectionné  avant  sa  mort ,  qu'on  vient  de 
faire  connaître  à  toute  l'Europe ,  et  que  l'on  voit  ac- 
tuellement dans  la  Seine;  la  baguette  de  pendule  de 
Leslie  ;  le  bateau  pour  la  pêche  de  la  baleine  ,  appelé 
le  bateau  de  la  Nouvelle- Angleterre  ,•  la  machine  de 
Salsom  ,  pour  couper  les  doux;  une  nouvelle  cons- 
truction de  navire;  de  nouveaux  moulins  à  farine  ;  une 
nouvelle  machine  pour  tirer  le  fil-de-fer,  et  d'autres 
métaux;  la  charrette  de  Philadelphie,  avec  un  plan 
incliné;  les  machines  de  Mus s en ,  pour  éteindre  le 
feu;  une  manière  de  monter  les  horloges,  par  le  vent 
et  par  l'air,  de  Flanks-,  la  machine  d 'Anderson ,  pour 
battre  le  bled  ,  et  plusieurs  autres  machines  à  l'usage 
des  manufactures  ,  pour  carder,  filer ' ,  vanner,  etc. , 
le  bateau-poisson  de  Fuldham ,  qui  navigue  aujour- 
d'hui paisiblement  sous  l'eau  ;  les  bateaux  à  explosion, 
ou  torpilles  ,  de  M.  Mix  ,  pour  faire  sauter  les  vais- 


382  ÉTA  T   DES    A  RTS 

seaux  à  l'ancre  ou  à  îa  voile-,  la  redoutable  frégate  k 
vapeur  ,  que  le  génie  américain  a  inventé  en  181 5  \  les 
Jusées  à  ressort ,  de  M.  Fleath ,  qui  vont  5oo  verges 
plus  loin  que  celles  à  la  Congrève^  les  ouvrages  de 
l'immortel  Washington  ,  la  police  admirable  des  Etats- 
Unis,  la  propreté  de  leurs  villes,  de  leurs  édifices, 
^eurs  découvertes  importantes  en  typographie,  etc. ,  etc. 

On  saura  encore  qu'on  a  observé  que  lorsqu'un 
Indien  parvient  à  un  certaiii  degré  de  culture,  il  mon- 
tre une  grande  facilité  d'apprendre,  un  esprit  juste, 
une  logique  naturelle,  un  penchant  particulier  à  sub- 
tiliser ou  à  saisir  les  différences  les  plus  fines  desobjets 
k  comparer  ,  et  qu'il  raisonne  froidement  et  avec  ordre. 
La  musique  et  la  danse  des  indigènes  ,  dit  M.  Hum- 
■boldt ,  se  ressentent  du  manque  de  gaîté  dont  Tasser- 
-vissement  les  prive.  Les  Mexicains  ont  conservé  un 
«goût  particulier  pour  la  peinture ,  et  pour  l'art  de 
•sculpter  en  pierre  et  en  bois.  Ils  exécutent  avec  un 
mauvais  couteau,  et  sur  les  bois  les  plus  durs,  des 
-images  ,  des  statues,  que  bien  des  ouvriers  européens 
•auraient  peine  à  faire  avec  de  bons  instrumens  et  des 
.outils  bien  tranchans.  Ils  ont  conservé  le  même  goût 
pour  les  fleurs ,  que  Cortez  leur  trouvait  de  son  temps. 
:Au  grand  marché  de  Mexico  ,  le  natif  ne  vend  pas  de 
pêche  ,  pas  d'ananas  ,  pas  de  légumes  ,  pas  de  pulque 
(jus  fermenté  de  l'agave)  ,  sans  que. sa  boutique,  et  ses 
paniers  ne  soient  ornés  ,  avec  art ,  de  fleurs  qui  se  re- 
nouvellent tous  les  jours. 

Aux  insinuations  méprisables  et  aux  assertions  dé- 
placées de  M.  Paw  ,  j'opposerai  les  observations  sui- 
-vantes  de  M.  Humboldt. 

L'étude  des  mathématiques  ;  de  la  chimie ,  de  la  mi- 


CHEZ  LES  PERUVIENS  ET  LES  MEXICAINS ,  etc.     383 

néralogie ,  de  la  botanique  ,  est  plus  répandue  à  Mexi~ 
co  ,  kSaitta  Eé,  à  Linia  ,  à  Quito  ,  à  Popajan  et  aux 
Caraccas  ,  qu'à  la  Havane  même ,  malgré  les  efforts 
de  la  Société  patriotique  de  Cuba,  qui  encourage  les 
sciences  avec  le  zèle  le  plus  généreux.  Partout ,  on  ob- 
serve un  grand  mouvement  intellectuel ,  une  jeunesse 
douée  d'une  rare  facilité  pour  saisir  les  principes  des 
sciences.  On  prétend  que  cette  facilité  est  plus  remar- 
quable encore  chez  les  liabitans  de  Quito  et  de  Lima  , 
qu'à  Mexico  et  à  Santa  Fé.  Les  premiers  paraissent 
jouir  d'une  plus  grande  mobilité  d'esprit,  d'une  ima- 
gination plus  vive  j  tandis  que  les  Mexicains  et  les  na- 
tifs de  Santa  Fé  ont  la  réputation  d'être  plus  persévérans 
à  cqiitinuer  les  études  auxquelles  ils  ont  commencé  à 
se  vouer. 

Quant  à  l'orfèvrerie,  et  ce  qui  concerne  les  arts  mé- 
caniques et  d'agrément ,  voyez  ce  que  j'en  ai  dit  à  l'aiv 
ticle  Mexique  ,  pages  287  du  fci&fcqb ,  et  aéo  du  2.d 

Aucune  ville  du  nouveau  Continent, ^ans en  excepter 
celles  des  Etats-Unis,  n'offre  dos  établissemens  scien- 
tifiques aussi  grands  et  aussi  solides  que  la  capitale  du 
Mexique.  On  y  remarque  V Ecole* des  mines  ,  dirigée 
par  le  savant  d'Elciihyar  ;  le -Jardin  des  plantes,  et 
l'Académie  de  Peinture  et  Ae  Sculpture  7  dans  laquelle 
on  trouve  une  collection  de  plâtres  plus  belle  et  plus 
complète  que  dans  aucune  partie  d'Allemagne.  On  est 
surpris  de  trouver  dans  un  plateau  qui  surpasse  la  hau- 
teur du  couvent  du  grand  Saint-Bernard,  Y  Apollon 
du  Belvédère  ,  le  Laocoon  ,  et  des  statues  plus  colôs- 
Sales  encore.  C'est  sur-tout  dans  l'ordonnance  des  bâ- 
timens,  dans  la  perfection  avec  laquelle  on  exécutera 
coupe  des  pierres-,    les  ornemeus  des  chapiteaux,  las 


3.84?  ETAT     DES     ARTS 

reliefs  en  sîuc ,  que  le  goût  américain  se  montre.  Le* 
beaux  édifices  que  l'on  voit  à  Mexico,  et  même  dans 
les  villes  de  provinces ,  à  Guanaxuato  et  à  Queretario, 
pourraient  figurer  dans  les  plus  belles  rues  de  Paris  , 
de  Berlin  y  ou  de  Pétersbourg.  La  statue  équestre  de 
Charles  IV  7  que  M.  Toisa  ,  professeur  de  sculpture 
à  Mexico  ,  est  parvenu  à  y  fondre ,  est  un  ouvrage  qui , 
à  l'exception  du  Marc-Aurèle  a  Rome,  surpasse 
,en  beauté  et  en  pureté  de  style,  tout  ce  qui  est  resté 
de  ce  genre  en  Europe. 

Le  superbe  jardin  botanique  qui  est  dans  l'enceinte 
même  du  palais  du  vice-roi ,  renferme  des  production* 
végétales  rares  ou  intéressantes  ,  des  herbiers  pré- 
cieux, et  une  riche  collection  de  minéraux  mexicains. 
Le  professeur  Cervantes  y  lait  annuellement  ses  cours, 
-qui  sont  très-suivis.  M.  Echeveria ,  peintre  de  plantes 
-et  d'animaux  ,  dont  les  travaux  peuvent  rivaliser  avec 
ce  que  l'Europe  a  produit  de  plus  parfait  en  ce  genre, 
sont  deux  natifs  du  Mexique. 

Un  voyageur  européen,  dit  M.  Humholdt  lui-même, 
serait  surpris  sans  doute  de  rencontrer  sur  les  confins 
de! la  Californie,  de  jeunes  Mexicains  qui  raisonnent 
jsur  la  décomposition  de  l'eau  ,  dans  le  procédé  de 
l'amalgation  à  l'air  libre,  lé1  Ecole  des  JMines  renferme 
un  laboratoire  de  chimie  ,  une  collection  géologique 
rangée  d'après  le  système  de  Tferner\  un  cabinet  de 
physique  dans  lequel  on  trouve  non-seulement  des 
instrumens  précieux  de  Hamsden  ,  d'Adam  s ,  de 
Lenoir  et  de  Louis  Berthoud  ,  mais  aussi  des  modèlçs 
exécutés  dans  Mexico  même,  avec  la  plus  grande  pré- 
cision et  avec  les  plus  beaux  bois  du  pays.  C'est  dans 
cette  capitale  qu'a  été  imprimé  le  meilleur  oiwroge 


CHEZ  LES  PÉRUVIENS  ET  LES  MEXICAINS  ,  etc.    385 

mincralogique  que  possède  la  littérature  espagnole  ; 
le  Manuel  d' Orjctognosie ,  rédigé  par  M.  del  Rio  , 
d'après  les  principes  de  l'école  de  Freiberg  ,  la  pre- 
mière traduction  espagnole  des  Elémens  de  Chimie  de 
Lavoisier  ;  dans  l'école  des  Mines  ,  on  instruit  les 
jeunes  gens  dans  le  calcul  intégral  et  différentiel. 
Dans  l'Astronomie ,  dont  le  goût  est  assez  ancien  au 
Mexique ,  trois  nommes  distingués ,  T^élasquez  ,  Gama, 
et  Alzate  ,  ont  illustré  leur  patrie  vers  la  fin  du  der- 
nier siècle  ;  tous  les  trois  ont  fait  un  grand  nombre 
d'observations  astronomiques,  sur-tout  des  éclipses  des 
satellites  de  Jupiter.  Le  moins  savant  d'eux,  Alzate , 
était  le  correspondant  de  l'Académie  des  arts  et  des 
sciences  à  Paris. 

Le  géomètre  le  plus  marquant  que  la  Nouvelle -Es- 
pagne ait  eu  depuis  l'époque  de  Siguenza ,  était  dont 
Joachim  P  elasquez  Cardenas  J.  Léon  ,  qui  fut  ins- 
truit par  un  indien  ,  nommé  Manuel  Azentzio ,  bomme 
de  beaucoup  d'esprit  naturel,  et  très-versé  dans  la 
connaissance  de  l'Histoire  de  la  Mythologie  mexicaine. 
Velasquez  observa  le  premier  ,  que  dans  toutes  les 
cartes  depuis  des  siècles,  par  une  erreur  de  longitude, 
la  Californie  avait  été  marquée  de  plusieurs  degrés 
plus  à  l'ouest  qu'elle  ne  l'est  effectivement.  Ayant  dé- 
terminé la  position  de  Sainte-Anne  ,  village  indien  , 
où  il  s'était  fait  construire  un  observatoire  en  planches 
de  mimosa,  il  apprit  à  l'abbé  Chappe  ,  qui  venait  dV 
arriver  ,  que  l'éclipsé  de  lune  du  18  juin  1769  ,  serait 
visible  en  Californie.  Le  géomètre  français  douta  de 
l'assertion  ,  jusqu'à  ce  que  l'éclipsé  annoncée  eût  lieu. 
Il  fit  lui  seul ,  le  3  juin  1769,  une  très-bonne   obser- 

tome  2.  a5 


386  ÉTAT    DES    ARTS 

ration  du  passage  de  Vénus  ;  il  en  communiqna  le  ré- 
sultat ,  le  lendemain  même  du  passage  ,  à  l'abbé  Chappe 
et  aux  astronomes  espagnols  dom  P^icente  JDoz  et 
dom  Salvador  de  Médina.  Le  voyageur  français  fut 
surpris  de  Fliarmonie  que  présenta  l'observation  de 
Velasquez  avec  la  sienne.  Il  s'étonna  sans  doute  de 
rencontrer  en  Californie  un  mexicain  qui,  sans  appar- 
tenir à  aucune  académie ,  et  sans  jamais  être  sorti  de 
la  Nouvelle-Espagne  ,  en  faisait  autant  que  les  aca- 
démiciens. En  1773  ,  il  exécuta  le  grand  travail  géo- 
désique  ,  dont  on  voit  quelques  résultats  dans  l'analyse 
de  l'Atlas  mexicain  de  M.  Humboldt.  C'est  cependant 
à  là  même  époque  ,  que  M.  I?aw  assurait  ,  avec  sa 
légèreté  ordinaire  ,  que  le  climat  opérait  des  déran- 
geméns  dans  les  facultés  des  créoles ,  nés  dans  ce 
pays,  de  pafens  originaires  d'Europe. 

Ganlâ  ,  l'ami  de  VelasqUez  ,  publia  plusieurs  me 
moirés  qui  annoncent  «ne  grande  justesse  dans  les 
idées  ,  et  de  là  précision  dans  les  observations  sur  des 
éclipsés  de  lune,  sur  les  satellites  de  Jupiter,  sur 
l'Almanach  et  la  Chronologie  des  anciens  mexicains  , 
et  sur  le  climat  de  la  NoUveile-Espagne. 

té  marquis  de  san  Christobal ,  autrement  M.  Te- 
téros ,  nom  sous  lequel  ce  savant  modeste  est  connu 
en  France ,  s'est  distingué  à  Paris  par  ses  connaissances 
en  physique  et  eii  physiologie. 

Le  péruvien  dom  Juan  dé  Acuna ,  homme  désin- 
téressé et  bon  administrateur,  ne  dut  qu'à  son  mérite 
l'élévation  âù  rang  de  marquis  de  Casa  Fuente  et  de 
Mce-roi  du  Mexique. 

Dom,  Pedro  Nuno  ,  mexicain  7  fut  redevable  à  ses 


CHEZ  LES  PERUVIENS  ET  LES  MEXICAINS,  etc.    38; 

vertus  et  à  ses  lalens  ,  des  titres  de    duc  de  Veragua 
et  de  vice-roi  du  Mexique, 

Ces  détails  sur  l'état  des  sciences  au.  Mexique  ,  et 
Sur  le  méiite  littéraire  de  trois  savans  mexicains,  doi- 
vent prouver  ,  à  tout  homme  impartial,  que  l'igno- 
rance ,  dont  l'orgueil  européen  se  plaît  à  accuser  les 
créoles  ,  n'est  pas  L'effet  du  climat  ou  d'un  manque 
d'énergie  morale  -,  mais  que  cette  ignorance  ,  là  où.  on 
l'observe  encore,  est  uniquement  l'effet  de  l'isolement 
et  des  défauts  propres  aux  institutions  sociales. 

Que  M.  Paw  jette  les  yeux  sur  les  opérations  chi- 
miques de  M.  Cher  vain  ,  habitant  de  Saint-Domingue, 
ne  tendant  à  rien  moins  qu'à  rendre  l'eau  de  la  mer  po- 
table et  saine  -,  sur  les  recherches  en  histoire  naturelle 
de  M.  Baudrj  des  Lozières  ,  habitant  de  Saint-Do- 
mingue ,  dont  les  efforts  vont  enrichir  le  monde  d'une 
nouvelle  étoffe  ,  provenant  de  Y  animal  colon,  qu'il  a, 
apportée  de  Saint-Domingue  -,  sur  l'Histoire  des  An- 
tilles par  M.  More  au  de  Saint-Méfy ,  habitant  de 
Saint-Domingue  ;  sur  les  ouvrages  dé  nombre  d'autres 
personnages  américains  de  cette  colonie  ,  de  l'ile  de 
Cube  ,  de  la  Martinique  ,  de  la  Jamaï'que,  etc.  ;  distin- 
gués par  leur  mérite-  et  quoi  qu'il  en  dise,  sur  Y  His- 
toire des  Incas  ,  par  dom  Garcilasso  ,  imprimée  à  Paris 
en  1^44,  il  sentira  combien  il  est  inconséquent  dans 
son  jugement  sur  l'Amérique  et  ses  habitans. 

Qu'il  demande  au  bureau  des  longitudes  ,  au  savant 
M.  Del  ambre  et  à  ses  collègues  ,  ce  qu'ils  pensent  des 
Américains.,  ils  lui  répondront,  que  le  jeune  ZeraU 
Colhuon ,  âgé  de  dix  ans,  a  résolu  sur-le-champ,  en 
février  181  5,  plusieurs  questions  arithmétiques  très- 
CompîiqueCSj  parla  seule  opération  de  l'esprit,,  et  saûs 

*5.. 


388  ETAT  DES    ARTS 

le  secours  des  chiffres.  Il  se  convaincra  alors  de  cette 
vérité  ,  qui  n'a  été  contestée  par  aucun  homme  sensé  j 
que  les  créoles  se  sont  signalés  dans  les  sciences  ,  et 
qu'ils  pourront  s'y  distinguer  comme  les  Européens  , 
quand  ils  voudront  en  faire  leur  étude  particulière. 

M.  Humbo.ldt  observe  en  outre,  que  la  curiosité  qui 
>/  se  porte  sur  les  phénomènes  du  ciel  et  sur  les  divers 
»  objets  des  sciences  naturelles  ,  prend  un  caractère 
m  bien  différent  chez  les  nations  anciennement  civi- 
»  lisées  ,  et  chez  celles  qui  ont  fait  peu  de  progrès 
»  dans  le  développement  de  leur  intelligence.  Les 
»  unes  et  les  autres  offrent  dans  les  classes  les  plus 
/)  distinguées  de  la  société,  des  exemples  fréquens  de 
»  personnes  étrangères  aux  sciences  ;  mais  dans  les 
»  colonies  et  chez  tous  les  peuples  nouveaux  ,  lacurio- 
»  site,  loin  d'être  oiseuse  et  passagère  ,  naît  d'un 
m  désir  ardent  de  l'instruction  :  elle  s'annonce  avec  une 
»  candeur  et  une  naïveté  qui  n'appartiennent  en  Eu- 
»  rope  qu'à  la  première  jeunesse,   a 

N'y  a-t-il  pas  plus  de  stupidité  à  se  tourmenter  l'es- 
prit et  le  corps  ,  pour  satisfaire  des  besoins  factices  , 
fruits  de  notre  imagination  déréglée  ,  qu'à  les  ignorer, 
ainsi  que  l'art  de  les  satisfaire?  Pourquoi  tant  de  dé- 
tours? à  quoi  sert  d'agir  en  Européen  ,  lorsqu'on  pense 
en  Américain?  Ce  peuple  ne  connaissait  de  besoins, 
que  ceux  qui  pouvaient  contribuer  agréablement  à  la 
conservation  de  son  être  •,' il  rejetait  tous  ceux  qui  pou- 
vaient faire  le  tourment  ou  le  malheurde  son  existence: 
et  parce  que  du  temps  de  Jules-César,  il  n'y  avait 
point  d'académies  chez  les  Juifs  ,  chez  les  Timguses , 
chez  les  Germains  de  la  Forêt-Noire  ;  M.  Paw  ,  pour 
prouver  la  profondeur  de  son  génie,  croit  pouvoir  dou- 


CHEZ  LRS  PERUVIENS  ET  LES.MEXICA  INS  ,  etc.     38q 

ter,  qu'il  y  en  eut  chez  les  autres  peuples  ,  et  con- 
clure que  «  les  Amantas  du  Pérou  ,  étaient  des  igno- 
rans  titrés  ,  qui  ne  pouvaient  pas  enseigner  aux  Péru- 
»  viens  (  qui  étaient  ,  suivant  lui ,  des  ignorans  qui  ne 
»  savaient  pas  parler  )  ,  la  philosophie  naturelle  ,  sans 
»  le  secours  d'un  Alphahet  européen  et  des  écrits  de 
»  morale  de  Piaton  et  de  Socrate  ,  et  Sans  recourir  à 
»  des  sternutatoires  violens  ,  tels  que  la  Ptarmice , 
»  l'euphorbe  et  l'huile  de  tabac  ,  pour  occasionner  de 
»  considérables  évacuations  de  flegmes  ,  et  leur  resti  • 
»  tuer  la  faculté  mémorative.  » 

Et  cependant  ,  le  sincère  et  modéré  M.  Paw  avait 
lu  les  rapports  des  écrivains  respectables  qui  assuraient 
que  les  Péruviens  avaient  une  langue  vulgaire  et  une 
langue  sacrée  ,  comme  les  Anglais  ont  un  langage 
particulier  pour  la  poésie  et  la  prose,  et  une  autre 
pour  la  religion  ,  qui  diffèrent  autant  de  la  langue  du 
peuple  ,  que  la  langue  sacrée  des  Péruviens  différait 
de  la  langue  royale  des  Incas  et  du  langage  du  vul- 
gaire \  que  ceux-ci  se  servaient  d'une  écriture  hiéro- 
glyphique ,  et  de  quipos  ou  cordons  de  diverses  cou- 
leurs ,  pour  faire  des  calculs  et  renouveler  à  la  mé- 
moire un  événement  quelconque ,  et  les  mystères 
de  leur  religion.  Ceci  n'est  point  un  paradoxe  ;  l'ita- 
lien san  Severo  a  soutenu  depuis  peu  avoir  trouvé  le 
secret  des  anciens  Péruviens  ,  d'écrire  par  le  moyen 
de  quelques  ficelles  diversement  nouées  et  coloriées. 
Je  ferai  observer,  qu'une  tresse  de  cheveux  unis, 
offrait  un  sens  ;  que  mêlée  avec  ceux  d'une  autre  cou- 
leur ,  elle  en  présentait  un  autre,  et  ainsi  de  suite  en 
variant  le  dessin;  que  le  poil  de  lamas  simple  avait 
uue  signification  particulière  *,  qu'en  la  mélangeant , 


^QO  ÉTAT    DES    ARTS 

elle  était  susceptible  d'offrir  autant  d'idées  que  de 
dessins  -,  qu'il  en  était  de  même  du  poil  de  chien  ,  de 
bœufs ,  de  chèvres;  des  fiiatnens  d'arbres;  des  grains 
d'or  ,  des  perles  crue  ces  peuples  y  ajoutaient. 

M.  Paw  s'imagine  que  son  sentiment  doit  entraîner 
celui  de  ses  lecteurs  ,  et  que  pour  les  convaincre,  \i. 
ne  s'agtl  que  de  dire  :  «  J'aimerais  autant  croire  qu'il 
»  y  a  eu  des  académies  chez  les  Juifs  ,  les  Tunguses, 
»   chez  les  Germains  de  U  Forêt-Noire.  » 

C'est  avec  cette  démence  de  citations  étrangères  au 
sujet ,  avec  cette  ignorance  des  premiers  principes  de 
la  nature  humaine,  avec  ces  préjugés  mal  conçus  et 
mal  appliqués  ,  que  le  Nouveau-Monde  a  été  traité  par 
des  hommes  qui  ont  cru  se  faire  une  réputation  dan» 
leur  sphère  ,  en  dénigrant  à  plaisir  un  pays  qu'ils  n'ont 
jamais  connu. 

Qu'on  jette  lesyeux  sur  les  hiéroglyphes  de  l'Egypte  , 
combien  n'y  verra-t-on  pas  de  figures  beaucoup  plus 
grossières  que  celles  du  Mexique  !  Quelle  plus  belle 
éoniparaison  que  celle  de  leur  grand  Cycle  !  Robert- 
son  en  niant  quantité  de  faits  ,  pour  faire  sa  coui  a 
M.  Paw,  estforcé  cependant  de  convenir  qu'au  Pérou  , 
le  gouvernement  était  modéré  ;  que  les  conquêtes  ne 
tendaient  qu'au  bonheur  des  vainqueurs  et  non  des 
vaincus;  qu'ils  connaissaient  la  culture  des  terres;, 
l'art  du  nivellement,  de  la  conduite  des  eaux;  que  leurs 
édifices  étaient  solides  ,  les  grands  chemins  bien  faits  , 
et  les  ponts  _,  dont  M.  Paw  a  fait  un  sujet  de  risée  ,  lui 
paraissaient  dignes  d'éloges.    • 

Il  paraît  que  les  Péruviens  avaient  comme  les  Grecs, 
les  Romains  et  les  Indops,  des  idées  bien  conformes 
sur  la  nature  de  la  lune  et  du  soleil.  Il  faut  qu'ils  aient 


CHEZ  LES  PÉRUVIENS  ET  LES  MEXICAINS,    etc.    3gi 

jpris  ces  globes  pour  des  êtres  animés  ,  puisqu'ils  cher- 
chaient à  les  éveiller  par  un  grand  bruit ,  dans  la  pen- 
sée que  les  éclipses  n'étaient  qu'un  sommeil  ou  un  as- 
soupissement subit,  qui  surprenait  ces  créatures  au 
milieu  de  leur  course  célesto. 

Du  reste,  ils  observaient  les  pléiades,  les  hyades  , 
l'ourse ,  Vénus ,;  ils  déterminaient  les  solstices  et  les 
équinoxes ,  comme  l'ancien  hémisphère.  La  fête  des 
hydrophonies  ,  la  plus  ancienne  qui  ait  été  instituée 
en  mémoire  de  l'inondation  du  globe  ,  ne  leur  était 
pas  inconnue.  On  représentait  la  reproduction  des 
êtres  par  la  forme  de  la  parlie  virile  ;  ils  y  joignirent , 
comme  dans  l'Inde,  la  figure  de  la  partie  féminine > 
sous  le  nom  de  Lingam.  On  remarquait  en  Amérique 
ce  même  symbole  ,  particulièrement  à  Panco ,  à  Cid- 
vaca.  Il  y  a  i  5ç  ans  qu'on  célébrait  encore  en  France 
les  orgies  du  dieu  Priape.  Ce  culte  était  passé  en  Es- 
pagne.  La  ville  de  iSébrissa  sur-tout  fut  renommée 
par  le  culte  de  son  dieu  Orthanie  ,  qui  est  le  même 
que  Priape  ,  désigné  par  son  phal  tentigine  tumens  , 
selon  le  sens  du  mot  grec  orlhos. 

Pour  un  plaisir  que  la  science  donne  ,  et  fait  périr  en 
le  donnant,  l'ignorance  ne  nous  en  présente-t-elle  pas 
mille  qui  nous  flattent  davantage.  L'on  nous  démon- 
tre que  le  soleil  est  un  globe  fixe,  dont  l'attraction 
donne  aux  planètes  la  moitié  de  leurs  mouvemens. 
Ceux  qui  le  croyaient  conduit  par  Apollon  ,  en  avaient- 
ils  une  idée  moins  sublime  ?  Ils  pensaient  au  moins  que 
les  regards  d'un  dieu  parcouraient  la  terre  avec  les 
rayons  de  l'astre  du  jour.  C'est  la  science  qui  a  fait 
descendre  la  chaste  Diane  de  son  char  nocturne  :  elle 
a  banni  les  Hamadryades  des  antiques  forêts  ,  et  lef 


3()2  ÉTAT   DES    ARTS 

douces  Nayad.es  des  fontaines.  L'ignorance  avait  ap- 
pelé les  dieux  à  ses  joies  ,  à  ses  chagrins  ,  à  son  hyme- 
név?  et  à  son  tombeau  :  la  science  n'y  voit  pJus  que  les 
éléniens.  Elle  a  abandonné  l'homme  ,  et  l'a  jeté  sur  la 
terre,  comme  dans  un  désert.  Ah!  quels  que  soient  les 
ïionis  qu'elle  donne  aux  divers  règnes  de  la  nature  , 
sans  doute  des  esprits  célestes  régissent  leurs  combi- 
naisons si  ingénieuses  ,  si  variées  ,  et  si  constantes ';  et 
l'homme  qui  ne  s'est  rien  donné  ,  n'est  pas  le  seul  être 
da. îs  J  univers  qui  ait  en  partage  l'intelligence! 

P^.v  ,  page  i3i  du  second  volume  ,  on  parlant  du 
Pérou  au  moment  delà  venue  desPizarres,  dit  :  ce  II  est 
x  sûr  qu'il  n'y  avait  qu'une  seule  bourgade  dans  cette 
»  misérable  contrée  en  1  53 1 ,  lorsqu'on  en  lit  la  décou- 
ds verte.  »  Ce  il  est  sûr,  prouve  le  cas  que  l'on  doit 
faire  ae  la  bonne  toi  de  cet  écrivain, puisqu'il  avait  sous 
les  veux  l^s  relations  des  premiers  conquérants  ,  qui 
assurent  ayoir  traversé  trente  villes,  de  Caxamalca 
£ôal?  oour  se  rendre  à  Cuzco  ;  mais  cet  écrivain  outré 
s'est  cru  en  droit  de  parler  avec  autant  d'assurance  , 
paice  que  Z avale  ,  son  ju^e  irrécusable  ,  a  dit  (  ch.g, 
pag.  44  ,  tom.  1.  )  «  il  n'y  avait  sous  les  Incas,  dans 
»  tout  le  Pérou  ,  aucun  lien  habité  par  les  Indiens  , 
»  qui  eut  forme  de  ville  j  Cuzco  était  la  seule.  »  On 
peut  juger  par  là  ,  quel  crédit  mérite  cet  exagératenr, 
lorsque  François  Xérès  ,  un  des  capitaines  de  l'expé- 
dition sous  Pizarre,  et  Ulloa  nous  donnent  des  détails 
ïntéressans  sur  les  villes  de  Caxas ,  de  Guacamba  ,  de 
Caxamalca  ,  de  Chinca ,  de  Pachacamac ,  de  Titica  , 
de  Caran^ua  ,  sur  celles  que  les  Espagnols  ont  aug- 
mentées ,  telles  que  Vallaâolid  ,  Cumbinama  ,  Ma- 
cas ,  Sévills-d* Or  7  etc.  -,  lorsque  les  ruines  à'Autun- 


CHEZ  LES  PÉRUVIENS  ET  LES  MEXICAINS  ,  etc.  3g3 
€annar,àe  Callo ,  du  Palais  de  Cayambe  ,  de  Tra^ 
guanaco  ,  et  plusieurs  autres  villes  ou  bourgades  ,  les 
magnifiques  débris  des  maisons  de  plaisance  des  Incas  , 
dans  la  vallée  d'.Iucai  j  à  quatre  lieues  de  Cuzco  ; 
déposent  encore  de  nos  jours, contre  ce  que  lui  a  fait 
avancer  un  fol  amour  national  ,  qui  ne  lui  a  fait  res- 
pecter aucune  vérité. 

Robertson  avouelui-mèmequeles  Américains  avaient 
des  villes  considérables  ,  telles  qu'on  en  voit  chez  les 
nations  civilisées  ;  il  décrit  ensuite  la  magnificence  des 
souverains  du  Mexique  ,  parle  des  tribus ,  du  bon  ordre 
du  gouvernement  ,  non  seulement  dans  les  points  es- 
sentiels pour  la  félicité  d'une  société  bien  réglée,  mais 
même  dans  plusieurs  points  relatifs  aux  ouvrages  pu- 
blics, au  bon  ordre,  à  la  commodité  des  citoyens.  Il 
apporte  pour  preuve,  la  situation  de  Mexico,  bâtie  au 
milieu  de  l'eau  ;  les  aqueducs  ,  les  rues  pavées  de  bri- 
ques ,  l'établissement  des  postes.  Quant  aux  ouvrages 
de  l'art  ,  il  ne  les  trouve  imparfaits  ,  que  comparés  avec 
ceux  de  Londres  ou  de  Madrid. 

•  Que  M.  Paw ,  pour  nous  expliquer  par  quelle  grada- 
tion de  découvertes  les  Péruviens  étaient  parvenus, 
sous  le  règne  de  Méta-Capac ,  quatrième  des  Incas,  à 
faire  un  pont  de  cordes  ou  de  lianes  sur  la  rivière 
d'Apurimae,  nous  dise  avec  la  gravité  d'un  magister  . 
»  Qu'on  commença  par  passerles  rivières  à  la  nage,  et 
»  que  ceux  qui  ne  savaient  pas  nager  se  faisaient  atta- 
»  cber  an  dos  des  nageurs  ,  en  tenant  dans  leurs  mains 
m  des  paquets  de  roseaux-,  que  de  ces  roseaux  ,  on  par- 
»  vint  aux  calebasses  évuidées;  qu'on  en  attachait  plu,- 
»  sieurs  ensemble  -,  que  celui  qui  voulait  pisser  l'eau 
»  devait  s'y  asseoir,   et  qu'un  loageiiï  traînait  la  mar* 


3()4  ETAT    DES    ARTS 

•  chine  ;  que  de  ces  calebasses  flottantes  ,  on  parvint 
»  à  faire  de  petits  radeaux  de  joncs  ;  que  des  radeaux 
»  on  aurait  dû  naturellement  parvenir  à  la  découverte 
»  des  bateaux  ou  des  canots  -,  mais  que  cela  n'arriva  pas 
»  au  Pérou  ,  par  une  fatalité  ,  que  Garcilasso,  dit-il, 
»  attribue  au  défaut  de  bois.  Que  des  radeaux  on  par- 
»  vint  à  étendre  d'une  rive  à  l'autre ,  une  corde  filée 
y  d'écorces  d'arbres,  ou  de  ces  osiers  qu'on  nomme 
p  lianes  ;  qu'à  cette  corde  bien  tendue  et  bien  attachée, 
i>  on  suspendait  un  grand  panier  ,  qu'on  faisait  glisser 
»  le  long  de  la  corde ,  en  la  tirant  à  droite  ou  à  gauche  ; 
»  que  ceux  qui  voulaient  passer  la  rivière,  se  mettaient 
?>  au  nombre  de  trois  dans  ce  panier  :  que  les  Espa- 
j>  gnols  se  font  ,  encore  aujourd'hui  ,  suspendre  de  la 
»  sorte  à  des  cordes,  pour  traverser  quelques  torreus 
9  du  Pérou,  où  toute  autre  nation  que  les  Espagnols 
a  ferait  bâtir  des  ponts.   » 

Peut-on  supposer  que  les  Péruviens  ,  qui  avaient  fait 
autant  de  progrès  dans  les  arts  -,  qui  avaient  des  ports 
dans  la  mer  du  Sud  ;  qui  étaient  en  k  dation  avec  les 
Mexicains,;  qui  naviguaient  sur  leurs  golies  et  leurs  ri- 
yières  ,  ignorassent  Fart  de  faire  des  canes  :  lorsque 
ies  Sauvages  les  plus  grossiers  du  n<fc*d  et  du  Sud  de 
l'Amérique  ,  ont  tous  des  canots  dans  lesquels  ils  vont 
h  la  pèche  et' s'aventurent  en  pleine  mer  ;  lorsc  'il  est 
notoire  que  les  Péruviens  étaient  le  peuple  du.  Nou- 
veau-Monde ,  le  plus  instruit  dans  l'ait  de  const;  lire 
les  vaisseaux,  de  les  mater,  et  de  les  conduire  au 
moyen  des  voiles.  Si  les  Péruviens  n'en  faisaient  pa?  ad. 
usage  aussi  universel  que  les  Mexicains,  ce  n'était  pas 
que  leur  pays  manquât  de  bois  propre  à  la  construction 
indienne  ;   mais  parcs  que  la  navigation  ào  Finléiituiv 


CHEZ  LES  PERUVIENS  ET  LES  MEXICAINS,  etc.  3o,5 
était  trop  difficile  et  de  trop  peu  d'utilité-,  que  leurs 
ponts  de  cordes,  suspendus  au-dessus  des  torrens rern- 
plis  de  sinuosités  et  de  rochers  ,  offraient  plus  de  faci- 
lité pour  le  transport  de  leurs  marchandises  ,  et  moins 
de  dangers  que  des  canots,  qui  pouvaient  chavirer, 
échouer  ou  s'écraser  àchaqueinstant  contre  les  rochers; 
qu'au  Mexique  comme  au  Pérou  ,  les  petites  rivières 
étaient  traversées  par  des  ponts  de  bois,  faits.avec  des 
poutres  et  accompagnés  de  bascules  -,  et  que  pour  les 
grandes  rivières,  qui  coulent  avec  la  rapidité  d'un  tor- 
rent ,  les  ponts  de  béjuque  étaient  certainement  une 
des  plus  belles  choses  qu'on  ait  inventées. 

Il  est  à  propos  de  faire  remarquer  en  cette  occasion 
une  nouvelle  preuve  de  la  mauvaise  foi  de  M.  Paw  , 
lorsqu'il  dit  qu'on  se  mettait  au  nombre  de  trois  dans 
ce  panier  ,  puisque  les  Espagnols  y  font  passer  à  la  fois 
plusieurs  mules  chargées  ?  qui  exigent  chacune  au 
moins  un  conducteur,  sans  compter  les  bateliers  pré- 
posés pour  les  passer  d'un  bord  à  l'autre.  Il  se  trompe 
encore,  quand  il  dit  que  toute  autre  nation  que  les 
Espagnols  ,  aurait  construit  des  ponts  dans  ses  posses- 
sions d'Auiéiique  ;  car  les  Portugais  ,  les  Hollandais  , 
les  Français  et  les  Anglais  n'ont  pas  été  plus  prévoyaus 
sur  cet  article. 

Si ,  d'après  la  supposition  de  M.  Paw  ,  s  Les  Péru- 
»  viens  ignoraient  l'art  de  faire  des  voûtes,  et  quand 
a  il^auraier.t  connu  cet  art  ,  le  défaut  de  chaux  le  leur 
çc  eut  rendu  impraticable  ,  »  comment  peut-il  donc 
dire  que  ce  pont  de  cordes  ,  qui  subsistait  4o"o  ans  avant 
la  découverte  du  Pérou  ,  qui  subsiste  encore  de  nos 
jours  ;  qui  évite  de  faire  un  détour  de  ;>ix  ql  sept  jaur- 
rços  pour  aller  paa^ei  ailleurs  3   tout  ce  qui  circule  de 


3g6  ÉTAT     DES      ARTS 

denrées  et  de  marchandises  ,  de  Lima  à  Ouzoo  et  dans 
le  haut  Pérou  ,  soit  un  monument  éternel  de  la  stupi- 
dité et  des  efforts  des  Péruviens  ?  Si  leur  pays  est  en- 
trecoupé de  torrens  qui  roulent  par  des  routes  si  tor- 
tueuses ,  qu'il  y  en  a  quelques-uns  qu'on  doit  passer 
en  ligne  directe  vingt  et  une  fois  ,  tel  que  celui  de 
Chuchunga  ,  peut-on  dire  que  ces  peuples  étaient  des 
imbécirles,  d'avoir  inventé  un  moyen  aussi  extraordi- 
naire  que  ce] ni  des  ponts  de  corde  suspendus  ,  pour 
passer  des  rivières  qu'on  trouvait  à  chaque  pas  devant 
soi ,  et  qu'il  fallait  traverser  encore  ,  après  les  avoir 
traversées  tant  de  fois  ? 

La  manière  dont  il  prétend  que  les  Péruviens  s'y 
sont  pris  pour  construire  ce  pont ,  n'annonce  nulle- 
ment ce  défaut  de  génie  7  cette  nonchalance  ,  cette 
inactivité eteette  faiblesse  qu'il  dit  caractériser  les  Amé- 
ricains. S'il  a  cru-,  par  cette  description  ,  jeter  du  ridi- 
cule sur  ces  peuples  ,  il  s'est  trompé  autant  que  pour- 
rait le  faire  celui  qui  croirait  faire  tort  à  l'usage  des 
pouls  en  pierre ,  en  décrivant  toutes  les  opérations  pé- 
nibles que  requiert  un  ouvrage  semblable. 

«  Telle  est  cette  pitoyable  machine  ,  conclut  M. 
»  Paw  ,  qu'on  voit  aujourd'hui  sur  V  Apurimac  ,  non 
»  qu'elle  ait  subsisté  depuis  Meta-Capac  ,  jusqu'à  nos 
»  jours  -,  mais  elle  se  trouve  dans  le  même  endroit  où 
«  ce  prince  la  fît  faire  ,  et  on  l'a  peut-être  réparée  dé- 
jà puis  ?  plus  de  mille  fois.  » 

Il  faut  avouer  que  les  peut-être  sont  d'une  grande 
ressourceauxliypothèses  de  cet  auîeur!  Quand  onaurait 
réparé  ce  pont  plus  de  mille  fois  depuis  600  ans  qu'il 
exile,  cela  prouve-t-il  que  ce  ne  soit  plus  le  même 
pont  7  et  qu'il  ne  soit  pas  utile?  et  parce    qu'un  dégel 


<,(y,v//'   //V     ('</•</<      //*     /'   y<ff  s'///<tc ,  ff/s  S<  /et 


S/, f /;/<'/;      ,/<■/////.  tt  r    /r,/  ///Yr/v,/  /w  (    //fH'tffftr  . 


CHEZ  LES  PERUVIENS  ET  LES  MEXICAINS  ,  etc.    3p^ 

ou  une  crue  d'eau  aura  emporté  plusieurs  fois  l'arche 
d'un  pont  de  pierres  ,  qu'il  y  aura  fait  chaque  aunée 
un  nouveau  dégât  ,  dira-t-on  pour  cela  que  c'est  un 
misérahle  édifice  qu'on  a  réparé  nombre  de  fois  ,  et 
qui  n'a  pas  subsisté  tel  qu'on  le  voit  ?  Si  les  Espagnols 
n'avaient  pas  reconnu  la  solidité  et  l'utilité  de  ce  pont, 
s'avantureraient-ils  journellement  avec  leurs  mules 
chargées ,  comme  ils  le  font  depuis  environ  3oo  ans  , 
à  passer  au-dessus  des  torrens  impétueux  et  d'une 
rivière  de  800  pieds  de  large  ,  d'une  profondeur  af- 
freuse _,  qui  s'est  fait  un  passage  à  travers  les  rochers  ; 
dans  une  machine  de  20  pieds  carrés  ,  que  M.  Paw, 
appelle  une  corbeille  glissante  ? 

Lequel  enfin  est  le  plus  imbécille  ,  de  l'américain 
qui  a  inventé  ce  pont  volant ,  ou  de  l'européen  qui 
s'en  sert ,  plutôt  que  d'en  faire  un  autre  plus  solide  ? 
Qui  veut  trop  prouver,  par  fois  ne  prouve  rien,  et 
fort  souvent  prouve  contre  lui-même. 

Il  trouve  extraordinaire  que  les  JMissoiwis  aient 
cru,  sur  la  parole  d'un  marchand  français,  que  la 
poudre  à  canon  ,  cette  découverte  du  i4e.  siècle  , 
pouvait  être  la  graine  de  quelque  plante  :  cela  n'est  pas 
surprenant ,  puisque  les  grains  de  la  poudre  à  canon 
ont  quelque  ressemblance  avec  la  graine  sèche  dé  l'in- 
di^t  ,  que  produisait  leur  pays.  Mais  M.  Paw  n'a  pas 
vouir  être  assez  franc  pour  nous  dire  ,  comme  ils  se 
sont  vengés  de  cette  tromperie.  Eh  bien ,  je  vais  sup- 
pléer à  n  silence!  Quand  ils  eurent  su  qu'un  autre 
marchai  français  ,  qui  était  l'associé  de  celui  qui  les 
avait  attrapés,  était  venu  chez  eux  ,  ils  dissimulèrent , 
et  lui  prêtèrent  la  cabane  publique  pour  y  étaler  ses 
ballots.  Ausi    (H  qu'il  eut  fini ,  ils  y  entrèrent  en  tu- 


398  ÉTAT     DES     ARTS 

multe  et  emportèrent  tous  les  effets  dont  ils  purent 
s'emparer.  Le  marchand  se  récria  contre  un  pareil  pro- 
cédé ;  il  s'en  plaignit  au  grand  chef,  qui  lui  répondit 
d'un  airgiave  :  «  Ton  frère  a  trompé  ma  nation  ;  il  a 
»  emporté  nos  fourrures  en  échange  de  la  poudre  à 
j>  canon  ,  qu'il  nous  a  engagé  de  semer,  si  nous  vou- 
»  lions  en  avoir  une  quantité  suffisante  pour  repousser 
»  tous  nos  ennemis.  Je  promets  de  te  dédommager 
»   sitôt  que  la  récolte  en  sera  faite.  » 

Cette  décision  valait  bien  la  ruse.....  Les  Européens 
n'ont-ils  pas  commis  des  bévues  semblables  ?  Ne  s'é- 
taient-ils pas  ligures  que  le  coton  croissait  comme  le 
chanvre  ?  Sous  Héliogabale  ,  les  Romains  en  220  , 
ainsi  que  les  autres  peuples  de  l'Europe  ,  ne  s'étaient- 
ils  pas  imaginés  que  la  soie  poussait  comme  le  coton  ? 
Dans  le  17.^  siècle,  une  marchande  de  Saint-Malo  , 
correspondante  d'une  dame  dé  la  Martinique,  n'avait- 
elle  pas  engagé  cette  dame  à  planter  beaucoup  de 
caret  (  écaille  de  tortue  de  mer  dont  on  fait  les  taba- 
tières et  autres  ouvrages),  parce  que  ce  fruit ,  disait- 
elle,  se  vendait  plus  cher  que  le  tabac,  et  ne  pourris- 
sait pas  dans  le  vaisseau  pendant  la  traversée. 

En  i£i4  ,  des  Anglais  ne  m'ont-  ils  pas  demandé  a 
Thame,  et  dans  un  pensionnat  de  demoiselles,  tenu 
par  le  révérend  père  Plaskett ,  a  un  tiers  de  lieue 
de  cette  ville  ,  dans  le  comté  d'Oxford,  «  Si  les  choux 
»  et  les  arbres  croissaient  en  Amérique  de  même 
»  qu'en  Angleterre,  et  comment  les  hommes  faisaient 
j)  pour  marchersur  un  sol  si  brûlant,  qu'il  cuit  les  œufs 
»  qu'on  j  laisse  exposés  au  soleil.  » 

J'avoue  qu'une  demande  semblable,  dans  le  rayon 
de  l'université  d'Oxford,  me  surprit  grandement.  Je 


CHEZ  LES  PERUVIENS  ET  LES  MEXICAINS  ,  etc.    3gg 

crus  devoir  m'amuser  un  instant  de  leur  simplicité,  en 
leur  parlant  de  productions  capables  d'augmenter  leur 
éîonnement  et  leur  admiration  pour  un  pays  aussi  ex- 
traordinaire. Je  leur  répondis  que  les  choux  poussaient 
sur  le  haut  des  arbres,  qui  avaient  70  pieds  d'éléva- 
tion; qu'on  ne  pouvait  les  couper  qu'à  coups  dé  hache, 
(ce  qui  est  vrai,  quant  aux  palmistes);  que  pour  ce 
qui  concernait  les  arbres,  les  uns  allaient  se  planter 
d'eux-mêmes   sur   le  trortc  des   autres   arbres  ;    qu'ils 
étouffaient  a  la  longue  ceux  sur  lesquels  leurs  graines 
étaient  tombées  ;  que  leurs  racines  partaient  du  som- 
met des  arbres  qui  lés  avaient  reçus ,  pour  aller  s'en- 
foncer dans  là  terré   (  ce  qui  est  encore  vrai  pour  le 
figuier  maudit,  le  mapou  et  quelques  arbres  para- 
sites); que  d'autres,  après  avoir  élevé  leurs  rameaux 
laissaient  pendre  jusqu'à   terre ,  des  filamens  qui  s'y 
couchaient,  y  prenaient  racine,  et  produisaient  de  nom- 
breux rejetons  qui  formaient  des  espèces  d'arcades  de 
cinq  et  de  dix  pieds  d'élévation,  et  présentaient  un© 
terrasse   naturelle  à  jour  ,  sur  laquelle  on  pouvait  se 
promener  ;  de  manière  qu'un  seul  arbre  pouvait  de- 
venir la  source  de  toute  une  forêt  ;  (  ce  qui  est  la  vé- 
rité yourle palestuvier,  le  mànglier,  etc.  )  Mais  que  la 
chaleur  n'était  pas  aussi  forte  qu'on  le  disait ,  puisque 
les  hommes  et  les  animaux  restaient  toute  la  journée 
exposés  à  l'ardeur  du  soleil ,  sans  en  être  incommodés. 
Ils  me  remercièrent,  et  sans  plus  d'examen,  ils  pu- 
blièrent que  les  choux  poussent   en  Amérique  sur  la 
cime  des  arbres,  qu'on  ne  peut  ies  couper  qu'à  coups 
de  haches  ;  que  les  arbres  se  plantent  d'eux-mêmes 
sur  le  sommet  les  uns  des  autres ,  et  que  leurs  racines 
partent  dé  cette  paï£e  pour  s'enfoncer  dans  la  terre, 


4oO  ÉTAT    DES     ARTS 

et  souvent  de  leurs  brandies,  pour  former  des  forêts. 
Voilà  cependant  comme  on  induit  souvent  en  erreur 
tin  public  trop  crédule,  et  qu'il  est  ensuite  si  difficile 
de  l'en  faire  revenir. 

Que  dira  M.  Paw  lorsqu'il  saura  que  sur  180  officier* 
français,  prisonniers  de  guerre  à  Thame,  il  en  est  peu 
à  qui  les  marchands  et  les  fermiers  anglais,  qui  lisent 
tous  les  jours  les  papiers-nouvelles,  et  dont  les  com- 
patriotes ,  depuis  nombre  de  siècles  ,  parcourent  la 
France,  n'aient  demandé,  en  1812,  si  on  labourait  la 
terre  en  France  comme  en  Angleterre  -,  s'il  y  avait  des 
vaches,  des  moutons,  du  bled,  des  pommes  de  terre 
et  des  navets-,  et  à  qui  les  Français,  pour  s'amuser  de 
leur  ineptie,  n'aient  répondu  que  c'était  pour  avoir 
de  ces  objets  que  le  gouvernement  de  France  faisait  la 
guerre  aux  Anglais  pour  les  punir  du  refus  qu'ils  fai- 
saient de  les  lui  vendre  de  gré  à  gré. 

Qu'à  Odiam  (ville  du  Hamshire,  d'antres  Anglais 
ayant  demandé  à  des  officiers  français,  détenus  sur 
parole  dans  cette  ville,  s'il  y  avait  en  France  un  soleil 
et  une  lune  comme  en  Angleterre,  ceux-ci  leur  ont 
répondu  qu'il  y  avait  six  soleils  et  quatre  lunes.  Par- 
bleu !  s'écrièrent-ils,  nous  ne  sommes  plus  étonnés ,  si 
votre  pays  est  aussi  beau  et  aussi  fertile  qu'on  le  dit. 

Je  ne  finirais  pas  si  je  voulais  rapporter  toutes  les 
sottises  de  ce  genre,  toutes  celles  qui  ont  occasionné 
en  Europe  les  anathêmes  du  Vatican-  qui  ont  fait 
éprouver  les  funestes  effets  de  la  barbarie  inquisito- 
riale,  et  qui  ont  fait  donner  par  les  Nègres  eux-mêmes, 
le  surnom  de  moutons  de  France  ou  de  hJaiics-<la,iday 
à  tous  les  Européens  qui  arrivent .  pour  la  première 
fois  aux  Antilles  j  conclurai-je  pour  cela  qne  les  Eiuor 


CHEZ  LES  PÉRUVIENS  ET  LES  MEXICAINS  ,  etc.     4oi 

péens  sont  plus  bornés  que  nos  esclaves  noirs?  Non, 
sans  doute;  car  quoiqu'il  n'y  ait  point  de  règle  sans 
exception,  cependant  on  est  obligé  de  convenir  que 
les  Européens  ont  fait  des  progrès  réellement  surpre- 
nans  dans  les  arts  et  dans  les  sciences,  et  qui  attestent 
qu'ils  soient  loin  de  manquer  de  génie. 

Qu'importe  après  tout  que  les  nations  éclairées  se 
vantent  d'avoir  réuni  cbez  elles  tous  les  arts  et  toutes 
sciences;  n'est-ce  pas  à  des  sauvages  ou  à  des  hommes 
ignorés  que   nous  devons  les  premières  observations 
qui  les  ont  fait  connaître  ?  Ce  n'est  ni  aux  Grecs  ni 
aux  Romains  policés,   mais  a  des  peuples  que  nous 
nommons  barbares,  que  nous  devons  l'usage  des  sim- 
ples ,  du  pain,  du  vin,  des  animaux  domestiques,  des 
toiles,  des  teintures,  des  métaux,  et  de  tout  ce  qu'il 
y  a  de  plus  utile  et  de  plus  agréable  dans  la  vie  hu- 
maine. Celui  qui  inventa  l'imprimerie  est  si  peu  connu  , 
que  l'Allemagne ,  la  Hollande  et  la  Chine  s'en  attri- 
buent l'invention.    Galilée  n'eût  point  calculé  la  pe- 
santeur de  l'air  sans  l'observation  d'un  fontainier,  qui 
remarqua  que  l'eau  ne  pouvait  s'élever  qu'à  trente- 
deux  pieds  dans  les  tuyaux  des  pompes   aspirantes.7 
Newton  n'eût  point  lu  dans  les  cieux,  si  des  enfans, 
en  jouant  en  Zélande  avec  les  verres  d'un  lunetier  , 
n'eussent  trouvé  les  premiers   tuyaux  du  Télescope. 
C'est  au  hasard  <pi€  Masso  Finiguerra  ,  orfèvfe  de 
Florence,  fut  redevable,  en  i448,  de  la  découverte  de 
la  gravure  eu  taille-douce.  C'est  ati  pâtre  qui  ramassa 
le  diamant  brut ,  sans  en   connaître  le  prix ,  que  lé 
lapidaire  doit  sa  gloire  et  sa  fortune;  c'est  encore  au 
hasard  que  Aloys  Sennefelder ,   médiocre  chanteur 
de  chœur  du  théâtre  de  J\Junich ,  dut  la  découverte  de 

TO.MÏ  2,  26 


402  ETAT     DES     ARTS,    etc. 

la  lithographie;  c'est  par  la  même  cause  que  Lippers- 
Jiem  de  Middlebourg,  et  non  Me  dus ,  devint  l'inven- 
teur des  lunettes  longues-vues;  l'artillerie  n'eût  point 
subjugué  l'Amérique,  si  un  moine  oisif  n'eût  trouvé 
par  hasard  la  poudre  à  canon;  les  croisades  n'eussent 
point  introduit  en  Europe  les  délices  de  la  tasse  d'un 
moine  mahométan,  si  la  nature  n'eût  pas  montré  à 
un  denviche  l'arbre  du  café  dans  les  montagnes  de 
l'Yémen  ;  la  conquête  du  Mexique  n'eût  point  fait 
connaître  à  l'Europe  le  prix  du  chocolat,  si  un. Mexi- 
cain n'en  eût  pas  offert  à  un  Espagnol  affamé;  la  prise 
du  Brésil  ne  lui  eût  point  dévoilé  la  douceur  de  sucre, 
et  l'usage  de  tant  de  substances  agréables  et  de  remè- 
des salutaires,  si  le  généreux  Américain  n'en  eût  pas 
fait  connaître  l'utilité;  sans  un  Caraïbe,  l'Europe  igno- 
rerait le  parfum  et  la  vertu  du  tabac,  la  plante  la  plus 
céphalique  qu'il  y  ait  dans  le  règne  végétal,  et  dont 
l'usage  est  le  plus  universellement  répandu  de  toutes 
celles  qui  existent  sur  le  globe ,  sans  en  excepter  la 
vigne  et  le  blé,  puisqu'on  la  cultive  jusqu'en  Finlande, 
au-delà  de  Vibourg,  par  le  61. e  degré  de  latitude 
nord. 

Quand  on  considère  que  la  Perse  n'a  plus  de  Sddi 
et  de  Lockman;  la  Sicile,  à.' Archimède  j  Athènes, 
d1 Anacréon  ,  à? Aristote ,  de  Zeuxis  ,•  la  Grèce  ,  de 
Pythagore  ,*  que  Cicéron  demandait  en  plaisantant  à 
son  frère  Quintus  ,  lieutenant  de  César ,  s'il  avait 
trouvé  de  grands  philosophes  en  Angleterre,  il  ne  se 
doutait  pas  que  ce  pays  pût  produire  un  jour  des  ma- 
thématiciens qu'il  n'aurait  jamais  pu  entendre;  quand 
on  considère,  dis-je,  que  l'Europe  elle-même  est  re-* 
tombée  plusieurs  fois  dans  la  barbarie;  ne  peut-on  pas 


l'hospitalité.  4o3 

supposer  que  l'Amérique  "a  pu  avoir  éprouvé  une  ré- 
volution semblable,  et  que  les  Américains  à  leur  tour 
viendront  peut-être  un  jour  enseigner  les  arts  aux 
peuples  de  l'Europe,  comme  ils  leur  ont*  déjà  appris 
l'usage  du  tabac,  du  quinquina 3  de  Yipécacuanha, 
du  simarouba ,  de  la  salsepareille ,  de  la  gomme-copal, 
du  gayac  j  du  sassafras ,  de  plusieurs  autres  plantes 
médicinales-  comme  ils  leur  ont  appris  à  cultiver  la 
pomme  de  terre  et  le  maïs,  à  s'en  faire  un  aliment 
ainsi  que  du  chocolat _,  des  tomates ,  des  ananas  ,  du 
piment,  des  dindes ,  et  ce  qui  n'est  pas  moins  essentiel, 
qu'on  peut  subsister  paisiblement  sous  le  régime  de 
la  liberté  et  de  l'égalité,  gouvernement  inconnu  au 
ig.e  siècle,  à  l'Europe  savante. 

CHAPITRE    IV. 

Il  Hospitalité. 

Peut-on  lire  sans  étonnement,  pour  ne  pas  dire 
sans  indignation  ,  les  raisonnemens  singuliers  que 
M.  Paw  entasse  pour  prouver  que  l'bospitalité  est  un 
besoin  impérieux  cbez  les  sauvages,  et  un  manque  de 
police  chez  les  nations  civilisées.  Quoi  !  un  sentiment 
qui  nous  fait  compatir  aux  besoins  de  nos  semblables, 
qui  nous  rapproclie  du  malheureux  pour  lui  tendre  une 
main  secourable,  pour  l'empêcher  de  succomber  sous 
le  poids  de  ses  privations  ;  d'attenter  par  désespoir  à 
la  vie  de  ses  concitoyens  insensibles  à  ses  maux ,  est 
un  crime  de  lèze-civilisalion  aux  yeux  de  cet  écrivain  ? 
Est -il  croyable  que  son  injuste  prévention  contre 
l'Amérique,  lui  fasse  oublier  un  des  premiers  préceptes 

26.. 


4o4  l'itospitalité. 

de  sa  religion  :  «  Aimer  son  prochain  comme  soi-» 
m  même ,  »  et  regarder  l'hospitalité  comme  un  devoir 
qui  ne  doit  exister  que  chez  les  sauvages  !  Il  ignore  , 
on  le  voit  bien,  cette  jouissance  des  âmes  sensibles  et 
-bien  nées  ! 

Aurait -il   prétendu  jouer  le  Démocrite   moderne? 
Trouver  qu'on  est  dupe,  je  ne  dirai  pas  de  se  tour- 
menter, mais  de  s'appitoyer  sur  les  maux  des  autres; 
qu'il  n'y  a  pas  de  l'inhumanité  à  refuser  des  secours 
aux  indigens,  à  s'endurcir  contre  leurs  souffrances  ou 
à  s'en  amuser  ?  Je  suis  cependant  loin  de  penser  qu'il 
-vaut  mieux  imiter  Héraclide  à  qui  toutes  nos  actions 
semblaient  tragiques-,  car  ce  serait  montrer  bien  inu- 
tilement de  l'inhumanité ,  que  de  pleurer  et  de  com- 
poser son  visage,  parce  qu'un  homme  aura  fait  une 
perte ,  ou  se  trouve  privé  des  faveurs  de  la  fortune.  Dans 
ce  cas-là,  il  serait  plus  digne  d'un  homme   de  dire 
comme  le  poëte  Simonide,  omnia   mecum  porto,  ou 
comme  Zenon  le  stoïcien ,  en   apprenant  qu'un   nau- 
frage avait  englouti  ses  biens ,  «  La  fortune  veut  que 
»  je  me  livre  à  la  philosophie  sans  embarras,  »  parce 
que  dans  les  maux  il  faut  savoir  ne  donner  à  la  dou- 
leur que  le  tribut  qu'elle  demande,  et  non  celui  que 
prescrit  la  coutume  ;  et  que  la  mauvaise  habitude  de 
se  régler  sur  l'opinion  est  tellement  enracinée,   que 
l'on  contrefait  jusqu'au  sentiment  le  plus  naturel,  je 
veux  dire  celui  de  la  douleur. 

Comment  M.  Paw  a-t-il  pu  établir  comme  objet  de 
comparaison  ,  la  paresse  des  moines  mendians  de  l'Eu- 
rope ,  à  qui  l'on  donnait  souvent  plus  qu'ils  ne  méri- 
tent, et  qu'ils  ne  peuvent  consommer;  et  l'hospi- 
talité des  sauvages  du  nord  de  l'Amérique,  qui  chassent 


L*  HOSPITALITÉ.  4o5 

quelquefois  des  journées  entières,  avant  d'avoir  tué  le 
gibier  qu'ils  poursuivent  ?  Il  ne  sait  pas  que  le  moine 
mendiant  ne  donne  aux  pauvres  du  lieu  où  il  se  trouve  , 
que    le  superflu   des  comestibles  qu'il   ne    peut   con- 
sommer, et  qui  ne  lui  coûtent  aucune  peine  à  obtenir 
de  la  superstition  de  ceux  qui  lui  font  l'aumône  5  mais 
que  l'Américain  du  nord,  au  contraire,  compte  pour 
rien  la  peine,  les  fatigues  et  les  privations,  lorsqu'il 
s'agit  de  soulager  un  voyageur  affamé-,  qu'il  sait  bien  ' 
qu'il  n'a  rien  à  espérer  de  la  pitié  de  ceux  qui  sont 
plus  riclies  que  lui,  et   sur-tout   des   peuples  policés 
avec  lesquels  il  n'est  pas  en  relation  ,  puisque  ceux  avec 
lesquels  il  trafique  n'ont  pas  de  bonté  de  le  tromper. 

Plus  généreux  que  l'Européen  maniéré,  il  ne  fait 
pas  l'affront  à  son  hôte  de  le  bannir  de  sa  table,  pour 
le  faire  manger  avec  ceux  qui  sont  chargés  des  fonc- 
tions les  plus  abjectes  de  la  famille  :  il  ne  l'oblige  pas 
d'avoir  recours  à  la  ruse  du  parasite  Gelasimus >  qui, 
pour  engager  Epignome  de  le  prier  à  souper,  lui  di- 
sait :  «  Je  ne  demande  pas  d'avoir  place  sur  des  lits  , 
»  vous  savez  que  je  suis  du  nombre  de  ceux  qu'on  fait 
»  manger  sur  les  bancs.  » 

«  Haud  postulo  eauidem  sumnio  in  lecto  accumbere  ; 
<f  Scis  tu  me  esse  imi  sulseH'ù  virum » 

(  Sticus  ,  de  Plaute  ,  act.  3 ,  scèn.  2  ,  vers  32  et  33.  ) 

Il  l'admet  sans  façon  à  sa  table,  et  ne  l'assaille  point 
de  questions  fatigantes  et  humiliantes.  Il  le  laisse  par- 
tager paisiblement  la  sagamite  et  les  viandes  cuites 
de  sa  famille,  tant  qu'il  y  en  a;  et  lorsque  les  provi- 
sions tirent  à  leur  fin,  il  le  conduis  dans  une  autre 
cabane  où  il  trouve  les  mêmes  secours,  des  alimens 


4o6  l'hospitalité; 

simples  et  non  corrompus  par  l'art  et  la  délicatesse  ,  et 
qui  valent  mieux  que  \e garum  sociorum  des  Romains, 
cette  saumure  faite  du  sang  corrompu  du  scomber  ou 
maquereau,  et  des  poissons  les  plus  malsains.  (Seneque, 
pag.  34i  ,  vol.  i.  ) 

Plus  sobres  que  ces  Romains  policés,  on  ne  voit  pas 
les  Américains,  comme  des  parasites  gloutons,  dévorer 
tout  ce  qu'on  leur  présente,  ni  mériter  le  surnom 
honteux  de  Peniculus ,  pour  savoir  nettoyer  une  table 
comme  il  faut. 

- 

«  Ju<>e:itus  nomen  fecit  penîcula  mihi 

«  Ideo  quia  mensam  ,  ijuando  edo  ,  delergo  ! 

(  Act.  i ,  scèn.  1  ,  vers  1  et  2,  des  Méiiéchmes  ,  de  Plaute.  ) 

On  ne  trouve  pas  non  plus  chez  eux,  de  ces  esclaves 
appelés  Servi  peniculi ,  chargés  ,  avec  une  longue 
éponge  ou  balai  en  queue  de  renard,  appelés  penicu- 
lus, d'essuyer  dans  leurs  maisons  ou  au-deliors  ,  les 
traces  de  l'ivresse  des  convives  mâles  et  femelles. 
(SenÈqtje,  pag.  236,  vol.  n.) 

«  Peniculi  ^  dit  Festus ,  spongiœ  longœ  propter 
s  similitudinem  caudarwn  appelîatœ.  »  (,De  Verbo- 
rum  Significat, 7 lib.  i4,  voce  Peniculi.) 

En  Europe,  le  mendiant  ordinaire,  quand  on  lui 
épargne  un  regard  d'horreur,  de  mépris  ou  un  refus 
dur,  ne  reçoit  le  plus  souvent  que  des  vœux  stériles, 
comme  Dieu  vous  assiste  !  en  Amérique,  un  sauvage 
a-t-il  le  malheur  de  ne  pas  réussir  à  la  chasse,  ses  ca- 
marades le  secourent  sans  en  être  priés.  Si  son  fusil  se 
crève  ou  se  brise,  on  lui  en  procure  un  autre,  sans  lui 
faire  promettre  de  restituer  l'équivalent  de  ce  qa'il  a 
reçu. 


l'hospitalité.  407 

Je  ne  vois  rien  que  d'humain  et  de  naturel  dans  la 
conduite  des  Américains  du  nord-,  je  ne  vois  pas  qu'il 
soit  nécessaire  de  se  mettre  l'esprit  à  la  torture,  comme 
M.  Paw  fait,  pour  nous  dire  (pag.  261  et  262  dn  3.« 
vol.)  :  «  Ceci  est  Lien  dans  les  mœurs  d'un  peuple 
»  errant,  où  l'on  suppose  que  l'hospitalité  ne  doit  pas 
»  s'étendre  au-delà  du  temps  dont  les  voyageurs  ont 
»  besoin  pour  se  reposer  ;  cette  hospitalité  n'est  donc 
»  pas  celle  que  les  anciens  Romains  exerçaient  envers 
»  leurs  amis  !  » 

Quel  raisonnement  pour  un  homme  instruit  !  Il 
n'appartient  qu'à  l'auteur  des  Recherches  sur  les  Amé- 
ricains ,  d'ignprer  qu'on  fait  pour  ses  amis  ce  qu'on  ne 
fait  pas  pour  des  étrangers  qu'on  n'a  ni  vus  ni  connus, 
et  qu'on  ne  reverra  peut-être  jamais;  ce  qui  est  le  cas 
des  sauvages  du  nord  et  du  sud  envers  les  Européens  : 
quant  à  l'hospitalité  des  anciens  Romains,  il  prouve 
qu'il  n'a  jamais  bien  connu  leurs  mœurs  ,  comme 
nous  le  verrons  un  peu  plus  bas. 

«  Chez  les  peuples  civilisés,  ajoute-t-il  (pag.  262 
»  du  3.e  vol.)  ,  les  affaires  pour  lesquelles  on  voyage, 
»  exigent  souvent  un  long  séjour-,  chez  les  sauvages, 
»  on  n'a  point  d'affaires  qui  exigent  un  long  séjour: 
»  un  Huron  qui  est  à  la  chasse,  et  un  Taitare  qui  est 
»  en  course,  ne  s'arrêtent  guère  au-delà  d'une  nuit  et 
»   d'un  jour  dans  le  même  endroit.  » 

Ils  sont  en  cela  plus  sages  que  les  Européens  qui  , 
avec  toute  leur  civilisation ,  abusent  souvent  de  la  com- 
plaisance de  ceux  qui  les  reçoivent.  M.  Paw,  qui  a  bien 
voulu  nous  apprendre  que,  chez  les  peuples  civilisés, 
les  affaires  pour  lesquelles  on  voyage,  exigent  souvent 
un  plus  long  séjour,  aurait  dû  pousser  la  compiaisan-ce 


£°8  l'hospitalit£ 

jusqu'à  nous  informer  de  la  manière  dont  les  Romain» 
exerçaient  l'hospitalité.  Pour  éviter  un  oubli  sembla- 
ble, je  vais,  avant  de  lui  dire  comment  elle  se  pratique 
dans  les  parties  civilisées  de  l'Amérique,  lui  montrer 
comment  les  sauvages  du  Brésil  l'exercent. 

Quand  il  arrive  un  étranger  chez  eux,  les  femmes 
l'accablent  de  complimens ,  et  lui  lavent  les  pieds  s'il 
est  fatigué.  On  lui  sert  une  grande  quantité  d'alimens 
et  on  est  attentif  à  tout  ce  qu'il  peut  désirer. 

Aux  Florides,  les  étrangers  sont  reçus  avec  beau- 
coup d'affabilité  ;  on  leur  prodigue  tout  ce  qu'on  a  de 
meilleur.  » 

Dans  les  parties  civilisées  de  l'Amérique,  !es  créoles 
du  continent,  ainsi  que  ceux  des  Antilles,  se  font  un 
plaisir  et  même  un  devoir  d'exercer  l'hospitalité  envers 
tout  le  monde  indistinctement.  Cette  vertu  chez  eux  a 
sa  source  dans  la  générosité  et  la  sensibilité  de  leurs 
cœurs  ;  tandis  que  chez  les  Européens,,  l'ostentation  ou 
l'intérêt  le  plus  souvent  en  est  le  principe.  L'esclavage 
serait  un  reproche  fondé  qu'on  pourrait  leur  faire,  s'ils 
en  étaient  les  auteurs ,  et  s'il  n'était  maintenu  que  par 
leur  autorité.  Il  faut  #n 'a  voir  jamais  séjourné  sur  les 
plantations ,  il  faut  ignorer  que  les  économes  et  les 
gérants  sont  des  Européens,  et  ne  pas  connaître  le  ca- 
ractère généralement  faux ,  paresseux  et  voleur  du 
nègre,  pour  exagérer  les  châtimens  qu'on  inflige  aux 
Africains,  et  les  attribuer  aux  créoles  propriétai- 
res, qui  ne  sont  instruits  de  ce  qui  se  passe  entre  leurs 
esclaves  et  leurs  économes  ou  gérans ,  que  par  la  bou- 
che de  ces  derniers ,  qui  ne  manquent  pas  d'argumens 
pour  justifier  leur  sévérité  et  leur  cupidité. 

Il  en  est  de  même  des  économes  auprès  de*  habi^ 


L  V  HOSPITALITE  4op 

tans,   comme  avec  l'officier  ,  l'adjudant  ou  le  sergent , 
qui  en  veut  à  un  soldat;  ils  savent ,  par  leur  rapport,- 
surprendre  la  crédulité  du  colonel,   pour  faire  fermer 
les  yeux  sur  les  chàtimens  et  les  injustices  qu'on  fait 
éprouver  à  ce  pauvre  soldat. 

Quand  un  habitant  vient  à  découvrir  que  son  nè- 
gre a  été  injustement  puni ,  et  que  l'économe  est  d'une 
sévérité  déplacée,  il  le  renvoie  et  en  prend  un  autr«r 
moins  barbare.  Tous  les  besoins  physiques  du  nègto 
sont  prévus  durant  sa  maladie  ou  dans  son  état  de 
santé;  il  a  sa  femme,  ses  enfans,  sa  maison,  sa  vo- 
laille, ses  cochons,  ses  chevaux,  son  jardin  particu- 
lier; celui  du  maître  pourvoit  à  sa  nourriture  et  à 
celle  de  ses  volailles  et  de  ses  cochons;  ses  chevaux 
mangent  la  même  herbe,  et  dans  la  même  savane  que 
ceux  de  son  maître  ;  il  danse  chaque  fois  qu'il  en 
demande  la  permission ,  ce  qui  a  lieu  les  samedis  et 
les  dimanches.  Cette  mesure  est  nécessaire  pour  le 
maintien  du  bon  ordre,  parce  que  les  calendas,  ou 
danses  africaines,  exigent  un  grand  concours  de  noir3, 
et  qu'ils  se  battent  quand  ils  sont  échauffés  par  îa 
danse  ou  l'eau-de-vie.  Enfin ,  dans  le  courant  de  la 
semaine  et  tous  les  dimanches ,  le  nègre  Ya  à  la  ville 
faire  ses  petites  affaires  et  assister  au  service  divin  , 
lorsqu'il  n'y  a  point  de  prêtre  sur  l'habitation  à  la^ 
quelle  il  appartient. 

Lorsqu'un  Européen  arrive  dans  une  des  Antilles  ; 
s'il  débarque,  par  exemple,  au  Cap  Français ,  dans 
l'ile  de  Saint-Domingue,  cette  nouvelle  Tarsis  où  Sa- 
lomon  puisait  son  or  et  ses  richesses,  l'habitant  auquel 
il  a  été  recommandé  ,  l'envoie  chercher  dans  une  de 
ses  voitures,  le  garde  chez  lui  aussi  long-temps  qu'il 


4io  l'hospitalité. 

juge  à  propos  d'y  rester.  Pendant  son  séjour,  le* 
voitures,  les  chevaux,  les  domestiques  de  cet  habitant 
sont  à  son  service.  Les  créoles,  qui  ont  toujours  au- 
près d'eux  un  sérail  de  jeunes  filles  destinées  à  les 
servir  à  table  et  à  présenter  aux  étrangers  les  raf- 
fraîchissemens  qu'ils  désirent,  voyent  sans  jalousie 
l'Hébé  qui  a  frappé  les  yeux  du  nouveau-venu,  lui 
montrer  l'appartement  qui  lui  est  destiné ,  lui  pré- 
parer ses  bains  aromatiques ,  et  lui  fournir  le  linge  dont 
il  peut  avoir  besoin. 

Plus  il  prolonge  son  séjour,  pins  le  plaisir  de  l'ha- 
bitant augmente.  Si,  malgré  toi,::  ,  ses  affaires  l'obli- 
gent à  se  rendre,  je  suppose,  au  bourg  de  Cavail- 
lon,  qui  est  à  1 38  lieues  du  Cap-Fraûçâis  -,  le  chaV 
griii  alors  succède  au  plaisir,  et  la  tristesse  du  cœur  de 
cet  Américain  est  peinte  sur  son  visage.  Enfin,  lors- 
qu'après  bien  des  sollicitations ,  il  n'espère  plus  rete- 
nir son  bote  ,  la  sincérité  de  ses  discours  est  scellée 
par  des  preuves  non  équivoques;  il  lui  fait  des  pré- 
sens en  fruits,  en  tout  ce  qu'il  a  en  sa  disposition,  et 
l'expédie  dans  une  de  ses  voitures,  avec  une  lettre 
de  recommandation ,  pour  un  autre  habitant  de  ses 
amis  chez  lequel  il  reçoit  le  même  accueil;  celui-ci 
l'envoie  chez-  un  autre  de  ses  amis,  et  ainsi  de  suite  , 
jusqu'à  ce  que  le  nouveau  débarqué  soit  parvenu  à 
sa  destination.  Combien  n'a-t-on  pas  vu  de  chevaliers 
d'industrie  faire  ce  manège  pendant  nombre  d'années, 
jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  ramassé  de  quoi  vivre  agréa- 
blement. Le  créole  ne  l'ignore  pas-,  il  le  plaint  ,  il  ne 
voit  que  son  semblable   et   le  plaisir   de  l'obliger 

Quand  un   Européen  ;  qui  a  été  recommandé   à  un 
habitant,  tombe  malade  à  son  arrivée >  le  créole  cliea 


l'hospitalité.  4n 

lequel  il  se  trouve,  le  garde  cliez  lui  et  ne  l'envoie  pas 
en  ville  pour  y  être  traité  hors  de  sa  vue;  il  lui 
prodigue  tous  les  soins  imaginables  ;  remèdes,  visites 
de  médecin,  confitures  ,  friandises  ,  gibier,  poisson, 
consommés,  vins  vieux,  rien  n'est  épargné  :  veilleuse 
de  nuit,  de  jour,  domestiques  pour  les  bains,  pour 
le  lit,  la  chambre;  draps,  linge  de  corps,  tout  est 
prévu  pour  aller  au-devant  du  moindre  besoin  ,  du 
plus  petit  désir  du  malade.  Aussitôt  qu'il  est  réta- 
bli ,  ce  sont  de  nouvelles  fêtes  ,  des  bals ,  des  concerts , 
des  barbacos  (parties  de  plaisir  le  long  de  la  rivière, 
dans  une  bananene  où  les  hommes  et  les  femmes  mo- 
destement couverts ,  se  baignent,  s'amusent  à  se  faire 
des  espiègleries,  sans  craindre  d'effaroucher  ces  ai- 
mables naïades ,  ni  d'éprouver  le  sort  d'Actéon  ). 
On  y  déjeûne,  on  y  diue  au  milieu  des  roses,  des 
chèvrefeuilles  ,  des  orangers  chargés  de  fruits  et  de 
fleurs-,  des  ananas  parfumés,  des  sapolilliers  avec  leurs 
fruits  sucrés,  des  bananiers  courbés  sous  le  poids  de 
leurs  bananes  savoureuses-,  et  le  soir,  lorsqu'on  est 
de  retour  au  logis,  on  termine  la  fête  par  un  souper 
splendide,  comme  si  l'on  avait  sauvé,  dans  cet  étran- 
ger, un  père  ou  un  frère.  Ces  amusemens  sont  plus 
d'un  peuple  civilisé  que  les  jeux  floraux  des  Romains, 
où  les  femmes  dansaient  nues  devant  le  peuple 
assemblé. 

A  son  départ  ,  on  lui  fait  promettre  de  venir  pas- 
ser quelques  jours  sur  l'habitation  ,  toutes  les  fois  que 
ses  affaires  le  lui  permettront.  Voilà  tout  ce  que  le 
Créole  sollicite  en  retour  de  ses  bontés  et  de  ses  gé- 
néreux soins.  Le  voyageur  pauvre  y  est  traité  avec 
des  égards  non  moins  marqués  >  tombe-t-il  malade, 


éi-a  l'hospitalité. 

on  le  traite  comme  un  enfant  de  la  maison ,  et  s'il  se 
trouve  embarrassé  pour  son  existence,  l'habitant  lui 
offre  ou  lui  procure   une  place. 

L'hospitalité  ,  dans  les  colonies  espagnoles ,  est  telle 
qu'un  européen  qui  arrive  sans  recommandation  et 
sans  moyens  pécuniaires,  est  sûr  de  trouver  du  secours. 
S'il  débarque  dans  quelque  port  pour  cause  de  ma- 
ladie, le  plus  pauvre  habitant  de  Sigès  ou  de  Vigo,  est 
assuré  d'être  reçu  dans  la  maison  d'un  Pulpero  (pe- 
tit marchand  )  catalan  ou  galicien ,  soit  qu'il  arrive  au 
Chili,  au  Mexique  ou  aux  îles  Philippines.  Cette 
hospitalité  n'a  pas  encore  diminué  d'une  manière  sen- 
sible ,  depuis  le  premier  établissement  dans  le  Nou- 
veau-Monde (voy.  le  Voyage  de  M.  Humboldt  aux 
jRégions  équinoxiales  du  Nouveau-Continent  ). 

Etait-ce  ainsi,  M.  Paw,  que  les  Romains  exerçaient 
l'hospitalité?  Non,  sans  doute!  Ils  avaient  des  fous  et 
«les  bouffons  ,  tels  qu'on  en  voyait  à  la  cour  de  nos 
rois.  Ces  misérables  (  dit  Pline ,  liv.  9,  épist.  17  )  vol- 
tigeaient sans  cesse  autour  des  tables  «  Scurrœ,  ci- 
»  jxœdi  moriones  mensis  inerrahant ;  »  ils  cherchaient 
à  amuser  les  convives  et  à  dérider  le  front  de  leurs 
maîtres  par  des  équivoques  sales  et  grossières;  par 
de  mauvaises  plaisanteries  ou  par  quelques  extrava- 
gances. La  plupart  de  ces  fous  et  de  ces  vils  bouf- 
fons étaient  des  monstres  d'une  laideur  et  d'une  dif- 
formité si  extrêmes,  que  JSlartial  les  peint  avec  la 
lête  pointue  et  de  longues  oreilles  qu'ils  faisaient  mou- 
voir à  la  manière  des  ânes. 

«  Hune  vero  acuto  capite,  et  auribus  longis  , 

«  Quœ  sic  moventur ,  ut  soient  asellorutn  9 

«  Quis  morionis Jilium  neget  Gyrtœ  V...»  » 

(Lib. '6,  epigram.  29  ,  vers  \Sj€tseç.  ) 


l'hospitalité.  4i3 

La  vue  de  tels  êtres  devait   plutôt  inspirer  le  dé- 
goût, la  répugnance,  et  nuire  aux  femmes  enceintes, 
que  réjouir  des  convives  un  peu  délicats.  Mais ,  répon* 
dra  cet  auteur,   «  Tous  les  goûts  sont  dans  la  nature^ 
le  meilleur  est  celui  qu'on  a.   a 

Sous  le  règne  des  empereurs ,  les  Romains  les 
admirent  à  leurs  tables,  ainsi  que  les  nains.  C'étaient 
de  jeunes  esclaves  qu'ils  achetaient  en  Egypte,  dont 
ils  corrompaient  les  mœurs  et  l'esprit,  soit  en  les  fai- 
sant servira  leurs  infâmes  plaisirs,  soit  en  s'amusant  à 
voir  insulter  par  ces  jeunes  esclaves,  ceux  qu'ils  admet» 
taient  à  leurs  tables,  et  à  être  quelquefois  eux- 
mêmes  l'objet  de  leurs  froides  et  indécentes  plaisani 
teries.  Les  Romains  lesappelaient  leurs  délices,  comme 
on  peut  le  voir  par  ce  passage  de  Stace. 

«  Non  ego  mercatus  pharia  de  pube  loquaces 

((  Dellcias  ,  doctumque  sui  convivia  nili 

«  Infantem ,  linguâ  nimium  ,  salibusque  protervum 

«  Dllexi » 

(Statu  ,  Sylvaruni-,  lib.  V,  vers  66  ,  etc.  ;  ex  edk.  Marhïand. 
Londia  ,    1728.  ) 

Tibère  les  admettait  à  sa  table  ,  et  l'on  trouve 
même,  dans  Suétone,  un  fait  qui  prouve  à  quel  e?» 
ces  d'insolence  et  de  liberté  ces  nains  se  portaient 
quelquefois  .  «  Un  homme  consulaire,  dit-il ,  rapporte^ 
»  dans  ses  Mémoires ,  qu'il  avait  assisté  à  un  repas 
»  nombreux  où  le  nain  de  Tibère,  qui  était  là  avec 
»  d'autres  bouffons ,  lui  demanda  tout  haut  pourquoi 
;>  PaconiuSy  accusé  de  crime  de  lèze-majesté ,  vivait 
»  si  long-temps  :  que  Tibère  lui  imposa  silence  -,  mais 
»  que  peu  de  jours  après  ,  il  écrivit  au  sénat ,  qu'il  eût 
»  à  juger  promptement  Paconius.  » 


4l4  L*.  H  O  S  P  I  T  A  L  I  T  é. 

te  ^4.nn alib us  suis  inr  consul ari s  inserait,  frequenti 
»  quondam  convivo ,  cui  et  ipse  adfuerit ,  inter- 
»  rogatum  euni  subito  et  clarè  a  quodani  nano  ad- 
3)  s  tan  te  mensœ  inter  copreas  cur  Paconius,  majestatis 
»  reus,  tamdiii  viveret  statïni  quidem  petulantiam  lin- 
»  guœ  objurgasse  ,•  cœtenim  postpaucos  dies  scripsisse 
»  senatui ,  ut  de  pœna  Paconii  quàm  prinium  sta- 
»  tueret   (  Sueton*.  3   in    Tiberio  7  cap.  61.  ). 

A  l'égard  du  mot  copreas  dont  Suétone  se  sert 
ici,  et  dans  la  vie  de  Claude  (  cliap.  8  )  ;  c'étaient  des 
bouffons  d'une  figure  très- difforme,  dont  les  discours 
étaient  si  or.îuriers,  et  les  mœurs  si  infâmes,  qu'on 
leur  avait  donné  ce  nom  avilissant,  et  qui  exprimait 
en  même  temps  l'extrême  licence  de  leurs  discours 
et  la  turpitude  de  leur  vie.  En  effet,  coprice  vient  du 
mot  grec,  kopros  ou  kopiion  ,  qui  signifie  fumier, 
ordure,  excrément,  de  là  l'épithète  de  stercorarii , 
donnée  avec  raison  à  cette  espèce  particulière  de  bouf- 
fons. 

Dion  dit  que  Conuno de  avoit  à  sa  cour  des  bouffons 
qu'il  aimait  passionément ,  qu'il  faisait  servir  à  ses  in- 
fâmes plaisirs ,  et  auxquels  il  avait  donné  les  noms  des 
•organes   de  la    génération    des   deux  sexes. 

«  Habuit  in  deliciis  homines  appellatos  nominibus 
»  verendorum  utriusque  sexûs ,  quos  libentius  suis  os- 
a  culis  applicabat  (  Lampridius,  in  Cornmod.  vitâ  9 
»   cap.  10  ).  »    ; 

'  Le  fait  suivant  prouve  encore  que  les  Romains  igno- 
raient la  bienséance  et  jusqu'au  plaisir  d'obliger, 
puisqu'à  Rome  les  riches  et  les  grands  achetaient  et 
payaient,  par  des  largesses,  la  lâche  coir*-1' :"snnce 
de  quelques  convives  pauvres  ëf'fte  peu  ;àhce 


l'hospitalité.  4i5 

qui,  pour  s'assurer .  de  leur  protection,  souffraient 
patiemment  les  sarcasmes  et  les  insultes  de  ces  jeunes 
esclaves. 

«  Sed  miserum  (clienliuni)  parvà  stlpe  mimerai,  ut  pudibundos 

v  Exercere  sales  in  ter  convivia  possit. 

«  Lucanus ,  s'we quis  auctor  carminis  ad  Pisonem.  » 

(  Apud  Lips.  in  h.  loc.) 

Enfin  la  passion  de  Marc-Aurèle  pour  le  vin,  et 
non  son  attachement  pour  Cléopàtre,  en  fit  un  mons- 
tre de  cruauté,  qui  se  faisait  apporter,  à  table,  les 
têtes  des  principaux  sénateurs-,  qui,  au  milieu  d'un 
banquet  somptueux  et  d'une  magnificence  royale,  re- 
connaissait les  traits  et  les  mains  des  proscrits,  et  qui, 
rempli  de  vin,  était  encore  altéré  de  sang.  (  Se- 
nèque.  )  ■• 

-  Telle  est  cependant  cotte  hospitalité,  cette  manière 
de  traiter  les  convives  ,  que  M.  Paw  préfère  à  la  sim- 
plicité franclie  des  Américains  du  nord  et  du  sud 
et  à  la  sensibilité  généreuse  et  compatissante  des 
Créoles.  Cette  préférence,  et  son  extase  pour  la  con- 
quête du  Nouveau-Monde,  donnent  la  mesure  de  son 
cœur. 

Quel  est  le  peuple  européen ,  qui  régale  un  pas- 
sant quelconque  sans  en  exiger  quelque  chose  ? 
Moins  généreux  ,  et  moins  désintéressés  que  les 
Américains  ,  les  Européens  d'aujourd'hui  ne  parais- 
sent guère  disposés  à  condamner  la  conduite  des 
anciens  Alleviands  qui  donnaient  d'une  main  et  re- 
cevaient de  l'autre.  Je  demande,  après  cela,  à  tout 
homme  impartial,  si  l'on  n'aurait  pas  tort  de  soutenir, 
avec  M.  Paw ,  que  l'hospitalité  est  encore  une  qualité 
^ue  la  nature  a  ôtée"  à  l'Amérique  pour  la  donner  à 


4l6  COMMERCE    DE   L'EUROPE 

l'Europe,  et  de  nier  avec  lui ,  que  le  nouvel  hémis- 
phère j  sur  ce  point ,  ne  l'emporte  encore  sur  l'an- 
cien. 

CHAPITRE    V. 

Commerce  de  V Europe  et  de  V Amérique» 

Avant  l'arrivée  des  Espagnols  dans  le  Nouveau- 
Monde  ,  les  Indigènes  avaient  un  commerce  d'é- 
change, non-seulement  de  province  à  province  dé- 
pendante du  mê*ie  souverain ,  mais  encore  avec  les 
nations  libres  et  indépendantes  les  plus  éloignées.  On 
en  veit  la  preuve  dans  les  curiosités  que  Motézuma 
offrit  à  Cortez-,  dans  celles  que  Pizarre  trouva  dans 
les  palais  d'Atahualpa.  Je  ne  m'étendrai  pas  davan- 
tage sur  ce  sujet,  parce  qu'il  ne  touche  pas  directe- 
ment au  point  de  l'assertion  de  M.  Paw,  sur  la  pré- 
tendue supériorité  du  commerce  de  l'Europe ,  sur  ce- 
lui de  l'Amérique.  Je  dois  examiner  le  commerce  de 
ces  deux  pays. 

Le  Mexique ,  indépendamment  des  productions  dont 
nous  avons  parlé ,  offre  près  de  5oo  endroits  célèbres 
par  les  exploitations  qui  se  trouvent  dans  leurs  alen- 
tours. Il  est  probable  que  ces  5oo  réaies ,  comprennent 
près  de  3ooo  mines  ou  gîtes  métalliques,  et  qui  com- 
muniquent les  unes  anx  autres.  Ce  n'est  que  d'un  très- 
petit  nombre  de  mines  que  sont  tirés  les  2,5oo,ooo 
marcs  d'argent  qui  passent  annuellement  en  Europe 
et  en  Asie,  par  les  ports  de  la  Véra-Cruz  et  d'Aca* 
pulco  :  les  districts  de  Guanaxuato,  de  Zacalecas  et 
4e   Catorce ,  fournissent  plus  de  la  moitié  ÀQ  cette 


ET   DE    L'AMERIQUE.  4i) 

éomme.  Un  seul  filon,  celui  de  Guanaxuato,  donne 
.près  du  quart  de  tout  l'argent  mexicain,  et  la  sixième 
partie  du  produit  de  l'Amérique  entière.  Le  produit 
des  mines  du  Mexique  a  triplé  en  52  ans  ,  et  sextuplé 
en  cent  ans  :  il  augmentera  davantage,  avec  la  popu- 
lation et   les  progrès  de  l'industrie  et  des  lumières. 

D'après  les  données  exactes  qui  existent  dans  les 
archives  de  la  monnaie  de  Mexico,  sur  la  quantité 
d'or  et  d'argent  monnoyés,  il  résulte  que  les  miues  de 
la  Nouvelle-Espagne  ont  produit  de  1690  à  1800  ,  la 
somme  énorme  de  i49,35o  marcs  d'or  ,  725  marcs 
d'argent  ;  de  1690  à  i8o3  ,  en  or  et  en  argent  , 
pour  la  valeur  de  1,353,452,020  piastres  fortes  ,  ou 
7,1 o5,623, io5  livres  tournois  ,  en  évaluant  la  piastre 
forte  à  5  francs  25  c. ,  monnaie  de  France.  Depuis  1 13 
ans  ,  le  produit  de  l'exploitation  des  mines  a  été  cons- 
tamment en  augmentant ,  excepté ,  dit  M.  Humboldt, 
la  seule  époque  de  1760  à  1767. 

L'Europe  serait  inondée  de  métaux,  si  l'on  attaquait 
à-la-fois  ,  avec  tous  les  moyens  qu'offre  le  perfection- 
nement de  l'art  des  mineurs,  les  gîtes  de  minerais  de 
Bolauos ,  de  Batopilas ,  de  Sombrerete  ,  du  Hosario  , 
de  Pachuca,  de  Moran  ,  de  Zultepecl,  de  Chihua- 
luia ,  et  tant  d'autres  qui  ont  joui  d'une  ancienne  et 
juste  célébrité.  Au  Pérou,  les  fameuses  mines  de  Yau-> 
ricocha  ou  de  Pasco ,  qui  fournissent  annuellement 
plus  de  200,000  marcs  d'argent,  n'ont  encore  que  3a 
à  4o  mètres  de  profondeur. 

Quoiqu'il  soit  difficile  de  connaître  au  juste  la 
quantité  d'or  et  d'argent  qu'on  a  tirée  jusqu'à  nos 
jours  des  différentes  mines  de  l'Amérique  et  que  la 
somme  en  soit  presqu'innomiuable  ,  cependant  ?  pour 

TOME  a.  27 


4i8  COMMERCE   DE   L^CROPE 

en  avoir  une  idée,  il  suffît  de  dire  que  l'Espagne  a 
reçu  26  millions  par  an  ,  depuis  1  548 ,  époque  de  l'ou- 
verture des  mines  du  Potosi  jusqu'en  i638  ,  ce  qui 
fait  dans  un  laps  de  90  ans  ,  t2;34o,ooo,ooo  fr. 

Et  depuis  i638  jusqu'à 
181 3  ,  dans  un  laps  de  17H 
ans,  l'Espagne  a  tiré  annuel- 
lement du  Pérou,  3  millions 
d'or  pesant  qui,  calculé  sur 
le  quadruple  ou  doublon  qui 
pèse  7  gros  4  grains  d'or,  le 
plus  pur  en  monnaie  ,  ont 
donné  à  raison  de  84  liv  1 3  s, 
4  d l:\.\ 6,399,989,930 1.  i3s.  4  à. 

L'or  non  enregistré  s'élève 
à 2,899,696,886 

L'or  qui  existe  en  circula- 
tion au  Pérou,  se  monte  à. .      35i,ooo,oo© 

Les  impôts  sont  si  consi- 
dérables ,  qu'ils  s'en  suit  im« 
grande  négligence  dans  l'ex- 
ploitation des  mines,  et  qu'il 
y  a  même  peu  de  débit  des 
ouvrages  d'or  et  d'argent 
que  l'on  y  travaille 

Les  mines  du  Brésil ,  de- 
puis Pizarre  II  ,  jusqu'en 
1^56,  c'est-à-dire  dans  un 
lapstie  60  ans ,  ont  produit   2,4oo,ooo,ooo 

Depuis  17  56  jusqu'eni  8i3 

les  mines  et  les  sables  ont .-^ 

14,390,686,8161.  i3«.  4  a. 


et  de  i/amérique.  419 

D'autre  part.  .  .  .   1 4,390,686,81 6  1.  1 3  ».  4  d. 
fourni  annuellement  au  Por- 
tugal 48  millions 2,736,000,000 

L'or  non-enregistré 999,800,000       »       4  d. 

L'or  qui  existe  en  circula- 
tion au  Brésil 120,000,000       6  s.       ce. 

En  ôtant  pour  les  mines 
du  Chili  le  cinquième  du  pro- 
duit de  celles  du  Brésil,  on 
aura 4,972,240,000 

Pour  les  mines  de  la  Terre- 
Ferme  ,  qui  ne  sont  plus  en 
exploitation ,  et  y  compris 
l'or  non-enregistré  et  en 
circulation 778,000,000 

En  supputant  le  produit 
des  mines  de  la  Castille  d'or 
sur  celui  des  mines  de  la 
Terre-Ferme,  on  aura 778,000,000 

Pour  les  mines  du  Mexi- 
que ,  depuis  leur  ouverture 
jusqu'à  181 3,  qu'elles  four- 
nissent annuellement  5o  mil- 
lions en  argent  et  5,900  marcs 

d'or 7>389>66a>939 

L'or  non-enregistré 2,120,000,000 

L'or  et  l'argent  en  circula- 
tion au  Mexique 3oo, 000,000 

Pour  les  mines  de  la  Nou- 
velle-Grenade ,  et  l'argent 
en  circulation  et  non-enre- 


34,584,389,755i.  19  «.8  a. 
27.. 


420  COMMERCE   DE   L*  EUROPE 

Ci-conire 34,584,389,7551.  19  s.  8  <i; 

gish  é 980,000,000       «      4  d. 

Si  Ton  ajoute  maintenant 
pour  la  'valeur  des  diamans.       4oo,oOo,ooo 

Pour  rot  et  l'argent  façon- 

nésou  en  lingots  qu'Atahual- 

pa  donna  en  présent  à  Pi- 
zarre.  ensuite  pour  sa  rançon 
et  le  pillage  de  son  camp  et 
de  Cuzco. 2?38o,oo5,oo4 

Pour  celui  du  Mexique  et 
de  la  capitale,  ainsi    que   les 
riches  présens  deMontézuma, 
environ - •     i,ooo,ooo,o4o 

Pour  l'or  et  l'argent  œuvré 
en  lingots  et  en  poudre  que 
les  Espagnols  enlevèrent  aux 
habitans  de  Saint-Domingue, 
de  Cube,  des  autres  Antilles 
et  aux  Caciques  du  Darien 
et  du  Continent 100,000,200 

On  aura  pour  total.  .'.  .  .    39,444,395,ooo  1.       «       « 

L'abbé  Kajnal  ,  dans  les  tableaux  détaillés  qu'il  a 
donnés  sur  le  produit  total  des  mines  de  1  Amérique 
Espagnoles,  l'évalue  année. moyenne  à  89,095,649  liv. 
tournois.  Il  a  confondu,  comme  l'observe  très-bien 
M.  Humboldt ,  le  produit  de  1750  avec  celui  de  1 780  , 
puisque  déjà  en  1775  ce  produit  total  s'était  élevé  à 
1  57,5oo,ooo  livres  tournois. 

Hobertson,  dans  son  Histoire  de  l'Amérique  ,  vol.  4, 
page  62  ,  évalue  la  quantité  de  métaux  précieux  iin- 


ET    DE   L'AMER  IQTTE.  4*41 

portés  en  Espagne  depuis  *4çja  jusqu'en  177s,  à 
8,800,000  piasties  (  46, 200, 000,000  1.  ),  el  qui  plus 
est  ,  cet  auteur  justement  célèbre  ,  regarde  son  cal- 
cul comme  fondé  sur  des  suppositions  très-modérées  , 
quoiqu'il  estime  le  produit  annnel ,  pendant  283  an- 
nées consécutives  ,  à  96  millions  ,  et  le  total  de  la  con- 
trebande,  pendant  cette  période,  à  5,082  millions. 

M.  Humboldt  estime,  comme  suit,  la  valeur  de  l'or 
et  de  l'argent  retirés  des  mines  de  l'Amérique,  depuis 
1492  à  i8o3  : 

Enregistre  (  N.o  I,  ) 

Des  Colonies  Espagnoles 21,1 84,  $69,000  L 

Des  Colonies  Portugaises 3, 59^,856,000  1. 

Non-enregistré  (  N.o  II.  ) 

Des  Colonies  Espagnoles 4,28^,000,000  h 

Des  Colonies  Portugaises 897,750,000  1. 

Total  29,960,175,000  livres  tournois,  dont  22,45o 
millions  de  livres,  ont  été  portés  aux  Indes  Orien- 
tales ,  converties  en  vaisselles;  dispersées  parles  re-* 
fontes  ,  et  échangées  par  des  nègres.  Celte  somme  ,  à 
laquelle  M.  Humboldt  a  cru  devoir  s'arrêter,  diffère 
de  plus  de  16  milliards  de  francs  de  celle  indiquée  par 
Robert  son. 

A  cette  somme,  dit  M.  Humboldt,  il  faut  ajouter 
le  butin  en  or  et  en  argent  que  les  premiers  conque-* 
rans  ont  fait  passer  en  Europe,  avant  que  les  Espa- 
gnols aient  commencé  à  exploiter  les  mines  de  Tasco  t 
au  Mexique,  ou  celles  de  Porco  ,  au  Pérou.  Il  ne  s'agit 
pour  cela  que  de  jeter  les  yeux  sur  les  faits  rapportés 
par  les  historiens  de  la  conquête. 

La  flotte  de  18  vaisseaux  commandée  par  Bovadilïa 


422  COMMERCE    DE    L'EUROPE 

et  Roi  dan  ,  qu'Orando  envoya  en  Espagne  en  i5o2  , 
contenait  2, 56o  marcs  d'or  (  1,750,000,000  liv.  tournois.) 
Les  présens  que  Cortez  reçut ,  lors  de  son  passage  par 
Çlialco  ,   s'élevaient   à   38  marcs  d'or  -,  le  tribut  en  or 
que  Cortez   demanda  ,  lorsque   Montézuma  réunit  ses 
vassaux  pour   prêter    serment   de   fidélité   à  Charles- 
Quint  ,  s'élevait  à  2080  marcs  ;  le  butin  des  Espagnols 
lors  de  la  prise  de  Tenochtillan  s'élevait,  d'après  Ber- 
nai- Diaz  y  à  4,890    marcs.   La  rançon  d'Atahualpa  , 
d'après  Garcilasso  ,     était  de  3, c)3o,ooo  ducats  en  or , 
et   de   672,670  ducats  en  argent;   en  tout  4,602,670 
ducats  (20,149,80-i  liv.  tournois.  )  Le  père  Blas-Va- 
lera  ,  la  porte  à  4, 800, 000  ducados.  Ces  trésors  que  l'on 
avait  réunis  dans  une  maison  ,  dont  M.  Humboldt  a  vu 
les   ruines   lors  de  son  séjour  à  Caxamalca,    en  1802  , 
avaient   servi   d'ornemens   aux    temples   du    Soleil  de 
Pachacamac  >  de  Huailas  ,  de  Cuzco ,  de  Guamachuco 
et  de  Sicllapampa.  Le  butin  de  Cuzco  valait  ,  d'après 
JSerrera,  au-delà  de  2.5,700  marcs  d'or.  Il  est  probable 
d'après  ees  données  ,  que  les  conquêtes   du  Mexique 
du  Pérou  ont  fait  tomber  entre  les  mains  des  Espa- 
gnols ,  au-delà  de  80,000  marcs  d'or  ,  auxquels  il  faut 
ajouter   106^000  mates   d'or  y  pour  ce  qui  a  été  enlevé 
aux   Antilles  ,  sur  les  côtes   de  Paria  et   de  Saùitc- 
JManhe ,  sur  celles  du  D arien  et  de  la  Floride  ,  en  ne 
comptant  que  2000-  marcs  par  an  ,  jusqu'au  commen- 
cement de  l'exploitation  de  Taseo  el  de  Potosi.  (  Vov. 
l'Essai  Fol.  sur  la  Nouv.  Esp. ,  par  M.  Humboldt.  ) 
Dans  ce  détail  étonnant  ,  ne   sont  pas  compris    les 
trésors  immenses  que  les  habiîans  de    Quito    empor- 
tèrent pour  les  soustraire  à  la  cupidité  des  Espagnols  ; 
.  ceux  que  les  Indiens  cachèrent  dans  leur  retraite  -,  les 


•      ET   DE    î/amÉRIQUE.  423 

richesses  qu'ils  jetèrent  dans  leurs  lacs  ;  et  si  j'ajoute 
maintenant  le  montant  des  productions  du  continent 
d'Amérique  et  des  Antilles ,  qui  a  surpassé  cette  somme, 
toute  prodigieuse  et  inconcevable  qu'elle  soit ,  M.  Paw 
me  permettra  bien  de  lui  observer  ,  en  passant  ,  que 
l'Amérique  l'emporte  encore  sur  l'Europe ,  pour  les 
richesses  et  les  revenus. 

Cette  somme  immense  ne  doit  pas  sGrprendre,  si 
l'on  considère  la  quantité  d'or  que  la  mer  engloutit 
journellement;  que  les  persécutions  et  l'avarice  ont 
fait  enfouir  dans  la  terre  ,  celle  qu'absorbent  tous 
les  jours  le  commerce  de  l'Inde ,  les  dorures  ,  les  fontes  , 
les  bijoux,  le  numéraire,  les  vaisselles,  les-  statues-, 
les  dons  pieux  ,  etc. 

En  examinant  bien  la  nature  du  commerce  que 
l'Europe  fait  avec  le  Nouvean-Monde  ,  on  verra  : 

i  .o  Que  parmi  tous  les  articles  d'exportation,  il  ny 
en  a  pas  un  qui  ne  concerne  le  nécessaire  physique , 

'  puisque  l'Amérique  du  nord  fournit  à  l'Europe  et  au 
reste  du  monde,  des  bois  de  chauiîagcs  et  deconstruc- 
tion  -,  des  grains,  des  farines  ,  des  viandes  salées  3  de  la 

■  morue  et  autres  poissons.  Ils  sont  si  nombreux  sur  ses 
cotes  ,  qu'on  voit  les  harengs  ,  les  aloses  ,  lesrougets  , 

•  les  esturgeons  et  les  lamproies ,  passer  de  la  mer  dans 
ses  rivières-,  qu'au  Pérou,  on  ne  plan-te  le  maïs  qjue 
dans  les  têtes  de  sardines,  qui  servent  d'engrais  aux 
terres  à'Atica,  à^Atilipa ,  de  Vhllacori  3  de  MaMa 
et  de  Chiloa  ;  que  depuis  Aréquipa  jusqu'à  Taracapa, 
où  il  J  a  plus  de  200  lieues  de  long,  la  terre  n'est  fu- 
mée que  paria  fiente  des  passereaux  maiins  ,  nommés 
gana  ,   qui  ne  se  nourrissent  que  de  poissons  ;  cette 

:  fiente  fertilise  la  terre  au  point  de  lu-i. faire  produire 


4a4  COMMERCE  DE  l'europe 

4  à  5oopour  un  ,  de  tous  les  grains  qu'on  y  sème*,  que 
le  long  de  la  Susquehanna ,  on  engraisse  les  terres  et 
les  vaches  avec  des  aloses  ;  que  le  Pérou  ,  le  Brésil  ,  le 
Chili  ,  la  Terre-Ferme  ,  la  Castille  d'or,  et  le  Mexique 
fournissent  pour  la  facilité  des  échanges ,  l'or  et  l'ar- 
gent ,  que  la  civilisation  ,  bien  des  siècles  avant  la 
découverte  de  l'Amérique,  avait  rendu  besoin  de  pre- 
mière nécessité;  que  les  Antilles  et  une  partie  du 
nouvel  hémisphère  ,  pourvoient  à  tout  ce  qui  peut 
flatter  la  sensualité  ,  et  préserver  la  santé  des  Euro- 
péens ,  des  maladies  les  plus  critiques. 

2.0  Que  les  principaux  articles  d'exportation  comme 
l'or,  l'argent,  les  perles,  les  saphirs  ,  les  émeraudes  ,  la 
soie  ,  le  caret  ;  les  pelleteries,  les  cuirs  ,  les  cotons  ,  la 
cochenille,  l'indigo,  le  café  ,  le  sucre  ,  le  cacao,  les  gom- 
mes ,  les  goudrons,  les  chanvres,  les  bois  de  construction, 
d'ameublement,  de  placage  et  de  teinture  ,  prouvent 
qu'un  pays  qui,  indépendamment  des  productions  qui 
lui  sont  communes  avec  l'Europe  ,  peut  encore  fournir 
des  productions  comme  celles  ci-dessus,  est  un  pays 
riche  ,  excellent ,  utile  et  indispensable  pour  tous  les 
peuples,  et  plus  encore  pour  les  nations  policées  , 
commerçantes  ,  et  ayant  des  manufactures. 

3.o  Que  l'Amérique,  outre  les  grains  ,  les  farines, 
les  viandes  et  les  poissons  salés,  offre  encore  à  l'Europe 
«ne  subsistance  dans  les  prodoits  du  grand  et  du  petit 
bancs  de  Terre-Neuve  ;  qu'en  échange  des  vins  ,  des 
eaux-de-vie  ,  des  draps  ?  des  petites  étoffes  en  laine, 
des  bas  ,  des  chapeaux  ,  des  soieries  ,  du  papier,  des 
meubles  ,  des  ustenciles  en  fer  ;  du  verre  souftlé  et 
coulé,  de  la  mercerie;  de  la  cannetille,  des  toiles 
blanches  et  peintes  ;  des  cotonnades  et  des  nègres» qui 


ST    DE    î.  *  A  M  é  R  T  Q  V  M  4^5 

s*e  sont  pas  une  production  de  l'Europe  ;  l'Amérique 
<donne  du  rhum  ,  du  tafia  ,  des  liqueurs,  des  confitures 
sèches  et  liquides  ,  du  sucre,  du  sirop  ,  du  café,  <Ju 
cacao,  des  baumes,  de  la  vanille,  des  drogues,  de  la 
cochenille  ,  de  l'indigo ,  du  rocou  ,  du  safran  ,  du  co- 
ton ,  de  la  soie  écrue  ,  des  chapeaux  ,  des  souliers  ,  des 
bottes  ;  des  cuirs  tannés  et  crus  ,  des  pelleteries  ,  de 
la  cannetiile ,  du  caret,  des  saphirs,  des  émeraudes  , 
des  perles,  de  l'or,  de  l'argent  ,  de  la  plaiiue  ,  des 
gommes,  des  chanvres,  du  goudron  ,  des  bois  de  far- 
dage  ,  de  construction ,  d'ameublement  ,  de  placage  et 
de  teinture. 

M.  Paw  doit  voir,  d'après  cet  exposé  ,  pourquoi 
l'Europe  vet  autant  d'acharnement  à  suivre  ses  rela- 
tions commerciales  avec  le  Nouveau-Monde  dont  la 
partie  méridionale  consomme  pour  plus  de  60  millions 
sterL,  ou  i,44o,ooo,ooo  fr.  d'articles  d'Europe,  dans  un 
laps  de  six  ans  ,  sans  compter  les  bénéfices  sur  les  re- 
tours. Cet  auteur  peut  juger,  d'après  ce  léger  aperçu  , 
quelle  serait  la  détresse  de  l'Europe  ,  si  l'Amérique 
qui  possède  dans  son  sein  une  partie  des  manufactures 
européennes  ,  venait  à  les  encourager  toutes  ,  pour 
rompre  un  commerce  qui  lui  est  désavantageux  ,  puis.- 
qu'indépendamment  de  ses  productions,  il  est  sorti 
de  ses  mines,  huit  fois  plus  d'or  qu'il  n'y  en  avait  en 
Europe  eu  1490.  L'Europe  échangerait  alors,  des  ma- 
nu mens  tant  anciens  que  modernes  ,  pour  les  denrées 
des  Etats-Unis  ,  peut-être  même  pour  les  produits  de 
leurs  manufactures  !  Ils  finiront  par  être  le  prix  de  leur 
commerce  avec  les  Indes  orientales;  et  les  Antilles,  ces 
iiiles  légitimes  du  continent  Américain,  échapperont 
à  leurs  ravisseurs.  Cette  révolution,    qui  tire   tous  les 


4^6  COMMERCE    DE    l'eURÔPK 

jours  vers  sa  fin,  réduira  l'Europe  à  la  dure  nécessite 
de  ne  plus  négocier  à  la  Chine  ,  au  Japon  ,    aux  côtes 
de  Coromandel  et  du  Malabar  ,  parce  que  les  expor- 
tations qu'elle    en  fait  n'ayant  lieu  qu'en  soldant  ai> 
gent  comptant ,  il  lui  sera  difficile  de  s'en  procurer  de 
l'Amérique,  dont  elle  pourra  à  peine  acheter  une  très- 
faible  partie   des  denrées  coloniales  ou  autres.  L'Eu- 
rope à  son  tour  aura  l'humiliation  de  devenir  un  jour 
colcnie  d'Amérique.  Elle  sera  contrainte  de  céder  à  la 
.  force  des  circonstances  universelles  r  de  voir  traiter  ses. 
productions  comme  autant  de  superflu  ités ,  puisque  le 
nord  de  l'Amérique  fournit   plus  de  grains,   plus  de 
farine  et  de  salaisons  ,  qu'il  n'en  faut  pour  nourrir  ses 
habitans   du  nord  et  du  sud  ;    que    l'Ame. "..ain  de  la 
partie  méridionale  ,  qui  est  naturellement  sobre  ,  sait 
de  prus*  se   contenter  de  ses  ignames ,  de  ses  bananes  , 
de  sespatates,  de  ses  pommes  de  terres  ,  de  son  ma*- 
nioc  j  de  sa  cas  s  ave ,  de  son  mais  ,  de  son  petit  miel  , 
de  son  riz,  et  de  quantité   d'autres  racines   et  végé  - 
taux  y  qu'il  préfère  en  général  au  pain  ,  non  par  éco- 
nomie y.  puisque  la  Floride  ,  le  Mexique  ,   le  Pérou  -, 
îe  royaume  de  la  Plata  ,  la  JSouv  elle -Grenade }  etc.  , 
lui  fournissent  du  blé  ;  que  la  douceur  du   climat  lui 
permet   de   se   vôtir  aussi  légèrement   qu'il   le  juge  à 
propos,  soit   avec  le  coton,  soit  avec  les  fîiamens  àe 
diflérens  arbres  ou  ceux  de  diverses  plantes,  soit   avec 
sa  propre  soie  ,    soit  enfin  avec  les  laines  superfines  de 
ses  lamas  ,   de  ses  vigognes,  de  ses  berendos ,  sans  que 
l'Amérique  ait  à   craindre  ,  comme  M.   Paw   le  pré- 
tend follement  ,  «  de  voir  les   huit  millions    d'Espa- 
»   gnols  ,  de  Portugais  et  autres   Créoles  qu'elles  con- 
x  tient,  aller  nus  les    premières  années,  faute  de  re- 


et  dl  l'Amérique.  £27 

»  cevoir  des  étoffes  d'Europe.  »  L'exemple  des  Amé- 
ricains du  nord  ,  que  j'ai  cité,  doit  lui  faire  voir  que  sa 
prédiction  est  sans  fondement-,  j'ajouterai  aussi  qu'il 
s'est  trompé  sur  la  population  de  ce  pays  ,  comme 
dans  presque  tout  ce  qu'il  a  écrit  ,  car  M.  Humboldt 
assure  que  la  population  seule  ,  depuis  les  rives  de  1g 
Plata  et  du  Chili  jusque  dans  le  nord  du  Mexique, 
s'élève  à  quatorze  millions  d'ames.  (  Voy.  Rég.  èquin. 
du  Nouv.-Contin.  ) 

Que  pourrait  alors  l'Europe ,  offrir  en  échange  à 
l'Amérique  ?  Seraient-ce  ses  habitans  et  leur  industrie, 
pour  tirer  tout  le  parti  possible  des  trésors  du  Nouveau- 
Monde  !  Je  le  demande  à  M.  Paw  :  l'échange  de  ces 
Européens  ,  toujours  inquiets  et  remuans* ,  et  dont  une 
grande  partie  est  si  corrompue,  ne  meltrait-il  pas  la 
sûreté  personnelle  des  Américains  plus  en  danger  que 
les  maux  que  le  luxe  pourrait  entraîner  après  lui  ! 
Qu'il  parcoure  les  Etats-unis  ,  la  Louisiane  ,  la  Wlo~ 
ride ,  le  Mexique  ,  le  Pérou ,  le  Brésil ,  les  Antilles, 
il  n'y  verra  point ,  comme  en  Europe ,  des  gardes  nom- 
breuses ,  armées  de  bayonnettes  étincelantes ,  pour 
imposer  aux  maîveilians  ;  des  places  publiques  garnies 
d'échailauds  ,  d'instrumens  de  destruction  ,  et  rougies 
du  sang  des  malheureux  ,  que  la  misère  et  le  crime  ont 
fait  expirer  à  la  potence  ou  sur  la  roue.  La  Religion  et 
la  bonne  foi,  sont  les  seules  armes  qui  maintiennent  la 
sûreté  publique  et  personnelle  des  Américains. 

Les  plaintes  journalières  que  la  Suisse  et  V Angle- 
terre adressent  à  leurs  eufans  qui  abandonnent  tous  les 
"ans  le  sol    de  leur  patrie  ,  pour  aller  se  fixer  en  Amé- 
rique; les  lois  extrêmement  rigoureuses  que  la  Bavière 
«t  d'autres  états  d'Allemagne  oui  faites  pour  empocher 


4^8  COMMERCE     DE    L'EUROPE 

les  émigrations  qui  allcient  remplacer  les  malheureux 
Américains  que  la^  rage  et  la  cupidité  des  anciens  con- 
quérans  Européens  avaient  exterminés  ,  prouvent  en- 
core que  le  nouvel  hémisphère  offre  plus  d'attraits  et 
de  ressources  que  l'Europe  5  puisque  tous  les  avis  qu'on 
a  pu  donner  aux  émigrans  de  l'Allemagne  ,   toutes  les 
remontrances,  tous  les  tahleaux  effrayans  de  mortalité 
qu'on  n'a  cessé  de  mettre  sous  les  yeux  des  divers  peu- 
ples de  l'Europe,  n'ont  pu  les  convaincre  ,  pas  même 
les  Badois  ,  les  Suisses  et  les  Anglais  ,   en  1816,1817 
et  1818,  qu'ils  seraient  plus  heureux  ou  moins  à  plain- 
dre ,  de  déchirer  péniblement  avec  le  soc  de  la  charrue, 
et  d'arroser  de  la  sueur  de  leur  front  la  terre  ingrate 
de  leur  patrie  ,  que  d'aller  cultiver  le  sol  de  l'Amérique 
qui  ne  demande  qu'à  être  dégagé  du  superflu  de  sa  vé- 
gétation ,  pour  récompenser  la  main  secourable  ,  par 
tout  ce  que  l'ambition  et  la  cupidité  peuvent  convoiter. 
Si  ,  comme  il  est  prouvé,  la  mauvaise  qualité  d'une 
partie  des  terres  de   l'Europe  ,  l'esprit  de  finance,  le 
désordre  des  mœurs  ,  suite  de  la  misère  du  peuple  ,  en 
condamnent  au   moins  le  tiers  à  manquer  du  premier 
nécessaire  ,   pourquoi  forçons  nous  les  peuples  de  l'A- 
frique à  cultiver  les  terres  en  Amérique  ,  tandis  que 
les  paysans  manquent  de  travail  en  Europe  ?  Que  n'y 
transporte-t-on  les  familles  les  plus  misérables  tout  en- 
tières, enfans,  vieillards  ,  amans  ,  cousines,  les  cloches 
même  et  les  saints  de  chaque  village,  afin  qu'elles  re- 
trouvent dans  ces  terres  lointaines  ,   les  amours  et  les 
illusions  de  la  patrie  ?  Ah  si  dans  ces  pays  ,  où  les  cul- 
tures sont  si  faciles  ,  on  avait  appelé  la  liberté  et  l'éga- 
lité -,  les  cabanes  du  Nouveau-Monde  seraient  aujour- 
d'hui préférables  aux  palais  de  l'Ancien.  Ne  reparaîtra- 


ET    DE    l'aMERIQC  E.  ^g 

t-il  jamais ,   dans  quelque  coin  de  la  terre ,  une  nou- 
velle Acadie  ? 

V;ila  ce  que  M.  Paw  ne  peut  raisonnablement  con- 
tester ,   quoiqu'il    s'imagine    que  ,    pour   soutenir     la 
fausseté  de  ses  assertions  ,  il  ne  s'agisse  que  de  dire  : 
5)  La  relation  de  M.  Bristock  est  un  tissu  de  faussetés, 
»   aussi  bien  que  les  relations  des  espagnols  et  celles 
»  des  autres    écrivains ,   »  parce  qu'ils  s'accordent  à 
faire  l'éloge  d'un  pays  ,    que  lui-même  est  ultérieure- 
ment forcé    de  reconnaître  préférable  au  sien.  N'im-* 
porte  ;  en  dépit    de   son   pyrrhonisme  historique    in- 
sensé,   et  de  tout  ce.  qu'il  pourra  débiter  contre   l'A- 
mérique,  les  Européens  continueront ,  comme  l'ob- 
serve très-bien  dom  Prenettj ,  d'y  aller  chercher  le 
sucre  ,  le  café,  le  cacao  ,  les  confitures  ,  les  liqueurs  , 
les  parfums,   pour  flatter  leur  goût  et  satisfaire  leur 
sensualité  ;  la  cochenille ,   Y  indigo ,  le  jocou,  les  bois 
de  teinture  et  de  placage,  pour  leur  luxe  et  leurs  fantai- 
sies; lesbaumes  duPérou,  de  eopahiba ,  Y  alcornoque  ^ 
le  quinquina ,  le  gayac  ,  le  sassafras ,  et  mille  autres 
drogues  pour   guérir  leurs   maladies  ,•    l'or,  Y  argent, 
que  les   Sauvages  appellent  avec  raison  les  dieux  des 
chrétiens  ,  pour  se  procurer  leurs  besoins  -,  les  pierres 
précieuses ,  pour  leur  parure  -,  les  pelleteries ,  les  ce  - 
tons  j  les  laines  et  les  soies ,  pour  se  vêtir  ;  les  cuirs 
pour  se  chausser  -,  les  carets ,  pour  les  préserver  de  la 
vermine  ;  le  tabac ,  pour  dissiper  leurs  humeurs  ;  les 
bois,  les  gommes,  le  chanvre  ,   le  goudron  ,  pour  les 
abriter  des  injures  du  temps  ,  et  les  transporter  d'un 
bout  du  pôle  à  l'autre  -,  parce  qu'il  est  prouvé  que  les 
bois  d'Amérique  sont  plus  incorruptibles  et  moins  su- 
jets à  la  piqûre  des  vers  que  ceux  d'Europe ,  et  que  les 


4*8o  COMMERCE   DE    l'fUTxO  PE  ,  elC. 

chanvres  dn-Nou  veau  -Monde  ,  imbibés  d'eau  ,  offrent 
plus  de  résistance  et  de  force  que  ceux  de  l'Ancien. 
Telles  sont  les  productions  et  les  ressources  .que 
l'Europe  ,  cette  terre  si  riche,  si  fertile,  à  laquelle 
la  nature ,  selon  eet  écrivain  ,  a  tout  donné  au  détri- 
ment de  l'Amérique  ,  est  forcée  d'aller  chercher 
journellement  dans  ce  pays  ,  ne  pouvant  trouver  rien 
de  cela  dans  son  propre  terrain.  On  ne  peut  discon- 
venir que  l'Amérique  ne  soit  redevable  de  quelque 
bien  à  l'Europe  ;  mais  aussi  par  quelle  foule  de  maux  t 
qu'il  serait  trop  long  de  détailler  ici  ,  ce  bien  n'a-t-il 
pas  été  malheureusement  acheté  ? 


ÏIECAPILULATION  ^ES    AVANTAGES  ,  ■etc.       43l 

Récaoitulation  des  avantages  de  lf  Amérique 
\sur  l'Europe, 

C'est  en  Amérique  que  Ton  trouve  les  choses 
ies  plus  extraordinaires  ;  le  territoire  le  plus  étendu 
et  le  plus  varié;  le  sol  le  plus  fertile  ,  les  mon- 
tagnes les  plus  hautes  et  les  plus  longues-,  les  plantes 
les  plus  grandes  -,  les  grottes  les  plus  curieuses  et 
les  plus  imposantes ,  les  forêts  les  plus  vastes  ,  les 
hois  les  plus  gros  5  les  plus  droits  et  les  plus  hauts  5 
la  botanique  la  plus  diversifiée  ,  puisque  sur  38, 000 
espèces  A<e  plantes  connues  dans  les  diverses  parties  du 
globe,  l'Europe  ne  figure  que  pour  7000  ,  l'Asie  pour 
i3,5oo,  et  l'Amérique  17,500;  sans  compter  que  plus 
du  tiers  de  ce  pays  n'a  jamais  été  visité  par  les  natu- 
ralistes ;  les  mers  les  plus  profondes  ,  les  lacs  les  plus 
considérables-,  les  fleuves  les  plus  grands,  les  plus  lar- 
ges, les  plus  nombreux  et  les  plus  poissonneux'-,  les 
poissons  les  plus  monstrueux  ,  les  plus  utiles  et  les  plus 
agréables  à  manger  -,  les  coquillages  les  plus  variés  ; 
les  hommes  les  plus  grands  dans  lesPatagons  et  les  plus 
petits  dans  les  Eskimaux  ;  les  plus  diversifiés  dans  leur 
couleur  ,  dans  les  Arras  noirs  de  la  Guyane  -,  dans  les 
Cagnares  des  Cordiliières  ,  dont  la  blancheur  rivalise 
celle  de  la  neige;  dans  les  autres  peuples  de  l'intérieur, 
dont  la  complexion  est  chez  les  uns  ,  couleur  de  cuivre 
rouge  ,  jaune;  chez  d'autres  _,  d*im  blanc  plus  ou  moins 
clair,  d'un  teint  plus  ou  moins  obscur ,  plus  ou  moins 
foncé;  les  arbres  les  plus  curieux  dans  le  maquèy  ; 
dans  V  agace  ou  aloè's  piste;  dans  l'arbre  à  cirera  beurre, 
k  soie  /à  dentelle,  à  cuirs  ;  les£o*Vles  plus  nécessaires 


43à  HÉCÀPITULATION    DES  AVANTAGES 

pour  la  construction  dans  les  chênes  de  dix  espèce?  f 
dans  les  pins ,  les  cèdres ,  les  gayacs  ;  les  plus  élégans 
pour  l'ameublement  ,  daus  Y  acajou ,  le  satiné  ,  le  rose, 
Yébène  ;  les  plus  utiles  pour  la  santé  dans  Yalcornoque  , 
le  cassier,  le  calebassièr\  les  baumes  les  plus  salutaircsy 
les  fruits  les  meilleurs  et  les  plus  grossies  pierres  et  les 
perles  les  plus  précieuses  ;  les  coquillages  les  plus  bril- 
la us  ,-  l'or ,  l'argent  le  plus  pur-  la  seule  cochenille  f 
le  poisson  à  pourpre  ,  les  plus  riclies  productions  ,  la 
véritable  hospitalité*  qui  n'e&t  jamais  dégradée  par  au- 
cun esprit  d'intérêt  j  enfin  la  bonne-foi  et  la  confiance 
la  plus  délicate  dans  le  commerce. 

Qu'on  aille  aux  Caraccas  et  dans  la  majeure  par- 
tie ùe  la  Côte-Ferme ,  on  verra  les  babitans  déposer 
leurs  denrées  sur  le  rivage  7  allumer  divers  feux  le 
long  de  la  côte  ,  pour  faire  connaître  aux  bâtimens  qui 
font  leurs  affaires  ,  qu'ils  peuvent  venir  prendre  leurs 
ebargemens  ;  les  laisser  enlever  ,  sans  tirer  de  reçus  , 
et  attendre  paisiblement  des  six  mois  de  temps  ,  le  re- 
tour du  produit  de  la  vente  de  leurs  denrées  ,  sans 
examiner ,  si  on  ne  leur  a  pas  fait  payer  plus  de  frais 
de  commission,  de  magasinage  et  de  vente  ,  que  le  ta- 
rif véritable  le  porte. 

Si  dans  une  partie  de  chasse  ,  un  colon  tue  dans  les 
bois  une  chèvre  sauvage ,  qu'il  aperçoive  que  ce  n'est 
pas  sa  propriété  ,  il  la  porte  de  suite  chez  son  voisin  y 
ou  à  celui  à  qui  elle  appartient.  «  Pendant  deux  jours ^ 
»  dit  M.  Humboldt ,  nous  entendîmes  citer  partout , 
a  comme  un  exemple  de  perversité  rare  ,  qu'un  habi- 
p  tant  de  Maniquarez  avait  perdu  une  chèvre  ,  dont 
»  probablement  une  famille  voisine  s'était  régalé  dans 
»  un  repas.  Ces  traits,  qui  prouvent  une  grande  pureté 


DE  l'àmerique  sur  l'etjrope.         413 

»  3e  mœurs  parmi  le  bas  peuple  ,  se  répètent  encore 
»  souvent  dans  le  nouveau  Mexique,  au  Canada  et 
»  dans  les  pays  situés  à  l'ouest  des  Alleganys.  »  (  Voy, 
aux  Rég.  équin.  du  JSouv.-Contin.') 

Que  M.  Paw  regarde  la  superficie  de  la  terre  de 
l'Amérique,  il  la  verra  couverte  de  blé,  de  vignes,  de 
fruits  de  tous  les  pays  -,  de  sucre  ,  de  cafiers  ,  d'indi- 
gotiers, de  cocbenilles  ,  de  cotonniers  et  autres  produc- 
tions rares  ;  qu'il  descende  dans  ses  entrailles ,  ses 
yeux  seront  éblouis  par  l'or  ,  l'argent  ,  une  multitude 
innombrable  de  métaux  ,  par  les  saphirs  ,  les  émé- 
raudes  ,  les  diamans  ;  qu'il  se  promène  sur  ses  rivages, 
une  ceinture  de  palmiers  auxquels  sont  suspendus  la 
datte  et  le  coco  5  l'entoureront  entre  les  brûlans  tro- 
piques -,  il  y  verra  des  monceaux  de  coquillages  bril- 
lans  et  précieux  ;  qu'il  se  penche  un  peu  le  long  de 
ses  cotes,  il  sera  également  dédommagé  de  sa  peine 
par  la  quantité  de  perles  fines  qui  s'attacheront  à  ses 
doigts,  et  par  les  poissons  nombreux  que  ses  filets  lui 
présenteront  -,  qu'il  lève  enfin  la  tête  ,  et  les  oiseaux 
*du  plumage  le  plus  rare  ,  et  le  gibier  de  toute  espèce  7 
lui  prouveront  qu'ils  ne  sont  pas  étrangers  au  bon- 
heur. 

Oui ,  malgré  toutes  les  oppositions  contre  l'évi- 
dence des  faits,  les  gens  sensés  conviendront  avec 
M.  Bernardin-de-Saint-Pierre ,  que  la  nature  a  tout 
disposé  en  Amérique  avec  des  attentions  maternelles , 
pour  dédommager  les  Européens  de  l'éloignement  de 
leur  patrie.  Il  n'est  pas  besoin  là ,  de  se  brûler  au  so- 
leil pour  moissonner  les  grains,  ou  de  se  morfondre  à 
la  gelée  pour  faire  paître  ses  troupeaux  ,  ou  de  fendre 
la  terre  avec  de  lourdes  charrues  ,  pour  lui  faire  pro- 

TOM£  2.  28 


434         RÉCAPITULATION    DES    AVANTAGES 

duire  des  alimens  ,  ou  de  fouiller  ses  entrailles  pour  en 
tirer  le  fer,  la  pierre',  l'argile  et  les  matières  pre- 
mières de  nos  meubles  et  de  nos  maisons.  La  nature 
facile  y  a  placé  sur  des  arbres  ,  à  l'ombre  ,  et  à  la 
portée  de  la  main  ,  tout  ce  qui  est  nécessaire  et  agréa- 
ble à  la  vie  humaine.  Elle  y  a  mis  le  laitage  et  le 
Leurre  dans  les  noix  du  cocotier;  des  crèmes  parfu^ 
mées  dans  les  pommes  de  datte  ;  du  linge  de  table  et 
des  mets,  dans  les  grandes  feuilles  satinées  et  dans 
les  figues  de  bananiers  ;  des  pains  tout  prêts  à  cuire 
■dans  les  ignames  ,  les  patates  et  les  racines  de  ma- 
nioc ;  du  duvet  plus  fin  que  la  laine  des  brebis,  dans 
les  gousses  du  cotonnier  ;  de  la  vaisselle  de  toutes  les 
formes ,  dans  les  courges  du  callebassier.  Elle  y  a 
-ménagé  des  habitations  impénétrables  à  la  pluie  et 
aux  rayons  du  soleil ,  sous  les  rameaux  épais  du  figuier 
d'Inde  qui,  s'élevant  vers  les  cieux  et  descendant  en- 
suite vers  la  terre,  où  ils  prennent  racine  ,  forment, 
par  leurs  nombreuses  arcades  ,  des  palais  de  verdure. 
Elle  a  dispersé  ,  pour  les  délices  et  le  commerce  ,  le 
long  des  fleuves  ,  au  sein  des  rochers  ©t  dans  le  lit  deê 
torrens  ,  le  maïs  ,Ja  canne  à  sucre,  le  cacao,  le  tabac  , 
avec  une  multitude  d'autres  végétaux  utiles  ;  et  par 
la  ressemblance  des  latitudes  de  ce  Nouveau-Monde 
avec  celles  des  diverses  contrées  de  l'ancien  ,  d'adopter 
en  leur  faveur  ,  le  café  ,  Vindigo  et  les  productions 
végétales  les  plus  précieuses  de  l'Afrique  et  de  l'Asie. 
(  Foy.  pour  le  café,  ce  que  j'ai  dit  lig.  5,  p.  3io,  et 
-lig.  12,  p.  338 du  T.  I.er-  et  pour  l'indigo,  lig.  i8,pag. 
3i2  du  T.  I.er) 

Il  n'y  a  ni  frimats-,  ni  chaleurs  excessives  à  craindre; 
et  quoique  le  soleil  y  passe  deux  fois  l'année  au  zénith; 


de  l'amériqtjk  sur  l'europe.        435 

chaque  jour  ,  lorsqu'il  s'élève  sur  l'horizon  ,  il  amène 
avec  lui ,  de  dessus  la  mer  ,  un  vent  frais  ,  qui  rafraî- 
chit jusqu'au  soir  ,  les  forêts  ,  les  montagnes  et  les  val- 
lons. Que  de  retraites  heureuses ,  ces  îles  fortunées 
offrent  aux  pauvres  soldats  et  aux  paysans  sans  posses- 
sions  !  Que  de  frais  de  garnison  y  peuvent  êtr«  éparJ 
gnés  !  Que  de  petites  seigneuries  pourraient  devenir 
la  récompense  des  braves  officiers  ou  des  bons  citoyens! 
Que  d'habiles  marins ,  la  pêche  des  tortues  ,  dont  les 
écueils  voisins  sont  couverts  ,  ou  celle  des  morues  dm 
banc  de  Terre-Neuve  encore  plus  abondante ,  peu- 
vent former  !  Il  n'a  fallu  que  les  frais  d'établissement 
des  premières  familles  ,  étendues  à  la  manière  même 
des  Caraïbes  ,  pour  que  la  puissance  européenne  s'é- 
tendît jusqu'au  centre  du  continent  de  l'Amérique  ,  et 
y  fût  inexpugnable. 

Tels  sont  les  avantages  réels  qui  rendent  le  Nou*» 
veau -Monde  préférable  à  l'Europe.  Pourquoi  l'ambi- 
tion de  l'Europe  a-t-elle  fait  couler  dans  ces  heu- 
reux climats  le  sang  et  les  larmes  des  hommes  !  Ah  ! 
si  la  liberté  et  la  vertu  en  avaient  rassemblé  les 
premiers  cultivateurs  ,  que  de  charmes  l'industrie 
européenne  eût  ajoutés  à  la  fécondité  du  sol  et  à  l'heu- 
reuse température  des  Tropiques  ! 


aS. 


43-6  CONCLUSION. 

CONCLUSION. 

Les  arts  et  les  sciences  que  l'Europe  a  reçus  de 
l'Asie,  ont  été  cultivés  par  les  Européens  avec  un 
succès  qui  prouve  la  puissance  du  génie  de  l'homme. 
Cependant  les  systèmes  et  les  disputes  qu'ils  ont  occa- 
sionnées ,  et  les  découvertes  qui  se  font  journellement  , 
prouvent  qu'ils  sont  encore  loin  d'avoir  atteint  le  der- 
nier degré  de  la  perfection. 

L'Europe,  comme  l'observe  judicieusementl'Auteur 
du  Traité  élémentaire  de  Géographie,  est  parvenue, 
avec  le  temps ,  à  cet  état  de  prospérité  et  de  force 
qui  la  rend  aujourd'hui  supérieure  aux  autres  parties 
du  inonde.  Cette  destinée  est  due  à  sa  situation  topo- 
graphique ,  à  la  nature  de  son  climat  et  au  caractère 
de  ses  habitans. 

En  effet ,  l'Europe  est  prequ'entièrement  environ- 
née de  mers  -,  la  pêche  et  la  navigation  sont  devenues 
pour  elle  un  besoin,  une  habitude  facile;  le  bois,  la 
résine,  le  chanvre  qui  croissent  chez  elle  en  abondance, 
lui  ollrent  de   grandes  ressources  en  manne;  l'ingra- 
titude de  beaucoup  de  parties  de  son  sol  et  la  grande 
variété  de  sa  température  ont  accoutumé  les  Euro- 
péens à  un  travail  opiniâtre ,  et  les  ont  rendus  à-la* 
fois  robustes  et  industrieux.  L'inquiétude  habituelle 
de  leur  esprit  les   a  portés   à  chercher  dans  d'autres 
climats  les  trésors  et  les  productions  que  la  nature  leur 
avait  refusées  :  moins  riche  que  l'Asie  et  l'Amérique, 
l'Europe  ne  renferme  dans  son  sein  que  le  fer,  instru- 
ment de  la  culture ,  de  la  guerre  et  des  arts;  peut-être 
ce  métal ?  le  plus   divisible  de  tous,  qui  s'incorpore 


CONCLUSION.  43y 

avec  toutes  les  substances  des  trois  règnes,  a-t-il  donné 
au  tempérament  des  Européens ,  cette  vigueur  mar- 
tiale ,  cette  stature  haute  et  nerveuse ,  cette  énergie 
de  courage ,  d'invention  et  d'activité  qui  les  distin- 
guent de  toutes  les  autres  nations. 

En  jetant  un  coup-d'œil  sur  l'histoire  de  l'Europe  , 
on  voit  que  les  peuples  méridionaux  de  la  Sicile ,  de 
l'Italie  et  du  milieu  de  la  Gaule ,  furent  d'abord  sub- 
jugués et  policés  par  les  Grecs  et  les  Carthaginois  ; 
ensuite  par  les  Romains  qui  soumirent  la  Grèce ,  une 
partie  de  l'Asie,  l'Espagne,  les  Gaules,  l'Angleterre, 
une  partie  de  l'Allemagne  ;  mais  ces  vainqueurs  ne 
purent  résister  à  l'abondance  et  à  la  mollesse  ,  fruit  de 
civilisation,  qu'ils  étendaient  vers  le  nord-,  ils  laissè- 
rent PItalie  et  la  Sicile  en  friche,  pour  aller  contrain- 
dre l'Egypte  et  l'Afrique  à  labourer  pour  eux. 

Les  nations  les  plus  septentrionales ,  excitées  par  la 
cupidité  et  par  la  vengeance ,  fondirent  alors  comme 
d'impétueux  torrens  sur  l'Italie,  les  Gaules,  la  Sicile 
et  l'Espagne,  et  s'en  rendirent  maîtresses;  elles  dé- 
pouillèrent Rome  qui  avait  dépouillé  tant  d'autres  na- 
tions; et  des  débris  de  l'empire  romain,  se  formèrent, 
comme  au  hasard  ,  toutes  les  sociétés  politiques  qui 
subsistent  aujourd'hui  en  Europe. 

La  liberté  se  montra  à  coté  de  la  tyrannie ,  la  puis- 
sance des  lois  à  côté  de  la  volonté  absolue,  l'anarchie 
auprès  du  despotisme  -,  dans  ces  divers  gouvernemens  , 
lçs  droits  naturels  furent  souvent  sacrifiés  à  la  politi- 
que, au  fanatisme,  à  l'intolérance,  aux  discordes  ci- 
viles, aux  guerres  étrangères.  Les  peuples,  lassés  de 
courber  leur  front  sous  le  joug  du  caprice  et  de  la 
tyrannie,  poussés  par  un  esprit  d'aventure  et  de  cupi- 


438  CONCLUSION. 

dite,  abandonnèrent  leur  patrie  pour  s'en  créer  une 
autre  ,  et  coururent  disputer  aux  habitans  du  Nou- 
veau-Monde, les  fayeurs  dont  le  ciel  les  avait  comblés. 

La  même  cause  fit  sortir  jadis  des  forêts  de  la  Scan- 
dinavie et  de  la  Scjthie ,  les  Goths  3  les  Huns  et  d'au- 
tres barbares  ,  leurs  ancêtres  ,  pour  s'emparer  du 
X)aneniarck  et  de  toute  la  côte  qui  borde  la  Baltique. 
Us  forcèrent  les  habitans  de  ces  lieux  à  se  jeter 
avec  eux  sur  les  Francs,  ceux-ci  sur  les  Gaulois ,  et 
ces  derniers  sur  les  Romains  ;  ils  laissèrent  dans  ces 
divers  pays  cet  esprit  d'inquiétude,  d'action  et  de 
réaction  qui  tourmente  les  Européens  jusqu'à  ce  jour. 

L'Asie  avait  attiré  leurs  regards  \  mais  l'Amérique; 
pour  son  malheur,  fixa  leur  cupidité. 

On  reproche,  avec  raison,  à  quelques  hordes  farou- 
ches de  l'Amérique,  d'avoir  massacré  des  équipages 
au  moment  où  ils  débarquaient  sur  le  sol  américain. 
L'Europe,  hélas  !  n'a  donné  que  trop  d'exemples  aussi 
barbares  !  Que  de  peines  n'a-t-on  pas  eues  à  extirper 
des  côtes  européennes  ,  le  droit  de  naufrage  et  de 
strand-recht ,  ce  brigandage  contre -nature  qui  cho- 
quait les  premières  lois  de  la  société  et  les  notions  du 
sens  commun  -,  le  droit  de  rançonner  les  voyageurs  , 
que  tous  les  seigneurs,  depuis  le  JMein  et  le  Vfeser, 
jusqu'au  pays  de  Slaves  ,  comptaient,  en  1069,  parmi 
les  prérogatives  féodales. 

On  parle  de  la  barbarie  des  sauvages  de  l'Amérique  -, 
certes  elle  ne  peut  être  comparée  à  celle  de  quelques 
nations  civilisées,  et  peut-être  chercherait-on  en  vain 
dans  toute  leur  histoire  un  trait  semblable  à  celui  de 
Quiberon,  où.  des  alliés  cannonèrent  les  malheureuses 
victimes  qu'ils  avaient  débarquées  pour  seconder  lueurs 


CONCLUS  10  N.  43p 

projets  hostiles,  et  qui  trouvèrent  la  mort  là  où  ils  de-^ 
V-aient  espérer  un  asyle. 

Si  le  Pérou  et  le  Mexique  ont  eu  à  gémir  des. guerres 
et  des  vexations  de  quelques-uns  de  leurs  souverains  , 
l'Europe,  à  diverses  époques,  a-t-elie  été  plus  heu- 
reuse ?  Les  proscriptions  des  Marins ,  des  Sylla  ,  des 
IVéron  ;  celles  des  Grégoire  VII ,  des  Innocent  III 
et  des  Boniface  VIII ;  les  proscriptions  des  Richard, 
des  Henri  VIII ',  des  Marie ,  des  Elisabeth  ,  des. 
Edouard ,  des  Cromwell  en  Angleterre;  enfin,  les 
persécutions  de  quantité  d'autres  princes  du  conti- 
nent de  l'Europe,  n'attestent-elles  pas  le  contraire? 

Depuis  la  civilisation  de  cette  partie  du  glohe  jus- 
qu'à nos  jours,  les  deux  tiers  de  ce  temps  se  sont 
écoulés  au  milieu  des  guerres  étrangères,  intestines, 
féodales,  religieuses,  de  familles,  de  successions,  de 
conquêtes  ,  de  révolutions ,  qui  ont  fait  disparaître  de 
l'Europe  au-delà  de  la  population  actuelle,  sans  comp-. 
ter  les  victimes  de  la  cruauté  de  leur  gouvernement , 
de  la  sévérité  barbare  des  lois,  du  poison  et  du  poi- 
gnard des  assassins,  sans  parler  de  ceux  qui  ont  suc- 
combé sous  le  pouvoir  des  grands  vassaux,  si  fatal  à 
l'autorité  des  rois  de  France,  si  pesant  pour  leurs  infé- 
rieur* et  si  désastreux  pour  la  masse  du  peuple?  Quelle 
que  soit  l'étendue  de  l'Europe ,  les  trois-quarts  de  sa 
surface  ont  été  arrosés  de  sang;  sauvage,  elle  se  servait 
de  flèches  et  de  massues  ;  demi-barbare  ,  elle  remplaça 
ces  armes  parle  sabre  et  la  hache;  civilisée,  elle  eut 
les  baïonnettes,  les  canons  , Téchafaud. 

Si  les  Mexicains  ont  eu  des  sacrifices  qui  faisaient: 
frémir  l'humanité,  on  peut  également  reprocher  aux 
Européens,  des  anathêmes  incendiaires y  des  édita  de 


44o  CONCLUSION. 

proscriptions,  des  martyrs  et  des  auto-dafés,  plus 
cruels  encore  que  les  sacrifices  de  ces  Indiens  occi- 
dentaux. 

,  Que  de  vertus  l'ambition  et  le  vil  intérêt  des  nations 
qui  se  disent  civilisées,  n 'ont-elles  pas  bannies  de  leur 
sein  ,  et  qui  se  retrouveraient  cbez  les  prétendus  bar- 
bares américains  !  Combien  d'bommes  vivant  dans  le 
crime  en  Europe,  sont  devenus  gens  de  bien  dans  les 
îles  de  l'Amérique  ! 

Ce  sauvage  qu'on  trouve  malheureux ,  n'est  pas 
obligé,  comme  l'Européen  ,  de  payer  en  impositions 
les  fenêtres  de  son  logement,  les  rayons  du  soleil  qui 
percent  à  travers  sa  chambre;  l'eau  qui  sert  à  le  dé- 
saltérer ;  les  électuaires  destinées  à  l'entretien  de  ses 
dents-,  sa  chaussure  et  ses  accoutremens;  le  bois,  le 
charbon  qui  cuisent  chaque  plat  de  son  dîner  5  ses  li- 
queurs ou  autres  boissons;  sa  correspondance,  son  ma- 
riage et  jusqu'au  coin  de  terre  où.  ses  os  doivent  reposer. 

,  Les  Américains  sont  trop  sages  pour  écrire,  comme 
le  jurisconsulte  Alexandre  Alexandro ,  deux  savans 
chapitres,  afin  de  prouver  qu'il  y  a  des  spectres y  des 
hommes  marins  et  des  syrènes  qui  étaient  amoureuses 
à  la  fureur  de  Théodore  de  Gaza  et  de  George  de 
Trapezunte  ;  pour  révérer,  comme  les  Sionites  d'Al- 
lemagne, une  de  leurs  femmes  ou  filles,  qu'ils  hono- 
rent du  titre  de  mère  de  Sion  ;  pour  admettre  Finfail- 
libilité  des  conciles  composés  d'hommes;  pour  soutenir 
des  factions  semblables  à  celles  des  Guelfes  et  des 
Gibelins;  pour  confirmer  la  trêve  de  Dieu,  ce  monu- 
ment horrible  du  1  2.e  siècle,  cette  trêve  qui  défendait 
aux  seigneurs  et  aux  barons  en  guerre  les  uns  contre 
lçs  autres,  de  se  tuer  les  dimanches  et  leg  fêtes*  seu- 


CONCLUSION.  44 1 

lement ,  le  reste  de  la  semaine  devant  suffire  à  leur 
férocité  ;  pour  déclarer,  comme  un  certain  pape  ,  que 
l'Amérique  ne  pouvait  pas  exister;  pour  excommunier 
quiconque  osait  croire  que  notre  globe  avait  deux 
hémisphères  habités  par  des  êtres  raisonnables  ;  pour 
faire  présent  au  premier  prince  venu,  d'un  pays  qui 
n'appartenait  pas  à  celui  qui  le  donnait,  ainsi  que  fit  le 
pape  Alexandre  VI ,  donnant  l'Amérique  à  Ferdi- 
nand, roi  d'Espagne;  pour  nier,  comme  le  pape  Za- 
charie j  et  Lactance  père  de  l'Eglise,  la  possibilité 
des  antipodes  éclairés  par  le  même  soleil  et  par  la 
même  lune  ;  pour  solliciter  d'un  pape  ,  comme  les 
Vénitiens  en  i346,  la  permission  d'acheter  du  poivre 
et  de  la  canelle  en  Asie  -,  et  comme  Lopez  d'Azeredo 
en  i44o,  pour  Alphonse  V,  roi  de  Portugal,  de  per- 
mettre, au  sujet  de  son  prince,  de  doubler  le  Cap  de 
Bonne-Espérance,  et  de  réduire  les  nègres  en  servi- 
tude perpétuelle,  parce  qu'ils  n'allaient  jamais  à  la 
messe ,  et  qu'ils  avaient  le  teint  des  réprouvés  ;  pour 
disserter,  comme  les  anciens  médecins  Aëtius  et  Paul 
OEginette ,  sur  l'excision  des  femmes,  que  les  Aby- 
nissens  nomment  la  régénération  de  la  virginité  ;  pour 
vouloir,  comme  un  Langallerie  ,  réunir  toute  la  na- 
tion juive  dans  l'île  de  Chypre,  après  avoir  volé  les 
trésors  delà  chapelle  de  Loretle ,  afin  de  payer  les 
frais  de  cette  théocratie  -,  pour  dire ,  comme  certains 
théologiens,  des  injures  contre  Descartes  et  Newton  ; 
condamner  en  géographie  l'êvéque  Virgile }  en  astro- 
nomie Galilée,  en  métaphysique  Jordan ,  Lebrun  et 
Locke  ,  en  physique  tant  de  magiciens  ,  de  sorciers  et 
de  bons  livres  qui  ont  été  brûlés  ;  pour  attribuer  en 
histoire  naturelle  l'origine  des  nègres  à  des  héros  de 


44a  conclusion. 

l'histoire  juive-,  pour  soutenir,  comme  M.  Guignes , 
dans  un  ample  mémoire  académique  ,  que  les  apôtres 
n'ont  jamais  voyagé  bien  loin  ;  mais  que  les  bonzes  de 
Samaroande ,  s'étaient  embarqués  sur  un  navire  chi- 
nois qui  allait,  tous  les  ans,  parle  Kamtchatka,  au 
Mexique  où  ils  avaient  prêché  le  culte  de  Dieu  du 
grand  Lama  du  Thibet ,  vers  fan  458  de  l'ère  chré- 
tienne, c'est-à-dire,  io34  ans  avant  la  découverte  du 
Nouveau- Monde 5  pour  prétendre  que  la  première 
femme  du  genre  humain  avait  des  ovaires  qui  conte- 
naient des  œufs  blancs  d'où  naquirent  les  Européens  , 
et  des  œufs  noirs  d'où  sortirent  les  Africains  ;  pour 
démontrer ,  comme  Arias  Montait,  que  les  Améri- 
cains sont  issus  de  quelques  matelots  qui,  ayant  re- 
fusé de  servir  plus  long-temps  sur  les  flottes  de  Salo- 
mon ,  aimèrent  mieux  s'établir  à  Orphire  et  y  fonder 
la  ville  de  Cusco,  que  de  retourner  dans  les  rochers 
stériles  de  la  Palestine;  pour  vouloir  prouver  qu'on 
déduit  le  mot  Pérou  de  Piru,  et  celui  de  Pirru  d'Or- 
phire ;  pour  vouloir  démontrer,  enfin,  que  la  Chine 
était  une  colonie  égyptienne ,  qu'un  roi  d'Egypte  , 
appelé  Menés  par  les  Grecs ,  était  le  roi  de  la  Chine 
Yu,  quAtoës  était  Ki  en  changeant  seulement  quel- 
ques lettres,  et  qu'il  n'y  a  plus  de  doute  que  les  Chi- 
nois ne  soient  une  colonie  égyptienne,  puisqu'ils  al- 
lumaient des  lanternes,  et  que  les  Egyptiens  allumaient 
des  flambeaux  quelquefois  pendant  la  nuit. 

Ainsi  que  je  l'ai  dit  en  commençant,  les  arts  et  les 
sciences  ont  été  portas  en  Europe  à  un  point  de  per- 
fection qui  n'existait  pas  en  Amérique  lors  de  sa  dé- 
couverte ;  mais  on  ignoro  en  quel  état  Us  étaient  avant 
la  malheureuse  catastrophe  qui   a  enseveli   sous  .les 


conclusion.  443 

flots  une  partie  du  Nouveau-Monde ,  et  qui  en  a  fait 
disparaître  ces  espèces  monstrueuses  d'animaux  dont 
on  retrouve  des  traces  à  chaque  pas.  L' Ethiopie , 
Y  Abyssinie ,  le  royaume  de  Sèba  et  une  grande  partie 
de  l'Afrique,  étaient  jadis  renommées  par  leur  com- 
merce et  leur  civilisation-,  on  ne  les  connaît  aujour- 
d'hui que  de  nom.  Ces  mêmes  sciences  se  sont  perdues 
plusieurs  fois  en  Europe;  ce  coin  du  monde  est  tombé 
dans  la  barbarie  à  plusieurs  reprises  ,  et  ce  n'est  pas  a 
«on  propre  génie  que  l'Europe  est  redevable  de  sa 
civilisation,  mais  bien  au  voisinage  de  la  Grèce  et  de 
l'Egypte,  qui  les  ont  introduites  et  encouragées  dans 
son  pays;  à  la  stérilité  de  la  majeure  partie  de  son 
sol  et  au  besoin  qui  les  ont  rendues  indispensables  à 
l'existence  des  Européens.  La  nature  qui  priva  l'Amé- 
rique d'un  voisinage  aussi  utile  que  celui  de  la  Grèce  , 
l'a  dédommagée  en  accordant  à  ses  habitans  un  génie 
capable  de  concevoir  ,  d'inventer  de  lui-même^  et  en 
leur  prodiguant  ce  qui  pouvait  les  exempter  de  toute 
espèce  de  travail. 

Cependant  je  demanderai  à  M.  Paw  quelle  opinion 
les  Athéniens  eux-mêmes  devaient  avoir  de  Y  éloquen- 
ce 7  quand  ils  l'écartèrent,  avec  tant  de  soin,  de  ce 
tribunal  intègre  ,  des  jugemens  desquels  les  dieux 
mêmes  n'appelaient  pas  ?  Quelles  idées  les  Laeédé- 
moniens  s'en  étaient  faites,  lorsqu'ils  exilèrent  Ctê- 
sipkon  qui,  pour  donner  une  haute  idée  de  son  élo- 
quence, se  vantait  de  parler  pendant  un  jour,  sans 
préparation r  sur  le  premier  sujet  qui  serait  proposé? 
Que  pensaient  les  Romains,  de  la  médecine,  lorsqu'ils 
la  bànnireut  de  leur  république  ?  Que  deviendrait  l'his- 
toire ,  s'il  n'y  avait  ni  tyrans ,  ni  guerres  ;  ni  conspi- 


444  CONCLUSION. 

rateurs?  Sans  les  injustices  des  hommes,  à  quoi  servi- 
rait la  jurisprudence  ?  Quelle  idée  iallait-il  que  les 
Espagnols  en  eussent ,  lorsqu'ils  défendirent  à  leurs 
hommes  de  loi  l'entrée  de  l'Amérique  ?  Ne  croyaient- 
ils  pas  par  ce  seul  acte,  réparer  tous  les  maux  qu'ils 
avaient  faits  à  ces  malheureux  Indiens  ? 

Qnand  on  considère  les  malheurs  que  les  arts  ont 
amenés  à  leur  suite ,  on  serait  presque  tenté  de  leur 
préférer  la  simplicité  des  Américains ,  qui  ne  font 
tourner  leurs  idées  qu'à  leurs  besoins  réels,  plutôt 
que  de  poursuivre  sans  relâche  ce  qui  ne  peut  flatter 
qu'une  ambition  démesurée  et  une  vanité  puérile. 
Depuis  2000  ans  que  de  maux  n'ont-ils  pas  produits 
en  Europe  !  L'anarchie  universelle  dégénérée  en  des- 
potisme ;  le  système  féodal  s'appropriant  les  divers 
royaumes  comme  un  patrimoine-,  l'abjection  des  peu- 
ples ;  l'asservissement  des  lois  et  des  droits  naturels  à 
la  volonté  arbitraire  -,  un  fanatisme  effrayant  ;  des 
crimes  de  tout  genre  ,  le  viol ,  l'incendie ,  l'assassinat , 
l'empoisonnement ,  des  vices  non  moins  honteux  que 
le  crime;  la  traite  des  nègres,  ce  commerce  contre 
nature-,  1800  ans  d'usurpations  successives,  de  con- 
quêtes ou  de  démembremens ,  de  trahisons ,  de  perfi- 
dies ,  de  vengeances,  de  guerres  de  successions,  de 
guerres  de  famille  ,  de  guerres  féodales ,  de  guerres  de 
religion,  servant  toujours  de  prétexte  à  quelque  inté- 
rêt politique  qu'on  osait  avouer  et  dont  les  ambitions 
particulières  profitaient  pour  disposer  de  la  force  po- 
pulaire; des  édits  de  proscriptions,  des  anathêmes  , 
des  auto-da-fé,  enfin,  tous  les  maux  que  l'esprit  hu- 
main peut  inventer  et  concevoir. 

Quand  les  Américains  auront  passé  deux  mille  ans 


CONCLUSION.  445 

4  se  policer  co  mme  les  Européens  ,  alors  on  pourra  se 
permettre  de  juger  s'ils  sont  foncièrement  plus  stu^ 
pides  et  plus  méchans  que  les  habitans  de  l'Europe  ; 
en  attendant ,  si  certains  d'eux  préfèrent  loger  dans  de 
chétives  cabanes ,  qui  valent  toujours  mieux  que  le 
tonneau  dans  lequel  le  pbilosophe  Diogène  se  tenait 
en  double,  et  ne  pas  cultiver  la  terre  comme  elle  pour- 
rait l'être ,  ils  sont  plus  politiques  qu'on  ne  le  pense  , 
puisqu'ils  évitent  des  guerres  avec  les  Européens,  dont 
l'avidité  trouverait  bientôt  des  prétextes  pour  envahir 
des  terrains  qui  tenteraient  leur  insatiable  cupidité. 

Quoiqu'il  soit  mortifiant  pour  l'amour-propre  et 
la  vanité  de  certains  Européens  qui  se  croient  les 
plus  éclairés  ,  les  plus  ingénieux  et  les  plus  raison- 
nables des  hommes ,  de  trouver  ,  dans  le  Nouveau- 
Monde,  un  pays  préférable  au  leur  ,  et  des  habitans 
qui  les  valent  à  beaucoup  d'égards  -,  ce  préjugé,  mal- 
gré tout,  ne  doit  pas  les  aveugler  au  point  de  nier 
que,  si  l'ignorance  des  arts  et  des  sciences  de  l'Eu- 
rope prive  les  Américains  non  policés  de  beaucoup 
de  commodités  et  de  plaisirs,  ils  n'éprouvent  pas  en 
revanche  les  soucis,  les  peiues  qui  se  multiplient  chez 
les  Européens,  à  proportion  de  leurs  connaissances  et 
de  leur  ambition  -,  jouissances  que  les  Américains  peu- 
vent payer  avec  des  insectes,  des  coquillages,  des 
cailloux  luisans  et  de  la  terre  jaune. 

On  ne  voit  point  en  Amérique  des  hommes  égor- 
ger de  sang-froid  leurs  frères  ,  ni  servir  de  faux  témoins 
pour  les  faire  condamner  ,  afin  d'hériter  de  leurs  biens  ; 
l'intrigue  y  est  inconnue  5  on  ne  s'y  enrichit  que  par  des 
voies  justes  et  des  moyens  honnêtes.  Nulle  femme  n'y 
empoisonne   son   mari  pour  convoler   à   de  secondes 


446  CONCLUSION/ 

noces.  On  n'y  trouve  point,  comme  en  Europe,  de  ce» 
femmes  assez  lascives  ni  assez  audacieuses  pour  décla- 
rer publiquement  l'impuissance  de  leurs  maris  :  la 
femme  d'un  cacique  rougirait  d'agir  comme  cette  prin- 
cesse  de  Naples  ,  qui  fit  étrangler  ses  maris  parce 
qu'ils  n'assouvissaient  pas  sa  brutale  passion.  Aucune 
fille  n'y  conserve  l'apparence  de  sa  cbasteté  par  un 
crime.  Les  femmes  sauvages  ont  en  horreur  les  fille» 
chrétiennes  qui  détruisent  ainsi  le  témoin  de  leur  fai- 
blesse ;  elles  leur  opposent  la  conduite  des  bêtes  les 
plus  féroces  de  leurs  forêts,  qui  ont  un  grand  soin  de 
leur  progéniture. 

Ceux  que,  par  habitude,  on  appelle  sauvages  ou 
barbares ,  le  sont  bien  moins  que  certains   Européens 
fiers  de  leurs   lumières  ;   ils  laissent   souvent  éclater 
des  sentimens  remplis  de   délicatesse  et  d'honneur: 
en  voici  un  exemple  dont  M.   Bossu  a  été  témoin.  Un 
Chaclas  parlait    un  jour   fort   mal   des  Français,   et 
disait  que  les  Indiens,  voisins  de  sa   nation,  étaient 
leurs   chiens.  Un  autre  Chactas,  indigné  de  ses  in- 
jures, le   tua  et  se  retira  à  la    Nouvelle-Orléans.  La 
nation  des   Chactas   envoya  des   députés  au    gouver- 
neur pour  réclamer  le  coupable.  On  fut  obligé  de  le 
remettre  entre  leurs  mains.  Un  officier  français  se  char- 
gea de  cette  triste  commission.  Les  Chactas  assemblés 
reçurent   leur  victime   en  présence   de   la   peuplade 
voisine.   Le  coupable  harangua,  debout ,  suivant  Tu- 
sage  de  ces  peuples ,  et  dit  :  «  Je  suis  homme  (  c'est- 
a  à-dire  je  ne  crains  pas  la  mort  )  ,  mais  je  plains  le 
»  sort  d'une  femme  et  de  quatre  enfans  que  je  laisse 
»   après  moi ,  dans  un  âge  fort  tendre  ;  je  plains  mon; 
a  père  et  ma  mère  qui  sont  vieux  et  que  jelabais  sub- 


CONCLUSION.  447 

»  sister  par  ma  chasse;  je  les  recommande  aux  Fran- 
»  çais  puisque  c'est  pour  avoir  pris  leur  parti  que  je 
»  suis  sacrifié....  »   A  peine  eut-il  achevé  ce  discours 
que  son  père ,  qui  était  présent ,  se  leva  ,  s'avança  au 
milieu   de  l'assemblée  des  deux  nations,   et  parla   en 
ces  termes  :  «  C'est  avec  justice  que  mon  fils  meurt , 
»  puisqu'il  s'est  rendu  coupable  d'un  meurtre  ;  mais 
»  étant  jeune  et  vigoureux,  il  est  plus  capable  que  moi 
»  de   nourrir    sa  femme ,  sa    mère  et  ses  quatre  jeu-, 
»  nés  enfans  :  il  faut    donc  qu'il   reste    sur  la  terre 
»  pour  en  prendre  soin.   J'ai  assez  vécu;  je  souhaite 
n  que  mon  fils  parvienne  jusqu'à  mon  âge  pour  élever 
»  mes   petits-fils;   je  ne  suis  plus  bon  à  rien;    quel^ 
»  ques  années  de  plus  ou  de  moins  me  sont  indiffé- 
»  rentes;   j'ai  vécu  en  homme,  je   veux  mourir   de 
»  même  ;  c'est  pourquoi   je  vais  prendre  sa  place,  » 
J£n  achevant  ces  mots ,  il  embrassa  sa  femme ,  son  fils  , 
sa  belle-fille   et  ses  petits    enfans    qui  fondaient  en 
larmes  ;  il  prit  ensuite  dans  ses  bras  ses  petits  en^? 
fans  ,  les  présenta  aux  Français,  et  s'avança  vers  les 
parens  du  mort  auxquels  il  offrit  sa  tête  ;  elle  fut  ac- 
ceptée. Le  vieillard  s'étendit  sur  un  tronc   d'arbre  j 
on  lui  abattit  la  tête  d'un  coup  de  hache.  Les  Chactas 
la  mirent  au  bout  d'une  pepche  et  l'emportèrent  en 
triomphe  dans  leur  village  ,  comme  un  acte  signalé 
de  justice. 

La  vertu  de  ce  vénérable  vieillard  est  au  moins 
comparable  à  celle  du  célèbre  orateur  romain  ,  que 
son  fils  cacha  dans  le  temps  du  triumvirat ,  et  qui  ne 
pouvant  supporter  qu'on  tourmentât  cruellement  un 
fils  tendre  et  vertueux  ,  vint  se  présenter  aux  meur- 
triers et  prier  Les  soldats  de  le  tuer ,  et  de  sauver  son 


448  conclusion. 

fils.  Le  jeune  homme  les  conjura  de  le  faire  mourir  et 
d'épargner  les  jours  de  son  père  ;  mais  les  soldats  plus 
barbares  que  les  sauvages  de  la  Louisiane,  les  firent 
mourir  ensemble.  Quelle  différence  entre  l'action  de 
ce  vieillajd  américain  et  celle  d'un  Brutus  qui  con- 
damna son  fils  à  la  mort ,  et  l'action  de  ce  fils  qu'arra- 
che la  vie  à  son  père?  Que  peut-on  penser  d'Abraham 
immolant  Isaac ,  de  Samuel  égorgeant  Atys,  de  Judith 
assassinant  Holopherne. 

Exempts  de  préjugés,  plus  sages  que  les  Européens, 
les  habitans  de  l'Amérique  ne  se  créent  point  de  be- 
soins factices  et  un  bonheur  imaginaire  -y  ils  n'ont  chez 
eux  ni  espions  ,  ni  délateurs  ;  on  n'y  voit  point  de  juges- 
de-paix  instruire  des  misérables  sans  pudeur  et  sans 
frein,  à  faire  tomber  des  innocens  dans  le  piège;  ou 
tenter  de  faire  condamner  leurs  concitoyens  devant 
des  cours  de  justice,  sur  la  foi  du  serment  de  mé- 
créans  souillés  de  crimes  et  de  parjures.  Leur  tran- 
quillité n'est  point  troublée  par  les  subsides  ,  ni  par 
l'inégalité  des  conditions.  Ce  ne  sont  que  les  préjugés 
de  l'éducation  qui  nous  les  font  regarder  comme  des 
hommes  réduits  à  la  dernière  misère.  On  n'entend 
point  crier  dans  leurs  carrefours  ,  comme  dans  les 
nôtres  ,  ces  mots  terribles  :  arrêt  qui  condamne  ,  et 
jamais  arrêt  qui  récompense.  Jamais  le  fouet ,  le  fer 
chaud  et  l'exil,  n'ont  contraint  un  coupable  à  se  faire 
voleur  et  assassin  ;  ses  parens  déshonorés  à  abandonner 
le  pays  ,  à  devenir  vagabonds,  et  ses  sœurs  des  pros- 
tituées. A  l'abri  de  l'impôt  du  chrisargire ,  établi  par 
Constantin  sur  toute  espèce  d'industrie ,  on  ne  verra 
pas  chez  eux ,  comme  chez  les  Romains  ,  les  pères 
vendre  leurs   enfens  ,  et  les   inères  prostituer  leurs 


CONCLUSION.  44() 

filles  j  pour  se  procurer  par  ce  misérable  trafic  l'argent 
que  venaient  leur   arracher   les   exacteurs. 

Etrangers  aux  folles  illusions  de  la  vanité  ,  aux  fri- 
volités éblouissantes  qui  composent  la  félicité  des  Eu- 
ropéens ,  ils  ne  connaissent  d'autres  biens,  que  les  biens 
Solides  d'une  famille  immense  ,  riche  par  son  union  , 
par  son  activité. 

Contens  de  leurs  pays  et  de  leurs  productions,  les 
Américains  ne  s'occupent  que  de  leurs  champs  et  de 
leurs  chasses.  Plus  justes  que  les  Européens  ,  ils  ne 
s'arment  que  pour  repousser  l'agression  >  et  non  pour 
forger  des  fers  à  leurs  semblables  ,  pour  immoler  par 
des  croisades  ,  par  des  assassinats  ,  comme  ceux  de 
i4i2  ,  par  une  Saint-Barthelemi  ,  par  des  Vêpres 
Siciliennes,  par  des  massacres  semblables  à  ceux  d'îr» 
lande  ,  tous  ceux  qui  ne  pensent  pas  comme  eux  ; 
encore  moins  pour  susciter  pour  la  barbe  ,  une  guerre 
pareille  a  celle  qui ,  dans  le  IX. e  siècle  ,  coûta  la  vie 
à  trois  millions  de  Français. 

Les  habitans  des  Etats-Unis  (  comme  l'a  très-bien 
observé  M.  Bonnet  )  n'auront  pas  le  ridicule  de  s'èlre 
battus  ni  pour  le  cèdre  qui  excita  Adrien  à  détruire 
Jérusalem  ;  ni  pour  le  bois  de  campèche ,  pour  lequel 
VJEspagne  et  V Angleterre  se  sont  deux  fois  fait  la 
guerre-,  ni  pour  le  figuier,  pour  lequel  se  battirent 
Xercès  et  les  Athéniens  >  Home  et  Cartilage  ;  ni 
pour  le  baume  ,  qui  fut  un  sujet  de  guerre  entre  les 
Juifs  et  les  Romains  ,*  ni  pour  le  thé  ,  qu'ils  jetèrent 
dans  la  mer  plutôt  que  de  le  recevoir  aux  conditions 
des  Anglais  ;  ni  pour  l'acajou ,  pomme  de  discorde 
journalière  entre  les  Portugais  et  les  Brésiliens  ;  ni 
pour  le  dattier,  qui  a  fréquemment  divisé  les  peuples 

2FOME  2»  29 


45©  CONCLU  S  I  O  N. 

de  l'Orient  ;  ni  pour  la  muscade  et  les  épiceries  ,  dont 
les  Hollandais  ne  possèdent  le  commerce  qu'au  prix 
de  la  guerre.  (  Tabl.  des  Etats-Unis.  ) 

Le  public  est  maintenant  à  même  de  juger  si  quel- 
ques écrivains  qui  n'ont  jamais  habité  le  Nouveau- 
Monde  ,  dont  ils  se  sont  faits  les  historiens  ,  ont  eu 
raison  de  sacrifier  l'Amérique  à  l'Europe,  et  d'avan- 
cer que  ce  dernier  pays  l'emportait  sur  l'autre.  Témoin 
des  faits  que  j'ai  tracés  ;  sur  des  renseignemens  que 
j'ai  transmis  à  mes  lecteurs  ,  et  soutenu  par  l'impar- 
tialité et  la  vérité  _,  je  crois  pouvoir  attendre  avec  con- 
fiance la  décision  d'un  public  juste  et  éclairé. 


FIN    DU    TOME    SECOND    ET    DERNIER. 


TABLE 

DES  MATIÈRES 

DU  SECOND  VOLUME. 


LIVRE    TROISIEME. 

Chap.  unique.  Ubser.vations  sur  les  animaux  de  l'Amérique,  et  sur 

ceux  qui  ont  été  importés  dans  ce  pays Page     i 

Guyane « Ib, 

Terre-Ferme 10 

Nouvelle-Grenade 1 3 

Panama • 1 4 

Guyaquil Ib. 

Pérou Ib. 

Chili 19 

Patagonie 20 

Paraguay 22 

Brésil 24 

Mexique , 29 

Californie , 34 

Louisiane 36 

La  Floride 42 

Etats-Unis Ib. 

Canada 48 

Antilles 5o 

LIVRE    QUATRIÈME. 

Chap.  I.  Population  de  l'Europe  et  de   l'Amérique 74 

Sur  la  constitution  des  premiers  Américains 85 

LIVRE    CINQUIÈME. 

Chap.  IL  Mœurs ,  Usages  et  Religion  des  Américaius 145 

Dts  Brésiliens. , .  ■ * i46 


45a  TABLE   DES   MATIERES. 

Des  Amazones i53 

Des  Peuples  du  Paraguay i58 

Des  Patagons 161 

Peuples  du  Ciiili 1 68 

Des  Péruviens .  •  1 ; ; < *...  171 

Chap.  III.  Sur  la  résistance  des  premiers  Américains  lors  de  l'in- 
vasion de  leur  pays 1 . . .  268 

LIVRE    SIXIÈME. 

Chài».  I.  Sur  la  langue  des  Péruviens 4 .    320 

« —  II.  Sur  la  Religion  des  anciens  Européens,  Péruviens,  Mexi- 
cains, etc..  1 343 

—  III.  Etat  des  Arts  chez  les  Péruviens  et  les  Mexicains,  lors  de 

la  découverte  de  l'Amérique. * 366 

-i-  IV.  L'Hospitalité 4o3 

—  V.  Commerce  de  l'Europe  et  de  l'Amérique « . .   4l6 

Récapitulation  des  avantages  de  l'Amérique  sur  l'Europe 43i 

Conclusion 436 


ri»    DE   LA  TABLE   DES   MATIERES. 


IMPRIMERIE  DE  GUEFFIER,  RUE  GUÉSÉGAUD,  N.°  3i.